Jazz live
Publié le 3 Mai 2016

Denis Le Bas: Coutances, la culture d'un jazz raisonné

A Coutances JSLP reprend son ascension. Charles Lloyd, David Sanborn, Henri Texier, un Brotherhood of Breath remis en souffle par Didier Levallet, René Urtregge et toujours l’infatigable Airelle Besson sur les planches sous les Pommiers. Sur le présent l’avenir du festival, six questions à Denis Le Bas le boss du festival.

Que vient faire la Corée du Sud sur le tapis des cartes jazz rebattues dans cette 35e édition de Jazz Sous les Pommiers ?
DLB: Plusieurs raisons expliquent ce choix. J’ai souvent eu l’occasion de croiser en repérage de programmation à Londres, New York ou La Haye, donc d’échanger avec lui, mon homologue Inn JJ, patron de Jarasu, le festival le plus important d’Asie. Je l’avais invité à connaître Coutances, en vain jusqu’ici. Quant à Airelle Besson, en parlant de ses projets pour sa résidence elle m’a fait part d’un rêve: créer une musique pour jouer avec Youn Sun Nah. Elle préparait déjà en ce sens un travail avec des cordes. Enfin je savais qu’en 2016 La France et la Corée du Sud devaient célébrer officiellement 130 années d’amitié entre les deux pays. Big problème: Youn avait décidé de prendre une année sabbatique pour cette même date…Mais bon d’une part je savais qu’elle tenait au festival car nous avions été parmi les premiers à la programmer. Je l’ai d’abord contactée en ce sens. Ensuite faute de réponse ferme j’ai tenté le tout pour le tout: la rencontrer chez elle en Corée en octobre dernier à l’occasion du festival Jarasu dans la province de Gypong. Je me souviens de cette discussion au cours d’un petit dèj pris en commun un matin dans le bungalow où l’on m’avait logé. J’ai plaidé ma cause, parlé du désir fort d’Airelle, du projet monté avec l’Orchestre Régional de Normandie. Elle m’a écouté, posé quelques questions. Au bout d’une heure, bingo! Elle a dit « Ok, ce sera mon seul gig de l’année » Il a suffi ensuite de valider le projet auprès de l’Institut Français de Séoul dans le cadre de six évènements artistiques réunissant les deux pays. Nous avons pu ainsi programmer cette soirée exceptionnelle. Avec une contrepartie non négligeable. En retour, en octobre prochain Jazz Sous les Pommiers co-produira des concerts pour le festival de Jarasu avec notamment le quartet d’Airelle Besson, les orchestres d’Henri Texier et Manu Katché également. Pour info si le jazz coréen à proprement parler n’est pas très connu ou représenté dans ce pays, la musique traditionnelle est, elle, très importante dans le pays. Avec une culture de l’improvisation qui facilite, du point de vue de certains musiciens locaux très intéressés, les ponts avec le jazz.

Jazz sous les Pommiers est devenu un rendez vous important du calendrier jazz. Un gros festival est il condamné pour progresser, se développer voire se singulariser à créer toujours plus l’évènement, faire se côtoyer par exemple des musiciens d’horizons éloignés, le buzz pour le buzz ?
DLB: Créer des évènements, non pas forcément. Mais créer des différences avec d’autres festivals oui. Surtout pour notre part afin d’éviter de coller au catalogue des tournées programmées. Travailler sur des formules originales, trouver des personnalités ou des lieux différents, cela nous le recherchons, le suscitons oui au besoin. Mais c’est toujours au bout d’un échange avec l’artiste , lequel a le dernier mot. Plus dangereuse, litigieuse me semble-t-il que la notre, les programmateurs, est la volonté des producteurs de mettre leurs musiciens dans des bains forcés. Je n’ai pas l’impression pour ma part d’avoir jusqu’ici fabriqué des assemblages -ou des « produits » musicaux- dans lequel un musicien est contraint, perdant. Je veux toujours faire la différence entre rencontre assumée, gagnante et collage de matière artificielle.

Tout de même, 55 concerts plus d’une centaine de musiciens, huit jours programmés. Jusqu’à quel chiffres, quelle quantité de musique peut aller Coutances en gardant un cap de qualiité constante?
DLB: Huit jours c’est long, c’est dense. On est selon moi arrivé au maximum de nos capacités. D’ailleurs à l’inverse d’autres festivals nous sommes limités par la taille des salles disponibles.Quand il s’agit de remplir des jauges de six ou huit mille places il faut des plateaux énormes, donc orientés, formatés. D’autre part nous sommes très vigilants à ne pas dépasser des cachets en fonction de notre capacité de spectateurs. On a aucune chance de faire un jour Diana Krall et Elvis Costello à 150 000 €. Notre objectif prioritaire reste de garder des prix d’entrées raisonnables au concert.

Question programmation au beau milieu de toutes les musiques du festival que devient l’item originel jazz de Jazz Sous les Pommiers ?
DLB: Si je fais un flash back dans toutes ces années là programmation est toujours partie du jazz pour chercher, fouiller du côté des musiques cousines. Le maître mot pour moi reste l’improvisation. Pour le dire autrement la dite « black music » me paraît un terme adéquat avec notre philosophie. En tous cas à Coutances on peut argumenter sur nos contenus à partir de là…Et puis du côté de notre public je crois en sa disponibilité pour la découverte. Pas forcément rentré chez nous par la porte du jazz, cela ne veut pas dire qu’il ne la franchira pas un jour. Ceci dit, ok, combien de spectateurs venus dans nos salles sont passés d’un monde à l’autre, je ne suis pas cable de le dire. Je demeure pourtant persuadé que cette opportunité, cette tendance à découvrir figure bien dans l’ADN du festival. Pour revenir à la programmation, la discussion sur les choix se fait dans un groupe, à plusieurs. On fait ainsi des choix raisonnés. J’ai simplement le final cut pour trancher si besoin est.

Cette année vous proposez au public de participer à une parade musicale à vélo…Un gag ?
DLB: C’est un clin d’œil au Tour de France qui fera trois étapes dans le département de la Manche grande terre de vélo. Des musiciens, des comédiens au milieu des participants, nous avons voulu coller à un évènement régional. Pour nous cela rejoint l’ambition du festival de renforcer l’image de Coutances ville en fête au travers du festival.

Que vous apporte cette particularité d’accueillir un artiste en résidence à Coutances trois années durant?
DLB: Airelle Besson est le sixième artiste en résidence en lien avec le festival. Pour elle comme pour ses prédécesseurs (Frank Tortiller et Yves Rousseau, Bojan Z, Louis Winsberg, Andy Sheppard, Thomas de Pourquery) l’objectif c’est d’échanger, d’envisager ensemble des idées et des actions à mener par la musique. Le festival joue un peu un rôle de conseil, de manager. Il donne par là même aussi au musicien la possibilité, les moyens de mettre en forme certains désirs voir des rêves qu’il a en tête. Cet accord tacite, ce mode d’échange lui permet de jouer sur du plus long terme. A ce titre, je l’ai constaté par le vécu, le festival s’implique dans un gros travail de médiation culturelle par le biais de gros projets (le concert monté cette année par Airelle avec l’Orchestre Régional de Normandie et Youn Sun Nah venue spécialement de Corée du Sud en guest) comme avec de petits évènements (ateliers, concerts chez l’habitant) L’artiste en résidence affiche une présence réelle, marquée dans la ville. On le voit, la rencontre dans les lieux de la vraie vie locale, le supermarché, le collège, la piscine etc. Une pratique qui nous aide à renforcer l’ancrage du festival dans son territoire naturel, à élargir voire rechercher un nouveau public. Un musicien présent, accessible donne mais reçoit en même temps. On ne le perçoit pas forcément mais de telles notions de proximité, d’humanité modèlent, renforcent l’image du festival.

Propos recueillis par Robert Latxague

PS Avec un coup de main de l’ami Christian Ducasse, guide privilégié car pays de ce bout de Manche situé en vigie de la Bretagne voisine j’ai eu la chance d’effectuer un petit pèlerinage sentimentalo-nostalgique en quelques lieux mythiques de l’histoire jazzistique de ce département. Le café-tabac-restaurant (ex hôtel renommé) Les Falaises a Edenville abritait un night-club au début des années 60. Bud Powell en personne y venait jouer certains soirs d’été, avec Johnny Griffin notamment (Une photo noir et blanc punaisée au mur en atteste, les montrant relax en farniente sur la plage en compagnie de Francis Paudras) On dit même dans le voisinage qu’un soir Jean Luc Ponty (natif d’Avranches), René Urtregger (il jouera à Coutances samedi prochain) plus Eddy Louiss, tous arrivés de Paris au volant de rutilantes voitures de sport vinrent écouter Bud spécifiquement…Plus loin, à une portée de claquement de cymbales du Mont St Michel, sur une bande de sable restée au sec de l’immense baie, un club de jazz improvisé, le Bec de Jazz accueillait à même une cabane de bois des sets et jams mémorables. Wayne Dockery, bassiste d’Archie Shepp en était un habitué. Au point qu’il y possède encore une petite demeure au cœur du charmant village des Genêts.|A Coutances JSLP reprend son ascension. Charles Lloyd, David Sanborn, Henri Texier, un Brotherhood of Breath remis en souffle par Didier Levallet, René Urtregge et toujours l’infatigable Airelle Besson sur les planches sous les Pommiers. Sur le présent l’avenir du festival, six questions à Denis Le Bas le boss du festival.

Que vient faire la Corée du Sud sur le tapis des cartes jazz rebattues dans cette 35e édition de Jazz Sous les Pommiers ?
DLB: Plusieurs raisons expliquent ce choix. J’ai souvent eu l’occasion de croiser en repérage de programmation à Londres, New York ou La Haye, donc d’échanger avec lui, mon homologue Inn JJ, patron de Jarasu, le festival le plus important d’Asie. Je l’avais invité à connaître Coutances, en vain jusqu’ici. Quant à Airelle Besson, en parlant de ses projets pour sa résidence elle m’a fait part d’un rêve: créer une musique pour jouer avec Youn Sun Nah. Elle préparait déjà en ce sens un travail avec des cordes. Enfin je savais qu’en 2016 La France et la Corée du Sud devaient célébrer officiellement 130 années d’amitié entre les deux pays. Big problème: Youn avait décidé de prendre une année sabbatique pour cette même date…Mais bon d’une part je savais qu’elle tenait au festival car nous avions été parmi les premiers à la programmer. Je l’ai d’abord contactée en ce sens. Ensuite faute de réponse ferme j’ai tenté le tout pour le tout: la rencontrer chez elle en Corée en octobre dernier à l’occasion du festival Jarasu dans la province de Gypong. Je me souviens de cette discussion au cours d’un petit dèj pris en commun un matin dans le bungalow où l’on m’avait logé. J’ai plaidé ma cause, parlé du désir fort d’Airelle, du projet monté avec l’Orchestre Régional de Normandie. Elle m’a écouté, posé quelques questions. Au bout d’une heure, bingo! Elle a dit « Ok, ce sera mon seul gig de l’année » Il a suffi ensuite de valider le projet auprès de l’Institut Français de Séoul dans le cadre de six évènements artistiques réunissant les deux pays. Nous avons pu ainsi programmer cette soirée exceptionnelle. Avec une contrepartie non négligeable. En retour, en octobre prochain Jazz Sous les Pommiers co-produira des concerts pour le festival de Jarasu avec notamment le quartet d’Airelle Besson, les orchestres d’Henri Texier et Manu Katché également. Pour info si le jazz coréen à proprement parler n’est pas très connu ou représenté dans ce pays, la musique traditionnelle est, elle, très importante dans le pays. Avec une culture de l’improvisation qui facilite, du point de vue de certains musiciens locaux très intéressés, les ponts avec le jazz.

Jazz sous les Pommiers est devenu un rendez vous important du calendrier jazz. Un gros festival est il condamné pour progresser, se développer voire se singulariser à créer toujours plus l’évènement, faire se côtoyer par exemple des musiciens d’horizons éloignés, le buzz pour le buzz ?
DLB: Créer des évènements, non pas forcément. Mais créer des différences avec d’autres festivals oui. Surtout pour notre part afin d’éviter de coller au catalogue des tournées programmées. Travailler sur des formules originales, trouver des personnalités ou des lieux différents, cela nous le recherchons, le suscitons oui au besoin. Mais c’est toujours au bout d’un échange avec l’artiste , lequel a le dernier mot. Plus dangereuse, litigieuse me semble-t-il que la notre, les programmateurs, est la volonté des producteurs de mettre leurs musiciens dans des bains forcés. Je n’ai pas l’impression pour ma part d’avoir jusqu’ici fabriqué des assemblages -ou des « produits » musicaux- dans lequel un musicien est contraint, perdant. Je veux toujours faire la différence entre rencontre assumée, gagnante et collage de matière artificielle.

Tout de même, 55 concerts plus d’une centaine de musiciens, huit jours programmés. Jusqu’à quel chiffres, quelle quantité de musique peut aller Coutances en gardant un cap de qualiité constante?
DLB: Huit jours c’est long, c’est dense. On est selon moi arrivé au maximum de nos capacités. D’ailleurs à l’inverse d’autres festivals nous sommes limités par la taille des salles disponibles.Quand il s’agit de remplir des jauges de six ou huit mille places il faut des plateaux énormes, donc orientés, formatés. D’autre part nous sommes très vigilants à ne pas dépasser des cachets en fonction de notre capacité de spectateurs. On a aucune chance de faire un jour Diana Krall et Elvis Costello à 150 000 €. Notre objectif prioritaire reste de garder des prix d’entrées raisonnables au concert.

Question programmation au beau milieu de toutes les musiques du festival que devient l’item originel jazz de Jazz Sous les Pommiers ?
DLB: Si je fais un flash back dans toutes ces années là programmation est toujours partie du jazz pour chercher, fouiller du côté des musiques cousines. Le maître mot pour moi reste l’improvisation. Pour le dire autrement la dite « black music » me paraît un terme adéquat avec notre philosophie. En tous cas à Coutances on peut argumenter sur nos contenus à partir de là…Et puis du côté de notre public je crois en sa disponibilité pour la découverte. Pas forcément rentré chez nous par la porte du jazz, cela ne veut pas dire qu’il ne la franchira pas un jour. Ceci dit, ok, combien de spectateurs venus dans nos salles sont passés d’un monde à l’autre, je ne suis pas cable de le dire. Je demeure pourtant persuadé que cette opportunité, cette tendance à découvrir figure bien dans l’ADN du festival. Pour revenir à la programmation, la discussion sur les choix se fait dans un groupe, à plusieurs. On fait ainsi des choix raisonnés. J’ai simplement le final cut pour trancher si besoin est.

Cette année vous proposez au public de participer à une parade musicale à vélo…Un gag ?
DLB: C’est un clin d’œil au Tour de France qui fera trois étapes dans le département de la Manche grande terre de vélo. Des musiciens, des comédiens au milieu des participants, nous avons voulu coller à un évènement régional. Pour nous cela rejoint l’ambition du festival de renforcer l’image de Coutances ville en fête au travers du festival.

Que vous apporte cette particularité d’accueillir un artiste en résidence à Coutances trois années durant?
DLB: Airelle Besson est le sixième artiste en résidence en lien avec le festival. Pour elle comme pour ses prédécesseurs (Frank Tortiller et Yves Rousseau, Bojan Z, Louis Winsberg, Andy Sheppard, Thomas de Pourquery) l’objectif c’est d’échanger, d’envisager ensemble des idées et des actions à mener par la musique. Le festival joue un peu un rôle de conseil, de manager. Il donne par là même aussi au musicien la possibilité, les moyens de mettre en forme certains désirs voir des rêves qu’il a en tête. Cet accord tacite, ce mode d’échange lui permet de jouer sur du plus long terme. A ce titre, je l’ai constaté par le vécu, le festival s’implique dans un gros travail de médiation culturelle par le biais de gros projets (le concert monté cette année par Airelle avec l’Orchestre Régional de Normandie et Youn Sun Nah venue spécialement de Corée du Sud en guest) comme avec de petits évènements (ateliers, concerts chez l’habitant) L’artiste en résidence affiche une présence réelle, marquée dans la ville. On le voit, la rencontre dans les lieux de la vraie vie locale, le supermarché, le collège, la piscine etc. Une pratique qui nous aide à renforcer l’ancrage du festival dans son territoire naturel, à élargir voire rechercher un nouveau public. Un musicien présent, accessible donne mais reçoit en même temps. On ne le perçoit pas forcément mais de telles notions de proximité, d’humanité modèlent, renforcent l’image du festival.

Propos recueillis par Robert Latxague

PS Avec un coup de main de l’ami Christian Ducasse, guide privilégié car pays de ce bout de Manche situé en vigie de la Bretagne voisine j’ai eu la chance d’effectuer un petit pèlerinage sentimentalo-nostalgique en quelques lieux mythiques de l’histoire jazzistique de ce département. Le café-tabac-restaurant (ex hôtel renommé) Les Falaises a Edenville abritait un night-club au début des années 60. Bud Powell en personne y venait jouer certains soirs d’été, avec Johnny Griffin notamment (Une photo noir et blanc punaisée au mur en atteste, les montrant relax en farniente sur la plage en compagnie de Francis Paudras) On dit même dans le voisinage qu’un soir Jean Luc Ponty (natif d’Avranches), René Urtregger (il jouera à Coutances samedi prochain) plus Eddy Louiss, tous arrivés de Paris au volant de rutilantes voitures de sport vinrent écouter Bud spécifiquement…Plus loin, à une portée de claquement de cymbales du Mont St Michel, sur une bande de sable restée au sec de l’immense baie, un club de jazz improvisé, le Bec de Jazz accueillait à même une cabane de bois des sets et jams mémorables. Wayne Dockery, bassiste d’Archie Shepp en était un habitué. Au point qu’il y possède encore une petite demeure au cœur du charmant village des Genêts.|A Coutances JSLP reprend son ascension. Charles Lloyd, David Sanborn, Henri Texier, un Brotherhood of Breath remis en souffle par Didier Levallet, René Urtregge et toujours l’infatigable Airelle Besson sur les planches sous les Pommiers. Sur le présent l’avenir du festival, six questions à Denis Le Bas le boss du festival.

Que vient faire la Corée du Sud sur le tapis des cartes jazz rebattues dans cette 35e édition de Jazz Sous les Pommiers ?
DLB: Plusieurs raisons expliquent ce choix. J’ai souvent eu l’occasion de croiser en repérage de programmation à Londres, New York ou La Haye, donc d’échanger avec lui, mon homologue Inn JJ, patron de Jarasu, le festival le plus important d’Asie. Je l’avais invité à connaître Coutances, en vain jusqu’ici. Quant à Airelle Besson, en parlant de ses projets pour sa résidence elle m’a fait part d’un rêve: créer une musique pour jouer avec Youn Sun Nah. Elle préparait déjà en ce sens un travail avec des cordes. Enfin je savais qu’en 2016 La France et la Corée du Sud devaient célébrer officiellement 130 années d’amitié entre les deux pays. Big problème: Youn avait décidé de prendre une année sabbatique pour cette même date…Mais bon d’une part je savais qu’elle tenait au festival car nous avions été parmi les premiers à la programmer. Je l’ai d’abord contactée en ce sens. Ensuite faute de réponse ferme j’ai tenté le tout pour le tout: la rencontrer chez elle en Corée en octobre dernier à l’occasion du festival Jarasu dans la province de Gypong. Je me souviens de cette discussion au cours d’un petit dèj pris en commun un matin dans le bungalow où l’on m’avait logé. J’ai plaidé ma cause, parlé du désir fort d’Airelle, du projet monté avec l’Orchestre Régional de Normandie. Elle m’a écouté, posé quelques questions. Au bout d’une heure, bingo! Elle a dit « Ok, ce sera mon seul gig de l’année » Il a suffi ensuite de valider le projet auprès de l’Institut Français de Séoul dans le cadre de six évènements artistiques réunissant les deux pays. Nous avons pu ainsi programmer cette soirée exceptionnelle. Avec une contrepartie non négligeable. En retour, en octobre prochain Jazz Sous les Pommiers co-produira des concerts pour le festival de Jarasu avec notamment le quartet d’Airelle Besson, les orchestres d’Henri Texier et Manu Katché également. Pour info si le jazz coréen à proprement parler n’est pas très connu ou représenté dans ce pays, la musique traditionnelle est, elle, très importante dans le pays. Avec une culture de l’improvisation qui facilite, du point de vue de certains musiciens locaux très intéressés, les ponts avec le jazz.

Jazz sous les Pommiers est devenu un rendez vous important du calendrier jazz. Un gros festival est il condamné pour progresser, se développer voire se singulariser à créer toujours plus l’évènement, faire se côtoyer par exemple des musiciens d’horizons éloignés, le buzz pour le buzz ?
DLB: Créer des évènements, non pas forcément. Mais créer des différences avec d’autres festivals oui. Surtout pour notre part afin d’éviter de coller au catalogue des tournées programmées. Travailler sur des formules originales, trouver des personnalités ou des lieux différents, cela nous le recherchons, le suscitons oui au besoin. Mais c’est toujours au bout d’un échange avec l’artiste , lequel a le dernier mot. Plus dangereuse, litigieuse me semble-t-il que la notre, les programmateurs, est la volonté des producteurs de mettre leurs musiciens dans des bains forcés. Je n’ai pas l’impression pour ma part d’avoir jusqu’ici fabriqué des assemblages -ou des « produits » musicaux- dans lequel un musicien est contraint, perdant. Je veux toujours faire la différence entre rencontre assumée, gagnante et collage de matière artificielle.

Tout de même, 55 concerts plus d’une centaine de musiciens, huit jours programmés. Jusqu’à quel chiffres, quelle quantité de musique peut aller Coutances en gardant un cap de qualiité constante?
DLB: Huit jours c’est long, c’est dense. On est selon moi arrivé au maximum de nos capacités. D’ailleurs à l’inverse d’autres festivals nous sommes limités par la taille des salles disponibles.Quand il s’agit de remplir des jauges de six ou huit mille places il faut des plateaux énormes, donc orientés, formatés. D’autre part nous sommes très vigilants à ne pas dépasser des cachets en fonction de notre capacité de spectateurs. On a aucune chance de faire un jour Diana Krall et Elvis Costello à 150 000 €. Notre objectif prioritaire reste de garder des prix d’entrées raisonnables au concert.

Question programmation au beau milieu de toutes les musiques du festival que devient l’item originel jazz de Jazz Sous les Pommiers ?
DLB: Si je fais un flash back dans toutes ces années là programmation est toujours partie du jazz pour chercher, fouiller du côté des musiques cousines. Le maître mot pour moi reste l’improvisation. Pour le dire autrement la dite « black music » me paraît un terme adéquat avec notre philosophie. En tous cas à Coutances on peut argumenter sur nos contenus à partir de là…Et puis du côté de notre public je crois en sa disponibilité pour la découverte. Pas forcément rentré chez nous par la porte du jazz, cela ne veut pas dire qu’il ne la franchira pas un jour. Ceci dit, ok, combien de spectateurs venus dans nos salles sont passés d’un monde à l’autre, je ne suis pas cable de le dire. Je demeure pourtant persuadé que cette opportunité, cette tendance à découvrir figure bien dans l’ADN du festival. Pour revenir à la programmation, la discussion sur les choix se fait dans un groupe, à plusieurs. On fait ainsi des choix raisonnés. J’ai simplement le final cut pour trancher si besoin est.

Cette année vous proposez au public de participer à une parade musicale à vélo…Un gag ?
DLB: C’est un clin d’œil au Tour de France qui fera trois étapes dans le département de la Manche grande terre de vélo. Des musiciens, des comédiens au milieu des participants, nous avons voulu coller à un évènement régional. Pour nous cela rejoint l’ambition du festival de renforcer l’image de Coutances ville en fête au travers du festival.

Que vous apporte cette particularité d’accueillir un artiste en résidence à Coutances trois années durant?
DLB: Airelle Besson est le sixième artiste en résidence en lien avec le festival. Pour elle comme pour ses prédécesseurs (Frank Tortiller et Yves Rousseau, Bojan Z, Louis Winsberg, Andy Sheppard, Thomas de Pourquery) l’objectif c’est d’échanger, d’envisager ensemble des idées et des actions à mener par la musique. Le festival joue un peu un rôle de conseil, de manager. Il donne par là même aussi au musicien la possibilité, les moyens de mettre en forme certains désirs voir des rêves qu’il a en tête. Cet accord tacite, ce mode d’échange lui permet de jouer sur du plus long terme. A ce titre, je l’ai constaté par le vécu, le festival s’implique dans un gros travail de médiation culturelle par le biais de gros projets (le concert monté cette année par Airelle avec l’Orchestre Régional de Normandie et Youn Sun Nah venue spécialement de Corée du Sud en guest) comme avec de petits évènements (ateliers, concerts chez l’habitant) L’artiste en résidence affiche une présence réelle, marquée dans la ville. On le voit, la rencontre dans les lieux de la vraie vie locale, le supermarché, le collège, la piscine etc. Une pratique qui nous aide à renforcer l’ancrage du festival dans son territoire naturel, à élargir voire rechercher un nouveau public. Un musicien présent, accessible donne mais reçoit en même temps. On ne le perçoit pas forcément mais de telles notions de proximité, d’humanité modèlent, renforcent l’image du festival.

Propos recueillis par Robert Latxague

PS Avec un coup de main de l’ami Christian Ducasse, guide privilégié car pays de ce bout de Manche situé en vigie de la Bretagne voisine j’ai eu la chance d’effectuer un petit pèlerinage sentimentalo-nostalgique en quelques lieux mythiques de l’histoire jazzistique de ce département. Le café-tabac-restaurant (ex hôtel renommé) Les Falaises a Edenville abritait un night-club au début des années 60. Bud Powell en personne y venait jouer certains soirs d’été, avec Johnny Griffin notamment (Une photo noir et blanc punaisée au mur en atteste, les montrant relax en farniente sur la plage en compagnie de Francis Paudras) On dit même dans le voisinage qu’un soir Jean Luc Ponty (natif d’Avranches), René Urtregger (il jouera à Coutances samedi prochain) plus Eddy Louiss, tous arrivés de Paris au volant de rutilantes voitures de sport vinrent écouter Bud spécifiquement…Plus loin, à une portée de claquement de cymbales du Mont St Michel, sur une bande de sable restée au sec de l’immense baie, un club de jazz improvisé, le Bec de Jazz accueillait à même une cabane de bois des sets et jams mémorables. Wayne Dockery, bassiste d’Archie Shepp en était un habitué. Au point qu’il y possède encore une petite demeure au cœur du charmant village des Genêts.|A Coutances JSLP reprend son ascension. Charles Lloyd, David Sanborn, Henri Texier, un Brotherhood of Breath remis en souffle par Didier Levallet, René Urtregge et toujours l’infatigable Airelle Besson sur les planches sous les Pommiers. Sur le présent l’avenir du festival, six questions à Denis Le Bas le boss du festival.

Que vient faire la Corée du Sud sur le tapis des cartes jazz rebattues dans cette 35e édition de Jazz Sous les Pommiers ?
DLB: Plusieurs raisons expliquent ce choix. J’ai souvent eu l’occasion de croiser en repérage de programmation à Londres, New York ou La Haye, donc d’échanger avec lui, mon homologue Inn JJ, patron de Jarasu, le festival le plus important d’Asie. Je l’avais invité à connaître Coutances, en vain jusqu’ici. Quant à Airelle Besson, en parlant de ses projets pour sa résidence elle m’a fait part d’un rêve: créer une musique pour jouer avec Youn Sun Nah. Elle préparait déjà en ce sens un travail avec des cordes. Enfin je savais qu’en 2016 La France et la Corée du Sud devaient célébrer officiellement 130 années d’amitié entre les deux pays. Big problème: Youn avait décidé de prendre une année sabbatique pour cette même date…Mais bon d’une part je savais qu’elle tenait au festival car nous avions été parmi les premiers à la programmer. Je l’ai d’abord contactée en ce sens. Ensuite faute de réponse ferme j’ai tenté le tout pour le tout: la rencontrer chez elle en Corée en octobre dernier à l’occasion du festival Jarasu dans la province de Gypong. Je me souviens de cette discussion au cours d’un petit dèj pris en commun un matin dans le bungalow où l’on m’avait logé. J’ai plaidé ma cause, parlé du désir fort d’Airelle, du projet monté avec l’Orchestre Régional de Normandie. Elle m’a écouté, posé quelques questions. Au bout d’une heure, bingo! Elle a dit « Ok, ce sera mon seul gig de l’année » Il a suffi ensuite de valider le projet auprès de l’Institut Français de Séoul dans le cadre de six évènements artistiques réunissant les deux pays. Nous avons pu ainsi programmer cette soirée exceptionnelle. Avec une contrepartie non négligeable. En retour, en octobre prochain Jazz Sous les Pommiers co-produira des concerts pour le festival de Jarasu avec notamment le quartet d’Airelle Besson, les orchestres d’Henri Texier et Manu Katché également. Pour info si le jazz coréen à proprement parler n’est pas très connu ou représenté dans ce pays, la musique traditionnelle est, elle, très importante dans le pays. Avec une culture de l’improvisation qui facilite, du point de vue de certains musiciens locaux très intéressés, les ponts avec le jazz.

Jazz sous les Pommiers est devenu un rendez vous important du calendrier jazz. Un gros festival est il condamné pour progresser, se développer voire se singulariser à créer toujours plus l’évènement, faire se côtoyer par exemple des musiciens d’horizons éloignés, le buzz pour le buzz ?
DLB: Créer des évènements, non pas forcément. Mais créer des différences avec d’autres festivals oui. Surtout pour notre part afin d’éviter de coller au catalogue des tournées programmées. Travailler sur des formules originales, trouver des personnalités ou des lieux différents, cela nous le recherchons, le suscitons oui au besoin. Mais c’est toujours au bout d’un échange avec l’artiste , lequel a le dernier mot. Plus dangereuse, litigieuse me semble-t-il que la notre, les programmateurs, est la volonté des producteurs de mettre leurs musiciens dans des bains forcés. Je n’ai pas l’impression pour ma part d’avoir jusqu’ici fabriqué des assemblages -ou des « produits » musicaux- dans lequel un musicien est contraint, perdant. Je veux toujours faire la différence entre rencontre assumée, gagnante et collage de matière artificielle.

Tout de même, 55 concerts plus d’une centaine de musiciens, huit jours programmés. Jusqu’à quel chiffres, quelle quantité de musique peut aller Coutances en gardant un cap de qualiité constante?
DLB: Huit jours c’est long, c’est dense. On est selon moi arrivé au maximum de nos capacités. D’ailleurs à l’inverse d’autres festivals nous sommes limités par la taille des salles disponibles.Quand il s’agit de remplir des jauges de six ou huit mille places il faut des plateaux énormes, donc orientés, formatés. D’autre part nous sommes très vigilants à ne pas dépasser des cachets en fonction de notre capacité de spectateurs. On a aucune chance de faire un jour Diana Krall et Elvis Costello à 150 000 €. Notre objectif prioritaire reste de garder des prix d’entrées raisonnables au concert.

Question programmation au beau milieu de toutes les musiques du festival que devient l’item originel jazz de Jazz Sous les Pommiers ?
DLB: Si je fais un flash back dans toutes ces années là programmation est toujours partie du jazz pour chercher, fouiller du côté des musiques cousines. Le maître mot pour moi reste l’improvisation. Pour le dire autrement la dite « black music » me paraît un terme adéquat avec notre philosophie. En tous cas à Coutances on peut argumenter sur nos contenus à partir de là…Et puis du côté de notre public je crois en sa disponibilité pour la découverte. Pas forcément rentré chez nous par la porte du jazz, cela ne veut pas dire qu’il ne la franchira pas un jour. Ceci dit, ok, combien de spectateurs venus dans nos salles sont passés d’un monde à l’autre, je ne suis pas cable de le dire. Je demeure pourtant persuadé que cette opportunité, cette tendance à découvrir figure bien dans l’ADN du festival. Pour revenir à la programmation, la discussion sur les choix se fait dans un groupe, à plusieurs. On fait ainsi des choix raisonnés. J’ai simplement le final cut pour trancher si besoin est.

Cette année vous proposez au public de participer à une parade musicale à vélo…Un gag ?
DLB: C’est un clin d’œil au Tour de France qui fera trois étapes dans le département de la Manche grande terre de vélo. Des musiciens, des comédiens au milieu des participants, nous avons voulu coller à un évènement régional. Pour nous cela rejoint l’ambition du festival de renforcer l’image de Coutances ville en fête au travers du festival.

Que vous apporte cette particularité d’accueillir un artiste en résidence à Coutances trois années durant?
DLB: Airelle Besson est le sixième artiste en résidence en lien avec le festival. Pour elle comme pour ses prédécesseurs (Frank Tortiller et Yves Rousseau, Bojan Z, Louis Winsberg, Andy Sheppard, Thomas de Pourquery) l’objectif c’est d’échanger, d’envisager ensemble des idées et des actions à mener par la musique. Le festival joue un peu un rôle de conseil, de manager. Il donne par là même aussi au musicien la possibilité, les moyens de mettre en forme certains désirs voir des rêves qu’il a en tête. Cet accord tacite, ce mode d’échange lui permet de jouer sur du plus long terme. A ce titre, je l’ai constaté par le vécu, le festival s’implique dans un gros travail de médiation culturelle par le biais de gros projets (le concert monté cette année par Airelle avec l’Orchestre Régional de Normandie et Youn Sun Nah venue spécialement de Corée du Sud en guest) comme avec de petits évènements (ateliers, concerts chez l’habitant) L’artiste en résidence affiche une présence réelle, marquée dans la ville. On le voit, la rencontre dans les lieux de la vraie vie locale, le supermarché, le collège, la piscine etc. Une pratique qui nous aide à renforcer l’ancrage du festival dans son territoire naturel, à élargir voire rechercher un nouveau public. Un musicien présent, accessible donne mais reçoit en même temps. On ne le perçoit pas forcément mais de telles notions de proximité, d’humanité modèlent, renforcent l’image du festival.

Propos recueillis par Robert Latxague

PS Avec un coup de main de l’ami Christian Ducasse, guide privilégié car pays de ce bout de Manche situé en vigie de la Bretagne voisine j’ai eu la chance d’effectuer un petit pèlerinage sentimentalo-nostalgique en quelques lieux mythiques de l’histoire jazzistique de ce département. Le café-tabac-restaurant (ex hôtel renommé) Les Falaises a Edenville abritait un night-club au début des années 60. Bud Powell en personne y venait jouer certains soirs d’été, avec Johnny Griffin notamment (Une photo noir et blanc punaisée au mur en atteste, les montrant relax en farniente sur la plage en compagnie de Francis Paudras) On dit même dans le voisinage qu’un soir Jean Luc Ponty (natif d’Avranches), René Urtregger (il jouera à Coutances samedi prochain) plus Eddy Louiss, tous arrivés de Paris au volant de rutilantes voitures de sport vinrent écouter Bud spécifiquement…Plus loin, à une portée de claquement de cymbales du Mont St Michel, sur une bande de sable restée au sec de l’immense baie, un club de jazz improvisé, le Bec de Jazz accueillait à même une cabane de bois des sets et jams mémorables. Wayne Dockery, bassiste d’Archie Shepp en était un habitué. Au point qu’il y possède encore une petite demeure au cœur du charmant village des Genêts.