Jazz live
Publié le 28 Nov 2013

Coryell et Marcus figures de proue sur le Rocher

Il s’avance vers le micro avec un air de vieux prof distrait, regard lointain sous des gros verres de myope, tignasse argentée en bataille, chemise blanche tirée par-dessus la ceinture sous un costard gris un peu froissé « Il y a dix minutes à peine je viens de recevoir un coup de fil. Mon premier chef d’orchestre, Chico Hamilton est mort la nuit dernière. Je voudrais lui dédier ce concert, et d’abord ce thème qui fait partie de l’histoire du jazz, Blue Monk » L’esprit de Larry Coryell à cette minute semble flotter ailleurs.

Monte Carlo Jazz Festival, Opéra Garnier, 26, 27 Novembre

Brad Mehldau (el, p, synth), Mark Guiliana (dm)

Juan Carmona (g), Larry Coryell (g), Paco Carmona (g), Bandolero (perc), Didier de Agula (el b)

Marcus Miller (b, cl b), Alex Hahn (as, ss), Lee Hogans (tp), Brett Williams (p, el p), Adam Agati (g), Robert Sput Searight (dm) +Orchestre Philarmonique de Monte Carlo, direction Damon Gupton

+ invités : Robert Glasper (p, keyb), Kenn Hicks (voc), Edmar Castaneda (harp), Grégoire Maret (hca)

 

Seul, penché sur sa guitare à caisse bleu roi il se lance alors sans coup férir sur un long passage d’accords qui font chanter le standard sous la coupole art déco du palais Garnier. Il passe du be-bop au jazz le plus éclaté en tutoyant parfois les canons du blues avec y compris quelques accents blue-grass. La mélodie de Monk s’habille de couleurs étonnantes, contrastées d’abord puis total pastel. On n’a d’yeux que sur le mouvement perpétuel des mains du guitariste de légende dans des montées et descentes improbables sur le manche de son instrument aux cordes d’acier. Tout y est : les traits musicaux immédiatement reconnaissables, les décalages, les silences monkiens. Mû par l’envie ou l’émotion Corryel pousse le bouchon plus loin Le voilà qui se lance dans une version incroyable du Boléro de Ravel. Tour à tour exposé, simplifié, détourné, magnifié enfin d’harmoniques clinquantes le thème mythique du compositeur né à Ciboure scintille au final comme une guirlande de Noël. Sous les doigts du guitariste de jazz le Boléro insubmersible  devient une friandise de luxe.

L’ayant rejoint enfin Juan Carmona complice de circonstance assagit le propos, le recadre autour des arcanes de la guitare flamenca, le relance dans l’échange autour des « palos » la grammaire du flamenco. Chacun avec son bagage propre les deux guitaristes marquent une volonté claire de dialoguer à six cordes. C’est bien connu, en intégrant les règles de grammaire, le verbe, fut-il d’essence gitane, s’en trouve plus aisément conjugué. Le flamenco reste indissoluble.

Plus tôt, en ouverture de l’édition 2013 du festival Brad Mehldau avait offert un duo plutôt singulier si l’on s’en rapporte à son sillon musical habituellement tracé. Fender Rhodes, synthétiseur, un troisième clavier comme un Moog des années 70 : toutes les figures réalisée sonnent comme autant de produits de facture électrique sinon numérique. S’y mélangent nombres de motifs rythmiques, s’y croisent nombre de lignes harmoniques uniques ou répétées en écho, la musique se nourrit d’architectures complexes voire touffues. Dans ces constructions savantes la batterie ne fait qu’accentuer l’effet mécanique, métronomique. La froideur apparente n’aide pas à entrer dans le mouvement. Et comme à son habitude, Brad Mehldau ne dira mot jusqu’au coup de sifflet final.

Comme toujours dans ses concerts Marcus Miller retrace l’origine de la composition Gorée née après une visite pleine de pathos de l’ile aux esclaves au large de Dakar. Suit l’introduction, seul à la clarinette basse avant que le groupe et tout l’orchestre symphonique dans un même élan ne bâtissent le corpus du thème, puissant, chargé d’un feeling lourd sur les rails d’une rythmique intense. Soudain, tombant la veste, Marcus imprévisible, se met à danser de tout son corps. Un mouvement très coordonné jusque dans les pas et le déhanchement le porte à arpenter la scène sur toute sa longueur au milieu de ses musiciens quelque peu surpris. Sorte de rituel contrôlé, comme une charge émotionnelle trop intense à évacuer par le geste. Deux minutes plus tard il reprend la basse, game over. Le groove l’a repris. Avec l’Orchestre Philarmonique de Monte Carloil il s’agit de retrouvailles en quelque sorte. En 2008 déjà, dans la même salle, un disque live avait été gravé (A night in Monte Carlo, Dreyfus Jazz) fruit musical d’une première collaboration. Cette fois, au bout de trois répétitions et sur la base du répertoire du dernier album Renaissance, la jonction s’opère au naturel. La force de la musique produite tire sa source d’un gros travail d’arrangement, de la qualité d’exécution des musiciens, de l’accord dans la direction des opérations enfin –une réelle complicité affichée- du leader bassiste avec le chef d’orchestre américain lui aussi, Damon Gupton. En témoigne la densité voire la pertinence des contrechants et des arrières plans greffés par les sections du Philarmonique monégasque sur la partition originelle de l’orchestre de Marcus Miller. L’intervention des guests, invités très spéciaux de par leurs personnalités propres –mention spéciale au harpiste colombien hors norme,Edmar Castaneda virtuose, joueur et show man à la fois et que tout le monde s’arrachait pour des félicitations backstage à la fin du concert et petit regret queRobert Glasper ,  n’ait pas pris plus de place- vaut surtout par la diversité et les pics d’intensité apportés dans le programme. Lorsqu’au final on demandeà à Marcus Miller  ce que représente pour lui de conduire un groupe de musiciens d’une telle ampleur, un court moment de réflexion passé il répond simplement « Un plaisir spécial de sentir ma musique ainsi valorisée par une force tranquillement maîtrisée »

 

Robert Latxague

.

 

I

|

Il s’avance vers le micro avec un air de vieux prof distrait, regard lointain sous des gros verres de myope, tignasse argentée en bataille, chemise blanche tirée par-dessus la ceinture sous un costard gris un peu froissé « Il y a dix minutes à peine je viens de recevoir un coup de fil. Mon premier chef d’orchestre, Chico Hamilton est mort la nuit dernière. Je voudrais lui dédier ce concert, et d’abord ce thème qui fait partie de l’histoire du jazz, Blue Monk » L’esprit de Larry Coryell à cette minute semble flotter ailleurs.

Monte Carlo Jazz Festival, Opéra Garnier, 26, 27 Novembre

Brad Mehldau (el, p, synth), Mark Guiliana (dm)

Juan Carmona (g), Larry Coryell (g), Paco Carmona (g), Bandolero (perc), Didier de Agula (el b)

Marcus Miller (b, cl b), Alex Hahn (as, ss), Lee Hogans (tp), Brett Williams (p, el p), Adam Agati (g), Robert Sput Searight (dm) +Orchestre Philarmonique de Monte Carlo, direction Damon Gupton

+ invités : Robert Glasper (p, keyb), Kenn Hicks (voc), Edmar Castaneda (harp), Grégoire Maret (hca)

 

Seul, penché sur sa guitare à caisse bleu roi il se lance alors sans coup férir sur un long passage d’accords qui font chanter le standard sous la coupole art déco du palais Garnier. Il passe du be-bop au jazz le plus éclaté en tutoyant parfois les canons du blues avec y compris quelques accents blue-grass. La mélodie de Monk s’habille de couleurs étonnantes, contrastées d’abord puis total pastel. On n’a d’yeux que sur le mouvement perpétuel des mains du guitariste de légende dans des montées et descentes improbables sur le manche de son instrument aux cordes d’acier. Tout y est : les traits musicaux immédiatement reconnaissables, les décalages, les silences monkiens. Mû par l’envie ou l’émotion Corryel pousse le bouchon plus loin Le voilà qui se lance dans une version incroyable du Boléro de Ravel. Tour à tour exposé, simplifié, détourné, magnifié enfin d’harmoniques clinquantes le thème mythique du compositeur né à Ciboure scintille au final comme une guirlande de Noël. Sous les doigts du guitariste de jazz le Boléro insubmersible  devient une friandise de luxe.

L’ayant rejoint enfin Juan Carmona complice de circonstance assagit le propos, le recadre autour des arcanes de la guitare flamenca, le relance dans l’échange autour des « palos » la grammaire du flamenco. Chacun avec son bagage propre les deux guitaristes marquent une volonté claire de dialoguer à six cordes. C’est bien connu, en intégrant les règles de grammaire, le verbe, fut-il d’essence gitane, s’en trouve plus aisément conjugué. Le flamenco reste indissoluble.

Plus tôt, en ouverture de l’édition 2013 du festival Brad Mehldau avait offert un duo plutôt singulier si l’on s’en rapporte à son sillon musical habituellement tracé. Fender Rhodes, synthétiseur, un troisième clavier comme un Moog des années 70 : toutes les figures réalisée sonnent comme autant de produits de facture électrique sinon numérique. S’y mélangent nombres de motifs rythmiques, s’y croisent nombre de lignes harmoniques uniques ou répétées en écho, la musique se nourrit d’architectures complexes voire touffues. Dans ces constructions savantes la batterie ne fait qu’accentuer l’effet mécanique, métronomique. La froideur apparente n’aide pas à entrer dans le mouvement. Et comme à son habitude, Brad Mehldau ne dira mot jusqu’au coup de sifflet final.

Comme toujours dans ses concerts Marcus Miller retrace l’origine de la composition Gorée née après une visite pleine de pathos de l’ile aux esclaves au large de Dakar. Suit l’introduction, seul à la clarinette basse avant que le groupe et tout l’orchestre symphonique dans un même élan ne bâtissent le corpus du thème, puissant, chargé d’un feeling lourd sur les rails d’une rythmique intense. Soudain, tombant la veste, Marcus imprévisible, se met à danser de tout son corps. Un mouvement très coordonné jusque dans les pas et le déhanchement le porte à arpenter la scène sur toute sa longueur au milieu de ses musiciens quelque peu surpris. Sorte de rituel contrôlé, comme une charge émotionnelle trop intense à évacuer par le geste. Deux minutes plus tard il reprend la basse, game over. Le groove l’a repris. Avec l’Orchestre Philarmonique de Monte Carloil il s’agit de retrouvailles en quelque sorte. En 2008 déjà, dans la même salle, un disque live avait été gravé (A night in Monte Carlo, Dreyfus Jazz) fruit musical d’une première collaboration. Cette fois, au bout de trois répétitions et sur la base du répertoire du dernier album Renaissance, la jonction s’opère au naturel. La force de la musique produite tire sa source d’un gros travail d’arrangement, de la qualité d’exécution des musiciens, de l’accord dans la direction des opérations enfin –une réelle complicité affichée- du leader bassiste avec le chef d’orchestre américain lui aussi, Damon Gupton. En témoigne la densité voire la pertinence des contrechants et des arrières plans greffés par les sections du Philarmonique monégasque sur la partition originelle de l’orchestre de Marcus Miller. L’intervention des guests, invités très spéciaux de par leurs personnalités propres –mention spéciale au harpiste colombien hors norme,Edmar Castaneda virtuose, joueur et show man à la fois et que tout le monde s’arrachait pour des félicitations backstage à la fin du concert et petit regret queRobert Glasper ,  n’ait pas pris plus de place- vaut surtout par la diversité et les pics d’intensité apportés dans le programme. Lorsqu’au final on demandeà à Marcus Miller  ce que représente pour lui de conduire un groupe de musiciens d’une telle ampleur, un court moment de réflexion passé il répond simplement « Un plaisir spécial de sentir ma musique ainsi valorisée par une force tranquillement maîtrisée »

 

Robert Latxague

.

 

I

|

Il s’avance vers le micro avec un air de vieux prof distrait, regard lointain sous des gros verres de myope, tignasse argentée en bataille, chemise blanche tirée par-dessus la ceinture sous un costard gris un peu froissé « Il y a dix minutes à peine je viens de recevoir un coup de fil. Mon premier chef d’orchestre, Chico Hamilton est mort la nuit dernière. Je voudrais lui dédier ce concert, et d’abord ce thème qui fait partie de l’histoire du jazz, Blue Monk » L’esprit de Larry Coryell à cette minute semble flotter ailleurs.

Monte Carlo Jazz Festival, Opéra Garnier, 26, 27 Novembre

Brad Mehldau (el, p, synth), Mark Guiliana (dm)

Juan Carmona (g), Larry Coryell (g), Paco Carmona (g), Bandolero (perc), Didier de Agula (el b)

Marcus Miller (b, cl b), Alex Hahn (as, ss), Lee Hogans (tp), Brett Williams (p, el p), Adam Agati (g), Robert Sput Searight (dm) +Orchestre Philarmonique de Monte Carlo, direction Damon Gupton

+ invités : Robert Glasper (p, keyb), Kenn Hicks (voc), Edmar Castaneda (harp), Grégoire Maret (hca)

 

Seul, penché sur sa guitare à caisse bleu roi il se lance alors sans coup férir sur un long passage d’accords qui font chanter le standard sous la coupole art déco du palais Garnier. Il passe du be-bop au jazz le plus éclaté en tutoyant parfois les canons du blues avec y compris quelques accents blue-grass. La mélodie de Monk s’habille de couleurs étonnantes, contrastées d’abord puis total pastel. On n’a d’yeux que sur le mouvement perpétuel des mains du guitariste de légende dans des montées et descentes improbables sur le manche de son instrument aux cordes d’acier. Tout y est : les traits musicaux immédiatement reconnaissables, les décalages, les silences monkiens. Mû par l’envie ou l’émotion Corryel pousse le bouchon plus loin Le voilà qui se lance dans une version incroyable du Boléro de Ravel. Tour à tour exposé, simplifié, détourné, magnifié enfin d’harmoniques clinquantes le thème mythique du compositeur né à Ciboure scintille au final comme une guirlande de Noël. Sous les doigts du guitariste de jazz le Boléro insubmersible  devient une friandise de luxe.

L’ayant rejoint enfin Juan Carmona complice de circonstance assagit le propos, le recadre autour des arcanes de la guitare flamenca, le relance dans l’échange autour des « palos » la grammaire du flamenco. Chacun avec son bagage propre les deux guitaristes marquent une volonté claire de dialoguer à six cordes. C’est bien connu, en intégrant les règles de grammaire, le verbe, fut-il d’essence gitane, s’en trouve plus aisément conjugué. Le flamenco reste indissoluble.

Plus tôt, en ouverture de l’édition 2013 du festival Brad Mehldau avait offert un duo plutôt singulier si l’on s’en rapporte à son sillon musical habituellement tracé. Fender Rhodes, synthétiseur, un troisième clavier comme un Moog des années 70 : toutes les figures réalisée sonnent comme autant de produits de facture électrique sinon numérique. S’y mélangent nombres de motifs rythmiques, s’y croisent nombre de lignes harmoniques uniques ou répétées en écho, la musique se nourrit d’architectures complexes voire touffues. Dans ces constructions savantes la batterie ne fait qu’accentuer l’effet mécanique, métronomique. La froideur apparente n’aide pas à entrer dans le mouvement. Et comme à son habitude, Brad Mehldau ne dira mot jusqu’au coup de sifflet final.

Comme toujours dans ses concerts Marcus Miller retrace l’origine de la composition Gorée née après une visite pleine de pathos de l’ile aux esclaves au large de Dakar. Suit l’introduction, seul à la clarinette basse avant que le groupe et tout l’orchestre symphonique dans un même élan ne bâtissent le corpus du thème, puissant, chargé d’un feeling lourd sur les rails d’une rythmique intense. Soudain, tombant la veste, Marcus imprévisible, se met à danser de tout son corps. Un mouvement très coordonné jusque dans les pas et le déhanchement le porte à arpenter la scène sur toute sa longueur au milieu de ses musiciens quelque peu surpris. Sorte de rituel contrôlé, comme une charge émotionnelle trop intense à évacuer par le geste. Deux minutes plus tard il reprend la basse, game over. Le groove l’a repris. Avec l’Orchestre Philarmonique de Monte Carloil il s’agit de retrouvailles en quelque sorte. En 2008 déjà, dans la même salle, un disque live avait été gravé (A night in Monte Carlo, Dreyfus Jazz) fruit musical d’une première collaboration. Cette fois, au bout de trois répétitions et sur la base du répertoire du dernier album Renaissance, la jonction s’opère au naturel. La force de la musique produite tire sa source d’un gros travail d’arrangement, de la qualité d’exécution des musiciens, de l’accord dans la direction des opérations enfin –une réelle complicité affichée- du leader bassiste avec le chef d’orchestre américain lui aussi, Damon Gupton. En témoigne la densité voire la pertinence des contrechants et des arrières plans greffés par les sections du Philarmonique monégasque sur la partition originelle de l’orchestre de Marcus Miller. L’intervention des guests, invités très spéciaux de par leurs personnalités propres –mention spéciale au harpiste colombien hors norme,Edmar Castaneda virtuose, joueur et show man à la fois et que tout le monde s’arrachait pour des félicitations backstage à la fin du concert et petit regret queRobert Glasper ,  n’ait pas pris plus de place- vaut surtout par la diversité et les pics d’intensité apportés dans le programme. Lorsqu’au final on demandeà à Marcus Miller  ce que représente pour lui de conduire un groupe de musiciens d’une telle ampleur, un court moment de réflexion passé il répond simplement « Un plaisir spécial de sentir ma musique ainsi valorisée par une force tranquillement maîtrisée »

 

Robert Latxague

.

 

I

|

Il s’avance vers le micro avec un air de vieux prof distrait, regard lointain sous des gros verres de myope, tignasse argentée en bataille, chemise blanche tirée par-dessus la ceinture sous un costard gris un peu froissé « Il y a dix minutes à peine je viens de recevoir un coup de fil. Mon premier chef d’orchestre, Chico Hamilton est mort la nuit dernière. Je voudrais lui dédier ce concert, et d’abord ce thème qui fait partie de l’histoire du jazz, Blue Monk » L’esprit de Larry Coryell à cette minute semble flotter ailleurs.

Monte Carlo Jazz Festival, Opéra Garnier, 26, 27 Novembre

Brad Mehldau (el, p, synth), Mark Guiliana (dm)

Juan Carmona (g), Larry Coryell (g), Paco Carmona (g), Bandolero (perc), Didier de Agula (el b)

Marcus Miller (b, cl b), Alex Hahn (as, ss), Lee Hogans (tp), Brett Williams (p, el p), Adam Agati (g), Robert Sput Searight (dm) +Orchestre Philarmonique de Monte Carlo, direction Damon Gupton

+ invités : Robert Glasper (p, keyb), Kenn Hicks (voc), Edmar Castaneda (harp), Grégoire Maret (hca)

 

Seul, penché sur sa guitare à caisse bleu roi il se lance alors sans coup férir sur un long passage d’accords qui font chanter le standard sous la coupole art déco du palais Garnier. Il passe du be-bop au jazz le plus éclaté en tutoyant parfois les canons du blues avec y compris quelques accents blue-grass. La mélodie de Monk s’habille de couleurs étonnantes, contrastées d’abord puis total pastel. On n’a d’yeux que sur le mouvement perpétuel des mains du guitariste de légende dans des montées et descentes improbables sur le manche de son instrument aux cordes d’acier. Tout y est : les traits musicaux immédiatement reconnaissables, les décalages, les silences monkiens. Mû par l’envie ou l’émotion Corryel pousse le bouchon plus loin Le voilà qui se lance dans une version incroyable du Boléro de Ravel. Tour à tour exposé, simplifié, détourné, magnifié enfin d’harmoniques clinquantes le thème mythique du compositeur né à Ciboure scintille au final comme une guirlande de Noël. Sous les doigts du guitariste de jazz le Boléro insubmersible  devient une friandise de luxe.

L’ayant rejoint enfin Juan Carmona complice de circonstance assagit le propos, le recadre autour des arcanes de la guitare flamenca, le relance dans l’échange autour des « palos » la grammaire du flamenco. Chacun avec son bagage propre les deux guitaristes marquent une volonté claire de dialoguer à six cordes. C’est bien connu, en intégrant les règles de grammaire, le verbe, fut-il d’essence gitane, s’en trouve plus aisément conjugué. Le flamenco reste indissoluble.

Plus tôt, en ouverture de l’édition 2013 du festival Brad Mehldau avait offert un duo plutôt singulier si l’on s’en rapporte à son sillon musical habituellement tracé. Fender Rhodes, synthétiseur, un troisième clavier comme un Moog des années 70 : toutes les figures réalisée sonnent comme autant de produits de facture électrique sinon numérique. S’y mélangent nombres de motifs rythmiques, s’y croisent nombre de lignes harmoniques uniques ou répétées en écho, la musique se nourrit d’architectures complexes voire touffues. Dans ces constructions savantes la batterie ne fait qu’accentuer l’effet mécanique, métronomique. La froideur apparente n’aide pas à entrer dans le mouvement. Et comme à son habitude, Brad Mehldau ne dira mot jusqu’au coup de sifflet final.

Comme toujours dans ses concerts Marcus Miller retrace l’origine de la composition Gorée née après une visite pleine de pathos de l’ile aux esclaves au large de Dakar. Suit l’introduction, seul à la clarinette basse avant que le groupe et tout l’orchestre symphonique dans un même élan ne bâtissent le corpus du thème, puissant, chargé d’un feeling lourd sur les rails d’une rythmique intense. Soudain, tombant la veste, Marcus imprévisible, se met à danser de tout son corps. Un mouvement très coordonné jusque dans les pas et le déhanchement le porte à arpenter la scène sur toute sa longueur au milieu de ses musiciens quelque peu surpris. Sorte de rituel contrôlé, comme une charge émotionnelle trop intense à évacuer par le geste. Deux minutes plus tard il reprend la basse, game over. Le groove l’a repris. Avec l’Orchestre Philarmonique de Monte Carloil il s’agit de retrouvailles en quelque sorte. En 2008 déjà, dans la même salle, un disque live avait été gravé (A night in Monte Carlo, Dreyfus Jazz) fruit musical d’une première collaboration. Cette fois, au bout de trois répétitions et sur la base du répertoire du dernier album Renaissance, la jonction s’opère au naturel. La force de la musique produite tire sa source d’un gros travail d’arrangement, de la qualité d’exécution des musiciens, de l’accord dans la direction des opérations enfin –une réelle complicité affichée- du leader bassiste avec le chef d’orchestre américain lui aussi, Damon Gupton. En témoigne la densité voire la pertinence des contrechants et des arrières plans greffés par les sections du Philarmonique monégasque sur la partition originelle de l’orchestre de Marcus Miller. L’intervention des guests, invités très spéciaux de par leurs personnalités propres –mention spéciale au harpiste colombien hors norme,Edmar Castaneda virtuose, joueur et show man à la fois et que tout le monde s’arrachait pour des félicitations backstage à la fin du concert et petit regret queRobert Glasper ,  n’ait pas pris plus de place- vaut surtout par la diversité et les pics d’intensité apportés dans le programme. Lorsqu’au final on demandeà à Marcus Miller  ce que représente pour lui de conduire un groupe de musiciens d’une telle ampleur, un court moment de réflexion passé il répond simplement « Un plaisir spécial de sentir ma musique ainsi valorisée par une force tranquillement maîtrisée »

 

Robert Latxague

.

 

I