Jazz live
Publié le 26 Sep 2018

Dominique Pifarély Septet et les mystères de l’anabase

Pour ce premier concert en soirée de ce festival Les Emouvantes placé sous le signe du mouvement, Dominique Pifarély met sa musique en mouvement, comme c’est constamment le cas chez lui (et un nombre grandissant de ses confrères) vers la littérature, le poème Anabase de Paul Celan servant de trame à un nouveau projet musical.

Illustration: Le Partage des os © X. Deher (Fictionnal Cover)

Théâtre des Bernardines, Festival Les Emouvantes, Marseille (13), le 26 septembre 2018

Dominique Pifarély Septet : Dominique Pifarély (violon, composition), Bruno Ducret (violoncelle), Sylvaine Hélary (fl), Matthieu Metzger (saxes soprano et alto), François Corneloup (sax baryton), Antonin Rayon (piano, Moog), François Merville (batterie).

En 2002, Dominique Pifarély s’était lancé dans un ambitieux projet intitulé Anabasis sollicitant six instrumentistes, deux comédiens et un chœur, sur un ensemble de textes de Paul Celan et Fernando Pessoa. Cette création étant devenu le socle d’expériences qui n’ont cessé de projeter le violoniste-compositeur vers une multitude de collaborations et de disciplines parallèles à la sienne pour les faire converger (ou en ramener dans la sienne de quoi la nourrir), il revient à cette initiative ancienne pour aller de l’avant, se recentrant sur Celan, non plus pour convoquer son texte à proprement parler, mais pour creuser ce qui était déjà à l’œuvre en 2002 en exploitant sur le terrain orchestral ce que le poète offrait en terme « de rythme, prosodie, espace et forme ».

Doit-on avoir assimilé les prolégomènes de ce qui va se jouer pour y assister. L’important est que Dominique Pifarély y ait trouvé son compte pour composer la musique qu’il nous propose. Probablement y a-t-il quelque chose de l’écriture fragmentée, déchiquetée, du poème initial de Paul Celan dans le solo grommelé par François Corneloup en ouverture du concert sur une série de bruissements de batterie et une obsédante pédale d’une seule note martelée par le piano que le reste de l’orchestre survolera bientôt d’étranges homophonies. Mais on oublie vite le prétexte ou la source d’inspiration devant la beauté des ensembles, la gestion des fluides, des volumes et des masses, que résumera à lui seul un solo d’Antonin Rayon. Le compositeur Pifarély répartit tutti et contrepoints polyphoniques entre les différents timbres avec des gestes d’orfèvre, qualité qu’il partage avec ses interprètes qui naviguent avec aisance sur cette zone floue dont le violoniste a fait son domaine entre écriture et improvisation (François Merville, sans une seule partition sous les yeux de cette écriture à tiroirs parfois très secrets). Aisance qui est le fruit d’un métier des phrasés, des vocabulaires et des timbres que résume Sylvaine Hélary en un solo de flûte extra-terrestre. La ressemblance de Bruno Ducret avec son père est troublante, notamment lorsqu’il se met à improviser en pizzicati évoquant des phrasés paternels*. Les saxophones de Matthieu Metzger tranchent discrètement leur part dans cette musique comme d’un bistouri si affûté qu’il n’y paraît presque rien à la surface de ces tissus orchestraux qu’il traverse et nourrit en profondeur. Et du leader on ne sait distinguer l’archet de la plume d’une musique qui nous laisse pantois, bouleversés, autour de la buvette installée dans la cour du théâtre des Bernardines, à deux pas de la Cannebière.

Demain 27 septembre, on attend dans la même superbe salle des Bernardines à 19h le Workshop de Stéphane Payen qui revisiteré les Sérénades pour contrebasse du compositeur allemand Hans Werner Henze (1926-1912) en les confrontant aux interprétations littérales de la contrebassiste Charlotte Testu. À 21h, Andy Emler répondra à une commande de Claude Tchamitchian avec un répertoire composé pour un quintette composé de lui-même, Dominique Pifarély, Matthieu Metzger, Sylvain Daniel et Eric Echampard. • Franck Bergerot

* Explication donnée 24 heures plus tard par Dominique Pifarély, de cette impression que j’avais hésité à partager pour ce qu’elle pouvait avoir de désobligeant pour le fils, une mauvaise interprétation pouvant réduire ce dernier à un clonage du père: le solo en pizzicati en question était construit à partir d’éléments d’une composition de Marc Ducret, tirée de l’album “Gris” (1990) et la ressemblance donc occasionnelle, consciente et voulue, peut-être comme une forme d’hommage. Mais il est vrai que ce flash mémoriel à quelque peu occulté mon écoute de ce jeune violoncelliste que j’écoutais en situation de soliste pour la première fois, hormis, il y a deux ans, pour la création du programme Histoire sur les images de la vidéaste  Sarah Lee Lefèvre où le père et le fils mêlait intimement leurs deux instruments.