Jazz live
Publié le 15 Avr 2015

Banlieues Bleues : deux escales suburbaines

Double affiche le 31 mars 2015 aux Banlieues bleues avec un programme emprunté aux big bands européens des années swing et l’éclectisme classieux de la chanteuse Cécile McLorin Salvant, puis soirée doublement berlinoise le 2 avril avec les reprises des chansons berlinoises de David Bowie par Dylan Howe et les partitions d’“Europa-Berlin”  par l’ONJ. Xavier Prévost y était… 

 

 

Festival Banlieues Bleues, Théâtre 9, Le Blanc-Mesnil (93), le 31 mars 2015.

 

Umlaut Big Band : Pierre-Antoine Badaroux, Benjamin Dousteyssier, Antonin-Tri Hoang, Hugues Mayot, Geoffroy Gesser (saxophones & clarinettes), Louis Laurain, Brice Pichard, Emil Stranberg (trompettes), Michaël Ballue, Fidel Fourneyron (trombones), Romain Vuillemin (guitare), Bruno Ruder (piano), Thibaud Soulas (contrebasse) & Élie Duris (batterie).

 

Cécile McLorin Salvant invite Vincent Peirani : Cécile McLorin Salvant (voix), Aaron Diehl (piano), Paul Sikivie (contrebasse), Lawrence Leathers (batterie) ; invité Vincent Peirani (accordéon).

 

   Séquano-Dionysien d’assez longue date (quinze ans bientôt que j’habite le 9-3), il me fallut un certain temps pour trouver le « Théâtre 9 » : il m’était familier sous son ancienne appellation de « Forum culturel », mais manifestement la Ville du Blanc-Mesnil n’a guère fait de zèle pour inscrire cette nouvelle appellation, pourtant revendiquée, sur la signalétique urbaine, ni même sur la façade de cette belle institution. Mais rassurez-vous, ce petit désagrément n’a pu compromettre une première escale qui fut enchanteresse…. 

 

   La soirée commençait avec l’Umlaut Big Band, improbable phalange de jeunes gens connus pour la plupart en raison de leur pratique du jazz contemporain (on retrouvera deux d’entre eux 48 heures plus tard au sein de l’O.N.J. d’Olivier Benoit), et qui se retrouvent dans cet orchestre pour célébrer la Swing Era. J’avais eu l’occasion à la fin de l’été dernier de les entendre dans une impeccable évocation des arrangements de Don Redman, et cette fois leur directeur musical, Pierre-Antoine Badaroux, a choisi d’explorer les compositions et arrangements de la Vieille Europe à l’époque du swing. Pour ce faire il a exhumé des partitions de Russie, d’Espagne ou de Tchécoslovaquie, totalement inconnues de votre serviteur qui, dans sa mémoire d’amateur déjà chenu, reconnaissait cependant dans les auteurs et/ou arrangeurs du programme les noms assez familiers du pianiste anglais Jack Hylton, du saxophoniste belge Fut Candrix ou du tromboniste lyonnais devenue californien Léo Vauchant. Il y eut aussi un Tiger Rag survolté arrangé par un orchestrateur allemand des années 30 qui valait son pesant d’adrénaline. Et la classe de danse du Conservatoire Érik Satie du Blanc-Mesnil vint le temps d’un morceau rappeler que la vocation de cet orchestre, c’est d’abord de faire danser, en animant des bals swing qui se tiennent au Chinois à Montreuil, au Pan Piper à Paris, ou ailleurs. Reste que, par la qualité de ses exécutions et la verve de ses solistes, l’orchestre mérite d’être écouté pour lui-même. Le public du festival sut y reconnaître, en manifestant son enthousiasme, l’actualité d’un répertoire toujours vivant, pourvu que l’on en respecte l’esprit autant que la lettre, mais en toute liberté !

 

   L’arrivé sur scène de Cécile McLorin Salvant devait susciter un nouvel enthousiasme : détaillant chaque nuance de I didn’t know what time it was, elle place d’emblée la barre très haut, en musicienne superlative qui n’oublie jamais qu’une chanson s’interprète, qu’elle est le lieu d’un théâtre musical où l’émotion ne se marchande pas. Sa voix offre une   palette qui semble illimitée, dans l’expression comme dans la maîtrise des intervalles et des registres. Comme Sarah Vaughan, elle sait jouer des profondeurs du bas médium et des envolées du soprano, de la gravité de ton ou de l’exquise séduction d’une voix mutine,  avec une aisance confondante, là où d’autres nous infligeraient des  transitions laborieuses ou des vulgarités involontaires. Impeccablement accompagnée par un trio qui met en valeur chaque inflexion, chaque nuance, Cécile sait aussi offrir à ses partenaires des espaces de liberté dont ils profitent largement : ainsi dans le thème conclusif, Something’s coming, emprunté au début de West Side Story, dont la chanteuse, et le trio, donnent une version survoltée. Et l’extraordinaire talent d’interprète de la chanteuse s’illustre en cours de concert sous un autre jour : en duo avec l’accordéoniste Vincent Peirani, elle chante une chanson de Barbara, mais aussi J’ai le cafard, naguère immortalisé par Frehel, dont elle donne une version très personnelle, et totalement bouleversante. Vincent Peirani l’accompagne avec une intensité respectueuse, comme on le ferait d’un lied de Schubert, et la communion des interprètes est totale, au point qu’à l’instant les mots me manquent pour le dire : Cécile McLorin Salvant a décidément un talent qui tutoie le sublime !

 

Festival Banlieues Bleues, Espace Paul Éluard, Stains (93), le 2 avril 2015.

 

Dylan Howe « Sunterranean – New Designs on Bowie’s Berlin » : Dylan Howe (batterie), James Allsopp (saxophone ténor), Ross Stanley (piano), Steve Lodder (synthétiseur) & Percy Pursglove (contrebasse).

 

Orchestre National de Jazz « Europa Berlin » : Olivier Benoit (direction artistique, guitare, composition), Jean-Brice Godet (clarinette, clarinette basse), Alexandra Grimal (saxophone ténor) , Hugues Mayot (saxophone alto),  Patrice Martinez (trompette), Fidel Fourneyron (trombone), Théo Ceccaldi (violon), Sophie Agnel (piano), Paul Brousseau (piano électrique, synthétiseur), Sylvain Daniel (guitare basse) & Éric  Échampard (batterie).

 

   L’idée est belle, et pertinente : associer dans une même soirée deux évocations de Berlin. Le batteur Bryan Howe le fait au travers du répertoire des albums berlinois de David Bowie et Brian Eno (« Low », Hero
es »….) ; et l’O.N.J. dans le cadre d’une tétralogie des grandes villes européennes, projet en cours qui commençait avec Paris et se poursuivra dans les deux années à venir (prochaine étape : Rome). Dans l’un et l’autre cas, le concert se déroule devant un écran où défilent des images du passé relativement proche (à l’Est, à l’Ouest). L’analogie s’interrompt là.

 

   Avec Dylan Howe, la musique est traitée dans des arrangements très convenus côté piano et synthétiseur. Et l’intérêt s’éveille seulement lors de quelques intéressants épisodes polyrythmiques du côté du batteur, et surtout par une certaine verve du saxophoniste (entendu naguère avec Django Bates ou Kenny Wheeler). Mais les soli des claviers regorgent de clichés !

 

   Côté O.N.J., l’affaire est tout autre . Dans des compositions où se croisent comme dans le précédent programme de multiples mémoires (musique de chambre contemporaine, jazz de stricte obédience, free jazz, musiques répétitives américaines -Steve Reich plus que Philip Glass ?-, rock progressif….) la cohérence est parfaite. Le déroulement temporel du concert est mieux maîtrisé que dans les premiers concerts du projet « Europa Paris ». Tout semble couler de source ; la scansion des séquences (écrit/improvisé/ostinato de cellules simples/polyphonies savantes….) conduit chaque pièce à son terme dans un mélange d’évidence et de surprise. Les solistes ont la part belle et s’en montrent dignes au-delà de tout éloge, et l’ensemble se déploie sous l’égide du batteur dans le rôle de Maître du temps . Bref ce nouveau programme (et tout spécialement sa concrétisation lors de ce concert du Festival Banlieues Bleues) est une totale réussite. Réussite confirmée par le cd qui sera publié fin avril avec l’appui de Musique Française d’Aujourd’hui (« Europa Berlin », ONJazz/L’autre distribution).

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Double affiche le 31 mars 2015 aux Banlieues bleues avec un programme emprunté aux big bands européens des années swing et l’éclectisme classieux de la chanteuse Cécile McLorin Salvant, puis soirée doublement berlinoise le 2 avril avec les reprises des chansons berlinoises de David Bowie par Dylan Howe et les partitions d’“Europa-Berlin”  par l’ONJ. Xavier Prévost y était… 

 

 

Festival Banlieues Bleues, Théâtre 9, Le Blanc-Mesnil (93), le 31 mars 2015.

 

Umlaut Big Band : Pierre-Antoine Badaroux, Benjamin Dousteyssier, Antonin-Tri Hoang, Hugues Mayot, Geoffroy Gesser (saxophones & clarinettes), Louis Laurain, Brice Pichard, Emil Stranberg (trompettes), Michaël Ballue, Fidel Fourneyron (trombones), Romain Vuillemin (guitare), Bruno Ruder (piano), Thibaud Soulas (contrebasse) & Élie Duris (batterie).

 

Cécile McLorin Salvant invite Vincent Peirani : Cécile McLorin Salvant (voix), Aaron Diehl (piano), Paul Sikivie (contrebasse), Lawrence Leathers (batterie) ; invité Vincent Peirani (accordéon).

 

   Séquano-Dionysien d’assez longue date (quinze ans bientôt que j’habite le 9-3), il me fallut un certain temps pour trouver le « Théâtre 9 » : il m’était familier sous son ancienne appellation de « Forum culturel », mais manifestement la Ville du Blanc-Mesnil n’a guère fait de zèle pour inscrire cette nouvelle appellation, pourtant revendiquée, sur la signalétique urbaine, ni même sur la façade de cette belle institution. Mais rassurez-vous, ce petit désagrément n’a pu compromettre une première escale qui fut enchanteresse…. 

 

   La soirée commençait avec l’Umlaut Big Band, improbable phalange de jeunes gens connus pour la plupart en raison de leur pratique du jazz contemporain (on retrouvera deux d’entre eux 48 heures plus tard au sein de l’O.N.J. d’Olivier Benoit), et qui se retrouvent dans cet orchestre pour célébrer la Swing Era. J’avais eu l’occasion à la fin de l’été dernier de les entendre dans une impeccable évocation des arrangements de Don Redman, et cette fois leur directeur musical, Pierre-Antoine Badaroux, a choisi d’explorer les compositions et arrangements de la Vieille Europe à l’époque du swing. Pour ce faire il a exhumé des partitions de Russie, d’Espagne ou de Tchécoslovaquie, totalement inconnues de votre serviteur qui, dans sa mémoire d’amateur déjà chenu, reconnaissait cependant dans les auteurs et/ou arrangeurs du programme les noms assez familiers du pianiste anglais Jack Hylton, du saxophoniste belge Fut Candrix ou du tromboniste lyonnais devenue californien Léo Vauchant. Il y eut aussi un Tiger Rag survolté arrangé par un orchestrateur allemand des années 30 qui valait son pesant d’adrénaline. Et la classe de danse du Conservatoire Érik Satie du Blanc-Mesnil vint le temps d’un morceau rappeler que la vocation de cet orchestre, c’est d’abord de faire danser, en animant des bals swing qui se tiennent au Chinois à Montreuil, au Pan Piper à Paris, ou ailleurs. Reste que, par la qualité de ses exécutions et la verve de ses solistes, l’orchestre mérite d’être écouté pour lui-même. Le public du festival sut y reconnaître, en manifestant son enthousiasme, l’actualité d’un répertoire toujours vivant, pourvu que l’on en respecte l’esprit autant que la lettre, mais en toute liberté !

 

   L’arrivé sur scène de Cécile McLorin Salvant devait susciter un nouvel enthousiasme : détaillant chaque nuance de I didn’t know what time it was, elle place d’emblée la barre très haut, en musicienne superlative qui n’oublie jamais qu’une chanson s’interprète, qu’elle est le lieu d’un théâtre musical où l’émotion ne se marchande pas. Sa voix offre une   palette qui semble illimitée, dans l’expression comme dans la maîtrise des intervalles et des registres. Comme Sarah Vaughan, elle sait jouer des profondeurs du bas médium et des envolées du soprano, de la gravité de ton ou de l’exquise séduction d’une voix mutine,  avec une aisance confondante, là où d’autres nous infligeraient des  transitions laborieuses ou des vulgarités involontaires. Impeccablement accompagnée par un trio qui met en valeur chaque inflexion, chaque nuance, Cécile sait aussi offrir à ses partenaires des espaces de liberté dont ils profitent largement : ainsi dans le thème conclusif, Something’s coming, emprunté au début de West Side Story, dont la chanteuse, et le trio, donnent une version survoltée. Et l’extraordinaire talent d’interprète de la chanteuse s’illustre en cours de concert sous un autre jour : en duo avec l’accordéoniste Vincent Peirani, elle chante une chanson de Barbara, mais aussi J’ai le cafard, naguère immortalisé par Frehel, dont elle donne une version très personnelle, et totalement bouleversante. Vincent Peirani l’accompagne avec une intensité respectueuse, comme on le ferait d’un lied de Schubert, et la communion des interprètes est totale, au point qu’à l’instant les mots me manquent pour le dire : Cécile McLorin Salvant a décidément un talent qui tutoie le sublime !

 

Festival Banlieues Bleues, Espace Paul Éluard, Stains (93), le 2 avril 2015.

 

Dylan Howe « Sunterranean – New Designs on Bowie’s Berlin » : Dylan Howe (batterie), James Allsopp (saxophone ténor), Ross Stanley (piano), Steve Lodder (synthétiseur) & Percy Pursglove (contrebasse).

 

Orchestre National de Jazz « Europa Berlin » : Olivier Benoit (direction artistique, guitare, composition), Jean-Brice Godet (clarinette, clarinette basse), Alexandra Grimal (saxophone ténor) , Hugues Mayot (saxophone alto),  Patrice Martinez (trompette), Fidel Fourneyron (trombone), Théo Ceccaldi (violon), Sophie Agnel (piano), Paul Brousseau (piano électrique, synthétiseur), Sylvain Daniel (guitare basse) & Éric  Échampard (batterie).

 

   L’idée est belle, et pertinente : associer dans une même soirée deux évocations de Berlin. Le batteur Bryan Howe le fait au travers du répertoire des albums berlinois de David Bowie et Brian Eno (« Low », Hero
es »….) ; et l’O.N.J. dans le cadre d’une tétralogie des grandes villes européennes, projet en cours qui commençait avec Paris et se poursuivra dans les deux années à venir (prochaine étape : Rome). Dans l’un et l’autre cas, le concert se déroule devant un écran où défilent des images du passé relativement proche (à l’Est, à l’Ouest). L’analogie s’interrompt là.

 

   Avec Dylan Howe, la musique est traitée dans des arrangements très convenus côté piano et synthétiseur. Et l’intérêt s’éveille seulement lors de quelques intéressants épisodes polyrythmiques du côté du batteur, et surtout par une certaine verve du saxophoniste (entendu naguère avec Django Bates ou Kenny Wheeler). Mais les soli des claviers regorgent de clichés !

 

   Côté O.N.J., l’affaire est tout autre . Dans des compositions où se croisent comme dans le précédent programme de multiples mémoires (musique de chambre contemporaine, jazz de stricte obédience, free jazz, musiques répétitives américaines -Steve Reich plus que Philip Glass ?-, rock progressif….) la cohérence est parfaite. Le déroulement temporel du concert est mieux maîtrisé que dans les premiers concerts du projet « Europa Paris ». Tout semble couler de source ; la scansion des séquences (écrit/improvisé/ostinato de cellules simples/polyphonies savantes….) conduit chaque pièce à son terme dans un mélange d’évidence et de surprise. Les solistes ont la part belle et s’en montrent dignes au-delà de tout éloge, et l’ensemble se déploie sous l’égide du batteur dans le rôle de Maître du temps . Bref ce nouveau programme (et tout spécialement sa concrétisation lors de ce concert du Festival Banlieues Bleues) est une totale réussite. Réussite confirmée par le cd qui sera publié fin avril avec l’appui de Musique Française d’Aujourd’hui (« Europa Berlin », ONJazz/L’autre distribution).

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Double affiche le 31 mars 2015 aux Banlieues bleues avec un programme emprunté aux big bands européens des années swing et l’éclectisme classieux de la chanteuse Cécile McLorin Salvant, puis soirée doublement berlinoise le 2 avril avec les reprises des chansons berlinoises de David Bowie par Dylan Howe et les partitions d’“Europa-Berlin”  par l’ONJ. Xavier Prévost y était… 

 

 

Festival Banlieues Bleues, Théâtre 9, Le Blanc-Mesnil (93), le 31 mars 2015.

 

Umlaut Big Band : Pierre-Antoine Badaroux, Benjamin Dousteyssier, Antonin-Tri Hoang, Hugues Mayot, Geoffroy Gesser (saxophones & clarinettes), Louis Laurain, Brice Pichard, Emil Stranberg (trompettes), Michaël Ballue, Fidel Fourneyron (trombones), Romain Vuillemin (guitare), Bruno Ruder (piano), Thibaud Soulas (contrebasse) & Élie Duris (batterie).

 

Cécile McLorin Salvant invite Vincent Peirani : Cécile McLorin Salvant (voix), Aaron Diehl (piano), Paul Sikivie (contrebasse), Lawrence Leathers (batterie) ; invité Vincent Peirani (accordéon).

 

   Séquano-Dionysien d’assez longue date (quinze ans bientôt que j’habite le 9-3), il me fallut un certain temps pour trouver le « Théâtre 9 » : il m’était familier sous son ancienne appellation de « Forum culturel », mais manifestement la Ville du Blanc-Mesnil n’a guère fait de zèle pour inscrire cette nouvelle appellation, pourtant revendiquée, sur la signalétique urbaine, ni même sur la façade de cette belle institution. Mais rassurez-vous, ce petit désagrément n’a pu compromettre une première escale qui fut enchanteresse…. 

 

   La soirée commençait avec l’Umlaut Big Band, improbable phalange de jeunes gens connus pour la plupart en raison de leur pratique du jazz contemporain (on retrouvera deux d’entre eux 48 heures plus tard au sein de l’O.N.J. d’Olivier Benoit), et qui se retrouvent dans cet orchestre pour célébrer la Swing Era. J’avais eu l’occasion à la fin de l’été dernier de les entendre dans une impeccable évocation des arrangements de Don Redman, et cette fois leur directeur musical, Pierre-Antoine Badaroux, a choisi d’explorer les compositions et arrangements de la Vieille Europe à l’époque du swing. Pour ce faire il a exhumé des partitions de Russie, d’Espagne ou de Tchécoslovaquie, totalement inconnues de votre serviteur qui, dans sa mémoire d’amateur déjà chenu, reconnaissait cependant dans les auteurs et/ou arrangeurs du programme les noms assez familiers du pianiste anglais Jack Hylton, du saxophoniste belge Fut Candrix ou du tromboniste lyonnais devenue californien Léo Vauchant. Il y eut aussi un Tiger Rag survolté arrangé par un orchestrateur allemand des années 30 qui valait son pesant d’adrénaline. Et la classe de danse du Conservatoire Érik Satie du Blanc-Mesnil vint le temps d’un morceau rappeler que la vocation de cet orchestre, c’est d’abord de faire danser, en animant des bals swing qui se tiennent au Chinois à Montreuil, au Pan Piper à Paris, ou ailleurs. Reste que, par la qualité de ses exécutions et la verve de ses solistes, l’orchestre mérite d’être écouté pour lui-même. Le public du festival sut y reconnaître, en manifestant son enthousiasme, l’actualité d’un répertoire toujours vivant, pourvu que l’on en respecte l’esprit autant que la lettre, mais en toute liberté !

 

   L’arrivé sur scène de Cécile McLorin Salvant devait susciter un nouvel enthousiasme : détaillant chaque nuance de I didn’t know what time it was, elle place d’emblée la barre très haut, en musicienne superlative qui n’oublie jamais qu’une chanson s’interprète, qu’elle est le lieu d’un théâtre musical où l’émotion ne se marchande pas. Sa voix offre une   palette qui semble illimitée, dans l’expression comme dans la maîtrise des intervalles et des registres. Comme Sarah Vaughan, elle sait jouer des profondeurs du bas médium et des envolées du soprano, de la gravité de ton ou de l’exquise séduction d’une voix mutine,  avec une aisance confondante, là où d’autres nous infligeraient des  transitions laborieuses ou des vulgarités involontaires. Impeccablement accompagnée par un trio qui met en valeur chaque inflexion, chaque nuance, Cécile sait aussi offrir à ses partenaires des espaces de liberté dont ils profitent largement : ainsi dans le thème conclusif, Something’s coming, emprunté au début de West Side Story, dont la chanteuse, et le trio, donnent une version survoltée. Et l’extraordinaire talent d’interprète de la chanteuse s’illustre en cours de concert sous un autre jour : en duo avec l’accordéoniste Vincent Peirani, elle chante une chanson de Barbara, mais aussi J’ai le cafard, naguère immortalisé par Frehel, dont elle donne une version très personnelle, et totalement bouleversante. Vincent Peirani l’accompagne avec une intensité respectueuse, comme on le ferait d’un lied de Schubert, et la communion des interprètes est totale, au point qu’à l’instant les mots me manquent pour le dire : Cécile McLorin Salvant a décidément un talent qui tutoie le sublime !

 

Festival Banlieues Bleues, Espace Paul Éluard, Stains (93), le 2 avril 2015.

 

Dylan Howe « Sunterranean – New Designs on Bowie’s Berlin » : Dylan Howe (batterie), James Allsopp (saxophone ténor), Ross Stanley (piano), Steve Lodder (synthétiseur) & Percy Pursglove (contrebasse).

 

Orchestre National de Jazz « Europa Berlin » : Olivier Benoit (direction artistique, guitare, composition), Jean-Brice Godet (clarinette, clarinette basse), Alexandra Grimal (saxophone ténor) , Hugues Mayot (saxophone alto),  Patrice Martinez (trompette), Fidel Fourneyron (trombone), Théo Ceccaldi (violon), Sophie Agnel (piano), Paul Brousseau (piano électrique, synthétiseur), Sylvain Daniel (guitare basse) & Éric  Échampard (batterie).

 

   L’idée est belle, et pertinente : associer dans une même soirée deux évocations de Berlin. Le batteur Bryan Howe le fait au travers du répertoire des albums berlinois de David Bowie et Brian Eno (« Low », Hero
es »….) ; et l’O.N.J. dans le cadre d’une tétralogie des grandes villes européennes, projet en cours qui commençait avec Paris et se poursuivra dans les deux années à venir (prochaine étape : Rome). Dans l’un et l’autre cas, le concert se déroule devant un écran où défilent des images du passé relativement proche (à l’Est, à l’Ouest). L’analogie s’interrompt là.

 

   Avec Dylan Howe, la musique est traitée dans des arrangements très convenus côté piano et synthétiseur. Et l’intérêt s’éveille seulement lors de quelques intéressants épisodes polyrythmiques du côté du batteur, et surtout par une certaine verve du saxophoniste (entendu naguère avec Django Bates ou Kenny Wheeler). Mais les soli des claviers regorgent de clichés !

 

   Côté O.N.J., l’affaire est tout autre . Dans des compositions où se croisent comme dans le précédent programme de multiples mémoires (musique de chambre contemporaine, jazz de stricte obédience, free jazz, musiques répétitives américaines -Steve Reich plus que Philip Glass ?-, rock progressif….) la cohérence est parfaite. Le déroulement temporel du concert est mieux maîtrisé que dans les premiers concerts du projet « Europa Paris ». Tout semble couler de source ; la scansion des séquences (écrit/improvisé/ostinato de cellules simples/polyphonies savantes….) conduit chaque pièce à son terme dans un mélange d’évidence et de surprise. Les solistes ont la part belle et s’en montrent dignes au-delà de tout éloge, et l’ensemble se déploie sous l’égide du batteur dans le rôle de Maître du temps . Bref ce nouveau programme (et tout spécialement sa concrétisation lors de ce concert du Festival Banlieues Bleues) est une totale réussite. Réussite confirmée par le cd qui sera publié fin avril avec l’appui de Musique Française d’Aujourd’hui (« Europa Berlin », ONJazz/L’autre distribution).

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Double affiche le 31 mars 2015 aux Banlieues bleues avec un programme emprunté aux big bands européens des années swing et l’éclectisme classieux de la chanteuse Cécile McLorin Salvant, puis soirée doublement berlinoise le 2 avril avec les reprises des chansons berlinoises de David Bowie par Dylan Howe et les partitions d’“Europa-Berlin”  par l’ONJ. Xavier Prévost y était… 

 

 

Festival Banlieues Bleues, Théâtre 9, Le Blanc-Mesnil (93), le 31 mars 2015.

 

Umlaut Big Band : Pierre-Antoine Badaroux, Benjamin Dousteyssier, Antonin-Tri Hoang, Hugues Mayot, Geoffroy Gesser (saxophones & clarinettes), Louis Laurain, Brice Pichard, Emil Stranberg (trompettes), Michaël Ballue, Fidel Fourneyron (trombones), Romain Vuillemin (guitare), Bruno Ruder (piano), Thibaud Soulas (contrebasse) & Élie Duris (batterie).

 

Cécile McLorin Salvant invite Vincent Peirani : Cécile McLorin Salvant (voix), Aaron Diehl (piano), Paul Sikivie (contrebasse), Lawrence Leathers (batterie) ; invité Vincent Peirani (accordéon).

 

   Séquano-Dionysien d’assez longue date (quinze ans bientôt que j’habite le 9-3), il me fallut un certain temps pour trouver le « Théâtre 9 » : il m’était familier sous son ancienne appellation de « Forum culturel », mais manifestement la Ville du Blanc-Mesnil n’a guère fait de zèle pour inscrire cette nouvelle appellation, pourtant revendiquée, sur la signalétique urbaine, ni même sur la façade de cette belle institution. Mais rassurez-vous, ce petit désagrément n’a pu compromettre une première escale qui fut enchanteresse…. 

 

   La soirée commençait avec l’Umlaut Big Band, improbable phalange de jeunes gens connus pour la plupart en raison de leur pratique du jazz contemporain (on retrouvera deux d’entre eux 48 heures plus tard au sein de l’O.N.J. d’Olivier Benoit), et qui se retrouvent dans cet orchestre pour célébrer la Swing Era. J’avais eu l’occasion à la fin de l’été dernier de les entendre dans une impeccable évocation des arrangements de Don Redman, et cette fois leur directeur musical, Pierre-Antoine Badaroux, a choisi d’explorer les compositions et arrangements de la Vieille Europe à l’époque du swing. Pour ce faire il a exhumé des partitions de Russie, d’Espagne ou de Tchécoslovaquie, totalement inconnues de votre serviteur qui, dans sa mémoire d’amateur déjà chenu, reconnaissait cependant dans les auteurs et/ou arrangeurs du programme les noms assez familiers du pianiste anglais Jack Hylton, du saxophoniste belge Fut Candrix ou du tromboniste lyonnais devenue californien Léo Vauchant. Il y eut aussi un Tiger Rag survolté arrangé par un orchestrateur allemand des années 30 qui valait son pesant d’adrénaline. Et la classe de danse du Conservatoire Érik Satie du Blanc-Mesnil vint le temps d’un morceau rappeler que la vocation de cet orchestre, c’est d’abord de faire danser, en animant des bals swing qui se tiennent au Chinois à Montreuil, au Pan Piper à Paris, ou ailleurs. Reste que, par la qualité de ses exécutions et la verve de ses solistes, l’orchestre mérite d’être écouté pour lui-même. Le public du festival sut y reconnaître, en manifestant son enthousiasme, l’actualité d’un répertoire toujours vivant, pourvu que l’on en respecte l’esprit autant que la lettre, mais en toute liberté !

 

   L’arrivé sur scène de Cécile McLorin Salvant devait susciter un nouvel enthousiasme : détaillant chaque nuance de I didn’t know what time it was, elle place d’emblée la barre très haut, en musicienne superlative qui n’oublie jamais qu’une chanson s’interprète, qu’elle est le lieu d’un théâtre musical où l’émotion ne se marchande pas. Sa voix offre une   palette qui semble illimitée, dans l’expression comme dans la maîtrise des intervalles et des registres. Comme Sarah Vaughan, elle sait jouer des profondeurs du bas médium et des envolées du soprano, de la gravité de ton ou de l’exquise séduction d’une voix mutine,  avec une aisance confondante, là où d’autres nous infligeraient des  transitions laborieuses ou des vulgarités involontaires. Impeccablement accompagnée par un trio qui met en valeur chaque inflexion, chaque nuance, Cécile sait aussi offrir à ses partenaires des espaces de liberté dont ils profitent largement : ainsi dans le thème conclusif, Something’s coming, emprunté au début de West Side Story, dont la chanteuse, et le trio, donnent une version survoltée. Et l’extraordinaire talent d’interprète de la chanteuse s’illustre en cours de concert sous un autre jour : en duo avec l’accordéoniste Vincent Peirani, elle chante une chanson de Barbara, mais aussi J’ai le cafard, naguère immortalisé par Frehel, dont elle donne une version très personnelle, et totalement bouleversante. Vincent Peirani l’accompagne avec une intensité respectueuse, comme on le ferait d’un lied de Schubert, et la communion des interprètes est totale, au point qu’à l’instant les mots me manquent pour le dire : Cécile McLorin Salvant a décidément un talent qui tutoie le sublime !

 

Festival Banlieues Bleues, Espace Paul Éluard, Stains (93), le 2 avril 2015.

 

Dylan Howe « Sunterranean – New Designs on Bowie’s Berlin » : Dylan Howe (batterie), James Allsopp (saxophone ténor), Ross Stanley (piano), Steve Lodder (synthétiseur) & Percy Pursglove (contrebasse).

 

Orchestre National de Jazz « Europa Berlin » : Olivier Benoit (direction artistique, guitare, composition), Jean-Brice Godet (clarinette, clarinette basse), Alexandra Grimal (saxophone ténor) , Hugues Mayot (saxophone alto),  Patrice Martinez (trompette), Fidel Fourneyron (trombone), Théo Ceccaldi (violon), Sophie Agnel (piano), Paul Brousseau (piano électrique, synthétiseur), Sylvain Daniel (guitare basse) & Éric  Échampard (batterie).

 

   L’idée est belle, et pertinente : associer dans une même soirée deux évocations de Berlin. Le batteur Bryan Howe le fait au travers du répertoire des albums berlinois de David Bowie et Brian Eno (« Low », Hero
es »….) ; et l’O.N.J. dans le cadre d’une tétralogie des grandes villes européennes, projet en cours qui commençait avec Paris et se poursuivra dans les deux années à venir (prochaine étape : Rome). Dans l’un et l’autre cas, le concert se déroule devant un écran où défilent des images du passé relativement proche (à l’Est, à l’Ouest). L’analogie s’interrompt là.

 

   Avec Dylan Howe, la musique est traitée dans des arrangements très convenus côté piano et synthétiseur. Et l’intérêt s’éveille seulement lors de quelques intéressants épisodes polyrythmiques du côté du batteur, et surtout par une certaine verve du saxophoniste (entendu naguère avec Django Bates ou Kenny Wheeler). Mais les soli des claviers regorgent de clichés !

 

   Côté O.N.J., l’affaire est tout autre . Dans des compositions où se croisent comme dans le précédent programme de multiples mémoires (musique de chambre contemporaine, jazz de stricte obédience, free jazz, musiques répétitives américaines -Steve Reich plus que Philip Glass ?-, rock progressif….) la cohérence est parfaite. Le déroulement temporel du concert est mieux maîtrisé que dans les premiers concerts du projet « Europa Paris ». Tout semble couler de source ; la scansion des séquences (écrit/improvisé/ostinato de cellules simples/polyphonies savantes….) conduit chaque pièce à son terme dans un mélange d’évidence et de surprise. Les solistes ont la part belle et s’en montrent dignes au-delà de tout éloge, et l’ensemble se déploie sous l’égide du batteur dans le rôle de Maître du temps . Bref ce nouveau programme (et tout spécialement sa concrétisation lors de ce concert du Festival Banlieues Bleues) est une totale réussite. Réussite confirmée par le cd qui sera publié fin avril avec l’appui de Musique Française d’Aujourd’hui (« Europa Berlin », ONJazz/L’autre distribution).