D’Jazz Nevers : suite et fin - Jazz Magazine
Jazz live
Publié le 19 Nov 2025

D’Jazz Nevers : suite et fin

Kamilya Jubran

Samedi 15 novembre, Théâtre municipale, 12h15

Kamilya Jubran & Sarah Murcia

Quel plaisir d’aller écouter de la musique ainsi à la mi-journée, l’appétit aiguisé et les sens encore en éveil avant que se profile la torpeur de la sieste ! Le duo qui investit la scène du théâtre n’est lui pas né du matin dernier : déjà plus de vingt ans de complicité, ce qui n’exclut pas une fraîcheur intacte. C’est Kamilya Jubran qui attaque seule le concert, au oud puis au chant, posant d’emblée l’esthétique d’une musique dont la tradition proche-orientale demeure l’élément premier, si ce n’est qu’elle se voit ici subtilement resongée à l’aune d’une modernité plurielle. Certes, le timbre vocal n’a pas toujours ce jour-là tout l’éclat ni la présence qu’on pourrait souhaiter, particulièrement dans les aigus, ce qui n’enlève néanmoins rien à la force de conviction ni à l’engagement d’un chant porté par le souffle de textes poétiques arabes dont la traduction française – ô délicate attention ! – a été remise au public à l’entrée. Lorsqu’entre en jeu la contrebasse de Sarah Murcia, à la sonorité impériale et au groove infaillible, la musique gagne en épaisseur et en présence, semblant révéler ses structures sous-jacentes. Et quand la contrebassiste se lance dans quelque solo, son phrasé évoque à s’y méprendre celui de l’oud de sa consœur, comme si un même flux circulait de l’une à l’autre.

Sarah Murcia

Samedi 15 novembre, La Maison (grande salle), 20h30 (1ère partie)

Emmanuel Bex, « Eddy m’a dit »

Impossible de restituer en tournée le foisonnement du disque de Bex, avec sa douzaine d’intervenants et ses deux fanfares : à Nevers, cet hommage à Eddy Louiss prendra donc la forme d’un double trio. Le premier se coule dans l’instrumentation totémique de l’organ trio (avec guitare et batterie), dont Louiss proposa une version très personnelle aux côtés des immenses René Thomas et Kenny Clarke. Aucune référence directe à cette formation pourtant : très bluesy à la guitare, Pierre Perchaud évoquerait plutôt John Scofileld, tandis que le fiston Tristan Bex insuffle à la batterie une énergie rock dont le pionnier du be-bop n’aurait pas eu idée. Maniant un orgue Hammond à la fois rugissant et sensuel, allié à un usage modéré de la talk box, le leader se plaît comme à son habitude à exploiter toute la large palette dynamique de l’instrument. En d’autres termes : ça joue souvent très fort ! (mais parfois aussi très doucement)

Emmanuel Bex

Le second trio, avec Dominique Pifarély au violon et Simon Goubert à la batterie, évoque pour sa part une autre formation emblématique de la carrière d’Eddy Louiss, à savoir son association avec Jean-Luc Ponty et Daniel Humair. Mais ce serait oublier un peu vite que Pifarély fait lui-même partie de l’histoire, ayant participé à plusieurs albums de Louiss dans les années 1980. Derrière les fûts, Goubert apporte une conception complètement différente du tempo, plus ample, moins métronomique, profondément ancrée dans l’héritage d’Elvin Jones. Les morceaux s’enchaînent, compositions originales, thèmes d’Eddie ou standards qu’il affectionnait (le fameux Colchiques dans les prés, que je prenais à tort pour un traditionnel mais qui date en fait des années 1940), prétexte à des joutes improvisées où la complicité qui unit les trois protagonistes se ressent à chaque instant.

Dominique Pifarély, Simon Goubert et Emmanuel Bex

Sans surprise, les deux trios se rejoignent en fin de concert pour former un quintette à deux batteries : une addition finale des énergies toujours un peu périlleuse, mais dont les musiciens se tirent avec les honneurs.

Samedi 15 novembre, La Maison (grande salle), 20h30 (2ème partie)

Monty Alexander Trio

Avouons-le : je n’attendais pas grand-chose de ce concert de Monty Alexander, ayant été plutôt déçu par le dernier de ses concerts auquel j’avais assisté… il y a déjà dix ans ! Mais comme on dit, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Monty est de ces pianistes qui, à l’instar d’Ahmad Jamal, aime à laisser jouer la rythmique et en l’espèce, quel rythmique ! À la contrebasse, Luke Sellick impressionne par la robustesse de son jeu et la profondeur de sa sonorité. Mais c’est surtout le batteur qui remporte tous les suffrages : colosse à l’allure juvénile irradiant une bonne humeur aussi constante que discrète, Jason Brown n’a pas son pareil pour distiller un swing intense, avec une élégance et une économie de moyens qui le situerait quelque part entre Connie Kay et Vernell Fournier – l’un des rappels nous montrera qu’il excelle aussi dans le reggae ! Avec de tels accompagnateurs, le pianiste joue sur du velours et peut tout se permettre, des tournures bluesy dans lesquelles il excelle jusqu’à quelques fautes de goût aisément pardonnables (une citation hors de propos de la Marseillaise, une version un peu cheesy de No Woman No Cry…). Maintes fois rappelé sur scène, le pianiste fut longuement ovationné par le public nivernais, clôturant en beauté cette 39ème édition de D’Jazz Nevers.

Pascal Rozat

Jason Brown, Monty Alexander et Luke Selic durant la balance