Jazz live
Publié le 1 Oct 2023

Enrico Pieranunzi au Château de Coupvray

Trois jours de spectacles de toutes disciplines dans le Parc du Château de Coupvray où nous étions l’an dernier venus écouter David Linx, avec en invité Nguyên Lê (chronique ici).

Un double événement, car en plus d’écouter le trio d’Enrico Pieranunzi, c’était aussi l’occasion de saluer le départ en retraite de Dominique Jézéquel, la directrice de l’Association Act’Art, structure qui diffuse largement la culture dans tout le département de Seine-et-Marne.

https://www.actart77.com/event/actart-en-fete-2/

Active dans l’action artistique et culturelle (et en particulier le jazz) depuis quatre décennies, Dominique a marqué de son empreinte le développement de cette association soutenue par les institutions nationales et les collectivités territoriales, et les personnalités présentes n’ont pas manqué de louer ses qualités. Amusement du chroniqueur, élevé dans une ferme à l’écart du département voisin (l’Aisne), d’entendre un notable souligner l’importance d’apporter la culture dans les zones rurales (très étendues dans ce département un peu écrasé par son développement suburbain), jusque dans les parties «les plus reculées» du monde rural. Si le chroniqueur chronique aujourd’hui c’est que, déjà dans les années 50 (son enfance), Louis Armstrong, Art Blakey, Miles Davis et consorts (et aussi Bach, Beethoven, Balzac …) parvenaient dans les parties les plus reculées de la ruralité par le truchement de l’école, de la presse, et surtout de la radio….

Sous le chapiteau dressé dans le parc du Château la soirée avait commencé vers 20h avec l’ensemble Globe Trotter, un double-octette (ou plutôt un octette de jazz et un octuor vocal, de jazz bien sûr)

Belle prestation de ce groupe en voie de professionnalisation soutenu par le département dans le cadre du CMDL (Centre des Musiques Didier Lockwood)

Et leur court concert, sous la houlette de Manu Domergue, se termina par une dernière composition du regretté violoniste, The Kid, un thème qui fit en son temps le tour des planètes-jazz

ENRICO PIERANUZI Trio

Enrico Pieranunzi (piano), Thomas Fonnesbæk (contrebasse), André Ceccarelli (batterie)

Chateau de Coupvray (Seine-et-Marne), 30 septembre 2023, 21h

Le trio n’est pas celui entendu quelques jours plus tôt à Paris au Sunside (Chronique de Walden Gauthier ici). Le bassiste est cette fois le Danois Thomas Fonnesbæk, avec lequel le pianiste a enregistré en duo, et aussi en trio, précisément avec André Ceccarelli. La cohésion est forte, 100 % ‘trio de jazz’. Le concert commence sur tempo très vif, un peu soul jazz, avec de l’expression et des vertiges. Puis c’est une sorte de valse-jazz, un peu Valse Hot, comme disait Sonny Rollins. Lyrisme, encore. Vient ensuite un tempo medium, mais rythmiquement très marqué, sur une mélodie assez mélancolique. Lyrisme toujours. Enrico Pieranunzi dédie ce concert à Dominique Jézéquel : ils se sont souvent croisés professionnellement. Un standard de Broadway va déboucher sur un standard du jazz, en l’occurrence Solar de Miles Davis. La fête continue. Le pianiste est volubile, mais chaque trait respire la profondeur musicale ; le bassiste est tout aussi volubile, dans l’accompagnement comme dans le solo, qui se joue d’ailleurs en dialogue, ou plutôt en trilogue. L’amateur en moi jubile. Et le batteur, en sorcier de l’accompagnement, dispense mille touches dans tous les interstices, avec une absolue pertinence. Quand il prend un solo (il n’en abuse pas, loin de là!), André Ceccarelli semble toujours faire chanter le thème, qu’il garde en creux, comme blotti dans les arcanes de son instrument. Enrico Pieranunzi annonce une composition qu’ils avaient enregistrée ensemble, et titrée – en français dans le texte – Je Ne Sais Quoi. Je ne sais si ce choix fait référence à Vladimir Jankélévitch, qui associait à ce terme le ‘presque rien’. Mais c’est au philosophe que je pense, lequel, pianiste accompli, contournait pour des raisons personnelles liées à l’histoire de son origine, la musique allemande, mais vénérait le polonais francophile, Frédéric Chopin. La composition de Pieranunzi respire le romantisme, mais un romantisme qui ne serait pas allemand, mais polonais, ou hongrois (italien peut-être?). Je m’égare. La musique m’emporte. Le pianiste annonce Yesterdays, le fameux standard de Jerome Kern. Mais rien ici des langueurs de la version de Billie Holiday. Ça déboule sur tempo vif, de bout en bout, et dans la coda, la résolution est esquivée. Dans le rappel en revanche, My Foolish Heart, distillé avec une dévotion où transpire le souvenir de Bill Evans (auquel le pianiste a consacré un très bon livre), si Pieranunzi contourne encore la résolution dans l’accord final, c’est le bassiste qui pose avec autorité, en ultime note, la fondamentale. Je crois que c’est Jean-Louis Chautemps qui appelait cela un ‘impérialisme du retour à la tonique’. Cette ultime note restera en ma mémoire comme la coda d’un très beau concert !

texte et photos de Xavier Prévost