Jazz live
Publié le 24 Juil 2018

Festival Radio France Occitanie Montpellier

La partie « jazz » de la manifestation culturelle juillettiste est programmée par Pascal Rozat, dont le nom ne sera peut-être pas inconnu des lecteurs de Jazz Magazine. Animateur sémillant et passionné, il présente les concerts sur scène, puis depuis un studio organisé dans les coulisses, pour une diffusion en direct sur France Musique, avec de brefs entretiens avec les artistes au sortir de la scène.

Au Domaine d’O situé à quelques stations de tramway du vieux centre de Montpellier, les spectateurs, profitant du cadre d’une spacieuse pinède livrée aux cigales, d’un lieu de restauration de bonne qualité et de concerts « off » d’élèves du conservatoire local, viennent nombreux à ces concerts gratuits, et y retrouvent ou découvrent des artistes confirmés ou en devenir, au gré d’une programmation d’une réelle diversité stylistique.

16 juillet

Nik Bärtsch’s Ronin

Nik Bärtsch (p, Rhodes), Sha (bcl, as), Thomy Jordi (elb), Kaspar Rast (dm)

Le festival a débuté par un concert de ce quartette de zen funk suisse (si, si, ça existe) aux plages hypnotiques, dont ce fut la seule date française et auquel je ne pus hélas assister. Rattrapage immédiat avec une écoute en ballado-diffusion, toujours disponible et recommandée à tout un chacun. Ce groupe à part dans le catalogue du label ECM mérite assurément d’être découvert, et a séduit le public de l’Hérault.

17 juillet

Asian Fields

Louis Sclavis (cl, bcl), Dominique Pifarély (vln), Vincent Courtois (cello)

ECM toujours, mais esthétique bien différente quoique non moins empreinte d’une contemplation de l’absolu, avec Asian Fields, composé de trois musiciens français parmi les plus reconnus du genre. La thématique générale du festival est « Douce France ». S’il y a de la douceur dans ces compositions et improvisations, pour partie extraites de l’album « Variations », il y a aussi de la véhémence, les cordes sont acérées et la clarinette altière. On perçoit le lien avec la musique classique, que l’on peut par ailleurs aller écouter la journée dans des salles du centre-ville. Certains morceaux présentent un aspect mélodique et dansant – il est permis de songer à des gigues médiévales ou au folklore irlandais par exemple. Mais une pièce plus abstraite et ardue, signée Dominique Pifarély, s’érige au milieu du set. Des spectateurs jettent alors l’éponge, les autres s’accrochent, la suite ré-arpentant un terrain plus accessible, tout étant cependant relatif s’agissant d’un trio exigeant, dont on aura savouré la précision, les nuances et inflexions, et que la présence d’une grenouille mélomane, saluée par Louis Sclavis, n’aura aucunement troublé.

18 juillet

Vincent Peirani Living Being : “Night Walker”

Vincent Peirani (accordéon & accordina), Emile Parisien (ss), Tony Paeleman (Rhodes), Julien Herné (elb), Yoann Serra (dm)

Double nouveauté puisque je découvrais la musique de Vincent Peirani à l’occasion de cette soirée (je vis depuis quinze ans dans un abri anti-nucléaire), et surtout parce qu’il s’agissait de la première présentation du répertoire de « Night Walker », nouvel album de l’accordéoniste virtuose pour lequel les qualificatifs viennent à manquer. Il combine muscle et éloquence pour embarquer l’auditoire dans un tourbillon de notes, soutenu par des partenaires dont la proximité manifeste avec le leader confère un supplément d’âme à la musique. Peu familier également quoique pas complètement ignorant du parcours d’Emile Parisien (quelques informations parvenaient de temps à autre jusqu’à mon refuge sous-terrain), je pus à l’occasion de ce concert avoir confirmation de ce que j’avais pu en lire, de sa présence mouvementée (car habitée) sur les planches à une superbe sonorité de soprano, les notes coulant telles de l’eau fraîche d’une source de montagne, au sein d’une esthétique tirant vers le rock, avec des reprises de Led Zeppelin intercalées entre des compositions du chef, mais où l’on revisita aussi Henry Purcell. Le concert faillit être annulé et annihilé par une menace d’orage, menace suivie d’effets mais devant lesquels le programmateur ne se démonta pas et, inconscient, courageux ou fin stratège, décida de maintenir le concert. Il fut bien inspiré, car une connexion spéciale s’établit alors entre musiciens (à l’abri) et spectateurs (sous la pluie). Ceux qui étaient munis de parapluies et/ou n’avaient pas déserté l’amphithéâtre ressentirent un appétit de musique redoublé, incitant en retour les artistes à tout donner. En direct sur France Musique, Pascal Rozat fit partager ces moments de suspense et d’émotion à la France entière avec l’abattage d’un commentateur sportif, et l’interview post-concert de Peirani se signala également par sa spontanéité et le plaisir d’avoir joué en dépit de conditions météo pour le moins bancales. Equipe technique au diapason, ce qui ne pouvait pas faire de mal.

19 juillet

Trio Aïrés

David Enhco (tp), Edouard Ferlet (p), Stéphane Kerecki (b)

Airelle Besson souffrante, c’est David Enhco qui la “remplace” au pied levé, découvrant les partitions sur le tard et jouant cette musique pour la première fois. « Amour éperdu de la mélodie, sonorités lyriques et épurées, pas de batterie ni de rythmes tapageurs ici, un univers onirique, comme délesté de la pesanteur du monde » nous dit le programme. Peut-être, mais rien n’y fit, et ce jazz de chambre dévitalisé me plongea dans un profond ennui. C’est que j’aime bien sentir la pesanteur du monde, moi. L’art se doit de dire quelque chose de son époque, de s’emparer de certaines problématiques, pas de manière explicite ou avec un message nécessairement verbalisé, mais en les infusant dans la trame et l’esprit des compositions et de l’exécution. Même la tentative de s’en abstraire est signifiante, car rien n’existe hors-sol. Ici, cette joliesse plus embourgeoisée que poétique me laissa de granit. Tout de même, bravo au trompettiste, qui essuya quelques critiques pour son application et manque de feeling, mais que je trouvai a contrario le plus impliqué des trois, peut-être justement parce que peu familiarisé avec cette musique.

21 juillet

Rudresh Mahanthappa’s Indo-Pak Coalition

Rudresh Mahanthappa (as, elec), Rez Abbasi (elg), Dan Weiss (dm, tablas)

Le 20, je séchai la pinède et le quartette d’Arnaud Dolmen, pour mieux revenir au Domaine d’O le samedi pour ce qui constitua le point fort de la semaine : le trio du saxophoniste américain (meilleur alto d’après Downbeat) Rudresh Mahanthappa. Par quoi commencer ? Le soufflant est phénoménal, ce qui est encore plus vrai en concert que sur disque (on a pu l’apprécier récemment sur l’album « Unfiltered Universe » aux côtés de ses deux comparses de la soirée, mais aussi de Vijay Iyer). Il privilégie de manière étonnante les notes basses de l’alto, à l’opposé d’autres praticiens de l’instrument qui montent volontiers dans les tours. De longues pièces de jazz (car il s’agit bien de cela, bien que les racines et structures « blues » en soient tranchées) influencé par les musiques indiennes – répétitions de thèmes, poly-rythmes, effets de spirales – entraînent les auditeurs dans une musique à la fois énergique et aux effets antalgiques (mes articulations vieillissantes s’en trouvèrent ragaillardies), et recourant avec parcimonie à des effets électroniques (boucles de notes enregistrées en direct et manipulées par le saxophoniste). Sa précision et sa sonorité sèche, presque dure, et l’expertise du percussionniste Dan Weiss, alternant ou cumulant jeu de batterie et de tablas, et responsable d’un solo d’anthologie, trouvent leur équilibre via les sonorités cotonneuses et le jeu plus relâché de Rez Abbasi. Le guitariste occupe parfois le registre d’un bassiste, tout en évitant de marcher sur les plates-bandes d’un percussionniste également préoccupé de tonalité. Au terme du concert, au lieu des traditionnelles signatures de CD, ce sont des codes de téléchargement et des… chaussettes (!) qui sont proposées au public : « Maintenant vous n’en avez pas besoin, mais songez à l’automne et à l’hiver ! » glisse avec humour Mahanthappa. C’était la troisième et dernière date française du trio, mini-tournée permise par le Festival Radio France, et à laquelle on est heureux d’avoir assisté.

Le festival se poursuit jusqu’au 26 juillet avec Luigi Grasso Greenwich Sessions, Julian Lage Trio, Guilhem Flouzat Trio, Thomas Enhco Trio avec le guitariste Federico Casagrande en invité et la chanteuse Camille Bertault.

David Cristol

Photos :

Festival Radio France Occitanie Montpellier / Luc Jennepin (Asian Fields & Rudresh Mahanthappa)

Festival Radio France Occitanie Montpellier / Marc Ginot (Vincent Peirani)