Angoulême: Musiques Métisses, clap de fin

Un article paru quelques jours avant le festival dans le quotidien Sud Ouest se voulait alarmiste quant au ton employé et aux perspectives tracées en mode de spectacle vivant dans le ressort de la région Nouvelle Aquitaine. En cause le ratiboisage général des subventions de la part des collectivités locales. Avec un questionnement en particulier concernant la prochaine édition des Musiques Métisses d’Angoulême. Sur ce point le programmateur musical du Festival, Patrick Duval se veut rassurant: « Le problème vient avant tout du mode de gouvernance actuel du Conseil Départemental de la Charentes. En difficulté dans son fonctionnement, en échec dans ses prises de décision il a été placé sous tutelle du Préfet du département. D’où le blocage des versements des subventions attribuées au festival. Ceci posé ce même préfet nous a donné l’assurance qu’il veillerait personnellement à la bonne attribution prochaine des sommes prévues à notre égard. Le Festival Musiques Métisses continuera donc bel et bien son histoire initiée au début des années 80 sous la férule de Christian Mousset… »
Dont acte
Samedi

IIs se connaissent, ils jouent ensemble depuis 20 ans. Piers Faccini (chant, guitare) et Ballaké Sissoko (kora, vocal) ont un vécu perceptible dans le déroulé du concert « Cet Air fly, nous l’avons enregistré il y a vingt ans à Los Angeles. Et la version que vous allez entendre me plait davantage que l’original… » La scène du Jardin où les spectateurs s’entassent entre arbres, arbustes et pelouse dans un gentil désordre champêtre mêlant entre grands et petits les « assis » cachés par les « debouts » offre un réceptacle idoine au contenu musical proposé. Décor nature pour sonorités naturelles. Tel ce « Born on the wind « en forme d’ode à un un rossignol auquel le chanteur (et peintre) anglais aimerait s’identifier. Objet d’une balade au sein de laquelle la kora de l’expert Sissoko joue de l’opposition douce entre les deux mains au travail en simultané sur les cordes. L’instrument emblématique de l’Afrique de l’ouest peut aussi s’aventurer dans la percussion, zeste d’une tradition de ce continent parfaitement assumée. Au fur et à mesure les mélodies travaillées sur des accords de folk songs se baladent, libres, riantes, au beau milieu de la danse de toutes ces cordes réunies. Et lorsque l’harmonica vient en sus de la guitare on sent filtrer en passager clandestin une grille de blues piquée d’attaques de voix adaptée, plus directes, plus fermes.

Piers Faccini possède d’ailleurs la faculté de porter sa voix vers des pics d’aigües acérés. Dans les passage en forte de riffs croisés l’intensité de la musique du duo monte d’un cran. Dans le kaléidoscope des chansons l’africanité demeure encore et toujours. De part l’étendue de son champ harmonique, via l’apport dense de couleurs, la kora reprend ses droits, affirme son leadership sonore. Ballaké Sissoko file, brode tandis que Piers Faccini ose parler de « révolution »…
Alune Wade (voc, elb,, Baptiste Andreani (sousaphone, tb), Camille Passeri (tp), Harry Ahonlonsou ((ts, ss), Hamza Touré (bas), Cédric Duchemann (clav), Alix Goffic (dm)

La nuit a beau ne pas encore être tombée, Alune Wade arc bouté sur sa basse prend toute la lumière. Phalanges, doigts roulants fissa sur les cordes métal il fait une entrée entrée carton libérant une musique très électrique ( Night tripper ) Suivent de grands coups de cuivre jaillis de son carré d’as sax trompette sousaphone pour un effet max dans un grand remue ménage avec beaucoup de mouvement chez ses musiciens. Musique tonique, musique physique ( Black body ) Sur scène comme dans son dernier album récemment paru (New African Orleans – lequel situe parfaitement sources et influences de son projet musical- les sons graves figurent en tête de gondole. Ici pour ce « Portrait de la Maure » basse électrique et cet énorme tuyau serpentin baptisé sousaphone se challengent et s’épousent en riffs répétés. Le tout en une étonnante souplesse rythmique très soul full. Cet épisode témoigne en live du climat qui marque une partie du CD enregistré à La Nouvelle Orléans. On y retrouve le souffle des fanfares griffé de l’aspect second line typique de la musique de rue de la cité louisianaise.

Alune Wade, faut-il le préciser est un super bassiste électrique virtuose, imaginatif, bien dans la lignée de Stanley Clarke jusqu’aux marques indélébile de Marcus Miller sans oublier la trace d’un Alfonso Johnson…un grain plus africain en bonus. Deux compositions très personnelles « Same fufu » puis « Alfua » Ce type de morceau le prouve si besoin était: le musicien sénégalais s’affiche, également disque ou scène, comme un compositeur inspiré. Et dans ces lignes diablement dansantes le grain d’Afrique souffle sur un fond d’air funky. L’écriture complexe y fait enjouer le rôle, la place des cuivres. De quoi revenir vers un jazz enchâssé des sonorités transatlantiques d’aujourd’hui aptes à valoriser les solistes. Tel le solo de trompette venu en sommet chapeauter par éclats de cuivre un boogie woogie (Boogie & Juju, tiens un air de New Orleans encore !) mis en route dans une pulsation toute ternaire.

Alune Wade, lead vocal adapte son chant au cadre musical. Et dans ses textes n’oublie pas les tournants, les tourments de l’histoire. Les « 12 coups de cloche « sont une allusion directe à Gorée, Petite île au large de son pays, le Sénégal, lourdement chargée d’histoire. Celle tragique du triangle d’ébène support logistique de l’esclavage. Façon de penser, de ne pas oublier « les peuples aujourd’hui encore opprimés Congo, Sud Soudan, Haiti, Palestine… » Les mots qu’on sent forts, pensés, se trouvent dès lors égrenés en une voix douce. La voix intégrée à sa juste place résonne en une longue complainte Elle se charge à ce moment d’une émotion profonde au fur et à mesure, appuyée sur une ligne mélodique simple.

Il y aura en conclusion- et en clin d’oeil à l’histoire du jazz sans doute- une revisite du « Pharao’s dance » de Miles Davis. En bis enfin un titre surtout, « Bring him back », pour évoquer Soweto et Mandela avec chorus de chacun des cuivres en rafale. Comme l’hymne résonnant d’une fête éclatant de musiques ouvertes. Ou, souvenir encore bien vivant, des pas chassés de danse d’un Johny Clegg.
Orchestra Baobab

Décidément le métissage règne partout en cette enceinte festivalière angoumoise. Des rythmes en laid back, en ralenti contrôlé épousent des lignes mélodiques qui se plaisent à se croiser en douceur. La basse énorme, elle, tisse un canevas de fibres plutôt épaisses La richesse instrumentale – il s’agit d’un grand orchestre- multiplie les ingrédients, sax, guitares, percussions. Ces dernières, congas et timbales (tambour de métal) surtout transportent leur sceau de latinité. Les vocaux (partagés masculin féminin à part égale) tournent aussi en gage soft. À côté de nous, quelqun dit « C’est marrant, ça me fait penser aux chansons du Cap Vert d’hier soir… » Pas faux la référence à la « morna » d’hommage à Cesaria Evora la veille …Ces chansons « de notre pays le Sénégal « ont puisé question énergie voire émotion à d’autres terres. L’Orchestre Baobab c’est bien connu depuis de nombreuses années de disques et tournées a emprunté rythmes et harmonies à la musique cubaine. Ceci explique cela. Le public bigarré amassé pour l’occasion -cet orchestre s’est fait depuis longtemps un nom dans l’hexagone- non loin de la Charente s’en régale oubliant le ciel toujours fort grisément nuageux comme s’il refusait en juin de se jeter dans l’été. D’un mode sénégalais à un autre le climax Baobab fait office d’apaisement après le cyclone Wade terminant dans son oeil.

N’empêchant pas au final -arrangements et dispositif orchestral conçu à cet effet- une séquence mode pogo. Esprit, élan en pas de danse transmis des planches vers le bitume. Une conclusion nocturne du festival en mode Africafête.
Robert Latxague
