Jazz live
Publié le 1 Nov 2025

BFG, retrouvailles au Triton

Silencieux depuis dix ans, le trio d’Emmanuel Bex, Glenn Ferris et Simon Goubert s’est reconstitué au Triton et a retrouvé son public commun.

Salle comble. Jean-Pierre Vivante dit quelques mots du lieu, et de la réduction de sa surface pendant l’été (la deuxième salle du Triton fermée, la salle de restaurant et la cuisine réduite de moitié). Mais la partie n’est pas encore perdue, après une victoire en première instance, une défaite en appel, Le Triton se pourvoit en cassation. À suivre et on croise le lieux. Puis le patron des lieux présente le BFG (entendez Bex Ferris Goubert), évoque un dernier concert il y a dix ans au même endroit un jour d’Halloween et proclame leurs retrouvailles pour cet Halloween 2025, dans leurs déguisements d’Halloween 2015 retrouvés.

Cette histoire de déguisement est trop jolie pour en douter quoiqu’il n’y ait guère qu’un demi-soupçon d’Halloween ce soir sur scène, réduit à la chemise de Simon Goubert,noire griffée de rouge, mais il s’agit bien de retrouvailles d’une décennie, et nos trois hommes jubilent de retrouver leur répertoire intact, avec cette espèce d’embellie dont la mémoire habille le souvenir, avec cette bonification que connaissent les grandes cuvées, et d’autres choses encore.

L’orgue désormais électronique d’Emmanuel Bex ne s’est pas départi du tintamarre électro-mécanique du Hammond B3 et, s’il l’a enrichi de ce que le numérique autorise, ce n’est pas de ces sonorités sorties d’usine ou de quelque bibliothèque de sons reader digest, mais de son coucou-fantôme imaginaire, tels ces horipeaux de sorcière que l’on tire d’une mâle de grenier et que l’on rapièce à la hâte avec une vieille Singer à pédale. Il a même une volière dont il libère le ramage le temps d’un hommage à Babik Reinhardt qu’il fréquenta en toute amitié avec Simon Goubert. Il y aura aussi un hommage à Maurice Cullaz, ce vieux Maurice qui hantait clubs, coulisses et couloirs du jazz en trottinant accompagné d’une nuée d’histoires de jazz.

Glenn Ferris coulisse son trombone avec cette vigoureuse virtuosité qui renvoie aux trompes mingusiennes et le naturel de ses fanfares me renvoie à la page 438 de la formidable biographie de Sonny Rollins par Aidan Levy Saxophone Colossus où j’étais plongé une petite heure auparavant sur la ligne 11 du métro. Alors qu’approchait la station Mairie des Lilas, ma destination, j’y lisais qu’à l’automne 1964, Grachan Moncur III engagé au Plugged Nickel de Chicago se voit refuser par Sonny Rollins toute information harmonique concernant le répertoire, parce que, lui dit le saxophoniste « I like the way you play when you don’t know the changes. » Et le hasard voudra, comme en résonance à cette lecture, que Simon annonce The Coaster du même Grachan Moncur III, aussitôt entonné par Glenn.

Ils tireront encore, à l’aveuglette, leurs vieilles reprises et leurs vieux originaux de leur besace et lorsque leur sera présentée la feuille Sacem en leur précisant qu’il faut y inscrire les titres dans l’ordre où ils ont été joués, ils se regarderont déconcertés, puis éclateront de rire, bien incapable de se souvenir même des morceaux qu’ils ont joué ou pas.

Simon Goubert est alors en train de ranger – comme un enfant ses jouets le soir de Noël – ses nouveaux fûts de la série Équinoxe qu’il a contribué à concevoir pour le jazz chez Asba (quatre toms, une caisse claire, une grosse caisse, plus ses fameuses quatre cymbales dont deux perchées très haut où il va tutoyer l’éclair et la foudre). De ces fûts, il en a tiré un hommage solo à Pharoah Sanders, lumineux, lyrique, sans timbre sur la caisse claire pour mettre en valeur la clarté de ces peaux nouvelles telles qu’elles sont tendues sur leurs cercles et accordées toujours très précisément par lui. Des peaux qui chantent, et soudain, en plein solo, il lâche « et aussi un hommage à Jack DeJohnette »… Est-ce à l’intention du défunt qu’il fait entrer soudain la “charlé” ? Puis enfin, il timbre la caisse claire comme pour inviter Glenn et Emmanuel à le rejoindre.

Après le concert, le bar du Triton, semble plus réduit qu’il ne l’est réellement, plein comme un œuf, d’histoires, d’amitiés, d’humanité, de rêves et de ces utopies dont le présent nous prive tant. Parmi les trainards, Jean-Philippe Viret dont le trio (Édouard Ferlet et Fabrice Moreau) recevra Nancy Huston pour leur programme “Le Mâle entendu” où l’écrivaine a tissé leurs expériences et leurs voix d’hommes aux siennes (au Triton le 6 novembre); Christophe Marguet qui dévoilera le répertoire “Island” de son quartette (Régis Huby, Manu Codjia, Hélène Labarrière (au Triton le 7 novembre). Franck Bergerot