
Au cœur du quartier parisien de La Goutte d’Or, presque en face du ‘24 rue Léon’, bistrot qui accueille régulièrement les performances des ‘Paris Jazz Series’, se tenait le concert de sortie du disque ‘Mejiro’ de la chanteuse-compositrice Ellinoa (publié en septembre, label Les P’tits Cailloux du Chemin / Inouïe distribution)

ELLINOA ‘Mejiro’ sextette
Ellinoa (voix, compositions, arrangements, métallophone), Christelle Raquillet (flûte, flûte alto, ocarina, seconde voix, chœurs), Arthur Henn (mandoline, chœurs), Alba Obert (violon, chœurs), Mathilde Vrech (alto, voix improvisée, chœurs) Juliette Serrad (violoncelle, chœurs)
Paris, Lavoir Moderne Parisien, 14 octobre 2025, 20h30
Un groupe à l’instrumentation inusitée (voix, flûte, trio à cordes & mandoline), pour une musique singulièrement inclassable. Mais cette singularité revendiquée n’est pas un effet d’annonce : elle est l’essence même de ce projet. La chanteuse-compositrice-arrangeuse & autrice nous propose, pour l’essentiel du concert, les thèmes créés pour le disque. Une musique inspirée par le Japon, un pays que connaît bien la musicienne. En présentant chacun des titres elle évoque éloquemment les circonstances, les lieux et les impressions de ses séjours dans ce pays qui ont inspiré ce que nous allons écouter. Mais manifestement il ne s’agit pas de japoniser la musique : le Japon est une source, une inspiration, pour une musique d’une belle originalité, et d’une grande intensité. Une musique qui sollicite grandement les ressources (instrumentales et musicales, improvisations comprises) de toute l’équipe. La violoniste régulière du groupe (et du disque), Héloïse Lefebvre, a dû déclarer forfait pour cause d’enfantement proche. Alba Obert qui la remplace possède aussi cette double culture de la musique classique et du jazz, comme d’ailleurs toute l’équipe, dont une partie s’était côtoyée au sein du CMDL, le centre de formation musicale supérieure créé par Didier Lockwood. Arthur Henn, qui a quitté la contrebasse pour la mandoline, est à la fois un repère ‘rythmico-harmonique’ et un soliste le moment venu. Et il sera aussi le compositeur d’un thème (arrangé par Ellinoa) qui ne figure pas sur le disque, mais qui sera joué en rappel. Christelle Raquillet nous enchante aux flûtes comme à l‘ocarina, dans la précision de l’écrit comme dans la liberté de l’improvisation. Elle est aussi la ‘seconde voix’ qui se joint à celle d’Ellinoa pour étoffer encore la couleur harmonique de l’ensemble. Mathilde Vrech nous offrira une improvisation simultanée de l’alto et de sa voix, soulignant ainsi la liberté de cette musique. Quant à Juliette Serrad, elle fera montre du même talent et de la même intensité, dans l’écrit et l’improvisé. Et le centre de gravité se trouve chez Ellinoa : elle a composé cette musique faite d’intervalles mélodiques tendus, virevoltants, de chromatismes vertigineux, d’harmonies audacieuses, avec des rythmes effervescents, plein de surprises et de foucades virtuoses. Le groupe est d’une précision diabolique, mais sans jamais éluder l’expressivité. Tout concourt à faire de ce programme un objet (très) singulier qui nous transporte dans une sorte de dépaysement esthétique. La voix de la compositrice (maîtrise et liberté confondues, dans l’écrit comme dans l’improvisé) entraîne l’équipe vers une sorte d’ailleurs où nous sommes conviés. On tutoie le sublime…. Les textes en anglais, écrits par Ellinoa, relèvent d’un grand talent prosodique. Le seul texte en français (sur Le Gibet de Maurice Ravel, ici arrangé par Philippe Maniez) ne reprend pas le poème d’Aloysus Bertrand (dont le recueil Gaspard de la nuit fut l’inspirateur de Ravel). Ellinoa a écrit pour cette musique son propre texte, qu’elle transmet avec une ardeur expressive qui bouleverse. Bref c’est un concert qui conjugue à merveille une esthétique ambitieuse et totalement aboutie avec un pouvoir de communiquer qui paraît sans limite. On espère que les festivals et autres programmes vont se précipiter sur ce joyau. Quelques dates à venir déjà. La prochaine est à Radio France, le 10 janvier 2026 au studio 104 pour ‘Jazz sur le Vif’. On y court déjà!
Xavier Prévost
http://www.ellinoa.net/musique/
