Jazz live
Publié le 6 Oct 2015

Avant-première à Reims: les points de vue d'Alain Vankenhove

C’était le concert d’envoi, en avant-première, du Reims Jazz Festival qui commencera vraiment le 15 octobre à la Villa Douce avec le trio Un Poco Loco (dont vous connaissez déjà au moins le tromboniste Fidel Fourneyron), puis connaîtra un rythme plus soutenu à partir du 22 avec l’Agathe Jazz Quartet de la chanteuse Agathe Iracema… À suivre jusqu’au 7 novembre : Michel Portal et Bojan Z, le quartette d’Heinz Sauer et Daniel Erdman, Musica Nuda, Laura Perrudin, le quartette Scofield-Lovano, Sophia Domancich “Snakes and Ladders”, Mark Turner 4tet… Avec donc, hier soir 6 octobre en avant-première, une création du trompettiste Alain Vankenhove en compagnie Uri Caine, Sébastien Boisseau et Jeff Ballard. Création d’un homme qui a du goût et qui le confirmera sans aucun doute avec les quatre autres concerts à suivre demain 7 octobre à Tours (Petit Faucheux), le 8 à Paris (Sunside), les 9 et 10 à Nantes (Pannonica). Premières impressions.

Alain Vankenove Points of View: Alain Vankenove (trompette, bugle, compositions), Uri Caine (piano), Sébastie Boisseau (contrebasse), Jeff Ballard (batterie).

Accueil aux caves du champagne Mumm, plus exactement dans l’auditorium des caves Mumm, dont la configuration n’est pas sans rappeler la nouvelle cave du Crescent à Mâcon. Où l’on débarque pendant la balance du nouveau quartette de Vankenhove pour découvrir qu’elle est aussi la première répétition du groupe. C’est tout à la fois assez magique, pour peu que l’on sache déjà ce qui va advenir, et assez cruel pour peu que l’on n’en sache rien (à ce titre ne manquez pas une occasion de voir le film Zicocratie de Richard Bois où l’on voit Andy Emler construire son répertoire E Total à la tête de son MegaOctet). Car si  quatre musiciens ont décidé de se donner rendez-vous en un lieu donné pour faire de la musique autour des partitions de l’un d’eux, s’ils ont reçu les partitions dans leur boîtes mail et ont pu les considérer sur la table de leurs cuisines, sur leurs instruments respectifs, dans leurs chambres d’hôtel, dans les trains et les avions qui les ont conduit vers leur destin, ils savent aussi que ces partitions ne leur disent encore que peu de choses. Très peu de la réalité de ce qui doit en ressortir, dans l’esprit de celui qui les a écrites, n’y résident. Tout du moins sans les codes qui vont se déchiffrer au cours de travail collectif, et surtout sans les commentaires de l’auteur, qui ne sauraient tenir même dans les indications de nuances, véritables notes d’intention qui bien souvent se précisent au cours de ce double dialogue instrumental et parlé que constitue le travail collectif de la répétition, répétition qu’il faudrait ici appeler plutôt première lecture.

Or, ce travail collectif, vu de l’extérieur, peut prendre des tournures assez consternantes (et je renvoie ici encore au film de Bois). La musique, telle qu’elle se dépose sur le papier dans le cadre de la pratique improvisée, peut donner lieu, entre les musiciens qui la découvrent, à quelque chose s’apparentant à la conversation dans le métro d’un groupe de touristes, chacun plongé dans son plan de Paris, cherchant à se mettre d’accord sur la chronologie de la visite. Vankenove, d’un anglais très hésitant, Uri Caine positif, décontracté, sérieux, attentionné, discipliné. Boisseau, concentré, comme en couverture de son camarade qui progresse à découvert (presque une vocation chez Boisseau, mais finalement aussi dans un rôle de bassiste). Ballard, les yeux tout ronds, dont on ne sait s’il est totalement investi ou totalement ailleurs. Le métier. Patienter pendant que l’on se met d’accord sur les détails harmoniques et peut-être, dans son rôle d’arpenteur, plus rapide dans l’apprentissage des structures. Ça peut durer des heures. Soudain, il faut jouer. Il joue, il joue le métier, il est là tout en étant ailleurs, puis tout à a coup, il se passe quelque chose, et il est là et seulement là, et les baguettes prennent du poids et ça s’arrête déjà : « Et si l’on faisait plutôt comme ça? ».

Pause, visite obligée des caves Mumm pendant que les musiciens poursuivent, survol accéléré de la longue fabrication du champagne, aperçu abrégé des 25 kilomètres de couloirs souterrains qui manquent tout juste de s’enchevêtrer, au-dessous, en-dessous, avec les caves des concurrents. Tout est très minuté car nous sommes attendus à l’auditorium où Alex Dutilh animera en direct et en public son émission Open Jazz dont il réalise, alors qu’on lui ouvre le micro, qu’il s’agit de la 1500ème. Champagne! Et Drinking Song de Uri Caine qui l’a rejoint au micro pour réentendre cet emprunt que le pianiste avait fait à Verdi sur son album “The Othello Syndrome”. Francis Lebras est également à la table pour parler de son festival, ainsi qu’Alain Vankenhove qui raconte comment la complicité avec Uri Caine s’est tissée au fil des années jusqu’à ces “Points of View” que deux heures plus tard il présente sur scène, devant le public du Caveau Mumm, France musique ayant débarrassé sa table d’émission, mais non ses micros puisque le concert est enregistré pour une rediffusion vendredi prochain 9 octobre par Yvan Amar dans son Jazz Club.

On avait quitté, avant l’émission, un quartette empêtré dans les portées de partitions qu’ils découvraient. Et splatsch! Les voici plongeant tous les quatre à l’unisson sur le premier accord. Et ça sonne soudain. Et ça joue. Les portées déroulées, démêlées, alignées, ordonnées, peut désormais s’y introduire le miracle du jeu, tout ce qui restait tu pendant le filage décousu de tout à l’heure. Quoiqu’il arrive, ces quatre là s’entendent à merveille. Certes, on peut se dire ici qu’Uri Caine lit encore, mais laisse entendre là qu’il est en voie de trouver et que là plus loin il s’est déjà trouvé une façon d’être lui-même. Il en va de même de Ballard que l’on sent encore ici dans la consigne et là dans l’appropriation. Quant à Vankenhove, fragile pendant la balance, alors qu’il réglait encore mille détails (on ne joue pas d’un instrument à embouchure sans être totalement à son affaire), sa trompette et son bugle retrouvent cette espèce de lyrisme à la Kenny Wheeler qui semble se laisser porter par les vents, ascension brutale vers la stratosphère et chute libre, avec juste ce qu’il faut de contrôle pour éviter le décrochage et rester constamment dans le chant. Rattrapé par une crève carabinée, j’avoue avoir reçu ce concert dans une demie somnolence exagérée par l’effet d’un sirop anti-tussif conseillé par un pharmacien que je ne recommanderai pas. Une somnolence agréablement bercée dont j’ai réchappé pour un final somptueux et un rappel d’une douceur infinie. Il faut imaginer nos quatre musiciens sur la route de Tours aujourd’hui (concert ce soir 7 octobre au Petit Faucheux), de Paris demain (concert au Sunside le 8), puis de Nantes pour deux soirées les 9 et 10 au Pannonica. Ils auront eu le temps de ruminer dans leurs lits en s’endormant, d’échanger leurs impressions dans le train, voire de réécouter le concert de Reims sur la copie de l’enregistrement Radio France que leur a confié Yvan Amar et de retravailler mille détails lors des différentes balances. Et sur scène de nouveaux miracles du jeu ! Franck Bergerot

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C’était le concert d’envoi, en avant-première, du Reims Jazz Festival qui commencera vraiment le 15 octobre à la Villa Douce avec le trio Un Poco Loco (dont vous connaissez déjà au moins le tromboniste Fidel Fourneyron), puis connaîtra un rythme plus soutenu à partir du 22 avec l’Agathe Jazz Quartet de la chanteuse Agathe Iracema… À suivre jusqu’au 7 novembre : Michel Portal et Bojan Z, le quartette d’Heinz Sauer et Daniel Erdman, Musica Nuda, Laura Perrudin, le quartette Scofield-Lovano, Sophia Domancich “Snakes and Ladders”, Mark Turner 4tet… Avec donc, hier soir 6 octobre en avant-première, une création du trompettiste Alain Vankenhove en compagnie Uri Caine, Sébastien Boisseau et Jeff Ballard. Création d’un homme qui a du goût et qui le confirmera sans aucun doute avec les quatre autres concerts à suivre demain 7 octobre à Tours (Petit Faucheux), le 8 à Paris (Sunside), les 9 et 10 à Nantes (Pannonica). Premières impressions.

Alain Vankenove Points of View: Alain Vankenove (trompette, bugle, compositions), Uri Caine (piano), Sébastie Boisseau (contrebasse), Jeff Ballard (batterie).

Accueil aux caves du champagne Mumm, plus exactement dans l’auditorium des caves Mumm, dont la configuration n’est pas sans rappeler la nouvelle cave du Crescent à Mâcon. Où l’on débarque pendant la balance du nouveau quartette de Vankenhove pour découvrir qu’elle est aussi la première répétition du groupe. C’est tout à la fois assez magique, pour peu que l’on sache déjà ce qui va advenir, et assez cruel pour peu que l’on n’en sache rien (à ce titre ne manquez pas une occasion de voir le film Zicocratie de Richard Bois où l’on voit Andy Emler construire son répertoire E Total à la tête de son MegaOctet). Car si  quatre musiciens ont décidé de se donner rendez-vous en un lieu donné pour faire de la musique autour des partitions de l’un d’eux, s’ils ont reçu les partitions dans leur boîtes mail et ont pu les considérer sur la table de leurs cuisines, sur leurs instruments respectifs, dans leurs chambres d’hôtel, dans les trains et les avions qui les ont conduit vers leur destin, ils savent aussi que ces partitions ne leur disent encore que peu de choses. Très peu de la réalité de ce qui doit en ressortir, dans l’esprit de celui qui les a écrites, n’y résident. Tout du moins sans les codes qui vont se déchiffrer au cours de travail collectif, et surtout sans les commentaires de l’auteur, qui ne sauraient tenir même dans les indications de nuances, véritables notes d’intention qui bien souvent se précisent au cours de ce double dialogue instrumental et parlé que constitue le travail collectif de la répétition, répétition qu’il faudrait ici appeler plutôt première lecture.

Or, ce travail collectif, vu de l’extérieur, peut prendre des tournures assez consternantes (et je renvoie ici encore au film de Bois). La musique, telle qu’elle se dépose sur le papier dans le cadre de la pratique improvisée, peut donner lieu, entre les musiciens qui la découvrent, à quelque chose s’apparentant à la conversation dans le métro d’un groupe de touristes, chacun plongé dans son plan de Paris, cherchant à se mettre d’accord sur la chronologie de la visite. Vankenove, d’un anglais très hésitant, Uri Caine positif, décontracté, sérieux, attentionné, discipliné. Boisseau, concentré, comme en couverture de son camarade qui progresse à découvert (presque une vocation chez Boisseau, mais finalement aussi dans un rôle de bassiste). Ballard, les yeux tout ronds, dont on ne sait s’il est totalement investi ou totalement ailleurs. Le métier. Patienter pendant que l’on se met d’accord sur les détails harmoniques et peut-être, dans son rôle d’arpenteur, plus rapide dans l’apprentissage des structures. Ça peut durer des heures. Soudain, il faut jouer. Il joue, il joue le métier, il est là tout en étant ailleurs, puis tout à a coup, il se passe quelque chose, et il est là et seulement là, et les baguettes prennent du poids et ça s’arrête déjà : « Et si l’on faisait plutôt comme ça? ».

Pause, visite obligée des caves Mumm pendant que les musiciens poursuivent, survol accéléré de la longue fabrication du champagne, aperçu abrégé des 25 kilomètres de couloirs souterrains qui manquent tout juste de s’enchevêtrer, au-dessous, en-dessous, avec les caves des concurrents. Tout est très minuté car nous sommes attendus à l’auditorium où Alex Dutilh animera en direct et en public son émission Open Jazz dont il réalise, alors qu’on lui ouvre le micro, qu’il s’agit de la 1500ème. Champagne! Et Drinking Song de Uri Caine qui l’a rejoint au micro pour réentendre cet emprunt que le pianiste avait fait à Verdi sur son album “The Othello Syndrome”. Francis Lebras est également à la table pour parler de son festival, ainsi qu’Alain Vankenhove qui raconte comment la complicité avec Uri Caine s’est tissée au fil des années jusqu’à ces “Points of View” que deux heures plus tard il présente sur scène, devant le public du Caveau Mumm, France musique ayant débarrassé sa table d’émission, mais non ses micros puisque le concert est enregistré pour une rediffusion vendredi prochain 9 octobre par Yvan Amar dans son Jazz Club.

On avait quitté, avant l’émission, un quartette empêtré dans les portées de partitions qu’ils découvraient. Et splatsch! Les voici plongeant tous les quatre à l’unisson sur le premier accord. Et ça sonne soudain. Et ça joue. Les portées déroulées, démêlées, alignées, ordonnées, peut désormais s’y introduire le miracle du jeu, tout ce qui restait tu pendant le filage décousu de tout à l’heure. Quoiqu’il arrive, ces quatre là s’entendent à merveille. Certes, on peut se dire ici qu’Uri Caine lit encore, mais laisse entendre là qu’il est en voie de trouver et que là plus loin il s’est déjà trouvé une façon d’être lui-même. Il en va de même de Ballard que l’on sent encore ici dans la consigne et là dans l’appropriation. Quant à Vankenhove, fragile pendant la balance, alors qu’il réglait encore mille détails (on ne joue pas d’un instrument à embouchure sans être totalement à son affaire), sa trompette et son bugle retrouvent cette espèce de lyrisme à la Kenny Wheeler qui semble se laisser porter par les vents, ascension brutale vers la stratosphère et chute libre, avec juste ce qu’il faut de contrôle pour éviter le décrochage et rester constamment dans le chant. Rattrapé par une crève carabinée, j’avoue avoir reçu ce concert dans une demie somnolence exagérée par l’effet d’un sirop anti-tussif conseillé par un pharmacien que je ne recommanderai pas. Une somnolence agréablement bercée dont j’ai réchappé pour un final somptueux et un rappel d’une douceur infinie. Il faut imaginer nos quatre musiciens sur la route de Tours aujourd’hui (concert ce soir 7 octobre au Petit Faucheux), de Paris demain (concert au Sunside le 8), puis de Nantes pour deux soirées les 9 et 10 au Pannonica. Ils auront eu le temps de ruminer dans leurs lits en s’endormant, d’échanger leurs impressions dans le train, voire de réécouter le concert de Reims sur la copie de l’enregistrement Radio France que leur a confié Yvan Amar et de retravailler mille détails lors des différentes balances. Et sur scène de nouveaux miracles du jeu ! Franck Bergerot

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C’était le concert d’envoi, en avant-première, du Reims Jazz Festival qui commencera vraiment le 15 octobre à la Villa Douce avec le trio Un Poco Loco (dont vous connaissez déjà au moins le tromboniste Fidel Fourneyron), puis connaîtra un rythme plus soutenu à partir du 22 avec l’Agathe Jazz Quartet de la chanteuse Agathe Iracema… À suivre jusqu’au 7 novembre : Michel Portal et Bojan Z, le quartette d’Heinz Sauer et Daniel Erdman, Musica Nuda, Laura Perrudin, le quartette Scofield-Lovano, Sophia Domancich “Snakes and Ladders”, Mark Turner 4tet… Avec donc, hier soir 6 octobre en avant-première, une création du trompettiste Alain Vankenhove en compagnie Uri Caine, Sébastien Boisseau et Jeff Ballard. Création d’un homme qui a du goût et qui le confirmera sans aucun doute avec les quatre autres concerts à suivre demain 7 octobre à Tours (Petit Faucheux), le 8 à Paris (Sunside), les 9 et 10 à Nantes (Pannonica). Premières impressions.

Alain Vankenove Points of View: Alain Vankenove (trompette, bugle, compositions), Uri Caine (piano), Sébastie Boisseau (contrebasse), Jeff Ballard (batterie).

Accueil aux caves du champagne Mumm, plus exactement dans l’auditorium des caves Mumm, dont la configuration n’est pas sans rappeler la nouvelle cave du Crescent à Mâcon. Où l’on débarque pendant la balance du nouveau quartette de Vankenhove pour découvrir qu’elle est aussi la première répétition du groupe. C’est tout à la fois assez magique, pour peu que l’on sache déjà ce qui va advenir, et assez cruel pour peu que l’on n’en sache rien (à ce titre ne manquez pas une occasion de voir le film Zicocratie de Richard Bois où l’on voit Andy Emler construire son répertoire E Total à la tête de son MegaOctet). Car si  quatre musiciens ont décidé de se donner rendez-vous en un lieu donné pour faire de la musique autour des partitions de l’un d’eux, s’ils ont reçu les partitions dans leur boîtes mail et ont pu les considérer sur la table de leurs cuisines, sur leurs instruments respectifs, dans leurs chambres d’hôtel, dans les trains et les avions qui les ont conduit vers leur destin, ils savent aussi que ces partitions ne leur disent encore que peu de choses. Très peu de la réalité de ce qui doit en ressortir, dans l’esprit de celui qui les a écrites, n’y résident. Tout du moins sans les codes qui vont se déchiffrer au cours de travail collectif, et surtout sans les commentaires de l’auteur, qui ne sauraient tenir même dans les indications de nuances, véritables notes d’intention qui bien souvent se précisent au cours de ce double dialogue instrumental et parlé que constitue le travail collectif de la répétition, répétition qu’il faudrait ici appeler plutôt première lecture.

Or, ce travail collectif, vu de l’extérieur, peut prendre des tournures assez consternantes (et je renvoie ici encore au film de Bois). La musique, telle qu’elle se dépose sur le papier dans le cadre de la pratique improvisée, peut donner lieu, entre les musiciens qui la découvrent, à quelque chose s’apparentant à la conversation dans le métro d’un groupe de touristes, chacun plongé dans son plan de Paris, cherchant à se mettre d’accord sur la chronologie de la visite. Vankenove, d’un anglais très hésitant, Uri Caine positif, décontracté, sérieux, attentionné, discipliné. Boisseau, concentré, comme en couverture de son camarade qui progresse à découvert (presque une vocation chez Boisseau, mais finalement aussi dans un rôle de bassiste). Ballard, les yeux tout ronds, dont on ne sait s’il est totalement investi ou totalement ailleurs. Le métier. Patienter pendant que l’on se met d’accord sur les détails harmoniques et peut-être, dans son rôle d’arpenteur, plus rapide dans l’apprentissage des structures. Ça peut durer des heures. Soudain, il faut jouer. Il joue, il joue le métier, il est là tout en étant ailleurs, puis tout à a coup, il se passe quelque chose, et il est là et seulement là, et les baguettes prennent du poids et ça s’arrête déjà : « Et si l’on faisait plutôt comme ça? ».

Pause, visite obligée des caves Mumm pendant que les musiciens poursuivent, survol accéléré de la longue fabrication du champagne, aperçu abrégé des 25 kilomètres de couloirs souterrains qui manquent tout juste de s’enchevêtrer, au-dessous, en-dessous, avec les caves des concurrents. Tout est très minuté car nous sommes attendus à l’auditorium où Alex Dutilh animera en direct et en public son émission Open Jazz dont il réalise, alors qu’on lui ouvre le micro, qu’il s’agit de la 1500ème. Champagne! Et Drinking Song de Uri Caine qui l’a rejoint au micro pour réentendre cet emprunt que le pianiste avait fait à Verdi sur son album “The Othello Syndrome”. Francis Lebras est également à la table pour parler de son festival, ainsi qu’Alain Vankenhove qui raconte comment la complicité avec Uri Caine s’est tissée au fil des années jusqu’à ces “Points of View” que deux heures plus tard il présente sur scène, devant le public du Caveau Mumm, France musique ayant débarrassé sa table d’émission, mais non ses micros puisque le concert est enregistré pour une rediffusion vendredi prochain 9 octobre par Yvan Amar dans son Jazz Club.

On avait quitté, avant l’émission, un quartette empêtré dans les portées de partitions qu’ils découvraient. Et splatsch! Les voici plongeant tous les quatre à l’unisson sur le premier accord. Et ça sonne soudain. Et ça joue. Les portées déroulées, démêlées, alignées, ordonnées, peut désormais s’y introduire le miracle du jeu, tout ce qui restait tu pendant le filage décousu de tout à l’heure. Quoiqu’il arrive, ces quatre là s’entendent à merveille. Certes, on peut se dire ici qu’Uri Caine lit encore, mais laisse entendre là qu’il est en voie de trouver et que là plus loin il s’est déjà trouvé une façon d’être lui-même. Il en va de même de Ballard que l’on sent encore ici dans la consigne et là dans l’appropriation. Quant à Vankenhove, fragile pendant la balance, alors qu’il réglait encore mille détails (on ne joue pas d’un instrument à embouchure sans être totalement à son affaire), sa trompette et son bugle retrouvent cette espèce de lyrisme à la Kenny Wheeler qui semble se laisser porter par les vents, ascension brutale vers la stratosphère et chute libre, avec juste ce qu’il faut de contrôle pour éviter le décrochage et rester constamment dans le chant. Rattrapé par une crève carabinée, j’avoue avoir reçu ce concert dans une demie somnolence exagérée par l’effet d’un sirop anti-tussif conseillé par un pharmacien que je ne recommanderai pas. Une somnolence agréablement bercée dont j’ai réchappé pour un final somptueux et un rappel d’une douceur infinie. Il faut imaginer nos quatre musiciens sur la route de Tours aujourd’hui (concert ce soir 7 octobre au Petit Faucheux), de Paris demain (concert au Sunside le 8), puis de Nantes pour deux soirées les 9 et 10 au Pannonica. Ils auront eu le temps de ruminer dans leurs lits en s’endormant, d’échanger leurs impressions dans le train, voire de réécouter le concert de Reims sur la copie de l’enregistrement Radio France que leur a confié Yvan Amar et de retravailler mille détails lors des différentes balances. Et sur scène de nouveaux miracles du jeu ! Franck Bergerot

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C’était le concert d’envoi, en avant-première, du Reims Jazz Festival qui commencera vraiment le 15 octobre à la Villa Douce avec le trio Un Poco Loco (dont vous connaissez déjà au moins le tromboniste Fidel Fourneyron), puis connaîtra un rythme plus soutenu à partir du 22 avec l’Agathe Jazz Quartet de la chanteuse Agathe Iracema… À suivre jusqu’au 7 novembre : Michel Portal et Bojan Z, le quartette d’Heinz Sauer et Daniel Erdman, Musica Nuda, Laura Perrudin, le quartette Scofield-Lovano, Sophia Domancich “Snakes and Ladders”, Mark Turner 4tet… Avec donc, hier soir 6 octobre en avant-première, une création du trompettiste Alain Vankenhove en compagnie Uri Caine, Sébastien Boisseau et Jeff Ballard. Création d’un homme qui a du goût et qui le confirmera sans aucun doute avec les quatre autres concerts à suivre demain 7 octobre à Tours (Petit Faucheux), le 8 à Paris (Sunside), les 9 et 10 à Nantes (Pannonica). Premières impressions.

Alain Vankenove Points of View: Alain Vankenove (trompette, bugle, compositions), Uri Caine (piano), Sébastie Boisseau (contrebasse), Jeff Ballard (batterie).

Accueil aux caves du champagne Mumm, plus exactement dans l’auditorium des caves Mumm, dont la configuration n’est pas sans rappeler la nouvelle cave du Crescent à Mâcon. Où l’on débarque pendant la balance du nouveau quartette de Vankenhove pour découvrir qu’elle est aussi la première répétition du groupe. C’est tout à la fois assez magique, pour peu que l’on sache déjà ce qui va advenir, et assez cruel pour peu que l’on n’en sache rien (à ce titre ne manquez pas une occasion de voir le film Zicocratie de Richard Bois où l’on voit Andy Emler construire son répertoire E Total à la tête de son MegaOctet). Car si  quatre musiciens ont décidé de se donner rendez-vous en un lieu donné pour faire de la musique autour des partitions de l’un d’eux, s’ils ont reçu les partitions dans leur boîtes mail et ont pu les considérer sur la table de leurs cuisines, sur leurs instruments respectifs, dans leurs chambres d’hôtel, dans les trains et les avions qui les ont conduit vers leur destin, ils savent aussi que ces partitions ne leur disent encore que peu de choses. Très peu de la réalité de ce qui doit en ressortir, dans l’esprit de celui qui les a écrites, n’y résident. Tout du moins sans les codes qui vont se déchiffrer au cours de travail collectif, et surtout sans les commentaires de l’auteur, qui ne sauraient tenir même dans les indications de nuances, véritables notes d’intention qui bien souvent se précisent au cours de ce double dialogue instrumental et parlé que constitue le travail collectif de la répétition, répétition qu’il faudrait ici appeler plutôt première lecture.

Or, ce travail collectif, vu de l’extérieur, peut prendre des tournures assez consternantes (et je renvoie ici encore au film de Bois). La musique, telle qu’elle se dépose sur le papier dans le cadre de la pratique improvisée, peut donner lieu, entre les musiciens qui la découvrent, à quelque chose s’apparentant à la conversation dans le métro d’un groupe de touristes, chacun plongé dans son plan de Paris, cherchant à se mettre d’accord sur la chronologie de la visite. Vankenove, d’un anglais très hésitant, Uri Caine positif, décontracté, sérieux, attentionné, discipliné. Boisseau, concentré, comme en couverture de son camarade qui progresse à découvert (presque une vocation chez Boisseau, mais finalement aussi dans un rôle de bassiste). Ballard, les yeux tout ronds, dont on ne sait s’il est totalement investi ou totalement ailleurs. Le métier. Patienter pendant que l’on se met d’accord sur les détails harmoniques et peut-être, dans son rôle d’arpenteur, plus rapide dans l’apprentissage des structures. Ça peut durer des heures. Soudain, il faut jouer. Il joue, il joue le métier, il est là tout en étant ailleurs, puis tout à a coup, il se passe quelque chose, et il est là et seulement là, et les baguettes prennent du poids et ça s’arrête déjà : « Et si l’on faisait plutôt comme ça? ».

Pause, visite obligée des caves Mumm pendant que les musiciens poursuivent, survol accéléré de la longue fabrication du champagne, aperçu abrégé des 25 kilomètres de couloirs souterrains qui manquent tout juste de s’enchevêtrer, au-dessous, en-dessous, avec les caves des concurrents. Tout est très minuté car nous sommes attendus à l’auditorium où Alex Dutilh animera en direct et en public son émission Open Jazz dont il réalise, alors qu’on lui ouvre le micro, qu’il s’agit de la 1500ème. Champagne! Et Drinking Song de Uri Caine qui l’a rejoint au micro pour réentendre cet emprunt que le pianiste avait fait à Verdi sur son album “The Othello Syndrome”. Francis Lebras est également à la table pour parler de son festival, ainsi qu’Alain Vankenhove qui raconte comment la complicité avec Uri Caine s’est tissée au fil des années jusqu’à ces “Points of View” que deux heures plus tard il présente sur scène, devant le public du Caveau Mumm, France musique ayant débarrassé sa table d’émission, mais non ses micros puisque le concert est enregistré pour une rediffusion vendredi prochain 9 octobre par Yvan Amar dans son Jazz Club.

On avait quitté, avant l’émission, un quartette empêtré dans les portées de partitions qu’ils découvraient. Et splatsch! Les voici plongeant tous les quatre à l’unisson sur le premier accord. Et ça sonne soudain. Et ça joue. Les portées déroulées, démêlées, alignées, ordonnées, peut désormais s’y introduire le miracle du jeu, tout ce qui restait tu pendant le filage décousu de tout à l’heure. Quoiqu’il arrive, ces quatre là s’entendent à merveille. Certes, on peut se dire ici qu’Uri Caine lit encore, mais laisse entendre là qu’il est en voie de trouver et que là plus loin il s’est déjà trouvé une façon d’être lui-même. Il en va de même de Ballard que l’on sent encore ici dans la consigne et là dans l’appropriation. Quant à Vankenhove, fragile pendant la balance, alors qu’il réglait encore mille détails (on ne joue pas d’un instrument à embouchure sans être totalement à son affaire), sa trompette et son bugle retrouvent cette espèce de lyrisme à la Kenny Wheeler qui semble se laisser porter par les vents, ascension brutale vers la stratosphère et chute libre, avec juste ce qu’il faut de contrôle pour éviter le décrochage et rester constamment dans le chant. Rattrapé par une crève carabinée, j’avoue avoir reçu ce concert dans une demie somnolence exagérée par l’effet d’un sirop anti-tussif conseillé par un pharmacien que je ne recommanderai pas. Une somnolence agréablement bercée dont j’ai réchappé pour un final somptueux et un rappel d’une douceur infinie. Il faut imaginer nos quatre musiciens sur la route de Tours aujourd’hui (concert ce soir 7 octobre au Petit Faucheux), de Paris demain (concert au Sunside le 8), puis de Nantes pour deux soirées les 9 et 10 au Pannonica. Ils auront eu le temps de ruminer dans leurs lits en s’endormant, d’échanger leurs impressions dans le train, voire de réécouter le concert de Reims sur la copie de l’enregistrement Radio France que leur a confié Yvan Amar et de retravailler mille détails lors des différentes balances. Et sur scène de nouveaux miracles du jeu ! Franck Bergerot