Jazz live
Publié le 17 Oct 2020

Allô la Terre ? Ici, le Nancy Jazz Pulsations

Retour vers le futur. Il ne s’agira pas dans ces lignes d’un clin d’œil rétro à la trilogie de Robert Zemeckis, mais d’une nouvelle plongée au NJP, qui, hier soir, mettait à l’honneur les talents de demain. Du jazz caribéen de Jonathan Jurion aux fièvres afrofuturistes d’Onipa, en passant par les premiers pas de géant du NCY Milky Band et les pépites exhumées de DJ Emile Omar, le festival jouait les lanceurs de satellites.

19h. A l’heure où les Franciliens et autres assignés à résidence se confinent sous leurs couettes, direction L’autre Canal pour d’autres fessées. Backing-band du label nancéien BMM Records, lauréat du tremplin Nancy Jazz Up ! 2020, le NCY Milky Band vient en voisin présenter ses legos de nu-jazz, d’electronica, de hip et même trip hop. Malgré leur nom de groupe, ces jeunes-là ne sont pas du type à siroter des verres de lait, leur répertoire suinte le souffre et la tourbe. Vent de fraîcheur sur la planète jazz avec ces musiciens qui ne se démontent pas lorsque dès le deuxième titre, ils s’aperçoivent qu’ils n’ont pas la même setlist ! Les rires redoublent quand le claviériste Louis Treffel enchaîne en présentant le titre « Young Fiasco », « un hommage à un drôle de pote… » On ne connaît pas le garçon, mais le titre, lui, n’a rien du raté annoncé. Le quartet alterne les digressions funk-jazz et les syncopes du philly sound, les bidouilles électro et les bourrasques de saxo, sans oublier une pastille pop façon Supertramp. Au final, la carte blanche donnée à ce jeune combo, promis à de fréquents allers-retours entre NYC et NCY, annonce une nuit agitée.

Photo : NCY MILKY BAND (©Ph.Raphael)

A quelques kilomètres de là, la boussole de la Manufacture s’affole face au Temps fou, le premier album du pianiste guadeloupéen Jonathan Jurion, dans lequel il rend hommage au saxophoniste Marion Brown, une étoile filante du free jazz qui participa aux premiers albums de John Coltrane et d’Archie Shepp. A ses côtés, Jowee Omicil, souffleur de braises sur partitions apocryphes.

Photo : Jonathan Jurion  & Jowee Omicil ©SamAndMaxPhoto

21h. Après la soirée jazzonaute de la veille (Sélène Saint-Aimé), le NJP remet le couvert du world-jazz de l’espace avec la venue sur les terres lorraines de l’ovni Onipa, duo londonien au groove galactique et aux sons d’Afrique de et à l’Ouest. Manque de bol, ils ont débarqué sur Terre en plein confinement avec un premier album hallucinant, We not be a Machine. Comme leur collègue E.T., ils ont certainement dû vouloir « retourner maison ». Ce soir, le groupe ne boude pas son plaisir. Composé du guitariste Tom Excell (Nubiyan Twist) et de K.O.G. (Kweku of Ghana), en formule quartet au NJP, la soucoupe à soukous navigue entre percussions tribales et beats hypnotiques, instruments traditionnels (guimbarde, percussions, sanza électrifiée, un xylophone surnommé « piano à pouces ») et samples lunaires. Face à la pile électrique K.O.G., qui alterne les chants griotiques et le flow frontal, brutal, du hip hop, et les lézardes de guitare électrique de Tom Excell, la salle se remplit dare-dare et chavire dans la jubilation générale. Spectateurs assis, mais dans la danse, et le pouls qui cogne fort dans les poitrines. Onipa explose les frontières de la mappemonde ouest-africaine, naviguant du highlife ghanéen aux transes maliennes, en passant par la rumba congolaise, New Funk City et tous les spots trip hop. Même quand ils débutent pianissimo, le naturel revient au galop pour finir sur un tempo à la Taurine, du genre Fast & Furious. Premier constat : K.O.G. écœurerait n’importe quel lapin Duracell. Deuxième constat : les extraterrestres d’Onipa sont bel et bien des Humains.

Photo : ONIPA ©Ph.Raphael

23h. Place aux platines, L’Autre Canal se transforme en Tropical Discoteq, avec DJ Emile Omar, ex-programmateur de Radio Nova et aventurier des sons perdus.

Minuit. Il faut bien retourner sur Terre. Demain, à Paris, je me couvre-feu. Dernier coup d’œil dans le rétro, échos des Pulsations, envies buissonnières. Marche arrière ? Le 2 octobre, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, rappelait lors de son déplacement à Avignon, aux états généraux des festivals, que cluster et culture faisaient mauvais ménage : « Vous le savez, il n’y a pas un seul lieu de spectacle rouvert depuis la fin du confinement qui se soit avéré un foyer de contamination. Là où on est le plus en sécurité dans ce pays, ce n’est pas dans sa famille, c’est dans un lieu de spectacle. » Le NJP l’a prouvé en jonglant habilement entre concerts salutaires et respect des règles sanitaires.

 

Youri

Photo d’en-tète : ONIPA ©Lucie WDL