Jazz live
Publié le 21 Oct 2025

Atlantique Jazz Festival # 22 | Carla Bley, Sylvaine Hélary et l’ONJ au Quartz de Brest

L’ONJ With Carla sur la scène du Quartz à Brest

La 22ème saison de l’Atlantique Jazz Festival (3-19 octobre 2025) vient de refermer ses volets sur un programme aiguisé par Cécile Even qui plaça en exergue le puissant quartet du violoniste Jacky Molard, puis les quatre néerlandais de The Ex, irradiant sémaphore pour Sonic Youth et Fugazi, Flöjter avec Mats Gustafsson (fl, elec) et Delphine Joussein (fl), le pianiste transversal Benoit Delbecq et l’aventurier guitariste à nul autre pareil Noël Akchoté, Bonobo et le théâtre musiconirique d’Alfred et Sébastien Capazza, les libres penseurs de The Bridge (Lenard Simpson, Jeff Albert, Paul Wacrenier, Christian Dillingham, Nicolas Pointard), ce pont depuis longtemps jeté par l’Atlantique Jazz Festival entre Brest et les States, l’avant-garde de part et d’autre, et l’évidence qu’ici, en Finistère, le jazz est toujours à la pointe, autrement dit dans le risque du discours musical insoumis, sinon aux vents violents, à la réalité des vraies bourrasques. 

Et c’est ainsi que l’Atlantique Jazz Festival est la plus secouante avancée au ponant des musiques tempétueuses. Tous styles confondus mais toujours agités par l’argument du jazz, remué par l’invention et rien que l’invention.

À la veille d’un concert de la médusante Célia Kameni à la salle Mac Orlan (auteur du nécessaire Petit manuel du parfait aventurier et de Brest, seul guide utile pour arpenter une ville en mille feuilles), Sylvaine Hélary investissait, comme on engage de l’or, la scène du Quartz et les dix-sept solistes de l’Orchestre National de Jazz, ce regroupement de talents dont elle anime le passé, le futur et le présent désormais. 

Charge aussi lourde que légère mais conduite par la nécéssaire émotion, celle que commande la mémoire du cœur. Le premier élan mémoriel de Sylvaine Hélary fut de célébrer la traversière Carla Bley (1936-2023), son alter ego en expérience vagabonde.  Et d’abord en recherche couvrant toutes les possibilités du langage musical (de Charles Ives à Kurt Weill, de Gerry Mulligan à Eric Dolphy) dans un large empan qui hisse l’émotion sur des hauteurs où la gravité ne méprise pas l’humour.

Ainsi que je la vis au Théâtre de la Mer de Sète, vive et terriblement joyeuse à l’été 1984, période où elle accompagnait avec Michael Mantler et Steve Swallow la sortie de Heavy Heart. Sous le soleil exactement et dans cette allégresse que l’0NJ cherche à rejoindre, mais le pas est immense.

Sylvaine Hélary a découvert les mondes de Carla Bley il y a une vingtaine d’années sur les conseils de Rémi Sciuto, arrangeur de ce répertoire qui résume l’œuvre en onze thèmes. Lesquels couvrent une large étendue mêlant la valse et la marche, le blues et le free jazz, pièces chambristes et chants de Noël revisités, offrant parfois un certain esprit cinématique où l’on se sent baigner dans l’univers de Bernard Herrmann. Toutes ces faces sont redessinées comme un jardin nouveau que Sylvaine Hélary harmonise avec des thèmes emblématiques : Musique Mecanique, Ups & Downs, Útviklingssang, Wrong Key Donkey, Very Very Simple, une trilogie attrapée sur The Carla Bley Big Band Goes to Church. 

D’autres choses encore venues du cosmos fantasmagique de cette immensurable compositrice (et les mots ne sont pas assez longs) à laquelle le nouvel ONJ rend hommage méthodiquement et irréprochablement, hommage savoureusement persillé de compositions de Rémi Sciuto, toutefois à  distance du chaos qu’organisait Carla dont la musique est un carrefour à la frontière métaphysique de la profondeur et de la déconne. Performance inattaquable mais de trop grande sagesse dans l’intention de maîtrise au cordeau. Carla, c’est la saine folie d’une imagination sans brides. Le dérèglement se manifeste bien ici mais  sur la pointe de pieds qui à mon goût ne dansent pas assez.

Ce sont d’infimes réserves en proportion d’un remarquable jeu d’équilibre, de fantaisie et d’inventivité qui refuse l’imitation ou encore le pastiche. On se prend à rêver d’un With Carla Again dans lequel l’ONJ augmenterait sa setlist de ces diamants éternels que sont Lawns, Reactionary Tango, Pretend You’re In Love. Et c’est bien parce qu’on en redemande qu’il faut saluer l’édifice de Sylvaine Hélary. Guy Darol

Personnel le samedi 28 octobre 2025 :

Sylvaine Hélary (flûtes traversières, arrangements et direction)

Rémi Sciuto (saxophones alto, baryton, clarinette, arrangements, composition)

Léa Ciechelski (saxophones alto, flûte traversière)

Hugues Mayot (saxophone ténor, clarinette, clarinette basse)

Sylvain Bardiau et Quentin Ghomari (trompette, bugle)

Jessica Simon (trombone)

Mathilde Fèvre (cor)

Didier Havet (tuba)

Amaryllis Billet et Anne Le Pape (violon)

Guillaume Roy (alto, voix)

Juliette Serrad (violoncelle, voix)

Antonin Rayon (piano, orgue Hammond)

Illya Amar (vibraphone, percussions)

Mathias Allamane (contrebasse)

Franck Vaillant (batterie)

ONJ With Carla prochaine date :

Théâtre de Cornouaille à Quimper

Samedi 22 novembre 2025