Jazz live
Publié le 5 Nov 2022

Chroniques de Jammin’ Juan #3 : une fin au sommet

Troisième et dernier jours des aventures de l’envoyé spécial de Jazz Magazine à Jammin’ Juan 2022, l’une des plus intenses, où à côté de sensations étrangères s’est illustré la relève du jazz français.

Parenthèse patrimoniale avec le trompettiste espagnol Ernesto Montenegro dont le quintette européen a proposé un jazz d’inspiration classique renvoyant à tout un pan de la tradition du jazz, des prémices du bebop aux Jazz Messengers et jusqu’à Wayne Shorter. Leur maîtrise de ces langages prouve la sincérité de ces jeunes musiciens (mention spéciale au saxophoniste alto portugais Francisco Nascimento). Il n’y a pas d’âge pour aimer les classiques !

La relève est là (Triple Coup de Cœur!)

Les showcases de trois jeunes groupes parisiens étaient sur toutes les lèvres : chez les cinq musiciens de Daïda, presque totalement électrifié (à l’exception de la batterie du leader Vincent Tortiller) et totalement électrisant avec une fusion où rock, jazz et électro sont inextricablement liés et mariés de main de maître par une rythmique volcanique autant que contemplative et cinématographique (le contrebassiste Samuel F’Hima et le claviériste Auxane Cartigny) et des solistes en état de grâce, le trompettiste Arno de Casanove et le guitariste Antonin Fresson, particulièrement en verve. L’un des showcases les plus extrêmes et aussi l’un des plus captivants de cette 5ème édition de Jammin’ Juan.

Le monde de Monsieur Mâlâ est voisin du leur mais bien distinct : là où Daïda nous avait cloué à notre siège, l’univers de ces cinq-là, plus afro-caribeen que vraiment rock, se prête aussi facilement à une évasion rêveuse qu’à danse. Impossible de résister au combo que forme le bassiste Swaéli MBappé avec le batteur Yoann Danier, ni à la frontline animée par le violoniste Robin Antunes et le saxophoniste et clarinettiste Balthazar Naturel, le claviériste Nicholas Vella faisant le lien. Retenez leurs noms, parce que ceux-là n’ont pas fini de faire parler d’eux, et rendez-vous au Sunset à Paris, le 11 novembre, pour prolonger ce concert trop court (format “showcase” oblige) et fêter la sortie de leur premier disque !

Tout le monde attendait aussi d’écouter Ishkero, le quintette parisien en pleine ascension qui a prouvé ce soir combien il avait encore fait de progrès. Un avant-goût terriblement enthousiasmant de leur prochain album à paraître début 2023 qui a montré que le groupe avait trouvé son identité, sa propre fusion, fluide et éclatante, où les exploits individuels ne font que renforcer un collectif de premier ordre. On en reparle bientôt.

Trio de trios

Le pianiste Wajdi Riahi est tunisien d’origine mais installé à Bruxelles comme le reste de son trio, le bassiste Basile Rahola et le batteur Pierre Hurty. On entend d’abord chez lui des échos des grands trios modernes, comme celui de Brad Mehldau ou Esbjörn Svensson, mais aussi à leurs modèles. Les thèmes montrent les qualités d’écoute et de sens de l’espace du trio (Wajdi Rahi y prend même le micro pour chanter), mais c’est dans ses improvisations que le pianiste fait vraiment parler sa technique lyrique, tandis que la section rythmique prend des libertés plus grandes encore, ajoutant à son propos sans se contenter de le soutenir, tout en passant parfois au premier plan avec des chorus brûlants ou oniriques. Celui de Martin Salemi est sans cesse discursifs et le leader développe à l’intérieur d’une même couleur, plutôt mélancolique, une variété d’idées mélodiques avec le concours du contrebassiste Boris Schmidt et du batteur Daniel Jonkers. Le dernier trio de cette édition 2022, est celui d’un bassiste, Tal Gamlieli, et démarre avec une reprise de Lithium de Nirvana qui évoque forcément un peu The Bad Plus. La fourchette d’intensité va du murmure à l’explosion, la répartition très démocratique du temps de parole entre le pianiste Char Bar David et le batteur Amir Bar Akiva, tous deux aussi éloquents que le leader, empêche de s’ennuyer une seconde. Un concert très intense, plein de prises de risque individuelles comme collectives.

Derniers frissons

Le grand concert du soir, c’était celui du sextette Water Shapes du pianiste norvégien Espen Berg, récemment formé, qui frappe d’abord par sa composition, avec un batteur et un quasi-quatuor à cordes où une trompette remplace le premier violon. La formation se prête aussi bien aux grandes plages contemplatives, où l’intérêt réside dans les frottements créés par des cordes parfois “Maurice-Ravelliennes”, qu’à d’intenses développements sur tempos rapides donnant l’occasion au leader comme au trompettiste de laisser libre cours à leur imagination tout en se rejoignant sur des cadences aux accents épiques. Un concert qui se vit un peu comme un film sans images.

Plus tard (très tard, même) ce soir-là, une bonne partie de tout ce monde s’est retrouvé une pour jam d’anthologie, à 2 pas du palais des congrès. Rencontres au sommet (Ishkero, Daïda et Monsieur Mâlâ ne faisaient plus qu’un), musiciens surprises (spéciale dédicace à Vincent T.), ce fut un grand moment. Chers organisateurs, c’est quelque chose qu’il faut absolument généraliser aux prochaines éditions !

Photo : Le trio du contrebassiste Tal Gamlieli (au centre). © X/DR