Jazz live
Publié le 30 Nov 2015

D’ANGLES ET DE COURBES : SYLVAIN ET SUSANNE

Ayant eu, grâce à l’émission de Jérôme Badini les Mercredis du Jazz sur France Musique, la possibilité de “réviser” le Jazz sur le vif élégamment présenté par Arnaud Merlin, j’avais pu me consoler de ma défection neversoise, d’autant plus frustrante que j’avais lu le dithyrambe de Meziat et entendu l’enthousiasme de Dutilh à propos du premier épisode de la tournée française de Susanne Abbuehl. Soit un concert à deux phases et deux quartettes (Sylvain Beuf en première partie) ou une démonstration de géométrie dans l’espace et le temps.

Paris, Radio France, Studio 105, 21 novembre 2015.
Sylvain Beuf Quartet Sylvain Beuf (saxophone ténor et soprano), Manu Codjia (guitare), Christophe Wallemme (basse), Julien Charlet (batterie).
Susanne Abbuehl Quartet: Susanne Abbuehl (voix), Matthieu Michel (bugle), Wolfert Brederode (piano et harmonium indien), Olavi Louhivuori (batterie et percussions). 

Avec Sylvain Beuf en première partie, ça avait démarré sur les chapeaux de roues, ou plutôt à fond les caisses, compte tenu de l’impressionnante efficacité de Julien Charlet, pas tellement loin parfois de son aîné anglais Steve Noble. D’où ce groove qui n’allait pas faillir mais se doser et modeler au gré des compositions proposées dans le bien nommé “Plénitude”, nouvel album du saxophoniste et de son “Electric Quartet” remarquable par son ampleur et son équilibre avec, comme toujours chez Sylvain Beuf, un souci exemplaire de rigueur et de précision qui assure une sensation de bien-être d’une rare subtilité. Outre que le répertoire est jalonné de chaleureuses références familiales, dont un Lincoln Park South signé Raphaël Beuf (son fils) et un hommage à sa “muse” Valérie Beuf, rien d’émollient ici mais une énergie à la fois constante et ductile (qui dément le cliché du swing synonyme de force, vitesse et volume) et le jeu sans esbroufe de Christophe Wallemme, certes pas étranger à ce sentiment de puissance discrète, au point qu’on serait tenté d’en réclamer davantage. Tandis que les inflorescences et étincelles disséminées par Manu Codjia illuminent et pigmentent les sillons du chant global, l’architecture paradoxalement véhémente et la sonorité suave du leader installant des lignes d’une séduisante pureté et d’une évidence quasi palladiennes.
A cette démonstration de géométrie à la beauté angulaire et au swing très actuel devait succéder une irrésistible exposition de sculpture collective dont la moindre phase semblait annoncer une ouverture vers l’infini, chaque son, syllabe, intonation, image étant reçus comme en suspens. Soit une collection de miniatures sonores qui renvoient aux très diverses amours de Susanne Abbuehl dont les références ne participent pas forcément des régions familières de la jazzosphère mais plutôt de ses confins et zones frontalières (tangentes ou satellites auraient dit Giuffre ou Sun Ra) et de certaines partis pris et traditions de concision (haïku, e. e. cummings, ou tout simplement extraits délicatement prélevés chez Emily Dickinson, Emily Brontë, Sara Teasdale, James Joyce…). Au point que ce répertoire, cette musique de mots et de notes, ces quatre musiciens constituent un univers presque insécable tant le travail tout en finesse et exquise pertinence de la chanteuse-compositrice-poétesse, du souffleur de bugle Matthieu Michel, du pianiste Wolfert Brederode (dont la complicité et la richesse d’invention autorisent brillamment le duo) et du fascinant “barman de bruits” Olavi Louhivuori (à la palette inépuisable de nuances, pleins et déliés) s’imposant comme les membres indispensables d’une aventure poétique, tissu de lenteurs et langueurs, silences et imperceptibles extinctions que la voix et la silhouette de Susanne Abbuehl traversent à la manière d’une trame infiniment moirée, dans une atmosphère de morbidesse après quoi les explosions d’applaudissements à l’enthousiasme avéré pouvaient sembler incongrues. Inévitable rançon de cette offrande : “The Gift”. • PHILIPPE CARLES

 

 

 



 

 

 

 

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Ayant eu, grâce à l’émission de Jérôme Badini les Mercredis du Jazz sur France Musique, la possibilité de “réviser” le Jazz sur le vif élégamment présenté par Arnaud Merlin, j’avais pu me consoler de ma défection neversoise, d’autant plus frustrante que j’avais lu le dithyrambe de Meziat et entendu l’enthousiasme de Dutilh à propos du premier épisode de la tournée française de Susanne Abbuehl. Soit un concert à deux phases et deux quartettes (Sylvain Beuf en première partie) ou une démonstration de géométrie dans l’espace et le temps.

Paris, Radio France, Studio 105, 21 novembre 2015.
Sylvain Beuf Quartet Sylvain Beuf (saxophone ténor et soprano), Manu Codjia (guitare), Christophe Wallemme (basse), Julien Charlet (batterie).
Susanne Abbuehl Quartet: Susanne Abbuehl (voix), Matthieu Michel (bugle), Wolfert Brederode (piano et harmonium indien), Olavi Louhivuori (batterie et percussions). 

Avec Sylvain Beuf en première partie, ça avait démarré sur les chapeaux de roues, ou plutôt à fond les caisses, compte tenu de l’impressionnante efficacité de Julien Charlet, pas tellement loin parfois de son aîné anglais Steve Noble. D’où ce groove qui n’allait pas faillir mais se doser et modeler au gré des compositions proposées dans le bien nommé “Plénitude”, nouvel album du saxophoniste et de son “Electric Quartet” remarquable par son ampleur et son équilibre avec, comme toujours chez Sylvain Beuf, un souci exemplaire de rigueur et de précision qui assure une sensation de bien-être d’une rare subtilité. Outre que le répertoire est jalonné de chaleureuses références familiales, dont un Lincoln Park South signé Raphaël Beuf (son fils) et un hommage à sa “muse” Valérie Beuf, rien d’émollient ici mais une énergie à la fois constante et ductile (qui dément le cliché du swing synonyme de force, vitesse et volume) et le jeu sans esbroufe de Christophe Wallemme, certes pas étranger à ce sentiment de puissance discrète, au point qu’on serait tenté d’en réclamer davantage. Tandis que les inflorescences et étincelles disséminées par Manu Codjia illuminent et pigmentent les sillons du chant global, l’architecture paradoxalement véhémente et la sonorité suave du leader installant des lignes d’une séduisante pureté et d’une évidence quasi palladiennes.
A cette démonstration de géométrie à la beauté angulaire et au swing très actuel devait succéder une irrésistible exposition de sculpture collective dont la moindre phase semblait annoncer une ouverture vers l’infini, chaque son, syllabe, intonation, image étant reçus comme en suspens. Soit une collection de miniatures sonores qui renvoient aux très diverses amours de Susanne Abbuehl dont les références ne participent pas forcément des régions familières de la jazzosphère mais plutôt de ses confins et zones frontalières (tangentes ou satellites auraient dit Giuffre ou Sun Ra) et de certaines partis pris et traditions de concision (haïku, e. e. cummings, ou tout simplement extraits délicatement prélevés chez Emily Dickinson, Emily Brontë, Sara Teasdale, James Joyce…). Au point que ce répertoire, cette musique de mots et de notes, ces quatre musiciens constituent un univers presque insécable tant le travail tout en finesse et exquise pertinence de la chanteuse-compositrice-poétesse, du souffleur de bugle Matthieu Michel, du pianiste Wolfert Brederode (dont la complicité et la richesse d’invention autorisent brillamment le duo) et du fascinant “barman de bruits” Olavi Louhivuori (à la palette inépuisable de nuances, pleins et déliés) s’imposant comme les membres indispensables d’une aventure poétique, tissu de lenteurs et langueurs, silences et imperceptibles extinctions que la voix et la silhouette de Susanne Abbuehl traversent à la manière d’une trame infiniment moirée, dans une atmosphère de morbidesse après quoi les explosions d’applaudissements à l’enthousiasme avéré pouvaient sembler incongrues. Inévitable rançon de cette offrande : “The Gift”. • PHILIPPE CARLES

 

 

 



 

 

 

 

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Ayant eu, grâce à l’émission de Jérôme Badini les Mercredis du Jazz sur France Musique, la possibilité de “réviser” le Jazz sur le vif élégamment présenté par Arnaud Merlin, j’avais pu me consoler de ma défection neversoise, d’autant plus frustrante que j’avais lu le dithyrambe de Meziat et entendu l’enthousiasme de Dutilh à propos du premier épisode de la tournée française de Susanne Abbuehl. Soit un concert à deux phases et deux quartettes (Sylvain Beuf en première partie) ou une démonstration de géométrie dans l’espace et le temps.

Paris, Radio France, Studio 105, 21 novembre 2015.
Sylvain Beuf Quartet Sylvain Beuf (saxophone ténor et soprano), Manu Codjia (guitare), Christophe Wallemme (basse), Julien Charlet (batterie).
Susanne Abbuehl Quartet: Susanne Abbuehl (voix), Matthieu Michel (bugle), Wolfert Brederode (piano et harmonium indien), Olavi Louhivuori (batterie et percussions). 

Avec Sylvain Beuf en première partie, ça avait démarré sur les chapeaux de roues, ou plutôt à fond les caisses, compte tenu de l’impressionnante efficacité de Julien Charlet, pas tellement loin parfois de son aîné anglais Steve Noble. D’où ce groove qui n’allait pas faillir mais se doser et modeler au gré des compositions proposées dans le bien nommé “Plénitude”, nouvel album du saxophoniste et de son “Electric Quartet” remarquable par son ampleur et son équilibre avec, comme toujours chez Sylvain Beuf, un souci exemplaire de rigueur et de précision qui assure une sensation de bien-être d’une rare subtilité. Outre que le répertoire est jalonné de chaleureuses références familiales, dont un Lincoln Park South signé Raphaël Beuf (son fils) et un hommage à sa “muse” Valérie Beuf, rien d’émollient ici mais une énergie à la fois constante et ductile (qui dément le cliché du swing synonyme de force, vitesse et volume) et le jeu sans esbroufe de Christophe Wallemme, certes pas étranger à ce sentiment de puissance discrète, au point qu’on serait tenté d’en réclamer davantage. Tandis que les inflorescences et étincelles disséminées par Manu Codjia illuminent et pigmentent les sillons du chant global, l’architecture paradoxalement véhémente et la sonorité suave du leader installant des lignes d’une séduisante pureté et d’une évidence quasi palladiennes.
A cette démonstration de géométrie à la beauté angulaire et au swing très actuel devait succéder une irrésistible exposition de sculpture collective dont la moindre phase semblait annoncer une ouverture vers l’infini, chaque son, syllabe, intonation, image étant reçus comme en suspens. Soit une collection de miniatures sonores qui renvoient aux très diverses amours de Susanne Abbuehl dont les références ne participent pas forcément des régions familières de la jazzosphère mais plutôt de ses confins et zones frontalières (tangentes ou satellites auraient dit Giuffre ou Sun Ra) et de certaines partis pris et traditions de concision (haïku, e. e. cummings, ou tout simplement extraits délicatement prélevés chez Emily Dickinson, Emily Brontë, Sara Teasdale, James Joyce…). Au point que ce répertoire, cette musique de mots et de notes, ces quatre musiciens constituent un univers presque insécable tant le travail tout en finesse et exquise pertinence de la chanteuse-compositrice-poétesse, du souffleur de bugle Matthieu Michel, du pianiste Wolfert Brederode (dont la complicité et la richesse d’invention autorisent brillamment le duo) et du fascinant “barman de bruits” Olavi Louhivuori (à la palette inépuisable de nuances, pleins et déliés) s’imposant comme les membres indispensables d’une aventure poétique, tissu de lenteurs et langueurs, silences et imperceptibles extinctions que la voix et la silhouette de Susanne Abbuehl traversent à la manière d’une trame infiniment moirée, dans une atmosphère de morbidesse après quoi les explosions d’applaudissements à l’enthousiasme avéré pouvaient sembler incongrues. Inévitable rançon de cette offrande : “The Gift”. • PHILIPPE CARLES

 

 

 



 

 

 

 

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Ayant eu, grâce à l’émission de Jérôme Badini les Mercredis du Jazz sur France Musique, la possibilité de “réviser” le Jazz sur le vif élégamment présenté par Arnaud Merlin, j’avais pu me consoler de ma défection neversoise, d’autant plus frustrante que j’avais lu le dithyrambe de Meziat et entendu l’enthousiasme de Dutilh à propos du premier épisode de la tournée française de Susanne Abbuehl. Soit un concert à deux phases et deux quartettes (Sylvain Beuf en première partie) ou une démonstration de géométrie dans l’espace et le temps.

Paris, Radio France, Studio 105, 21 novembre 2015.
Sylvain Beuf Quartet Sylvain Beuf (saxophone ténor et soprano), Manu Codjia (guitare), Christophe Wallemme (basse), Julien Charlet (batterie).
Susanne Abbuehl Quartet: Susanne Abbuehl (voix), Matthieu Michel (bugle), Wolfert Brederode (piano et harmonium indien), Olavi Louhivuori (batterie et percussions). 

Avec Sylvain Beuf en première partie, ça avait démarré sur les chapeaux de roues, ou plutôt à fond les caisses, compte tenu de l’impressionnante efficacité de Julien Charlet, pas tellement loin parfois de son aîné anglais Steve Noble. D’où ce groove qui n’allait pas faillir mais se doser et modeler au gré des compositions proposées dans le bien nommé “Plénitude”, nouvel album du saxophoniste et de son “Electric Quartet” remarquable par son ampleur et son équilibre avec, comme toujours chez Sylvain Beuf, un souci exemplaire de rigueur et de précision qui assure une sensation de bien-être d’une rare subtilité. Outre que le répertoire est jalonné de chaleureuses références familiales, dont un Lincoln Park South signé Raphaël Beuf (son fils) et un hommage à sa “muse” Valérie Beuf, rien d’émollient ici mais une énergie à la fois constante et ductile (qui dément le cliché du swing synonyme de force, vitesse et volume) et le jeu sans esbroufe de Christophe Wallemme, certes pas étranger à ce sentiment de puissance discrète, au point qu’on serait tenté d’en réclamer davantage. Tandis que les inflorescences et étincelles disséminées par Manu Codjia illuminent et pigmentent les sillons du chant global, l’architecture paradoxalement véhémente et la sonorité suave du leader installant des lignes d’une séduisante pureté et d’une évidence quasi palladiennes.
A cette démonstration de géométrie à la beauté angulaire et au swing très actuel devait succéder une irrésistible exposition de sculpture collective dont la moindre phase semblait annoncer une ouverture vers l’infini, chaque son, syllabe, intonation, image étant reçus comme en suspens. Soit une collection de miniatures sonores qui renvoient aux très diverses amours de Susanne Abbuehl dont les références ne participent pas forcément des régions familières de la jazzosphère mais plutôt de ses confins et zones frontalières (tangentes ou satellites auraient dit Giuffre ou Sun Ra) et de certaines partis pris et traditions de concision (haïku, e. e. cummings, ou tout simplement extraits délicatement prélevés chez Emily Dickinson, Emily Brontë, Sara Teasdale, James Joyce…). Au point que ce répertoire, cette musique de mots et de notes, ces quatre musiciens constituent un univers presque insécable tant le travail tout en finesse et exquise pertinence de la chanteuse-compositrice-poétesse, du souffleur de bugle Matthieu Michel, du pianiste Wolfert Brederode (dont la complicité et la richesse d’invention autorisent brillamment le duo) et du fascinant “barman de bruits” Olavi Louhivuori (à la palette inépuisable de nuances, pleins et déliés) s’imposant comme les membres indispensables d’une aventure poétique, tissu de lenteurs et langueurs, silences et imperceptibles extinctions que la voix et la silhouette de Susanne Abbuehl traversent à la manière d’une trame infiniment moirée, dans une atmosphère de morbidesse après quoi les explosions d’applaudissements à l’enthousiasme avéré pouvaient sembler incongrues. Inévitable rançon de cette offrande : “The Gift”. • PHILIPPE CARLES