Jazz live
Publié le 8 Juil 2025 • Par Xavier Prévost

Festival Radio France Occitanie Montpellier : Joe Lovano & Marcin Wasilewski Trio

Le jazz du festival revient cette année encore au Théâtre de l’Agora, naguère appelé Cour des Ursulines : un lieu qui fut successivement, au fil des siècles, un couvent, une prison, et une caserne ; et qui accueillit régulièrement cette musique, dans le cadre du festival, depuis la fin des années 80

Ouverture éblouissante pour la programmation jazz du festival, avec un groupe qui coche toutes les cases : de l’excellence, de la mémoire, et de la liberté d’inventer dans l’effervescence de l’instant. Un quartette bien sûr, mais qui se présente comme la rencontre entre un très grand jazzman états-uniens et un trio européen, polonais pour être plus précis. Trio qui chemine depuis trente ans, d’une cohésion incroyable, et qui depuis quelques années rencontre Joe Lovano, sur les deux rives de l’Atlantique

JOE LOVANO & MARCIN WASILEWSKI Trio

Joe Lovano (saxophone ténor, taragote, percussions), Marcin Wasilewski (piano), Slawomir Kurkiewicz (contrebasse), Michal Miskiewicz (batterie)

Montpellier, Théâtre de l’Agora, 7 juillet 2025, 20h30

Le sax ténor commence seul, bientôt rejoint par le trio dans ce qui est d’entrée de jeu (et cela se confirmera au fil du concert) dans un esprit foncièrement collectif. Écoute, dialogue, commentaire, relance, saillies impromptues qui ravivent le débat : un débat de haut vol. Le pianiste se lance dans une improvisation étourdissante, qui croise le blues et tous les autres territoires. Ses deux mains portent la musique au point d’incandescence. Mais ce n’est pas un cavaleur de clavier : ici pas de clichés ressassés, pas de valeurs rythmiques égales qui, même up tempo, fatiguent l’auditeur attentif ; des ruptures, des accidents fomentés, des bifurcations. La basse et la batterie sont partie prenante de l’envol. Puis le ténor revient, en majesté, pour prolonger l’aventure. Au thème suivant le pianiste ouvre le paysage en douceur, tendance piano français au tournant des 19ème & 20ème siècles (Ravel, Debussy, Satie….). S’ensuit un dialogue avec la batterie, et la magie du groupe reprend. Le piano paraît caresser un standard subliminal, et un solo de contrebasse va ouvrir un nouvel espace. Le vent disperse soudain les partitions du bassiste (qui en cet instant n’en a cure), et de bonnes âmes vont courir deci delà pour rassembler les fugitives…. Puis Joe Lovano va taquiner des gongs et petites percussions, le sax joué de l’autre main. Le trio nous embarque dans un ostinato qui ravive les souvenirs de A Love Supreme ; sur quoi le saxophoniste se saisit d’un taragote (tárogató dans sa contrée d’origine, la Hongrie), instrument entendu dans le jazz avec Charles Lloyd, Yochk’o Seffer, et quelques (rares) autres.

Je ne vais pas détailler chaque étape du concert, qui mêle des compositions anciennes ou récentes de Lovano, mais aussi de Marcin Wasilewski. Ce qui domine c’est la liberté : autonomie laissée au trio et à ses membres, mais avec des rendez-vous constants d’interaction, de rebond, voire d’extase. Liberté conquise par le trio, revivifiée par le saxophoniste : une sorte de vertige permanent. Dans l’enchaînement des thèmes, et aussi à l’intérieur de chacun d’eux, un espace dramaturgique construit en commun : absolue réussite de cette idée singulière qui consiste, plutôt que de monter un quartette, à réunir un soliste et un trio rompu de connivence. Magique d’un bout à l’autre pour qui écoute. Et vérification de auditu dans un peu plus d’un mois, car ce concert sera diffusé en début de soirée le dimanche 17 août. Qu’on se le dise !

Xavier Prévost