Jazz live
Publié le 19 Mai 2024

D’où venais-tu, Palle ? Où es-tu allé ?

Petit rappel sur les débuts de Palle Danielsson dont on vient d’apprendre le décès, plus quelques rappels phonographiques.

(Ci-dessus, un extrait du livre du coffret “Svensk Jazzhistoria, Vol.10, Swedish Jazz, 1965-1969”, Caprice Records)

Le contrebassiste Palle Danielsson est né à Stockholm le 15 juin 1946 à Stockholm et aurait pratiqué très tôt l’harmonica et le sifflet à coulisse dès l’âge de cinq ans. À huit ans, il commence l’étude du violon, mais son goût pour le jazz le conduit rapidement à opter pour la contrebasse. Sa réputation au niveau européen commence avec les débuts du quartette européen de Keith Jarrett avec Jan Garbarek en avril 1974 et même quelques mois plus tôt avec la diffusion de “Witchi-Tai-To” co-signé par Garbarek et Bobo Stenson sur le même label ECM et avec la même rythmique qui l’associera définitivement dans l’imaginaire jazzistique à Jon Christensen. À vrai dire, ses débuts professionnels sont très antérieurs, dès son entrée au Collège royal de musique de Stockholm en 1962. Dès cette année-là, on le repère dans les discographies auprès de la chanteuse Monica Zetterlund, avec qui il travaillera à intervalle régulier jusque dans les années 1970. Grâce à elle, en novembre 1965, il a l’occasion de collaborer avec Bill Evans au Golden Circle de Stockholm en trio ou en quartette avec la chanteuse. Il est à l’époque régulièrement associé au pianiste Staffan Abeleen auprès duquel il côtoie d’autres figures de la scène montante scandinave, tel le saxophoniste Bernt Rosengren et le tromboniste Eje Thelin, tournant pour la première fois en Europe avec ce dernier en compagnie de Barney Wilen et les batteurs Rune Carlsson ou Billy Brooks.

Ses premières collaborations avec Bobo Stenson datent de 1967, au sein du quartette du saxophoniste Borje Fredriksson. En 1968, il participe pour MPS à un “Alto Summit” avec Lee Konitz, Pony Poindexter, Phil Woods et Leo Wright au sein d’une rythmique emmenée par le pianiste Steve Kuhn, avec Jon Christensen à la batterie, leur première rencontre qui se poursuivra en trio au lendemain des séances de ce all stars (“Watch What Happens”). Le principe donnera lieu à un “Altissimo” en 1973, toujours avec Lee Konitz, mais Gary Bartz, Charlie Mariano, Jackie McLean, Joachim Kühn et Han Bennink.

Sa réputation grandissante en Europe le voit se joindre au NDR Jazz Workshop de Hamburg d’octobre-novembre 1969 avec notamment Roger Guérin (tp), Slide Hampton (tb), Radu Malfati (tb), Herb Geller (as), John Surman (bars), Steve Kuhn (p), Pierre Cavalli (elg) et Stu Martin (dm). On le retrouvera en décembre au Baden-Baden Free Jazz Meeting, première rencontre à grande échelle des avant-gardes américaines (Joseph Bowie, Joseph Jarman, Roscoe Mitchell, Barre Phillips, Steve McCall) et européennes (Kenny Wheeler, Albert Mangelsdorf, Eje Thelin, Willem Breuker, Alan Skidmore, Heinz Sauer, Gerd Dudek, Bernt Rosengren, John Surman, Leo Cuypers, Terje Rypdal, Tony Oxley, Claude Delcloo).

En 1970, toujours dans le registre de l’improvisation libre, il enregistre “Different Ways, Different Days” sous le nom de la chanteuse Karin Krog. L’année suivante, il participe à une réunion de contrebassistes initiée par Barre Phillips (“For All It Is”), avec Barry Guy et Jean-François Jenny-Clark, plus Stu Martin, et enregistre son premier disque sous nom son nom “Club Jazz 5” avec les saxophonistes Roland Keijser et Lennart Aberg, Bobo Stenson et les batteurs Jon Christensen et Bengt Berger. Ce groupe, moins Keijser et Christensen, deviendra Rena Rama, annonciateur de bien des musiques à venir mais qui sera éclipsé par le succès des disques de Jan Garbarek avec Stenson (“Witchi-Tai-Too” , “Dansere”) et Jarrett (“Belonging”, “My Song”, “Personal Mountain”, “Sleeper”, “Nude Ants”). En revanche, on ne connaît qu’un seul autre disque sous son nom, “Contra Post” (1994), qui mérite le détour: si vous aimez aborder un musicien, commencez par Monk’s Mood en duo avec le guitariste avec le guitariste Goran Klinghagen; et si vous aimez les musiques tintinnabulantes abordez le par 7 notes, 7 Days, 7 Planetes avec Joakim Milder (sax soprano), Rita Marcotulli (piano) et Ander Kjellberg (batterie); enfin si vous préférez que ça swingue passez à Not Yet avec les mêmes.

À compter de “Witchi-Tai-To”, “Belonging” et “Dansere”, la réputation de Palle Danielsson est faite. On le reverra associé à Jon Christensen chez ECM (avec Enrico Rava “The Pilgrim and the Stars”, 1975 ; “The Plot”, 1976 ; “Rava, l’opera va”, 1993), Stu Goldberg (“Live”, 1982), Anour Brahem (“Khomsa”, 1994), Tomasz Stanko (“Litania”, 1997), David Linx (“Heartland”, 2001). On lui connaîtra d’autres grands batteurs : Edward Vesala (“Satu”, 1976), Elvin Jones (avec Albert Mangelsdorff “The Wide Point”), Peter Erskine avec Christophe Lauer et Joachim Kühn (“Christophe Lauer”, 1989) et pour une série de chefs d’œuvre avec John Taylor (de “You Never Know” de 1992 à “Juni” de 1997), une association que le pianiste poursuivra avec le batteur anglais Martin France (de “Angel of the Presence” de 2004 en trio à “Requiem for a Dreamer” en quartette avec Julian Argüelles en 2008). Et tant d’autres compagnons et d’autres faces qu’on vous laisse retrouver au fil de vos errances sur le net et les plateformes.

Quant à moi, je garde le souvenir d’un rencontre impromptu dans un bar du Mans où il se produisait en duo, si ma mémoire ne me trompe pas, avec Andy Emler au printemps 1992. Celui du retour de Charles Lloyd en 1982, ramené à la scène par Michel Petrucciani qui réunira par la suite Palle et Eliott Zigmund en trio au Village Vanguard puis en studio pour Blue Note. Mais je repars de cette première impression, il y a un demi-siècle, la première plage de “Belonging”, Spiral Dance, cette pédale de basse qui ouvre le disque dans les crépitements de caisse claire de Christensen, puis ce solo qui est offert à Danielsson tout au long de ce premier morceau, pas de deux déhanché de la contrebasse et de la batterie autour de la même note infiniment répétée par Jarrett. Quelle entrée en matière ! Puis cette délicatesse avec laquelle il suit le cheminement de Jarrett et Garbarek sur Blossom. Ces grondements de gros félin derrière les grooves de Jarrett sur ‘Long As You Know You’re Living Yours. Je vous laisse le soin de passer à la face B. Franck Bergerot