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“Dialogues”
Charlie Haden / Carlos Paredes
Polydor
1990

Tandis qu’il se produisait à l’Avanti Festival de Lisbonne, le contrebassiste Charlie Haden fut invité un soir à jouer dans un club local avec le légendaire guitariste portugais Carlos Paredes, apôtre du fado. Instantanément fasciné par sa complicité avec l’autre guitariste qui l’accompagnait – ils jouaient, dit-il, « comme un seul homme » –, son approche de la musique si originale lui rappela celle d’un autre musicien avec lequel il avait souvent joué : Ornette Coleman.
Douze ans plus tard, à l’initiative de Jean-Philippe Allard, qui signait là l’une de ses toutes premières productions pour Polydor / PolyGram Jazz, Charlie Haden retrouva Carlos Paredes au Studio Acousti d’Alain Cluzeau, rue de Seine à Paris, les 28 et 29 janvier 1990. 
Neuf morceaux furent gravés, pour la plupart des compostions de Carlos Paredes, à l’exception du célèbre Song For Che de Charlie Haden (créé en 1969 avec le Liberation Music Orchestra, et qu’Haden jouera régulièrement par la suite, souvent en duo, avec Pat Metheny, Jim Hall, Gonzalo Rubalcaba…).

C’est peu dire que ce bien nommé “Dialogues” est l’un des plus beaux duos enregistrés par Charlie Haden, un disque magique, au-delà des styles qui, comme disait l’autre, est une manière d’aller simple « dans la région du cœur ».
Si d’aventure vous ne le connaissez pas encore, dites-vous bien que ce sera sans doute pour la vie. Merci Carlos, merci Charlie, merci Jean-Phi.


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“Heavy Weather”
Weather Report
Columbia
1977

L’avantage, avec les chefs-d’œuvre, c’est que vous avez beau les avoir déjà écouté dix, vingt, cent ou peut-être mille fois, qui sait, ils ne sonnent jamais de la même manière et vous révèlent toujours quelque chose qui, jusque-là, vous avait échappé. Prenons, ce matin, notre second Disquindispensable du week-end, “Heavy Weather”, le premier album de WeatherReport dans lequel Jaco Pastorius jouait sur (presque) tous les morceaux – Rumba Mama est une petite folie percussive jouée en duo par Manolo Badrena et Alex Acuña. 
C’est à se demander, parfois, si ce disque magique et éternellement changeant n’est pas un “best of”, et quelles étaient les mystérieuses forces gravitationnelles qui avaient alignées ces trois hommes-planètes nommés Joe Zawinul, Wayne Shorter et, donc, Jaco Pastorius. 
Souvenons-nous, une fois de plus – car on le sait depuis longtemps : ne s’en lassera jamais – que ces trois compositeurs de génie avaient ici touché à une sorte de perfection absolue dans le fond et la forme. Des mains de Zawinul étaient tombés BirdlandRemark You Made et The Juggler ; de celle de son brother Wayne Harlequin et Palladium ; Pastorius, lui, était venu avec Teen Town et Havona
Non mais vous vous rendez compte ?! “Heavy Weather”, c’est un système solaire au centre duquel brille l’astre de la création pure, à même de donner l’inspiration divine à ceux qui osent le regarder en face ne serait-ce que quelques nanosecondes. Comment ça j’exagère ? À peine. Réécoutez l’intro de Birdland et ces premières notes de synthé destinées, sans doute, à établir un lien avec des êtres venus d’ailleurs, comme dans Rencontre du troisième type ; réécoutez le chant de Shorter dans A Remark You Made et ne séchez pas vos larmes ; réécoutez Teen Town et pleurez encore (de joie) ; et ces accords stellaires dans Harlequin, on en parle ? et Jaco qui joue des steel drums dans Palladium, hein ? The Juggler ? Encore une intro magique… Havona ? Comme si on faisait le tour du monde en un jour. Météo d’un jour, météo pour toujours : beau fixe.

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“Sleeping Gypsy”
Michael Franks
Warner Bros. Records

1977

Le titre de notre premier Disquindispensable du week-end est inspiré par La Bohémienne Endormie, tableau d’Henri Rousseau peint quatre-vingts ans avant que la pochette ensoleillée de “Sleeping Gypsy” n’illumine les facings de nos disquaires favoris. Quelle merveille que ce disque, qui démarre par l’un des chefs-d’œuvre du songbook de Michael Franks, The Lady Wants To Know – Pépite du jour il y a deux ans –, suivi de sept chansons défilant comme dans un rêve éveillé. 
Cela arrive assez souvent ici, mais rien que d’écrire les noms des musiciens que l’on croise dans ce disque nous file des frissons : Joe Sample, Wilton Felder, Larry Carlton, John Guerin, Ray Armando, Michael Brecker, David Sanborn, Joao Donato, Joao Palma et Helio Delmiro (B’Wana – H No Home et Down To Brazil ont été enregistrées à Rio De Janeiro), sans oublier les arrangements de Claus Ogerman et – que Philippe Poudensan se rassure ! – Tommy LiPuma, qui signait là l’une de ses productions les plus mémorables. Mention, aussi, à l’ingénieur du son Al Schmitt. 
Une dream team au service d’un auteur-compositeur en état de grâce, chanteur au timbre diaphane et au phrasé alangui qui depuis des lustres ajoute sa douce part de rêve à la dure réalité du monde – nous avons besoin de poètes comme Michael Franks.
Oui oui, je n’oublie pas Chain Reaction de Joe Sample, que les Crusaders avaient enregistréedeux ans plus tôt en version instrumentale, et sur laquelle Michael Franks avait posé ses mots d’amour.
Don’t Be Blue ? Comme vous, j’adore. (Sanborn au top, Guerin en feu.) Antonio’s Song / The Rainbow, dédiée à Antonio Carlos Jobim ? Sublime bien sûr, rien que pour le solo de piano de Sample et les percussions d’Armando.
Et pour boucler la boucle, revenons à The Lady Wants To Know pour se délecter de la guitare féline de Carlton et du solo de saxophone ténor de Brecker…

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“Paris 1919”
John Cale
Reprise

1973

La seule fois où j’ai fait une conférence dans la ville (d’une partie) de mes ancêtres, Marseille, c’était dans l’une des salles de l’Espace Julien ; John Cale y jouait le soir même, et vers la fin de ma conférence, on pouvait l’entendre faire son soundcheck.
Bon, revenons à notre second Disquindispensable du week-end, “Paris 1919” du même John Cale, dont on ne vous fera évidemment pas l’injure de vous dire qu’il fut membre du Velvet Underground, ce groupe que j’ai mis longtemps à aimer, mais qui a fini par entrer dans mon Panthéon Décousu à l’aube des années 1990. (Yep, je les ai vus à l’Olympia en 1993.) 

Quant à “Paris 1919”, il est entré dans ma compactothèque en 2006, année de sa réédition Rhino, enrichie de onze bonus tracks très intéressantes. Ce qui est très intéressant, aussi, dans ce disque mélodique, apaisé et doux que les spécialistes jugent un rien “beatlesque” (pas faux, surtout quand on écoute la chanson titre), c’est son personnel : outre Cale (voix, guitare, claviers), deux musiciens de Little Feat sont là, Lowell George à la guitare et Richie Hayward à la batterie, ainsi que le bassiste des Crusaders, Wilton Felder. Sans oublier l’UCLA Symphony Orhestra et la “patte” du grand producteur anglais Chris Thomas, connu pour son travail avec, tiens, tiens, les Beatles, Procol Harum (leur “Grand Hotel” fut enregistré quasiment en même temps que “Paris 1919”), Pink Floyd, Roxy Music, Badfinger, les Sex Pistols, les Pretenders et Elton John.
“Paris 1919” est un disque lumineux hanté par certaine noirceur. Je l’aime autant, et peut-être même encore plus que “Vintage Violence”, qui est aussi un grand cru. 
#lapepitedujour #lesdisquindispensablesduweekend #johncale #lowellgeorge #wiltonfelder #richiehayward #christhomas

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“Total Eclipse”
Billy Cobham
Atlantic

1974

Après les flamboyants “Spectrum” (1973) et “Crosswinds” (1974), le grand Billy Cobham, qui soufflera très bientôt ses 80 bougies, restait dans les mêmes hauteurs créatives avec ce “Total Eclipse”, notre premier Disquindispensable du week-end, que j’ai eu envie d’extraire de ma compactothèque suite à l’avalanche de posts Instagram consacrés à l’éclipse totale du soleil – visiblement digne de celle observée dans Le Temple du Soleil de Tintin – à laquelle nos amis nord-américains ont eu la chance d’assister. 
Enregistré à New York, produit par Ken Scott, connu pour son travail avec David Bowie, Elton John, The Mahavishnu Orchestra ou Supertramp, “Total Eclipse” est une réussite totale qui n’éclipse en rien – ok, je sors… – les deux albums précédents du maestro aux baguettes de feu, tant son contenu s’en distingue, via l’excellence des compositions et des arrangements, marqués du sceau de ce jazz-rock sérieusement funky dont c’était alors l’âge d’or. 
Qui louer dans ce disque ? Hormis le patron, dont chaque groove, chaque break et chaque roulement nous fait lâcher un « Et la lumière fûts ! », saluons le claviériste Milcho Leviev, le bassiste Alex Blake, le tromboniste Glenn Ferris, et, last but not least, le merveilleux John Abercrombie à la guitare et les fantastiques frères Brecker (l’aîné Randy à la trompette, lecadet Michael au saxophone).
“Total Eclipse” est très homogène, mais pourtant chaque morceau est différent ; les suites à tiroirs toutes en reliefs sonores (SolarizationSea Of Tranquility) contrastent avec les titres plus courts (LunarputiansBandits et sa géniale boîte à rythmes mâtinée de tympanis en intro), sans oublier le grand classique Moon Germs (avec Cornell Dupree à la six-cordes en invité spécial), le lumineux duo Randy Brecker-Milcho Leviev sur The Moon Ain’t Made Of Green Cheese et Last Frontier, où Bilham Cobly (le nom de sa boîte de prod’…) s’offre un long solo que Simon Phillips dû apprendre par cœur dans sa jeunesse.

#lapepitedujour #lesdisquindispensablesduweekend #billycobham

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“Exodus”
NPG
NPG Records

1995

Bon, on se sentait un peu seul en 1995 et, souvent, les mêmes questions fusaient : « Dis Fred, il fait encore des disques Prince ? Il ne s’appelle plus Prince, c’est ça ? C’est comment son nom déjà ? » 
En 1995, Prince n’était pas encore mort, loin de là, mais c’était tout comme, ou presque. “1958-1993” sur la tranche de “Come” puis, dans le livret de notre second Disquindispensable du week-end, un message aussi clair : « This album is dedicated to the memory of His Royal Badness »
Déterminé à se réinventer de la tête aux pied (et au nez et à la barbe de sa maison de disques), Prince / O(+> avait cette fois choisi de n’être qu’un des membres de son groupe, The New Power Generation. Pseudo du jour : Tora, Tora.
Mais ces jeux de masque ne trompaient personne : tout, dans “Exodus”, sonnait comme du Prince, certes passé à la moulinette P-Funk.
Sa voix se mêlait subtilement à celle de son bassiste, Sonny Thompson (le méchamment funky Return Of The Bump Squad), parfois “cachée” dans les chœurs (mais si facile à reconnaître) ou bien très en avant, comme dans Big Fun ou Cherry, CherryOu, encore,altérée/descendue dans le fantastique The Exodus Has Begun, sorte de funk-gospel préfigurant ce qu’on entendra six ans plus tard dans “The Rainbow Children”. 

Ok, il y avait peut-être un peu trop de segues, ces saynètes coquines entre les morceaux, mais pas de problème : on pouvait les zapper sur le Discman. Et comme d’habitude on se ruait sur le moindre CD-single ; ceux de Get Wild et de The Good Life nous réservèrent de belles surprises. 
Non, pas d’extrait de 90 secondes pour illustrer notre freestyle matinal : “Exodus” est toujours absent des plateformes de streaming. Il mériterait pourtant d’y être, et même d’être réédité en version Super Deluxe. On peut toujours rêver.

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“The Third Power”
Material
Axiom

1991

C’était le début des années 1990, et tout semblait encore possible. Bill Laswell, grand producteur, grand bassiste, brassait les musiques qu’on aime sous le fier étendard de Material, groupe protéiforme à personnel variable et invention constante.
Pour “The Third Power”, c’était plus qu’un casting qu’il avait réuni, c’était le choc des mondes, une fête des sens, jazz, reggae, funk et hip-hop parés pour le grand déplacement.
Héros P-Funk et/ou ex de la James Brown Galaxy, de Bootsy Collins à Bernie Worrell en passant par Gary Shider, Gary Mudbone, Pee Wee Ellis, Maceo Parker et Fred Wesley, il étaient venus, ils étaient presque tous là ; géants du jazz, Herbie Hancock, Henry Threadgill et Olu Dara ; pionniers du rap (Jalaluddin Mansur Nuriddin) et jeunes figures de sa nouvelle garde (The Jungle Brothers) ; sans oublier LA section rythmique de Jamaïque, la plus grand peut-être, Robbie Shakespeare et Sly Dunbar…
“The Third Power”, huit morceaux, quelques reprises – Cosmic Slop de Funkadelic, Mellow Mood de Bob Marley –, un feeling polychrome qui traverse tout le disque. Qu’il est temps de (re)découvrir, là, toute affaire cessante.

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“Tom Cat”
Tom Scott & The L.A. Express
Ode

1975

Ils étaient félins pour l’autre ces cats à la patte et à la griffe sans égal, jazzmen fous de pop, de folk, de soul, de funk et de blues. Comme les Crusaders, le L.A. Express était un groupe avec lequel beaucoup d’artistes, et pas des moindres (Joan Baez, Barbra Streisand, George Harrison, Joni Mitchell…), voulaient faire de la musique. Dans sa première incarnation, le L.A. Express était composé de Tom Scott au saxophone, Larry Carlton à la guitare, Joe Sample aux claviers – yep, appelez ça la “Crusaders connection” si vous voulez –, Max Bennett à la basse et John Guerin à la batterie. Dans notre premier Disquindispensable du week-end (votre nouvelle rubrique hebdomadaire), Sample et Carlton furent respectivement remplacés par Larry Nash et Robben Ford, et ce dernier signe quelques solis mémorables, sur les grooves à la fois funky et sophistiqués prodigués par Bennett et Guerin. Cerise sur le gâteau, Joni Mitchell chante le refrain de Love Poem.

PS : Un peu à la manière des Headhunters sans Herbie Hancock, le L.A. Express a continué d’exister (et enregistré deux albums) sans Tom Scott au saxophone, mais c’est une autre histoire…

PS II : J’adore la pochette de ce Disquindispensable, illustrée par David McMacken – mais si, vous ne connaissez que lui : les pochettes de “200 Motels” de Frank Zappa, de “Black Market” de Weather Report”, de “Leftoverture” de Kansas ou encore de “Raised On Radio” de Journey, ça vous dit quelque chose, non ?