BOB BERG
Friday night fever

S’il y a un avant et un après Miles Davis dans la carrière de ce natif de Brooklyn, New York, il n’en reste pas moins un soliste et un compositeur majeur qu’on a trop souvent réduit à l’étiquette de musicien fusion et dont la discographie personnelle contient nombre de pépites, dont l’irrésistible Friday Night At Cadillac Club.

par Julien Ferté / photo : Don Schlitten

S’il doit sa toute première apparition phonographique à un pianiste oublié de Philadelphie, Kenny Gill, ce n’est qu’au mitan des années 1970 que l’on commença de repérer le nom de Bob Berg, grâce à la trilogie “Silver ’ N” de ce maître du hard-bop et toujours grand découvreur de talent qu’était encore le pianiste Horace Silver à cette époque – encore lycéen, le jeune Bob avait déjà appris par cœur “Doin’ The Thing At The Village”, avec le fameux titre Flithy McNasty, summun du hard-bop funky qui le marquera à vie. Dans la foulée, Bob Berg, qui avait commencé par jouer du piano à l’âge de 6 ans (« Beethoven, Tchaikovwky et Debussay étaient mes favoris ») remplaça George Coleman au sein d’Eastern Rebellion, le groupe d’un autre pianiste d’importance, Cedar Walton. Ainsi ce jeune et impétueux saxophoniste ténor partait, c’est le moins qu’on puisse dire, sur des bons rails, livrant au passage son premier 33-tours « as a leader », comme on dit dans son pays natal, “New Birth”, enregistré en compagnie de son second mentor, Cedar Walton, du trompettiste Tom Harrell (qu’il avait côtoyé avec Horace Silver), du contrebassiste Mike Richmond, du batteur Al Foster et du percussionniste Sammy Figueroa.

Mais c’est bien sûr en succédant à Bill Evans dans le groupe de Miles Davis que Bob Berg se fit connaître d’un public bien plus large que celui des initiés. Jouer avec le trompettiste-star, c’était soi-même accéder à un statut de vedette, et si Bob Berg se sentit rapidement à l’étroit dans la musique de Miles – sur disque, sa trace restera finalement minimale comparée à ses performances scéniques –, ce prestigieux “gig” lui permit cependant de relancer sa propre carrière, et après un album live enregistré en Italie en 1982 (mais publié en 1985), Bob Berg revint avec “Short Stories”, qui mettait non seulement ses talents de soliste et de compositeur en avant, mais qui marquait aussi le début de sa fructueuse association avec Mike Stern – le guitariste, lui aussi “ex” du groupe de Miles Davis, venait de l’inviter à jouer sur l’album de son comeback, “Upside Downside”. Dès lors, le saxophoniste ténor de feu et le guitariste électrique incendiaire vont se mettre à distiller en quartette leur jazz-rock – ou devrait-on dire “bop and roll” ? – aussi énergétique que mélodique et funky, boostés par le drumming phénoménal de Dennis Chambers, révélé au monde du jazz peu de temps grâce à John Scofield (après avoir fait groover plusieurs disques mémorables de Parliament, l’un des deux combos “p-funk” de George Clinton).Chaque soir, Friday Night At The Cadillac Club, le classique instantané de “Short Stories” qui sonnait comme du King Curtis post-bop faisait chavirer les foules.

Bob Berg en 1987. Photo : X/DR

Pour autant, Bob Berg n’a jamais voulu être prisonnier de l’étiquette “fusion”. Plus puriste, sans doute, qu’on pouvait le croire, il se décentre du cœur du réacteur pour revenir sans nostalgie aucune à ses premières amours, plus nuancées, loin de la (certes joyeuse) furia électrique des années 1980. Et s’il un album à découvrir ou redécouvrir d’urgence, c’est bien le somme toute méconnu “Enter The Spirit”, où fort de ses talents de compositeurs plus affinés que jamais, faisait, comme le titre du disque l’indique, entrer l’esprit du post-bop dans une nouvelle ère. À ses côtés, des sidemen exceptionnels magnifiaient sa musique, tels le pianiste Jim Beard ou, toujours fidèle, Dennis Chambers, qui démontrait qu’on pouvait être un “monstre” de groove et aussi swinguer. Au piano sur trois titres, nul autre que Chick Corea, que le saxophoniste rejoindra dans son Quartet pour l’album “Time Warp”, qui mérite également d’être réévalué – Corea lui laissait beaucoup d’espace, comme en témoigne la magnifique Tenor Cadenza, qui précède Terrain.

Quant à “Holding Together” de Steps Ahead, il reflète cette période où le groupe du vibraphoniste Mike Mainieri se réinventait en mode acoustique avec Eliane Elias au piano, Marc Johnson à la contrebasse et Peter Erskine à la batterie. Ce double CD live enregistré en 1999 fut hélas publié l’année où Bob Berg et sa femme trouvèrent la mort dans un accident de voiture, le 5 décembre 2002. Fin tragique pour un saxophoniste qui aura incarné trois décennies durant une certaine exigence, aimé John Coltrane et le rhyhthm’n’blues en restant toujours accessible.

À écouter

Horace Silver : “Silver ’N Brass” (Blue Note, 1975).

Horace Silver : “Silver ’N Wood” (Blue Note, 1975).

Horace Silver : “Silver ’N Voices” (Blue Note, 1976).

Eastern Rebellion : “Eastern Rebellion 2” (Timeless, 1977).

Bob Berg : “New Birth” (Xanadu, 1978).

Eastern Rebellion : “Eastern Rebellion 3” (Timeless, 1979).

Eastern Rebellion : “Eastern Rebellion 4” (Timeless, 1983).

Miles Davis : “You’re Under Arrest” (Columbia, 1985).

Mike Stern : “Upside Downside” (Atlantic, 1986).

Bob Berg : “Short Stories” (Denon, 1987).

Bob Berg : “Enter The Spirit” (Stretch Records / GRP Records, 1993).

Steps Ahead : “Holding Together” (NYC Records, 2002).

Quelques jours avant son concert au Bal Blomet le 19 octobre prochain pour présenter son nouvel album “Vishuddha”, le saxophoniste et chanteur de flamenco enfin en passe d’être reconnu à sa juste valeur en France revient en exclusivité pour Jazz Magazine sur cinq de cinq albums de chevet.

Kenny Garrett

Pursuance: The Music Of John Coltrane

Warner Bros., 1996

J’adore cet album. Kenny est l’un des saxophonistes qui m’a le plus influencé et il joue ici de manière incroyable. Pat Metheny génère des atmosphères super spirituelles et très personnelles. Et Brian Blade est aussi l’un de mes batteurs préférés. Ces trois-là, accompagnés de Rodney Whitaker à la basse font de cet album une chef d’oeuvre.

John Coltrane

Ballads

Impulse, 1963

Il est difficile de choisir un disque de John Coltrane comme favori, car il est passé par plusieurs étapes, et dans chacune d’elles il nous a laissé des choses remarquables, mais sur cet album il y a quelque chose de spécial. On retrouve son quartette avec MacCoy Tyner, Roy Harrison et Elvin Jones, et l’album a un arôme, évoque une paix, un sentiment qui le rend vraiment agréable à écouter et invite en même temps à une réflexion profonde et à une rencontre avec soi-même.

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Cannonball Adderley

Somethin’ Else

Blue Note, 1958

Un autre de mes saxophonistes préférés, avec la collaboration de Miles Davis, Hank Jones, Sam Jones et Art Blakey. Cannonball enchaîne des solos qui relèvent du pur génie, la section rythmique avance comme un train, et Miles Davis ajoute la cerise sur le gâteau… un summum d’excellence.

Jorge Pardo y Chano Domínguez

10 de Paco

Milestone, 1995

Dans cet album, Jorge Y Chano, accompagnés d’un merveilleux groupe de musiciens, revisitent dix chansons de Paco de Lucía et réalisent peut-être plus que dans tout autre disque, une rencontre parfaite entre le jazz et le flamenco. D’un côté nous avons les compositions de Paco, et de l’autre, les arrangements et improvisations de Jorge et Chano, qui élèvent cette musique à son apogée. Cet album est, depuis sa sortie en 1994, un de mes préférés du genre.

Camarón De la Isla

Viviré

Philipps, 1984

Camarón De la Isla est le chanteur de flamenco le plus influent de tous les temps. Je suis né dans la même ville que lui, à San Fernando, ce qui fait que sa carrière me semble très proche et qu’il m’a vraiment influencé. Sur cet album il chante à merveille, Paco de Lucía l’accompagne merveilleusement bien et ajoute quelques parties instrumentales qui sont aujourd’hui devenues des sortes d’hymnes dans le monde du flamenco. Un chef-d’œuvre de A à Z. Au micro : Yazid Kouloughli (Merci à Vincent Thomas). Photo : DR / Cristal Records.