Jazz live
Publié le 10 Oct 2020

Atlantique Jazz Festival, contre vents et marées

Pour sa 17e édition, l’Atlantique Jazz Festival a décidé de maintenir le cap. Une diversité de propositions – rencontres du midi au CLOUS, concerts du soir au Vauban, au Quartz, au Mac Orlan ou au Conservatoire, apéros impros à la Turbine, débuts de soirée au centre d’art contemporain Passerelle, spectacles jeune public – doublée d'une diversité esthétique, du blues de Reverse Winchester aux formes les plus improvisées (The Bridge, Catherine Delaunay et Hélène Labarrière) en passant par le dégradé des traditions du jazz (Rhoda Scott, Matthias Lévy Trio avec Vincent Peirani...).

 The Bridge#13 vendredi 9 octobre, Le Vauban (Brest)

Certes, l’équipe emmenée par Jannick Tilly doit composer, pandémie oblige, avec des défections comme celle de Tony Hymas, ou de James Brandon Lewis en clôture, rien toutefois de nature à remettre en question la cohérence d’ensemble d’une programmation entamée dès le 26 septembre par l’Atlantique Jazz Tour, série de concerts parcourant la Bretagne de Langon à Crozon.

Au nombre des musiciens américains empêchés par les circonstances figurent encore Jim Baker et Jason Roebke, le claviériste et le contrebassiste programmés aux côtés de Jean-Luc Guionnet et Pierre-Antoine Badaroux pour cette 13e mouture de The Bridge. Pour préserver l’esprit même de cet échange transatlantique entre improvisateurs, imaginé par Alexandre Pierrepont, le pont provisoirement coupé a été en partie rétabli par l’échange d’improvisations enregistrées entre les musiciens, permettant de remodeler, d’une autre façon, les conditions et les enjeux de l’interaction vive. Dans une première phase, les altos de Pierre-Antoine Badaroux et Jean-Luc Guionnet ont dialogué, cherchant à révéler toutes les tensions, tous les déphasages, tous les interstices pouvant se loger entre deux instruments a priori si proches pour les singulariser.

The Bridge – © Guy Chuiton – Brest

Mouvements contraires ou parallèles, superposition de vibratos inégaux, jeux subtils sur les micro-intervalles ont ensuite laissé la place à l’écoute recueillie (dans l’obscurité de la scène) du dialogue enregistré entre Baker et Roebke. On mesure alors la complémentarité sonore qu’aurait incarnée et révélée la présence réelle de ces musiciens, et quelle richesse de texture la rencontre aurait dû produire. Imperceptiblement d’abord, les deux saxophonistes reviennent en tuilage sur la bande avant qu’elle ne s’éclipse, pour une partie finale placée sous le signe de très longues tenues parallèles exécutées en respiration circulaire, explorant la possibilité et les conditions même d’un « unisson » comme pour pousser l’auditoire jusqu’aux limites de sa résistance sensorielle et physique. Une expérience-limite, une métaphore des douloureuses prises de conscience auxquelles nous contraint l’époque… à tout le moins, une conclusion sans complaisance et inégalement accueillie.

The Grand Imperial Orchestra, vendredi 9 octobre, Le Vauban (Brest)

Présenté par Damien Sabatier (saxes), le Grand Impérial Orchestra rassemble deux saxophonistes (maniant la famille presque complète du saxophone basse au sopranino), deux trompettistes/buglistes, un tromboniste, et une section rythmique où, autour de la contrebasse de Joachim Florent, Bruno Ruder (p) et Francesco Pastacaldi (d) remplaçaient les titulaires au pied levé avec une belle assurance. Voilà une autre réjouissante forme de défi à l’épidémie que cette phalange entre la fanfare et le petit big band, à l’énergie et au son aussi énormes que le spectre de leurs influences est large : s’ils revendiquent celle des orchestres de trompes des Banda-Linda de Centrafrique, ou celles de toutes les formes orchestrales afro-américaines, on y entend en vrac l’horlogerie répétitive des compositeurs postmodernes, la ferveur free ou plus recueillie du Coltrane d’Ascension (à l’effectif très semblable), les influences orchestrales d’une Carla Bley ou les tonitruances de la Marmite Infernale lyonnaise.

Le Grand Imperial Orchestra – © Guy Chuiton – Brest

Les morceaux procèdent souvent par accumulation/imbrication de courts motifs en tissus de plus en plus serrés, évoluant patiemment pour faire entendre de puissants chants, installant puis faisant évoluer des cycles (poly)rythmiques ingénieux. Autant de processus organiques qui s’exacerbent dans les solos, chaque pièce mettant longuement et spécifiquement en valeur l’un des solistes. À défaut de pouvoir m’arrêter sur chacun, je retiens l’explosivité d’Aymeric Avice et la souplesse très vocale et expressive du trombone de Simon Girard. Joachim Florent et Francesco Pastacaldi font chauffer les fourneaux à l’arrière tandis que Bruno Ruder, bien mal servi par la sonorisation, procède par touches de couleur et délicates intrusions pour pénétrer la matière dense et dansante des souffleurs. La performance réjouissante d’un collectif dont la générosité et la cohésion reposent sur un travail d’écriture partagé, à saluer tout autant que la performance elle-même. Vincent Cotro

Remerciements spéciaux au photographe Guy Chuiton

Grand Imperial Orchestra : [Bruno Ruder (p), Gérald Chevillon et Damien Sabatier (saxes), Francesco Pastacaldi (d), Joachim Florent (b), Simon Girard (tb), Fred Roudet et Aymeric Avice (tp, flh)

Samedi 10 octobre :

Spectacle Jeune public : « Chewing Gum Silence – À la recherche de la mélodie perdue » (composition et saxophones Antonin Tri-Hoang), La Maison du Théâtre, 18h30

Rhoda Scott Ladies All Stars (avec Airelle Besson, Géraldine Laurent, Sophie Alour, Lisa Cat-Berro, Julie Saury), Le Quartz, 20h30

Programme complet www.plages-magnetiques.org