Jazz live
Publié le 6 Oct 2012

Ciné-concert au Balzac: l'Inhumaine par Aidje Tafial, Vincent Peirani et Guillaume Latil

C’était il y a déjà quelques jours, le cinéma Le Balzac ouvrait sa saison de ciné-concerts avec L’Inhumaine de Marcel L’Herbier (1923-1924) sur une musique composée par le batteur Aidje Tafial et interprétée par lui-même, le violoncelliste Guillaume Latil et l’accordéoniste Vincent Peirani.

 

Cinéma Le Balzac, Paris (75), le 2 octbre 2012.

Ciné-concert autour du film de Marcel L’Herbier L’Inhumaine (1923-1924) : Aidje Tafial (composition, batterie), Guillaume Latil (violoncelle), Vincent Peirani (accordéon).


Sur un scénario de Pierre MacOrland, L’Inhumaine est un film stupéfiant dès les premières images de cette longue attente mondaine de l’héroïne, l’inhumaine cantatrice Claire Lesco (interpétée par Georgette Leblanc, elle-même cantatrice), dans ses salons par ses invités de tous pays et de tous poils, admirateurs, soupirants, requins des affaires, opportunistes et idéalistes désireux de l’attacher à leur cause. Le traitement de l’image et les effets comme les décors et le propos de science fiction relève de l’avant-garde de l’après-guerre et nous plonge dans ce double mouvement de fascination et de rejet inspiré par l’Amérique et le rythme de croissance économique et de progrès scientifique qu’il impose au monde, au prix de ce qui apparaissent déjà comme objet d’aliénation et auxquels on associe le rythme musical de ses populations noires. Un orchestre de jazz apparaît d’ailleurs constamment tout au long de la première partie du film où l’attente initiale se prolonge d’une réception chez la cantatrice dans une architecture et une décoration illustrant le basculement du monde artistique dans le modernisme. On ne s’étonnera pas d’apprendre que la musique initiale de ce film évidemment muet avait été confiée à Darius Milhaud et l’on regrettera que sa partition ait été perdue.


Ce qui nous vaut cette musique composée par le batteur Aidje Tafial sur un modèle orchestral (accordéon, violoncelle et batterie) et un vocabulaire qui n’est pas sans évoquer le tango nuevo d’Astor Piazzolla. Il est toujours difficile de parler d’une musique de film, tant, si elle est bien conçue, elle s’efface derrière les images, mais j’ai le souvenir d’emprunts aux figures rythmiques de différentes musiques typiques (et pas seulement au tango), mais surtout d’une motricité qui fait battre le rythme du nouveau siècle de toute la première partie jusqu’au suicide présumé de l’autre héros du film, jeune savant, amoureux éconduit, qui, ressuscité, séduit « l’inhumaine », la ressuscite par la puissance des éléments physiques dont sa science l’a rendu maître. Comment la musique épouse-t-elle ensuite le désarroi de la cantatrice ébranlée par l’annonce du suicide de l’amant éconduit, la visite sidérante du laboratoire, le chahut provoqué par son récital au Théâtre des Champs-Élysées (objet d’un filmage et d’une montage éblouissant), l’agonie de la cantatrice et les images prodigieuses de l’expérience de sauvetage annonciatrice de Frankenstein ? Je ne saurais le dire, tant les images sont captivantes. Mais je retiens cette valse finale du dénouement comme si la science domptée par le savant et la rédemption de « l’Inhumaine » qui déclare son amour de l’humanité redonnait ses droits à la douceur de vivre du Paris éternel face à la sauvagerie venue d’Outre-Atlantique, alors qu’apparaît fugitivement, avant le défilement du générique, l’image, tout à la fois moderne et protectrice, d’une Tour Eiffel. Que faisait-elle là ? Je n’ai pas eu le temps de lire ce qui apparaissait écrit sur la même image mais, si j’en crois L’Histoire du cinéma français de Jean-Pierre Jeancolas, à l’époque du tournage de L’Inhumaine, Marcel L’Herbier avait déjà fondé « sa propre firme Cinégraphic, sous le signe de la Tour Eiffel (Eiffel pour F.L. Films). »


Voilà qui augure encore de belles heures de ciné-concerts au chaleureux et courageux cinéma Le Balzac. Le 18 octobre, Au Bonheur des dames de Julien Duvivier (1930) sera accompagné par Karol Beffa, pianiste classique, improvisateur à ses heures. Le 20 novembre, c’est le trio Sibiel proche du Surnatural Orchestre (le violoncelliste Jean-Philippe Feiss, le guitariste David Potaux-Razel et le contrebassiste Théo Girard) qui jouera pour la projection de Noces à Hardanger, de Rasmus Breistein (Norvège, 1926).


Franck Bergerot

 

PS: je me disais après-coup, en tournant une sauce tomage: « Aidje Tafial a-t-il seulement pensé à tout ça – la valse, la tour Eiffel, etc. – en écrivant sa musique? » De même que Guillaume de Chassy à qui j’avais recommandé la lecture de The Studio Recordings, Miles Davis Quintet, 1965-1968, me faisait remarquer récemment que Keith Waters y surinterprétait probablement les intentions des membre du quintette. De même encore que Sonny Rollins ironisa sur l’analyse de son Blue Seven dont Gunther Schuller tira le concept d’improvisation motivique. Mais après tout, quoiqu’en ait pensé Rollins sur le moment, les motifs de Blue Seven ils sont bien là. Miles Davis savait-il exactement ce qu’il faisait et ce qui allait en découler lorsqu’il demanda à John McLaughlin de faire comme s’il ne savait pas jouer dans In a Silent Way? Aidje Tafial n’avait peut-être pas les intentions que je lui prête lorsqu’il décida de terminer sa musique de film sur une valse. Mais le résultat est là, cette collision d’informations qui nous étreint et d’où surgit l’émotion.

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C’était il y a déjà quelques jours, le cinéma Le Balzac ouvrait sa saison de ciné-concerts avec L’Inhumaine de Marcel L’Herbier (1923-1924) sur une musique composée par le batteur Aidje Tafial et interprétée par lui-même, le violoncelliste Guillaume Latil et l’accordéoniste Vincent Peirani.

 

Cinéma Le Balzac, Paris (75), le 2 octbre 2012.

Ciné-concert autour du film de Marcel L’Herbier L’Inhumaine (1923-1924) : Aidje Tafial (composition, batterie), Guillaume Latil (violoncelle), Vincent Peirani (accordéon).


Sur un scénario de Pierre MacOrland, L’Inhumaine est un film stupéfiant dès les premières images de cette longue attente mondaine de l’héroïne, l’inhumaine cantatrice Claire Lesco (interpétée par Georgette Leblanc, elle-même cantatrice), dans ses salons par ses invités de tous pays et de tous poils, admirateurs, soupirants, requins des affaires, opportunistes et idéalistes désireux de l’attacher à leur cause. Le traitement de l’image et les effets comme les décors et le propos de science fiction relève de l’avant-garde de l’après-guerre et nous plonge dans ce double mouvement de fascination et de rejet inspiré par l’Amérique et le rythme de croissance économique et de progrès scientifique qu’il impose au monde, au prix de ce qui apparaissent déjà comme objet d’aliénation et auxquels on associe le rythme musical de ses populations noires. Un orchestre de jazz apparaît d’ailleurs constamment tout au long de la première partie du film où l’attente initiale se prolonge d’une réception chez la cantatrice dans une architecture et une décoration illustrant le basculement du monde artistique dans le modernisme. On ne s’étonnera pas d’apprendre que la musique initiale de ce film évidemment muet avait été confiée à Darius Milhaud et l’on regrettera que sa partition ait été perdue.


Ce qui nous vaut cette musique composée par le batteur Aidje Tafial sur un modèle orchestral (accordéon, violoncelle et batterie) et un vocabulaire qui n’est pas sans évoquer le tango nuevo d’Astor Piazzolla. Il est toujours difficile de parler d’une musique de film, tant, si elle est bien conçue, elle s’efface derrière les images, mais j’ai le souvenir d’emprunts aux figures rythmiques de différentes musiques typiques (et pas seulement au tango), mais surtout d’une motricité qui fait battre le rythme du nouveau siècle de toute la première partie jusqu’au suicide présumé de l’autre héros du film, jeune savant, amoureux éconduit, qui, ressuscité, séduit « l’inhumaine », la ressuscite par la puissance des éléments physiques dont sa science l’a rendu maître. Comment la musique épouse-t-elle ensuite le désarroi de la cantatrice ébranlée par l’annonce du suicide de l’amant éconduit, la visite sidérante du laboratoire, le chahut provoqué par son récital au Théâtre des Champs-Élysées (objet d’un filmage et d’une montage éblouissant), l’agonie de la cantatrice et les images prodigieuses de l’expérience de sauvetage annonciatrice de Frankenstein ? Je ne saurais le dire, tant les images sont captivantes. Mais je retiens cette valse finale du dénouement comme si la science domptée par le savant et la rédemption de « l’Inhumaine » qui déclare son amour de l’humanité redonnait ses droits à la douceur de vivre du Paris éternel face à la sauvagerie venue d’Outre-Atlantique, alors qu’apparaît fugitivement, avant le défilement du générique, l’image, tout à la fois moderne et protectrice, d’une Tour Eiffel. Que faisait-elle là ? Je n’ai pas eu le temps de lire ce qui apparaissait écrit sur la même image mais, si j’en crois L’Histoire du cinéma français de Jean-Pierre Jeancolas, à l’époque du tournage de L’Inhumaine, Marcel L’Herbier avait déjà fondé « sa propre firme Cinégraphic, sous le signe de la Tour Eiffel (Eiffel pour F.L. Films). »


Voilà qui augure encore de belles heures de ciné-concerts au chaleureux et courageux cinéma Le Balzac. Le 18 octobre, Au Bonheur des dames de Julien Duvivier (1930) sera accompagné par Karol Beffa, pianiste classique, improvisateur à ses heures. Le 20 novembre, c’est le trio Sibiel proche du Surnatural Orchestre (le violoncelliste Jean-Philippe Feiss, le guitariste David Potaux-Razel et le contrebassiste Théo Girard) qui jouera pour la projection de Noces à Hardanger, de Rasmus Breistein (Norvège, 1926).


Franck Bergerot

 

PS: je me disais après-coup, en tournant une sauce tomage: « Aidje Tafial a-t-il seulement pensé à tout ça – la valse, la tour Eiffel, etc. – en écrivant sa musique? » De même que Guillaume de Chassy à qui j’avais recommandé la lecture de The Studio Recordings, Miles Davis Quintet, 1965-1968, me faisait remarquer récemment que Keith Waters y surinterprétait probablement les intentions des membre du quintette. De même encore que Sonny Rollins ironisa sur l’analyse de son Blue Seven dont Gunther Schuller tira le concept d’improvisation motivique. Mais après tout, quoiqu’en ait pensé Rollins sur le moment, les motifs de Blue Seven ils sont bien là. Miles Davis savait-il exactement ce qu’il faisait et ce qui allait en découler lorsqu’il demanda à John McLaughlin de faire comme s’il ne savait pas jouer dans In a Silent Way? Aidje Tafial n’avait peut-être pas les intentions que je lui prête lorsqu’il décida de terminer sa musique de film sur une valse. Mais le résultat est là, cette collision d’informations qui nous étreint et d’où surgit l’émotion.

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C’était il y a déjà quelques jours, le cinéma Le Balzac ouvrait sa saison de ciné-concerts avec L’Inhumaine de Marcel L’Herbier (1923-1924) sur une musique composée par le batteur Aidje Tafial et interprétée par lui-même, le violoncelliste Guillaume Latil et l’accordéoniste Vincent Peirani.

 

Cinéma Le Balzac, Paris (75), le 2 octbre 2012.

Ciné-concert autour du film de Marcel L’Herbier L’Inhumaine (1923-1924) : Aidje Tafial (composition, batterie), Guillaume Latil (violoncelle), Vincent Peirani (accordéon).


Sur un scénario de Pierre MacOrland, L’Inhumaine est un film stupéfiant dès les premières images de cette longue attente mondaine de l’héroïne, l’inhumaine cantatrice Claire Lesco (interpétée par Georgette Leblanc, elle-même cantatrice), dans ses salons par ses invités de tous pays et de tous poils, admirateurs, soupirants, requins des affaires, opportunistes et idéalistes désireux de l’attacher à leur cause. Le traitement de l’image et les effets comme les décors et le propos de science fiction relève de l’avant-garde de l’après-guerre et nous plonge dans ce double mouvement de fascination et de rejet inspiré par l’Amérique et le rythme de croissance économique et de progrès scientifique qu’il impose au monde, au prix de ce qui apparaissent déjà comme objet d’aliénation et auxquels on associe le rythme musical de ses populations noires. Un orchestre de jazz apparaît d’ailleurs constamment tout au long de la première partie du film où l’attente initiale se prolonge d’une réception chez la cantatrice dans une architecture et une décoration illustrant le basculement du monde artistique dans le modernisme. On ne s’étonnera pas d’apprendre que la musique initiale de ce film évidemment muet avait été confiée à Darius Milhaud et l’on regrettera que sa partition ait été perdue.


Ce qui nous vaut cette musique composée par le batteur Aidje Tafial sur un modèle orchestral (accordéon, violoncelle et batterie) et un vocabulaire qui n’est pas sans évoquer le tango nuevo d’Astor Piazzolla. Il est toujours difficile de parler d’une musique de film, tant, si elle est bien conçue, elle s’efface derrière les images, mais j’ai le souvenir d’emprunts aux figures rythmiques de différentes musiques typiques (et pas seulement au tango), mais surtout d’une motricité qui fait battre le rythme du nouveau siècle de toute la première partie jusqu’au suicide présumé de l’autre héros du film, jeune savant, amoureux éconduit, qui, ressuscité, séduit « l’inhumaine », la ressuscite par la puissance des éléments physiques dont sa science l’a rendu maître. Comment la musique épouse-t-elle ensuite le désarroi de la cantatrice ébranlée par l’annonce du suicide de l’amant éconduit, la visite sidérante du laboratoire, le chahut provoqué par son récital au Théâtre des Champs-Élysées (objet d’un filmage et d’une montage éblouissant), l’agonie de la cantatrice et les images prodigieuses de l’expérience de sauvetage annonciatrice de Frankenstein ? Je ne saurais le dire, tant les images sont captivantes. Mais je retiens cette valse finale du dénouement comme si la science domptée par le savant et la rédemption de « l’Inhumaine » qui déclare son amour de l’humanité redonnait ses droits à la douceur de vivre du Paris éternel face à la sauvagerie venue d’Outre-Atlantique, alors qu’apparaît fugitivement, avant le défilement du générique, l’image, tout à la fois moderne et protectrice, d’une Tour Eiffel. Que faisait-elle là ? Je n’ai pas eu le temps de lire ce qui apparaissait écrit sur la même image mais, si j’en crois L’Histoire du cinéma français de Jean-Pierre Jeancolas, à l’époque du tournage de L’Inhumaine, Marcel L’Herbier avait déjà fondé « sa propre firme Cinégraphic, sous le signe de la Tour Eiffel (Eiffel pour F.L. Films). »


Voilà qui augure encore de belles heures de ciné-concerts au chaleureux et courageux cinéma Le Balzac. Le 18 octobre, Au Bonheur des dames de Julien Duvivier (1930) sera accompagné par Karol Beffa, pianiste classique, improvisateur à ses heures. Le 20 novembre, c’est le trio Sibiel proche du Surnatural Orchestre (le violoncelliste Jean-Philippe Feiss, le guitariste David Potaux-Razel et le contrebassiste Théo Girard) qui jouera pour la projection de Noces à Hardanger, de Rasmus Breistein (Norvège, 1926).


Franck Bergerot

 

PS: je me disais après-coup, en tournant une sauce tomage: « Aidje Tafial a-t-il seulement pensé à tout ça – la valse, la tour Eiffel, etc. – en écrivant sa musique? » De même que Guillaume de Chassy à qui j’avais recommandé la lecture de The Studio Recordings, Miles Davis Quintet, 1965-1968, me faisait remarquer récemment que Keith Waters y surinterprétait probablement les intentions des membre du quintette. De même encore que Sonny Rollins ironisa sur l’analyse de son Blue Seven dont Gunther Schuller tira le concept d’improvisation motivique. Mais après tout, quoiqu’en ait pensé Rollins sur le moment, les motifs de Blue Seven ils sont bien là. Miles Davis savait-il exactement ce qu’il faisait et ce qui allait en découler lorsqu’il demanda à John McLaughlin de faire comme s’il ne savait pas jouer dans In a Silent Way? Aidje Tafial n’avait peut-être pas les intentions que je lui prête lorsqu’il décida de terminer sa musique de film sur une valse. Mais le résultat est là, cette collision d’informations qui nous étreint et d’où surgit l’émotion.

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C’était il y a déjà quelques jours, le cinéma Le Balzac ouvrait sa saison de ciné-concerts avec L’Inhumaine de Marcel L’Herbier (1923-1924) sur une musique composée par le batteur Aidje Tafial et interprétée par lui-même, le violoncelliste Guillaume Latil et l’accordéoniste Vincent Peirani.

 

Cinéma Le Balzac, Paris (75), le 2 octbre 2012.

Ciné-concert autour du film de Marcel L’Herbier L’Inhumaine (1923-1924) : Aidje Tafial (composition, batterie), Guillaume Latil (violoncelle), Vincent Peirani (accordéon).


Sur un scénario de Pierre MacOrland, L’Inhumaine est un film stupéfiant dès les premières images de cette longue attente mondaine de l’héroïne, l’inhumaine cantatrice Claire Lesco (interpétée par Georgette Leblanc, elle-même cantatrice), dans ses salons par ses invités de tous pays et de tous poils, admirateurs, soupirants, requins des affaires, opportunistes et idéalistes désireux de l’attacher à leur cause. Le traitement de l’image et les effets comme les décors et le propos de science fiction relève de l’avant-garde de l’après-guerre et nous plonge dans ce double mouvement de fascination et de rejet inspiré par l’Amérique et le rythme de croissance économique et de progrès scientifique qu’il impose au monde, au prix de ce qui apparaissent déjà comme objet d’aliénation et auxquels on associe le rythme musical de ses populations noires. Un orchestre de jazz apparaît d’ailleurs constamment tout au long de la première partie du film où l’attente initiale se prolonge d’une réception chez la cantatrice dans une architecture et une décoration illustrant le basculement du monde artistique dans le modernisme. On ne s’étonnera pas d’apprendre que la musique initiale de ce film évidemment muet avait été confiée à Darius Milhaud et l’on regrettera que sa partition ait été perdue.


Ce qui nous vaut cette musique composée par le batteur Aidje Tafial sur un modèle orchestral (accordéon, violoncelle et batterie) et un vocabulaire qui n’est pas sans évoquer le tango nuevo d’Astor Piazzolla. Il est toujours difficile de parler d’une musique de film, tant, si elle est bien conçue, elle s’efface derrière les images, mais j’ai le souvenir d’emprunts aux figures rythmiques de différentes musiques typiques (et pas seulement au tango), mais surtout d’une motricité qui fait battre le rythme du nouveau siècle de toute la première partie jusqu’au suicide présumé de l’autre héros du film, jeune savant, amoureux éconduit, qui, ressuscité, séduit « l’inhumaine », la ressuscite par la puissance des éléments physiques dont sa science l’a rendu maître. Comment la musique épouse-t-elle ensuite le désarroi de la cantatrice ébranlée par l’annonce du suicide de l’amant éconduit, la visite sidérante du laboratoire, le chahut provoqué par son récital au Théâtre des Champs-Élysées (objet d’un filmage et d’une montage éblouissant), l’agonie de la cantatrice et les images prodigieuses de l’expérience de sauvetage annonciatrice de Frankenstein ? Je ne saurais le dire, tant les images sont captivantes. Mais je retiens cette valse finale du dénouement comme si la science domptée par le savant et la rédemption de « l’Inhumaine » qui déclare son amour de l’humanité redonnait ses droits à la douceur de vivre du Paris éternel face à la sauvagerie venue d’Outre-Atlantique, alors qu’apparaît fugitivement, avant le défilement du générique, l’image, tout à la fois moderne et protectrice, d’une Tour Eiffel. Que faisait-elle là ? Je n’ai pas eu le temps de lire ce qui apparaissait écrit sur la même image mais, si j’en crois L’Histoire du cinéma français de Jean-Pierre Jeancolas, à l’époque du tournage de L’Inhumaine, Marcel L’Herbier avait déjà fondé « sa propre firme Cinégraphic, sous le signe de la Tour Eiffel (Eiffel pour F.L. Films). »


Voilà qui augure encore de belles heures de ciné-concerts au chaleureux et courageux cinéma Le Balzac. Le 18 octobre, Au Bonheur des dames de Julien Duvivier (1930) sera accompagné par Karol Beffa, pianiste classique, improvisateur à ses heures. Le 20 novembre, c’est le trio Sibiel proche du Surnatural Orchestre (le violoncelliste Jean-Philippe Feiss, le guitariste David Potaux-Razel et le contrebassiste Théo Girard) qui jouera pour la projection de Noces à Hardanger, de Rasmus Breistein (Norvège, 1926).


Franck Bergerot

 

PS: je me disais après-coup, en tournant une sauce tomage: « Aidje Tafial a-t-il seulement pensé à tout ça – la valse, la tour Eiffel, etc. – en écrivant sa musique? » De même que Guillaume de Chassy à qui j’avais recommandé la lecture de The Studio Recordings, Miles Davis Quintet, 1965-1968, me faisait remarquer récemment que Keith Waters y surinterprétait probablement les intentions des membre du quintette. De même encore que Sonny Rollins ironisa sur l’analyse de son Blue Seven dont Gunther Schuller tira le concept d’improvisation motivique. Mais après tout, quoiqu’en ait pensé Rollins sur le moment, les motifs de Blue Seven ils sont bien là. Miles Davis savait-il exactement ce qu’il faisait et ce qui allait en découler lorsqu’il demanda à John McLaughlin de faire comme s’il ne savait pas jouer dans In a Silent Way? Aidje Tafial n’avait peut-être pas les intentions que je lui prête lorsqu’il décida de terminer sa musique de film sur une valse. Mais le résultat est là, cette collision d’informations qui nous étreint et d’où surgit l’émotion.