Jazz live
Publié le 24 Nov 2012

Éclatants Éclats d’Émail Jazz (Limoges)

Depuis 7 ans la capitale du Limousin et de la porcelaine (et donc de l’émail…) accueille le festival Éclats d’Émail Jazz. Pour l’édition 2012 (13-25 novembre) : 13 jours, 20 concerts, moult animations, show-cases et expositions. Trois jours là-bas : bonnes surprises et belles soirées, de G. Mulligan à M. Ducret en passant par le Soweto Kinch. De quoi horrifier les rares derniers dinosaures survivants du Hot Club local. Et c’est tant mieux !

Limoges fut après guerre un bastion puissant du Hot Club de France (HCF). Sous la houlette de Jean-Marie Masse* la section limougeaude du HCF a longtemps eu un nombre impressionnant d’adhérents. Ce fidèle vassal d’Hugues Panassié occupait alors une place élevée dans la hiérarchie très pyramidale du HCF. A 91 ans, hyperactif missionnaire du jazz « authentique », infatigable, il continue sa croisade visant à l’extermination du jazz progressiste (i.e. le jazz moderne d’après 1945 !). Il a créé en 1989 une radio (Swing FM) qui diffuse jour et nuit uniquement du blues et du jazz « classique » (le seul « vrai » jazz selon la définition HCF). Sa colossale discothèque permet d’alimenter sans problème ce robinet à jazz « mainstream ». Comme son maître « Nunugues Peine à Scier » (selon la belle formule de Boris Vian) il a des lubies étonnantes, par exemple, sa détestation absolue de « Caravan » ! Demandant même aux orchestres programmés dans les quelques 400 concerts qu’il a organisés depuis 1948 de ne pas jouer ce thème à Limoges… Si les musiciens passent outre ce diktat, J.M. Masse quitte la salle en râlant et ne revient que lorsque le morceau est terminé ! Quand le Festival de Marciac a commencé à programmer des boppers, il fit de même ! Quittant ostensiblement le chapiteau en pestant pendant les prestations be-bop. Depuis il boycotte Marciac… Sacré personnage. Un intégriste, un vrai, comme on n’en fait plus… Mais dont les « troupes »locales, aujourd’hui, sont squelettiques…


Alain Rodet député/maire de Limoges (député depuis 1981 et maire depuis 1990) est un jazzfan, mais pas du tout d’obédience HCF. Il organisa même dans les années 60 quelques concerts de jazz à l’Université de Grenoble et dans la Drôme.


J.M. Masse, dont la notoriété est importante en Limousin* (il y anime des émissions de radio depuis la fin des années 40), après un lobbying intense (et efficace) auprès du maire, a réussi à faire baptiser 3 rues de la ville dédiées à de grands jazzmen « classiques » : Buck Clayton (Président d’Honneur du Hot Club de Limoges), Louis Armstrong et Duke Ellington… Quelques provocateurs, jazzfans modernistes, ont proposé à la mairie que Parker, Coltrane et Ornette Coleman soient eux aussi honorés ! Ils n’ont pas été entendus… pour l’instant en tout cas. A 91 ans J.M. Masse pourrait-il supporter un tel affront ?


Plus subtilement, la politique culturelle de la municipalité a contourné l’obstacle de l’intégrisme local en favorisant l’initiative d’un jeune producteur fourmillant d’idées et pas du tout préoccupé par cette question (qui n’intéresse au fond plus grand monde) de « La Bataille du Jazz » (« vrai » jazz vs « faux » jazz !). Grand spécialiste de la question des partenariats culturels, producteur indépendant comblé (plusieurs récompenses et nominations dans les cérémonies « jazz ») du label Laborie (déjà 26 cds à son actif), Jean-Michel Leygonie propose depuis 7 ans des concerts haut de gamme et variés : du blues au free, toutes les couleurs des jazz d’aujourd’hui sont présentées.

Du côté de la « com » (une spécialité aussi de J.M. Leygonie), affiches, flyers et brochure/programme très soignés, et en bonus une superbe photo en noir et blanc de Roberto Fonseca, torse nu, qui était affichée en très grand format chez de nombreux partenaires du festival. Impossible de ne pas la voir et donc d’ignorer la tenue du festival…


L’annonce d’un hommage à Gerry Mulligan pour le 19/11 m’avait attirée. Le quartet sans piano du saxophoniste baryton avec Chet Baker est un grand moment de l’histoire du jazz West-Coast (et du jazz tout court…). Mais j’étais dubitatif. Sous des apparences « faciles » et agréables, cette musique est subtile et fort complexe. Peu de musiciens s’y frottent finalement. Bingo… le Quartet de Mathieu Tarot (tp) avec son frère Jean-Baptiste au baryton, Blaise Chevalier à la contrebasse et Stéphane Stanger à la batterie a été parfait. Nombreux thèmes emblématiques des enregistrements historiques des années 50 joués dans l’esprit mais sans revivalisme, courts solos très inspirés, contrepoints (ces fameux contrepoints) élégants joués au juste volume « derrière » le soliste. Le concert avait lieu dans une petite salle (bourrée à craquer) de 160 places et en acoustique (parfait pour cette musique : une sonorisation aurait surement altéré les belles sonorités des 2 solistes). Seul le contrebassiste était légèrement amplifié mais il avait réglé son ampli de manière à ne pas couvrir la trompette et le baryton. Belle occasion de découvrir Blaise Chevalier dont les lignes de« walking bass »nous rappelaient le grand Ray Brown. Concert jubilatoire. Un quartet encore méconnu qui devrait séduire les programmateurs de festivals.


Pas facile, et surtout intimidant, après les 3 comptes rendus « haut de gamme » de Ludovic Florin (voir Jazz Live daté 14/11), de Philippe Méziat (du 16/11) et de Franck Bergerot (du 17/11) relatant les prestations du Tower Bridge de Marc Ducret à la tête d’un all stars de 11 musiciens, de tenter d’en proposer un quatrième ! Lisez donc les comptes-rendus de mes collègues. Ils sont brillants et reflètent parfaitement le concert de Limoges du 20/11. Mais, petit complément au travail de mes confrères, le batteur que j’aurais aimé être (tout le monde sait que moult critiques sont des musiciens ratés !) tient à signaler que la rythmique l’a fait « tomber de l’armoire » ! Pas de contrebasse mais un phénoménal saxo-basse (Frédéric Gastard) et deux batteurs complémentaires… Dont Tom Rainey, impérial, compagnon de route de Marc Ducret et Tim Berne depuis deux décennies, au moins. En tous cas, de l’avis unanime des musiciens, ravis et détendus après leur passage sur la scène du Théâtre de l’Union, cet avant dernier concert de la tournée d’une dizaine de jours en France fut, pour eux, splendide. Avis unanimement partagé par les spectateurs dont de nombreux fans de Ducret venus de loin : Albi, Bordeaux, Tarbes !


Le 21/11 Soweto Kinch Quartet a emballé un public où beaucoup de jeunes collégiens et lycéens étaient en totale empathie avec le rapper (et saxophoniste alto) Soweto Kinch. Drôle, pêchu : un blues « rappé » engagé déjà remarqué à Banlieues Bleus en 2010. Mention spéciale au batteur, Graham Geodfey: précis et groovy.


Dans le temps être muté à Limoges était une punition (limogé !) aujourd’hui s’y rendre pendant un festival comme Eclats d’Email est un bonheur !


Pierre-Henri Ardonceau


Note à l’usage des jeunes générations : le HCF de France fête ces jours-ci son 80ème anniversaire ainsi que le centenaire de la naissance de celui qui fut son Président jusqu’à sa mort : Hugues Panassié (surnommé le « pape de Montauban »). De « source sûre », j’ai appris qu’il y avait à l’heure actuelle moins de 500 abonnés au Bulletin (paroissial ?) du HCF ! Or… tous les adhérents sont automatiquement abonnés. Ce qui donne une idée de l’état des effectifs ! Après guerre il y eut plusieurs dizaines de milliers d’adhérents au HCF…


*Voir cet étonnant reportage de TF1 consacré à J.-M. Masse ici : http://videos.tf1.fr/jt-13h/jean-marie-le-jazzmasse-de-limoges-6549721.html. On le voit imitant son maître Panassié lorsqu’il « mimait »   un morceau… On peut, pour comparer, visionner aussi cette extraordinaire séquence de Panassié « interprétant » dans une gestuelle incroyable un duo Rex Steward/Cootie Williams: http://www.dailymotion.com/video/x48pij_l-aventure-du-jazz-extrait-n-2_music. Il n’y pas photo… Sur ce terrain Panassié est impérial !

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Depuis 7 ans la capitale du Limousin et de la porcelaine (et donc de l’émail…) accueille le festival Éclats d’Émail Jazz. Pour l’édition 2012 (13-25 novembre) : 13 jours, 20 concerts, moult animations, show-cases et expositions. Trois jours là-bas : bonnes surprises et belles soirées, de G. Mulligan à M. Ducret en passant par le Soweto Kinch. De quoi horrifier les rares derniers dinosaures survivants du Hot Club local. Et c’est tant mieux !

Limoges fut après guerre un bastion puissant du Hot Club de France (HCF). Sous la houlette de Jean-Marie Masse* la section limougeaude du HCF a longtemps eu un nombre impressionnant d’adhérents. Ce fidèle vassal d’Hugues Panassié occupait alors une place élevée dans la hiérarchie très pyramidale du HCF. A 91 ans, hyperactif missionnaire du jazz « authentique », infatigable, il continue sa croisade visant à l’extermination du jazz progressiste (i.e. le jazz moderne d’après 1945 !). Il a créé en 1989 une radio (Swing FM) qui diffuse jour et nuit uniquement du blues et du jazz « classique » (le seul « vrai » jazz selon la définition HCF). Sa colossale discothèque permet d’alimenter sans problème ce robinet à jazz « mainstream ». Comme son maître « Nunugues Peine à Scier » (selon la belle formule de Boris Vian) il a des lubies étonnantes, par exemple, sa détestation absolue de « Caravan » ! Demandant même aux orchestres programmés dans les quelques 400 concerts qu’il a organisés depuis 1948 de ne pas jouer ce thème à Limoges… Si les musiciens passent outre ce diktat, J.M. Masse quitte la salle en râlant et ne revient que lorsque le morceau est terminé ! Quand le Festival de Marciac a commencé à programmer des boppers, il fit de même ! Quittant ostensiblement le chapiteau en pestant pendant les prestations be-bop. Depuis il boycotte Marciac… Sacré personnage. Un intégriste, un vrai, comme on n’en fait plus… Mais dont les « troupes »locales, aujourd’hui, sont squelettiques…


Alain Rodet député/maire de Limoges (député depuis 1981 et maire depuis 1990) est un jazzfan, mais pas du tout d’obédience HCF. Il organisa même dans les années 60 quelques concerts de jazz à l’Université de Grenoble et dans la Drôme.


J.M. Masse, dont la notoriété est importante en Limousin* (il y anime des émissions de radio depuis la fin des années 40), après un lobbying intense (et efficace) auprès du maire, a réussi à faire baptiser 3 rues de la ville dédiées à de grands jazzmen « classiques » : Buck Clayton (Président d’Honneur du Hot Club de Limoges), Louis Armstrong et Duke Ellington… Quelques provocateurs, jazzfans modernistes, ont proposé à la mairie que Parker, Coltrane et Ornette Coleman soient eux aussi honorés ! Ils n’ont pas été entendus… pour l’instant en tout cas. A 91 ans J.M. Masse pourrait-il supporter un tel affront ?


Plus subtilement, la politique culturelle de la municipalité a contourné l’obstacle de l’intégrisme local en favorisant l’initiative d’un jeune producteur fourmillant d’idées et pas du tout préoccupé par cette question (qui n’intéresse au fond plus grand monde) de « La Bataille du Jazz » (« vrai » jazz vs « faux » jazz !). Grand spécialiste de la question des partenariats culturels, producteur indépendant comblé (plusieurs récompenses et nominations dans les cérémonies « jazz ») du label Laborie (déjà 26 cds à son actif), Jean-Michel Leygonie propose depuis 7 ans des concerts haut de gamme et variés : du blues au free, toutes les couleurs des jazz d’aujourd’hui sont présentées.

Du côté de la « com » (une spécialité aussi de J.M. Leygonie), affiches, flyers et brochure/programme très soignés, et en bonus une superbe photo en noir et blanc de Roberto Fonseca, torse nu, qui était affichée en très grand format chez de nombreux partenaires du festival. Impossible de ne pas la voir et donc d’ignorer la tenue du festival…


L’annonce d’un hommage à Gerry Mulligan pour le 19/11 m’avait attirée. Le quartet sans piano du saxophoniste baryton avec Chet Baker est un grand moment de l’histoire du jazz West-Coast (et du jazz tout court…). Mais j’étais dubitatif. Sous des apparences « faciles » et agréables, cette musique est subtile et fort complexe. Peu de musiciens s’y frottent finalement. Bingo… le Quartet de Mathieu Tarot (tp) avec son frère Jean-Baptiste au baryton, Blaise Chevalier à la contrebasse et Stéphane Stanger à la batterie a été parfait. Nombreux thèmes emblématiques des enregistrements historiques des années 50 joués dans l’esprit mais sans revivalisme, courts solos très inspirés, contrepoints (ces fameux contrepoints) élégants joués au juste volume « derrière » le soliste. Le concert avait lieu dans une petite salle (bourrée à craquer) de 160 places et en acoustique (parfait pour cette musique : une sonorisation aurait surement altéré les belles sonorités des 2 solistes). Seul le contrebassiste était légèrement amplifié mais il avait réglé son ampli de manière à ne pas couvrir la trompette et le baryton. Belle occasion de découvrir Blaise Chevalier dont les lignes de« walking bass »nous rappelaient le grand Ray Brown. Concert jubilatoire. Un quartet encore méconnu qui devrait séduire les programmateurs de festivals.


Pas facile, et surtout intimidant, après les 3 comptes rendus « haut de gamme » de Ludovic Florin (voir Jazz Live daté 14/11), de Philippe Méziat (du 16/11) et de Franck Bergerot (du 17/11) relatant les prestations du Tower Bridge de Marc Ducret à la tête d’un all stars de 11 musiciens, de tenter d’en proposer un quatrième ! Lisez donc les comptes-rendus de mes collègues. Ils sont brillants et reflètent parfaitement le concert de Limoges du 20/11. Mais, petit complément au travail de mes confrères, le batteur que j’aurais aimé être (tout le monde sait que moult critiques sont des musiciens ratés !) tient à signaler que la rythmique l’a fait « tomber de l’armoire » ! Pas de contrebasse mais un phénoménal saxo-basse (Frédéric Gastard) et deux batteurs complémentaires… Dont Tom Rainey, impérial, compagnon de route de Marc Ducret et Tim Berne depuis deux décennies, au moins. En tous cas, de l’avis unanime des musiciens, ravis et détendus après leur passage sur la scène du Théâtre de l’Union, cet avant dernier concert de la tournée d’une dizaine de jours en France fut, pour eux, splendide. Avis unanimement partagé par les spectateurs dont de nombreux fans de Ducret venus de loin : Albi, Bordeaux, Tarbes !


Le 21/11 Soweto Kinch Quartet a emballé un public où beaucoup de jeunes collégiens et lycéens étaient en totale empathie avec le rapper (et saxophoniste alto) Soweto Kinch. Drôle, pêchu : un blues « rappé » engagé déjà remarqué à Banlieues Bleus en 2010. Mention spéciale au batteur, Graham Geodfey: précis et groovy.


Dans le temps être muté à Limoges était une punition (limogé !) aujourd’hui s’y rendre pendant un festival comme Eclats d’Email est un bonheur !


Pierre-Henri Ardonceau


Note à l’usage des jeunes générations : le HCF de France fête ces jours-ci son 80ème anniversaire ainsi que le centenaire de la naissance de celui qui fut son Président jusqu’à sa mort : Hugues Panassié (surnommé le « pape de Montauban »). De « source sûre », j’ai appris qu’il y avait à l’heure actuelle moins de 500 abonnés au Bulletin (paroissial ?) du HCF ! Or… tous les adhérents sont automatiquement abonnés. Ce qui donne une idée de l’état des effectifs ! Après guerre il y eut plusieurs dizaines de milliers d’adhérents au HCF…


*Voir cet étonnant reportage de TF1 consacré à J.-M. Masse ici : http://videos.tf1.fr/jt-13h/jean-marie-le-jazzmasse-de-limoges-6549721.html. On le voit imitant son maître Panassié lorsqu’il « mimait »   un morceau… On peut, pour comparer, visionner aussi cette extraordinaire séquence de Panassié « interprétant » dans une gestuelle incroyable un duo Rex Steward/Cootie Williams: http://www.dailymotion.com/video/x48pij_l-aventure-du-jazz-extrait-n-2_music. Il n’y pas photo… Sur ce terrain Panassié est impérial !

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Depuis 7 ans la capitale du Limousin et de la porcelaine (et donc de l’émail…) accueille le festival Éclats d’Émail Jazz. Pour l’édition 2012 (13-25 novembre) : 13 jours, 20 concerts, moult animations, show-cases et expositions. Trois jours là-bas : bonnes surprises et belles soirées, de G. Mulligan à M. Ducret en passant par le Soweto Kinch. De quoi horrifier les rares derniers dinosaures survivants du Hot Club local. Et c’est tant mieux !

Limoges fut après guerre un bastion puissant du Hot Club de France (HCF). Sous la houlette de Jean-Marie Masse* la section limougeaude du HCF a longtemps eu un nombre impressionnant d’adhérents. Ce fidèle vassal d’Hugues Panassié occupait alors une place élevée dans la hiérarchie très pyramidale du HCF. A 91 ans, hyperactif missionnaire du jazz « authentique », infatigable, il continue sa croisade visant à l’extermination du jazz progressiste (i.e. le jazz moderne d’après 1945 !). Il a créé en 1989 une radio (Swing FM) qui diffuse jour et nuit uniquement du blues et du jazz « classique » (le seul « vrai » jazz selon la définition HCF). Sa colossale discothèque permet d’alimenter sans problème ce robinet à jazz « mainstream ». Comme son maître « Nunugues Peine à Scier » (selon la belle formule de Boris Vian) il a des lubies étonnantes, par exemple, sa détestation absolue de « Caravan » ! Demandant même aux orchestres programmés dans les quelques 400 concerts qu’il a organisés depuis 1948 de ne pas jouer ce thème à Limoges… Si les musiciens passent outre ce diktat, J.M. Masse quitte la salle en râlant et ne revient que lorsque le morceau est terminé ! Quand le Festival de Marciac a commencé à programmer des boppers, il fit de même ! Quittant ostensiblement le chapiteau en pestant pendant les prestations be-bop. Depuis il boycotte Marciac… Sacré personnage. Un intégriste, un vrai, comme on n’en fait plus… Mais dont les « troupes »locales, aujourd’hui, sont squelettiques…


Alain Rodet député/maire de Limoges (député depuis 1981 et maire depuis 1990) est un jazzfan, mais pas du tout d’obédience HCF. Il organisa même dans les années 60 quelques concerts de jazz à l’Université de Grenoble et dans la Drôme.


J.M. Masse, dont la notoriété est importante en Limousin* (il y anime des émissions de radio depuis la fin des années 40), après un lobbying intense (et efficace) auprès du maire, a réussi à faire baptiser 3 rues de la ville dédiées à de grands jazzmen « classiques » : Buck Clayton (Président d’Honneur du Hot Club de Limoges), Louis Armstrong et Duke Ellington… Quelques provocateurs, jazzfans modernistes, ont proposé à la mairie que Parker, Coltrane et Ornette Coleman soient eux aussi honorés ! Ils n’ont pas été entendus… pour l’instant en tout cas. A 91 ans J.M. Masse pourrait-il supporter un tel affront ?


Plus subtilement, la politique culturelle de la municipalité a contourné l’obstacle de l’intégrisme local en favorisant l’initiative d’un jeune producteur fourmillant d’idées et pas du tout préoccupé par cette question (qui n’intéresse au fond plus grand monde) de « La Bataille du Jazz » (« vrai » jazz vs « faux » jazz !). Grand spécialiste de la question des partenariats culturels, producteur indépendant comblé (plusieurs récompenses et nominations dans les cérémonies « jazz ») du label Laborie (déjà 26 cds à son actif), Jean-Michel Leygonie propose depuis 7 ans des concerts haut de gamme et variés : du blues au free, toutes les couleurs des jazz d’aujourd’hui sont présentées.

Du côté de la « com » (une spécialité aussi de J.M. Leygonie), affiches, flyers et brochure/programme très soignés, et en bonus une superbe photo en noir et blanc de Roberto Fonseca, torse nu, qui était affichée en très grand format chez de nombreux partenaires du festival. Impossible de ne pas la voir et donc d’ignorer la tenue du festival…


L’annonce d’un hommage à Gerry Mulligan pour le 19/11 m’avait attirée. Le quartet sans piano du saxophoniste baryton avec Chet Baker est un grand moment de l’histoire du jazz West-Coast (et du jazz tout court…). Mais j’étais dubitatif. Sous des apparences « faciles » et agréables, cette musique est subtile et fort complexe. Peu de musiciens s’y frottent finalement. Bingo… le Quartet de Mathieu Tarot (tp) avec son frère Jean-Baptiste au baryton, Blaise Chevalier à la contrebasse et Stéphane Stanger à la batterie a été parfait. Nombreux thèmes emblématiques des enregistrements historiques des années 50 joués dans l’esprit mais sans revivalisme, courts solos très inspirés, contrepoints (ces fameux contrepoints) élégants joués au juste volume « derrière » le soliste. Le concert avait lieu dans une petite salle (bourrée à craquer) de 160 places et en acoustique (parfait pour cette musique : une sonorisation aurait surement altéré les belles sonorités des 2 solistes). Seul le contrebassiste était légèrement amplifié mais il avait réglé son ampli de manière à ne pas couvrir la trompette et le baryton. Belle occasion de découvrir Blaise Chevalier dont les lignes de« walking bass »nous rappelaient le grand Ray Brown. Concert jubilatoire. Un quartet encore méconnu qui devrait séduire les programmateurs de festivals.


Pas facile, et surtout intimidant, après les 3 comptes rendus « haut de gamme » de Ludovic Florin (voir Jazz Live daté 14/11), de Philippe Méziat (du 16/11) et de Franck Bergerot (du 17/11) relatant les prestations du Tower Bridge de Marc Ducret à la tête d’un all stars de 11 musiciens, de tenter d’en proposer un quatrième ! Lisez donc les comptes-rendus de mes collègues. Ils sont brillants et reflètent parfaitement le concert de Limoges du 20/11. Mais, petit complément au travail de mes confrères, le batteur que j’aurais aimé être (tout le monde sait que moult critiques sont des musiciens ratés !) tient à signaler que la rythmique l’a fait « tomber de l’armoire » ! Pas de contrebasse mais un phénoménal saxo-basse (Frédéric Gastard) et deux batteurs complémentaires… Dont Tom Rainey, impérial, compagnon de route de Marc Ducret et Tim Berne depuis deux décennies, au moins. En tous cas, de l’avis unanime des musiciens, ravis et détendus après leur passage sur la scène du Théâtre de l’Union, cet avant dernier concert de la tournée d’une dizaine de jours en France fut, pour eux, splendide. Avis unanimement partagé par les spectateurs dont de nombreux fans de Ducret venus de loin : Albi, Bordeaux, Tarbes !


Le 21/11 Soweto Kinch Quartet a emballé un public où beaucoup de jeunes collégiens et lycéens étaient en totale empathie avec le rapper (et saxophoniste alto) Soweto Kinch. Drôle, pêchu : un blues « rappé » engagé déjà remarqué à Banlieues Bleus en 2010. Mention spéciale au batteur, Graham Geodfey: précis et groovy.


Dans le temps être muté à Limoges était une punition (limogé !) aujourd’hui s’y rendre pendant un festival comme Eclats d’Email est un bonheur !


Pierre-Henri Ardonceau


Note à l’usage des jeunes générations : le HCF de France fête ces jours-ci son 80ème anniversaire ainsi que le centenaire de la naissance de celui qui fut son Président jusqu’à sa mort : Hugues Panassié (surnommé le « pape de Montauban »). De « source sûre », j’ai appris qu’il y avait à l’heure actuelle moins de 500 abonnés au Bulletin (paroissial ?) du HCF ! Or… tous les adhérents sont automatiquement abonnés. Ce qui donne une idée de l’état des effectifs ! Après guerre il y eut plusieurs dizaines de milliers d’adhérents au HCF…


*Voir cet étonnant reportage de TF1 consacré à J.-M. Masse ici : http://videos.tf1.fr/jt-13h/jean-marie-le-jazzmasse-de-limoges-6549721.html. On le voit imitant son maître Panassié lorsqu’il « mimait »   un morceau… On peut, pour comparer, visionner aussi cette extraordinaire séquence de Panassié « interprétant » dans une gestuelle incroyable un duo Rex Steward/Cootie Williams: http://www.dailymotion.com/video/x48pij_l-aventure-du-jazz-extrait-n-2_music. Il n’y pas photo… Sur ce terrain Panassié est impérial !

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Depuis 7 ans la capitale du Limousin et de la porcelaine (et donc de l’émail…) accueille le festival Éclats d’Émail Jazz. Pour l’édition 2012 (13-25 novembre) : 13 jours, 20 concerts, moult animations, show-cases et expositions. Trois jours là-bas : bonnes surprises et belles soirées, de G. Mulligan à M. Ducret en passant par le Soweto Kinch. De quoi horrifier les rares derniers dinosaures survivants du Hot Club local. Et c’est tant mieux !

Limoges fut après guerre un bastion puissant du Hot Club de France (HCF). Sous la houlette de Jean-Marie Masse* la section limougeaude du HCF a longtemps eu un nombre impressionnant d’adhérents. Ce fidèle vassal d’Hugues Panassié occupait alors une place élevée dans la hiérarchie très pyramidale du HCF. A 91 ans, hyperactif missionnaire du jazz « authentique », infatigable, il continue sa croisade visant à l’extermination du jazz progressiste (i.e. le jazz moderne d’après 1945 !). Il a créé en 1989 une radio (Swing FM) qui diffuse jour et nuit uniquement du blues et du jazz « classique » (le seul « vrai » jazz selon la définition HCF). Sa colossale discothèque permet d’alimenter sans problème ce robinet à jazz « mainstream ». Comme son maître « Nunugues Peine à Scier » (selon la belle formule de Boris Vian) il a des lubies étonnantes, par exemple, sa détestation absolue de « Caravan » ! Demandant même aux orchestres programmés dans les quelques 400 concerts qu’il a organisés depuis 1948 de ne pas jouer ce thème à Limoges… Si les musiciens passent outre ce diktat, J.M. Masse quitte la salle en râlant et ne revient que lorsque le morceau est terminé ! Quand le Festival de Marciac a commencé à programmer des boppers, il fit de même ! Quittant ostensiblement le chapiteau en pestant pendant les prestations be-bop. Depuis il boycotte Marciac… Sacré personnage. Un intégriste, un vrai, comme on n’en fait plus… Mais dont les « troupes »locales, aujourd’hui, sont squelettiques…


Alain Rodet député/maire de Limoges (député depuis 1981 et maire depuis 1990) est un jazzfan, mais pas du tout d’obédience HCF. Il organisa même dans les années 60 quelques concerts de jazz à l’Université de Grenoble et dans la Drôme.


J.M. Masse, dont la notoriété est importante en Limousin* (il y anime des émissions de radio depuis la fin des années 40), après un lobbying intense (et efficace) auprès du maire, a réussi à faire baptiser 3 rues de la ville dédiées à de grands jazzmen « classiques » : Buck Clayton (Président d’Honneur du Hot Club de Limoges), Louis Armstrong et Duke Ellington… Quelques provocateurs, jazzfans modernistes, ont proposé à la mairie que Parker, Coltrane et Ornette Coleman soient eux aussi honorés ! Ils n’ont pas été entendus… pour l’instant en tout cas. A 91 ans J.M. Masse pourrait-il supporter un tel affront ?


Plus subtilement, la politique culturelle de la municipalité a contourné l’obstacle de l’intégrisme local en favorisant l’initiative d’un jeune producteur fourmillant d’idées et pas du tout préoccupé par cette question (qui n’intéresse au fond plus grand monde) de « La Bataille du Jazz » (« vrai » jazz vs « faux » jazz !). Grand spécialiste de la question des partenariats culturels, producteur indépendant comblé (plusieurs récompenses et nominations dans les cérémonies « jazz ») du label Laborie (déjà 26 cds à son actif), Jean-Michel Leygonie propose depuis 7 ans des concerts haut de gamme et variés : du blues au free, toutes les couleurs des jazz d’aujourd’hui sont présentées.

Du côté de la « com » (une spécialité aussi de J.M. Leygonie), affiches, flyers et brochure/programme très soignés, et en bonus une superbe photo en noir et blanc de Roberto Fonseca, torse nu, qui était affichée en très grand format chez de nombreux partenaires du festival. Impossible de ne pas la voir et donc d’ignorer la tenue du festival…


L’annonce d’un hommage à Gerry Mulligan pour le 19/11 m’avait attirée. Le quartet sans piano du saxophoniste baryton avec Chet Baker est un grand moment de l’histoire du jazz West-Coast (et du jazz tout court…). Mais j’étais dubitatif. Sous des apparences « faciles » et agréables, cette musique est subtile et fort complexe. Peu de musiciens s’y frottent finalement. Bingo… le Quartet de Mathieu Tarot (tp) avec son frère Jean-Baptiste au baryton, Blaise Chevalier à la contrebasse et Stéphane Stanger à la batterie a été parfait. Nombreux thèmes emblématiques des enregistrements historiques des années 50 joués dans l’esprit mais sans revivalisme, courts solos très inspirés, contrepoints (ces fameux contrepoints) élégants joués au juste volume « derrière » le soliste. Le concert avait lieu dans une petite salle (bourrée à craquer) de 160 places et en acoustique (parfait pour cette musique : une sonorisation aurait surement altéré les belles sonorités des 2 solistes). Seul le contrebassiste était légèrement amplifié mais il avait réglé son ampli de manière à ne pas couvrir la trompette et le baryton. Belle occasion de découvrir Blaise Chevalier dont les lignes de« walking bass »nous rappelaient le grand Ray Brown. Concert jubilatoire. Un quartet encore méconnu qui devrait séduire les programmateurs de festivals.


Pas facile, et surtout intimidant, après les 3 comptes rendus « haut de gamme » de Ludovic Florin (voir Jazz Live daté 14/11), de Philippe Méziat (du 16/11) et de Franck Bergerot (du 17/11) relatant les prestations du Tower Bridge de Marc Ducret à la tête d’un all stars de 11 musiciens, de tenter d’en proposer un quatrième ! Lisez donc les comptes-rendus de mes collègues. Ils sont brillants et reflètent parfaitement le concert de Limoges du 20/11. Mais, petit complément au travail de mes confrères, le batteur que j’aurais aimé être (tout le monde sait que moult critiques sont des musiciens ratés !) tient à signaler que la rythmique l’a fait « tomber de l’armoire » ! Pas de contrebasse mais un phénoménal saxo-basse (Frédéric Gastard) et deux batteurs complémentaires… Dont Tom Rainey, impérial, compagnon de route de Marc Ducret et Tim Berne depuis deux décennies, au moins. En tous cas, de l’avis unanime des musiciens, ravis et détendus après leur passage sur la scène du Théâtre de l’Union, cet avant dernier concert de la tournée d’une dizaine de jours en France fut, pour eux, splendide. Avis unanimement partagé par les spectateurs dont de nombreux fans de Ducret venus de loin : Albi, Bordeaux, Tarbes !


Le 21/11 Soweto Kinch Quartet a emballé un public où beaucoup de jeunes collégiens et lycéens étaient en totale empathie avec le rapper (et saxophoniste alto) Soweto Kinch. Drôle, pêchu : un blues « rappé » engagé déjà remarqué à Banlieues Bleus en 2010. Mention spéciale au batteur, Graham Geodfey: précis et groovy.


Dans le temps être muté à Limoges était une punition (limogé !) aujourd’hui s’y rendre pendant un festival comme Eclats d’Email est un bonheur !


Pierre-Henri Ardonceau


Note à l’usage des jeunes générations : le HCF de France fête ces jours-ci son 80ème anniversaire ainsi que le centenaire de la naissance de celui qui fut son Président jusqu’à sa mort : Hugues Panassié (surnommé le « pape de Montauban »). De « source sûre », j’ai appris qu’il y avait à l’heure actuelle moins de 500 abonnés au Bulletin (paroissial ?) du HCF ! Or… tous les adhérents sont automatiquement abonnés. Ce qui donne une idée de l’état des effectifs ! Après guerre il y eut plusieurs dizaines de milliers d’adhérents au HCF…


*Voir cet étonnant reportage de TF1 consacré à J.-M. Masse ici : http://videos.tf1.fr/jt-13h/jean-marie-le-jazzmasse-de-limoges-6549721.html. On le voit imitant son maître Panassié lorsqu’il « mimait »   un morceau… On peut, pour comparer, visionner aussi cette extraordinaire séquence de Panassié « interprétant » dans une gestuelle incroyable un duo Rex Steward/Cootie Williams: http://www.dailymotion.com/video/x48pij_l-aventure-du-jazz-extrait-n-2_music. Il n’y pas photo… Sur ce terrain Panassié est impérial !