Anglet : Cuba, Como, Garcia, Geraldine up jazz

Anglet Jazz Festival, Théâtre Quintaou, Anglet (64600)
18 septembre
Une date pour un début de l’unique festival de jazz existant à ce jour encore sur la Côte Basque. Pour une journée de manif également à Bayonne au cours de laquelle le cortège avec fanions multicolores et drapeaux des syndicats protestataires ont longé à un moment donné le bâtiment massif de l’Hotel de Ville de Bayonne dans lequel s’insère la Scène Nationale et son lieu de spectacle, le Théâtre Michel Portal. Coïncidence ? Il n’empêche, le soir à l’occasion du concert d’ouverture de ce dix-huitième festival angloy sur les planches d’une autre salle de cette même Scène Nationale Sud Aquitaine, soit le Théâtre Quintaou, la chanteuse du groupe vocal Shades, Elinoa a tenu a faire référence aux défilés protestataires du jour « En tant qu’artiste, pour ne pas parler d’intermittents du spectacle, nous sommes solidaires de ce mouvement car question financement public du spectacle vivant, la culture se trouve en vrai danger aujourd’hui… » Dont acte.
Anglet Jazz Festival, Théâtre Quintaou, Anglet (64600)
18 septembre
Shades Jazz Vocal Band : Elinoa, Marion Chrétien, Elora Antolin, Pablo Campos (voc), Etienne Quezel (b cla), Antoine Laudière (g, direct. music)

Symbole aussi peut-être: le festival dix-huitième édition s’ouvre sur le légendaire hit Sweet Georgia Brown classique des classiques soul jazz histoire -le mot est approprié- de poser l’organisation des voix du groupe vocal. Sur le suivant le travail de la clarinette basse basse, en introduction comme en chorus signe l’originalité de cette formule, quatre voix face à deux instruments seulement. Primauté du vocal certes. Pourtant leur organisation, l’apport des arrangements donne un effet de section telle que dans un orchestre classique. Ces voix regroupées paraissent se suffire à elles même chassant la mélodie en meute. Ailleurs, en formule question réponse ou à tour passé, par vocalises elle agissent en imitation de sonorités d’instrument (trompette, trombone) à différents moments, collectif ou parties chorus. Bien entendu, ce rendu de voix additionnées porte à référence: Take Five, Manhattan Transfert mais surtout peut-être les frenchies de Mimi Perrin, groupe culte des sixties. Moon in love en l’occurence dans son collectif de voix harmonisées ressusciterait presque les Double Six ( à ce propos, qui se souvient que Bernard Lubat ou encore Eddie Louiss y ont exercé leurs voix ?)

« Nous avons pris le parti de construire notre répertoire à partir de chansons issues des comédies musicales de Broadway » justifie Pablo Campos, seule voix mâle du carré d’as. Défilent dès lors les standards exposés en série. Old Country, occasion là encore frappé d’originalité d’un duo vocal (Elinoa) mêlée aux dessins de la clarinette basse. I got rythm pris plein swing. L’incontournable du song book American Jazz, St james Infirmary donne l’occasion de trois lignes vocales partagées avec la salle. Une chanson de Stevie Wonder enfin offre au lquartet de chanteuses/chanteurs regroupés au centre de la scène un mode vocal soul énergisé appliqué stricto sensu. De quo folurnir un plus de mordant au propos musi!cal.
La sonorité globale de cette addition de voix sur un support guitare et clarinette basse livre une couleur plutôt originale. Ambitionà faire mo,jeter d’un ton. Mais travail ravail bien réalisé.
Daniel Garcia (p, voc), Alejandra Lopez (b), Michael Oliveira (dm)

Daniel Garcia a déjà enregistré trois albums dans cette formation de trio sur le label germanique Act -il en prépare un prochain qui sortira en fin d’année, mais en solo celui là. Le contenu de ce concert prend appui sur certains des titres ainsi gravés. A commencer par ce Gate to the Land of Wonders figurant sur le dernier. Exercice de style rythmique simple d’apparence mais brillant dans sa réalisation. La comunidad se base sur un tango flamenco. Ce second épisode live débute aussi dans un rythme appuyé direct via les différentes caisses de la batterie. La résonance des palos, les types du flamenco, viennent au naturel en marque de couleurs très prononcées. Pourtant Daniel Garcia n’en reste pas là. Du flamenco, il se confronte aux marges. D’urgence il improvise. Ainsi s’aventure-t-il en des paysages associés, notamment du côté de sa main droite volubile, en figures libres. Résultat tangible: chez lui, dans un menu typé saveur sévillane ou pas, le jazz toujours s’invite à sa table. Pilier du trio, le batteur cubain Michael Oliveira s’ouvre au dialogue dans un tel contexte évolutif. Et sa nouvelle bassiste, Alejandra Lopez, tout juste 22 ans apporte sa fraicheur. Alors sur ce morceau titre éponyme du dernier album, Wonderland, ainsi plongé dans ce pays des merveilles, en notes douces et détachées le pianiste de Salamanque, pour commencer, conte une petite contine. En légèreté sur le clavier il crée un climat baigné d’apaisement avant de se lancer dans la profondeur, l’intensité recherchée. Pour inscrire en conclusion un motif musical puissant, marqué, en attirant la basse sur des lignes lourdes …de sens. Ainsi va son jazz teinté de lyrisme. Une musique jouée volontairement toujours portes ouvertes.

Il revient un instant au langage du flamenco, une partie de son expression pianistique. De quoi justifier la reprise d’une chanson de la légende du genre, le cantaor (chanteur) andalou Camaron de la Isla disparu en 1992 au bout d’une destinée tragique comme avant lui Jimi Hendrix, Janis Joplin ou encore le saxophoniste Art Pepper « Lorsqu’il a interprété ce chant sur un texte de Garcia Lorca mais dans une musique qui n’était pas directement puisé dans les arcanes du flamenco, Camaron a été très critiqué en Espagne par les défenseurs des canons du genre. Il a simplement répondu avec tranquillité: je crois que les gens devraient écouter cette chanson avec plus d’attention… » Sa version très libre de la Leyenda del tiempo, innervée de feeling correspond à cette intention.
Quelle que soit l’intensité Daniel Garcia ne verse pas dans une démonstration pianistique excessive. Son savoir faire instrumental il l’exprime au naturel. En point d’orgue, Calle compañia, nom d’une rue familière de Salamanca, sa ville natale le fait revenir à un climat, un paysage frappé de contours sonores ibériques. Joué en exposé de thèmes, en soutien rythmique ou dans des échappées belles d’improvisation, son piano sonne vrai.
19 septembre
Jean Pierre Como (p), Christophe Panzani (ts), Bruno Sharp (b), Rémi Vignolo (dm)

Un autre piano, un jazz différent. Où quand l’écriture précise, sériée, celle de Jean Pierre Como sert l’improvisation. Le saxophoniste Christophe Panzani en profite pour creuser son sillon. Dans le fil rouge de l’impro il construit sans se presser, dessine de belles figures, nettes, inspirées, sans emphase aucune. Ses albums solos en témoignent, Como connu surtout pour sa participation au groupe de jazz fusion Sixun, sorte de Weather Report tricolore, possède son lyrisme propre. La rythmique l’appuie dans cette tâche. Les séquences d’accords ainsi produites en guise de chorus définissent dans son mode jazz une architecture originale « On part d’un travail collectif. On bosse tous depuis quatre ans maintenant. On cherche à développer des codes, des manières de jouer ensemble, de se trouver… » Le quartet n’oublie pas la mélodie pour autant à l’instar de ce thème de Rémi Vignolo, lequel choisit de jouer au départ carrément à main nue sur ses caisses et cymbales. Sonorité on ne peut plus nature.

Il fait décidément très chaud dans la salle, davantage évidemment sous les spots sur scène. Enchainement rapide sur un autre titre malgré tout. Ça débute comme une chanson de Mac Cartney à coup de gros accords majeurs. Sauf que le sax sur la composition signée Panzani se plaît à découper le morceau de façon beaucoup plus saignante, épicée. Le souffle du ténor se fait tranchant. Plus loin le piano verse dans une drôle d’introduction, notes offertes comme pour une sonate dans la douceur, le recueillement. Le ténor encore lui s’habille d’un sonorité de ouate. La basse s’y joint en balade, force tranquille, mesurée. Le ténor encore et toujours, on le retrouve forcément en chemin balisé d’un thème dédié à Wayne Shorter, géniteur génial d’un des plus beaux sons de sax jazz après le silence. Occasion sur la scène du Quintaou d’un effet de mimétisme singulier dans l’art du cuivre du saxophoniste du fameux quintet de Miles au travers des sinusoïdes de mélodies dont il avait lui seul la recette. Sinon le secret. Une signature pour ce quartet d’équilibres jazzistiques assumés.
Qu’ajouter de plus ?
Cuban Jazz Sydicate: MichaêlOliveira (dm, voc), Pepe Rivero (p), Inoidel Gonzales (ts), Carlos Sarduy (tp, bu, voc), Alejandra Lopez (b, voc), Yuvisney Aguilar (perc, voc)

L’ouverture se fait sur un thème en hommage au percussionniste portoricain Tito Puente. Et sans plus tarder, sans préambule, sans échauffement non plus la machine cubaine s’est mise en route, en place, en rythme, en plaisirs…introduction idéale afin de saluer « le maestro » es timbales, Tito Puente. On passe à Mozambique écrit par Carlitos Sarduy. Le temps d’un chorus tout de de brio, habituel chez le trompettiste également membre du groupe des « fils prodigues » de Chucho Valdes » El Comité et l’on passe in petto à un solo de basse de Alejandra Lopez -on l’a vu la veille au sein du trio de Daniel Garcia. Démonstration de maîtrise technique et d’inspiration chez cette jeune instrumentiste ayant fait ses classes à Madrid (et seule non native de Cuba) Avec un plus surprise, quelques couplets de la chanson espagnole populaire culte Quisas, quisas, quisas, mélodie jumelée en écho des cordes de basse.

Pas de plat épicé de musique cubaine sans boléro : avec Danzongo monte la voix mâle su!crée salée de Michaêll Oliveira tandis que le piano brode ses ourlets de velours. Non obstant encore et toujours cette qualité, cette netteté des contrechants de cuivres. Mi-boléro en léger accéléré, mi-son de Cuba le couplet répété en leitmotiv sera repris dans les travées du théâtre bondé pour cette soirée. Du chant encore « Je veux chanter une chanson afro cubaine vouée à la paix et l’amour, Babala » Le percussionniste .vocalise en langue sacrée Yoruba tout en entamant un solo de tambours batas, ces trois tambours double face, dits « sacrés » dans la tradition afro-cubaine car voués originellement aux santerias lors des cérémonies de célébrations vaudous. Moment de virtuosité percussive, de feeling exhalé, Instant singulier de magie musicale. Suit une très longue pièce avec changements de rythmes, breaks, et un duo de percussions, congas, tambours, caisses, cymbales, cloches en effervescence. Sax ténor, trompette et bugle repasseront aussi en tête de gondole histoire de célébrer avec éclats cuivrés le tempo bondissant d’une Danza de carnaval. En conclusion le piano inspiré de Pepe Rivera signera en grappes de notes virevoltantes une autre célébration: celle du souvenir, de la personnalité, du talent d’un autre musicien culte cubain, Bebo Valdes, père de Chucho…
20 septembre
Déception du côté des organisateurs en cette soirée du samedi habituellement la plus suivie du festival « La chambrée est peu fournie » comme l’on dit au stade Jean Dauger pas si éloigné, fief de l’Aviron Bayonnais « Il y a beaucoup d’évènements en ce moment sur la Côte Basque » justifie le poto mitan du festival, Marc Tambourindeguy, lors de la présentation du programme du soir. Des matchs de rugby, oui justement. Et sans doute surtout l’ouverture à la même heure dans la ville voisine du Festival Biarritz Amérique Latine de cinéma.
Pierre Tereygeoi (g, voc)l, Guillaume Latil (cello)

On découvre chez ce duo pas si connu que ça des effets de voix dans une tessiture étalonnée du très aigu au très grave. Difficile de caractériser précisément le genre de musique. Certains aspects de folk (guitare, chant) avec en renfort harmonique la permanence du violoncelle en contrechant, en contrepoint. À un moment donné un thème baptisé Blue Sky la guitare s’impose en session d’improvisation. Le guitariste et chanteur livre une explication de sa démarche en forme de question qui contient la réponse « Jazz ou pas jazz ce qu’on fait? Difficile de dire…moi je suis entre là dedans via une chanson de Nina Simone, laquelle l’avait reprise de Billy Holiday… » Suit un .phrasé du chant proche du cri. Guitare et violoncelle entrent dans un jeu de cartes couleur blues notes bleues. Puis voilà Hank Williams qui se trouve convoqué aussi, chantre de la guitare et du chant folk blanc des années 50, né en Alabama, décédé à 23 ans créateur du genre dit « Honky Tonk » populaire dans les états américains agrégés autour du Mississipi. Maintenant le violoncelle prend le dessus en notes tenues, puissantes. La guitare gémit au long des glissando du bottleneck, petit tube de métal enfilé sur l’annulaire de la main gauche pour voyager en mode de plainte le long des cordes…Les morceaux défilent ainsi. On attend le frémissement de l’émotion. En vain. Comme disait l’ami Manolo, professeur d’université et poète de Séville trop tôt disparu toujours très attentif sur les gradins de la Maestranza son arène de toujours sonnant le vide par non spectacle sur le sable ocre du ruedo malgré le ballet du vol des hirondelles « No pasa nada ». Traduction inutile.
The Hookup: Géraldine Laurent (as), Noé Huchard (p), François Moutin (b), Louis Moutin (dm)

« Notre inspiration vient des morceaux du jazz des années 20 » affirme Géraldine Laurent en guise de préambule. Jaillissent alors les premières mesures de Everybody loves my baby. D’entrée de jeu les frangins Moutin portent le projet. Ceci posé, autant le dire tout de suite Geraldine Laurent c!est un son, c’est une vraie qualité d’attaque dans le souffle aussi. Atout maître toujours maîtrisé. Dans le flux dense de ses notes les modulations viennent comme une trousse richement emplie de crayons de couleurs. Qui dit standards, de quelque âge du jazz qu’ils soient, au présent ils appellent à la relecture. Celle du Eastwood St Louis Toodle-Oo dû à la plume du Duke démarre catapulté par une intro façon gros sillon tracé de la part de la rythmique – ceci dit un bassiste qui joue juste à l’archet ça se remarque. Noé Huchard, fils de (Stéphane, batteur) et benjamin de l’orchestre épouse parfaitement le cadre précis établi par le maître Ellington. Géraldine Laurent tourne, elle, très librement autour de la mélodie, mais pas autour du pot, directe, tranchante. On retrouve cette pèche, cet élan, ce sens des articulations à l’alto à l’exposition d’un Tea for two boosté notamment par l’envergure de la batterie. Le piano via des rafales d’accords quitte enfin une certaine timidité eu égard à l’expérience du trio restant.

Le concert, déroule son confort de notes tapissées dans l’intimité du théâtre tandis qu’à l’extérieur l’orage gronde sur la côte atlantique…La chaleur du souffle de l’alto tel un cocon sur la version bien sentie de Someone to watch over me. C’est aussi ça la patte de Géraldine L, saxophoniste de plein exercice. Quartet il y a certes. Pourtant sur Blue Sky tarte à la crème mélodique onctueuse du très prolifique Irving Berlin c’est bien le passage à trois voix alto-basse-batterie qui capte l’attention. Le trio reconstitué ça tourne, ça fonctionne. Et lorsque le piano s’y met aussi on monte d’un étage question intensité dans la musique. Tel un summum de notes en partage envoyées dans le tourbillon piano stride du Honeysuckle Rose de Fats Waller. Avec en figure de proue l’homogénéité dans la fratrie Moutin faite rythmique. Démonstration répétée d’une complicité privée dans les solos, dans l’échange virtuose à toi à moi (le gimmick de François doigts en glissades à toute berzingue sur les cordes aigües de sa basse)

À ce moment du concert pourtant, on sent comme un peu de retrait visiblement pris par la saxophoniste vis à vis de ces actes explicites de showman avéré, réitérés et accueillis à tous coups bien sûr avec enthousiasme par le public. L’alto de la dame saxophoniste en noir parait dès lors se faire moins présent, moins engagé. Question de répartition des charges. De parité? De leadership? D’équilibre?
Au sortir du concert l’orage était passé. Même si dans une nuit encore douce l’air de la Côte Basque demerait chargé d’éclairs.
Robert Latxague