Un an après “For Unlawful Carnal Knowledge”, la campagne de rééditions “Expanded And Remastered” des albums de Van Halen continue avec “Balance”, cru 1995 avec Sammy Hagar au micro. Julien Ferté est retourné trente ans en arrière.
Au mitan des années 1990, cela faisait déjà dix ans que Sammy Hagar avait remplacé David “Diamond Dave” Lee Roth dans le groupe fondé par les frères Van Halen, Eddie et Alex. Les débats faisaient rage – et le font encore aujourd’hui sur les réseaux sociaux ! – sur la meilleure incarnation du groupe : celle avec D.L.R. le frontman sexy-rigolo-décalé ou S.H. le fort en gueule républicain toujours prêt à sauver le monde ? Personnellement, et à l’image, je crois, d’un grand nombre de boomers européens, “mon”/“notre” Van Halen est – et restera – celui des années 1978-1984 ; ce qui ne m’empêche pas d’aimer avec au moins autant d’enthousiasme sa version, disons, encore plus américano-américaine, souvent surnommée “Van Hagar”.
Mais venons-en à l’opus X de Van Halen, “Balance”, dont je découvre avec ravissement – merci l’Académie Tangentielle ! – la réédition grand luxe “Expanded And Remastered”.
Inspirée par un film d’Ingmar Bergman de 1957 (Le Septième Sceau), la première chanson de “Balance”, The Seventh Seal, était d’une noirceur un rien mystique – ah !, ces voix de moines tibétains en plein chanting – plutôt inattendue pour un groupe comme Van Halen. Sur un tempo galopant évoquant celui d’Achille Last Stand de Led Zeppelin (influence majeure), elle déroulait ses fastes soniques avec certaine majesté ; mais à peine étions-nous remis de nos émotions que l’on retombait en terrain plus balisé avec Can’t Stop Loving You et son refrain pop-rock ; idem pour Don’t Tell Me (What Love Can Do), plus convaincante grâce à son riff sombre et grinçant, et son groove terrien.
L’ombre de Led Zeppelin se remettait à planer sur Amsterdam, à laquelle succédait la très honky-zinzin Big Fat Money, marquée par un ahurissant solo du regretté funambule de la six-cordes. Not Enough était étonnant de tendresse, avec piano romantique, violons du bal et, en prime, encore une fois, un solo mémorable d’E.V.H.
Aftershock nous avait laissé de marbre et c’est toujours le cas, contrairement à Take Me Back (Déjà Vu) et Feelin’, variations mid tempo – hormis l’emballement final de Feelin’ et le solo fou d’ E.V.H. – que Sammy Hagar chantait avec son habituelle conviction virile savamment nuancée.
Si nous avons gardé Strung Out, Doin’ Time et Baluchitherium pour la fin, c’est parce que ce sont trois instrumentaux hors norme dont on ne se lasse pas. Le premier est un délire pianistique avant-gardiste joué par Eddie Van Halen avec un marteau, une scie et l’argenterie du ménage ; le second un solo de batterie d’Alex Van Halen augmenté d’effets électroniques et enregistré un jour de solitude au fameux 5150 Studio, et qui rappelle un peu, tiens donc, Bonzo’s Montreux, l’instru posthume et culte de feu le batteur de Led Zeppelin, John Bonham ; Baluchitherium aurait dû être chanté mais Sammy avait piscine, et passa son tour, aussitôt remplacé par Sherman, le Dalmatien d’Eddie Van Halen, tout à fait à l’aise au micro – sur lequel son maître avait fixé un hot dog.
Ces trois instrumentaux faisaient aussi le sel d’un album globalement très réussi qui, deux mois après sa sortie en janvier 1995 devint Disque de Platine aux États-Unis, prouvant au passage qu’un groupe de hard-rock “à l’ancienne” pouvait résister au tsunami grunge.
Trente ans après, voici donc que cette version “Expanded And Remastered” fait durer le plaisir grâce à trois pépites (certes déjà présentes dans le CD “Studio Rarities 1989-2004” du coffret “1986-1996” paru en 2023). Deux chansons d’une qualité égale voire supérieure à celles de “Balance”, Humans Being (extrait de la bande son du blockbuster Twister de 1996) et Crossing Over (face b de Can’t Stop Loving You qui aurait largement mérité d’être la face A !), et un instrumental tout à fait fascinant et émouvant, Respect The Wind (également tiré de la bande son de Twister), où Eddie Van Halen se révèle sous un jour inhabituel, moins flashy, plus habité, émouvant, et pour tout dire un rien jeffbeckien.
Sur le même CD figurent huit morceaux live gravés enregistré au Wembley Stadium de Londres le 24 juin 1995, dont un Guitar Solo (énième variation d’Eruption) du Live At Wembley Stadium enregistré à Londres le 24 juin prouve, si besoin, était, que, malgré ses innombrables imitateurs – auxquels ont hélas succédé un nombre délirant de clones défilant en boucle sur You Tube –, que seul Eddie Van Halen pouvait vraiment jouer comme Eddie Van Halen.
Sur le blu-ray, vous trouverez six promo videos des singles de l’album, ainsi que Humans Being et The Seventh Seal (seulement l’intro, chantée live à Minneapolis par les moines tibétains cités plus haut). Le beau livret ne contient pas de liner notes mais des photos et de la memorabillia. Et, bien sûr, si vous souhaitez retrouvez les frissons into the groove du vinyle, il y est itou !
Alors, quel sera le prochain coffret “Expanded And Remastered” ? “5150” ou “OU812” ? Sans doute faudra-t-il en finir avec la période Van Hagar avant de revivre les grandes émotions des années 1978-1984… Patience !
COFFRET Van Halen : “Balance – Expanded And Remastered” (Warner Records / Rhino, déjà dans les bacs, également disponible en double CD).
Photos : Glenn Wexler (Rhino Warner Music), X/DR.
Pour la première fois, un album de Van Halen est réédité en version Deluxe, et c’est “For Unlawful Carnal Knowledge”, troisième album du groupe avec Sammy Hagar, qui a cet honneur. Visite guidée.
Par Julien Ferté
Entre la sortie de “OU812” et celle de “For Unlawful Carnal Knowledge”, trois ans avaient passé, et cela ressemblait presque à une éternité après deux décennies où la majeure partie des artistes et des groupes avaient pris pour habitude de nous donner de leurs nouvelles phonographiques chaque année.
Mais deux ans avant que “For Unlawful Carnal Knowledge” ne squatte les facings et les vitrines des disquaires et, une fois de plus, le sommet des charts, Van Halen avait, certes indirectement, placé un single à la deuxième place du Billboard : sans son sample malin de Jamie’s Cryin’, l’une des perles du premier album des boys de Pasadena, Wild Thing du rappeur Tone Loc n’aurait certainement pas connu le même succès.
Mais on imagine sans peine que les hardcore fanatics de Van Halen n’avaient que faire ce hit record inattendu avec un vrai morceau de leur groupe chéri dedans, et que dès le 17 juin 1991, bouillonnant d’impatience, ils se ruèrent en masse chez leurs disquaires favoris pour acheter “For Unlawful Carnal Knowledge”, dont l’acronyme devait tout simplement être le titre que Sammy Hagar, histoire de titiller la censure, voulait donner au disque : “Fuck”. Mais son idée fut prudemment abandonnée..
Les fans de Van Halen ne furent sans doute pas déçus, car “For Unlawful Carnal Knowledge”, s’il ne brillait pas d’emblée par sa séduction mélodique, tapait dur dans le cortex, et signait le retour du groupe au hard-rock pur et dur.

Ainsi, dès l’intro de Poundcake, qui rappelait un peu celle de Bad Motor Scooter de Montrose, dont Sammy Hagar fut comme chacun sait le lead singer entre 1973 et 1976, la guitare perçante d’Eddie Van Halen zigzaguait entre nos tympans, vite aplatis par la batterie mammouthesque de son grand frère Alex Van Halen, fou de joie de pouvoir enfin sonner comme son idole, le batteur de Led Zeppelin, John Bonham – l’ingénieur du son Andy Johns n’y était pas pour rien, qui avait travaillé avec le groupe de Jimmy Page, et notamment sur le groove le plus phénoménal jamais enregistré par un groupe de rock, celui de When The Levee Breaks, joyau hyperblues du quatrième album de Led Zeppelin, dont la fructueuse influence plane en permanence sur “For Unlawful Carnal Knowledge”.
La fiesta hard & heavy continuait de plus belle avec Judgement Day, Spanked (et son incroyable partie de basse signée… Eddie Van Halen), momentanément tempérée par le plus pop Runaround – enfin, pop, pas au point de séduire les lecteurs de Magic non plus hein… –, qui aurait sans doute encore mieux sonné chanté par u certain David Lee Roth. Les affaires reprennent avec la cavalcade ledzeppelinienne Pleasure Dome, au gré de laquelle Alex Van Halen déploie un impressionnant groove tentaculaire, tandis que Sammy Hagar alterne spoken word et envolées robertplantiennes. Après les trois fillers de rigueurs, In’N’Out et Man On A Mission et The Dream Is Over, qu’on aime aussi hein, rassurez-vous, mais qu’on avait tendance à zapper sur le Discman pour arriver plus vite à Right Now et sa célèbre intro de piano. Cette powerful ballad, comme on dit là-bas, était, dit-on, inspirée par Joe Cocker. Ça ne nous avait pas sauté aux oreilles à l’époque, mais qu’importe : le plaisir de se laisser emporter par ce cocktail savamment dosé d’heavy rock et de pop avec une petite touche gospellisante était là.
Tout se terminait à la perfection avec le bref et charmant instrumental solo d’Eddie Van Halen, 316, et Top Of The World, dont l’incontestable pop appeal fit le succès commercial.
Faut-il ici rappeler que tout au long du disque, Eddie Van Halen rivalise d’invention et de virtuosité (jamais démonstrative, tout au plus flashy, et toujours funky), alignant solis zinzins et riffs souriants comme à la parade ? Exit les synthés qui avaient certes enrichi sa palette sonique et diversifié sa marque de fabrique : grâce à “For Unlawful Carnal Knowledge”, on fêtait son grand retour au premier plan, via des ces incomparables arabesques et autres folies sur six cordes – trente-trois ans après, les solos de Pleasure Dome et Dream Is Over nous laissent toujours transis d’admiration.
“For Unlawful Carnal Knowledge” marquait aussi le retour du producteur historique de Van Halen, Ted Templeman, appelé à la rescousse début 1991 pour enregistrer et superviser les parties vocales de Sammy Hagar. [Templeman était le producteur Montrose, et avait un temps songé à essayer de convaincre Eddie et Alex Van Halen de remplacer David Lee Roth par Hagar avant qu’ils n’enregistrent leur premier album, mais c’est une autre histoire…] Car sachez-le, le “Red Rocker” ne supportait pas Andy Johns, qui le lui rendait bien – Johns était d’ailleurs furieux que Ted Templeman vienne terminer le boulot à sa place, et l’avait appelé pour l’insulter !

Quid, nous direz-vous, de cette réédition “Expanded and Remastered” ? Elle devrait ravir les fans, même si je subodore qu’ils auraient préféré, quarantième anniversaire oblige, que “1984” bénéficié du même traitement de faveurs… En attendant, ouvrons l’objet, au format 30cm puisqu’il contient un double 33-tours… à trois faces (l’original de 1991 était un disque simple), car la dernière, sans sillon, est sertie d’un logo Van Halen gravée à même le vinyle. Joli. Le livret de 28 pages ne contient pas de liner notes – comme ceux des coffrets de Led Zeppelin… –, et ressemble plutôt à un tour book, riche en photos, pochettes et memorabilia.
On retrouve également l’album original sur le CD 1 et, sur le CD 2, seulement trois “rarities” (les Single Mixes de l’Organ Version et de la Guitar Version de Right Now, et une version instrumentale de Dream Is Over), ce qui, il faut bien l’avouer, satisfait tout juste notre appétit d’inédits… Fort heureusement, le CD 2 contient aussi onze titres live impeccablement enregistrés l’après-midi du 4 décembre 1991 à Dallas, Texas, théâtre d’un concert gratuit donné par Van Halen suite à une promesse faite par Sammy Hagar : en 1988, lors un show au Cotton Bowl qu’il avait été obligé d’interrompre à cause de sa voix déficiente, il avait lâché « I’ll do a free concert for you folks »…
Promesse tenue, donc, par notre quatre boys, qui alignèrent sans pression trois chansons de “For Unlawful Carnal Knowledge” (Poundcake, Runaround et Top Of The World, avec son petit clin d’œil à Eruption à la fin…), deux de “OU812” (Finish What Ya Started et leur reprise de A Apolitical Blues, classique de Little Feat signé Lowell George), deux de “5150” (Why Can’t This Be Love et Best Of Both Worlds), une de “1984” (Panama) et, enfin, deux pépites du songbook de Sammy Hagar, There’s Only One Way To Rock (extrait de “Standing Hampton”, 1981) et la protest song préférée des fous du volant, I Can’t Drive 55 (“VOA”, 1984, produit, encore lui, par Ted Templeman). Ce show hors norme est visible sur YouTube depuis un moment, mais le goûter en CD et, ô joie, le voir en blu-ray (qui contient aussi les clips de Poundcake – on ne peut plus pré-#metoo… –, Runaround, Right Now – assez étonnant-militant – et Top Of The World) procure un sacré plaisir – bon sang, quel guitariste incroyable était Eddie V.H. !
À bientôt, j’espère, pour la suite des rééditions “Expanded and Remastered” de Van Halen…
COFFRET Van Halen : “For Unlawful Carnal Knowledge Expanded and Remastered” (Rhino / Warner Records).