Jazz live
Publié le 9 Juin 2025

Angoulème: le rendez-vous garant de musiques métisses

Comment rendre compte fidèlement (?) en la matière d’autant de rendez vous amoureux de musiques métissées un we de Pentecôte, ciels mi-figue mi raisins (de cognac ?) dans une cité vouée et avant tout d’abord à la BD  -un parcours spécial des rues du centre ville parsemés de dessins muraux signés des icônes du genre en en atteste si besoin était. Parions donc sur un (esprit de) voyage en accroches de musiques coulant du Tout Monde en stop and go le long de la Charente.

Vendredi

À commencer directos et sans chichi par une injection en intra-veineuse de musiques modales de la part d’amateurs pratiquants, prof comme élèves, au Conservatoire de la ville; projetés en un  big band à géométrie variable sur la Grand Scène du festival à un bout de l’Esplanade des Chais Magelis, lieu ceinturé choisi au bas de la ville pour figurer la Mecque des croisements et métissages sonores trois jours durant.  Un dit Orphéon Méléhouatts + Kalimba donc. Générateurs de morceaux de musique façon hits figures de mode du genre sans doute. Mais musiques de résonance modale surement car irriguées de notes « de la Méditerranée à l’Afrique subsaharienne » via cuivres vents claviers, tous timbrés à cet effet. Contraste assuré avec Suraras do tapajos en autant de sonorités et rythmes jaillis d’Amazonie portées par huit femmes issues du nord du Brésil « Nous voulons vous faire vivre en musique une part de notre histoire Nous sommes venues pour faire écho au cri de notre peuple de la forêt en grand  danger, ceci dû à la crise climatique qui nous frappe de plein fouet » Base de tambours, enrichie de percussions, sifflets, flûtes, banjo pour appuyer un chant objet permanent de rythme et de danse. Le visuel a son importance aussi: moultes couleurs criantes de costumes chamarrés, robes à  volant virevoltants sous les frappes de peaux tendues, plumes multicolores qui flottent sur les coiffes traditionnelles.  On note des effets de chœur en unissons ou décalages harmoniques.

Surcaras do tapajo

Le récit, histoires du quotidien d’hommes  et de femmes surtout, en vie, en lutte dans cette partie du Brésil, prend corps sur les tapis mélodiques tissés fins, voix rebondissants au fur et à mesure des nombreuses ruptures de rythme. Dans le Jardin, petite scène champêtre s’il en est, le public chaloupe, propulsé sans effort sous des pas de danse. La lune, bonus de décor se lève ronde dans un ciel qui s’ouvre enfin. Sons, rythmes répétitifs typique du « foro », grammaire rythmique du Nordeste brésilien.  Sans doute faut-il y voir chez ces jeunes femmes un tour de magie du « duende », cette inspiration directe née d’une musique made in Brazil frappée au coin d’une apparente  simplicité. D’un naturel communicatif.

Timariwen

Eux ils ont tous les attributs vestimentaires des bédouins. L’éclat des couleurs, la magie de la toile bleue. Mais lorsque claquent les riffs de guitare, les sonorités des cordes métal paraissent faire  ressortir les présupposés du blues. Sauf que dans le contenu de la musique de Tinariwen, groupe légendaire issu des frontières mouvantes Mali/Algérie les mélopées ondoyantes du style ossouf, déroulées sans coupures, sans arêtes tranchantes donnent plutôt en priorité des traits de lumière, de chaleur dans l’humidité ambiante baignant peu à peu l’enceinte bitumée au carré devant la Grand scène du festival. Sur les rythmes binaires lancinants, tempo moyen en dominante, les chorus de guitare lâchés en resserré, son saturé sur les cordes aiguës, reviennent in fine mine de rien aux fondamentaux du blues.

Comme si cette veine note bleue dominante elle aussi voulait, chez ces musiciens ancrés dans leurs sables de désert, faire un retour par haltes à rebours sur le continent Afrique. Comme aime à le dire le musicologue martiniquais Alex Petro « le monde, depuis toujours, aborde des phases de créolisations successives ». Et puis l’harmonisation séduisante, innervée de lignes mélodiques sinusoîdales façon tradition gnawa, en mode rituel, quasi obsessionnel dans leur calque, offre le cachet, l’or du poinçon des pourtours du si riche pays musical malien.

Miomi Maiga

Voici sans doute vécu à présent le moment plus strictement musical de cette soirée des Musiques Métisses, gage de la sonorité unique de la kora peut-être, en accord assumé  avec violoncelle et violon, autres pleine source de cordes en résonance. Miomi Maiga aime à se présenter comme un griot. De son inspiration il tire une pratique très affirmée de son instrument. Il côtoie le jazz, n’hésitant pas à se risquer dans les joutes de l’improvisation, façon solo ou dans l’échange avec les deux autres instruments à cordes. Il y ajoute un chant coloré en verbe mandingue ou wolof. Et joue souriant avec ces petits intermèdes dûs aux nécessités d’accorder son instrument aux multiples cordes.

Le potentiel de la kora

Le potentiel de la kora, large bande passante du grave à l’aigu lui permet de faire jaillir des rythmes sous-jacents prononcés. Il façonne également des mélodies qui accrochent. Comme d’autres africains sur ces mêmes scènes du festival il fustige les violences de conflits frappants leurs terres,  accordant sa voix à la tonalité d’une complainte sur « le malheur de la guerre » Pour conclure dans un moments furtif de douceurs avec contrechant de violon et effet de percussions mis en sourdine.

La voix, le souffle en hommage à Cesaria…

En coda de cette soirée, annoncé comme tel vient round about midnight et plus long si affinité un « hommage à Cesaria Evora » Effet du froid humide tombant soudain ? Du larsen en insistance dans le son offert en façade au public resté nombreux ? Certes sous la baguette du complice de toujours de la diva (?) de Mindelo, Teofilo Chantre complice de toujours, d’entrée de jeu les accents de la musique paraissent reprendre leurs droits cap-verdiens. Avec une chanteuse qui tout de suite entend tisser le fil de l’hommage. Une voix oui, teintée de morna carte de visite mus!cale de ces îles certes.  Pourtant le problème de la représentation du « personnage » principal dans le décor de la pièce, reste posé. En l’occurrence celui de la personnalité, de sa voix unique, de sa présence, de son histoire, de son aura. La nuit se referme ainsi à propos mais sans Cesaria…

Là Grande Scène, le Jardin: l’Esplanade des Chais Magelis creuset des Musiques Metisses

Robert Latxague

(À suivre…)