Jazz live
Publié le 24 Août 2025

Final de Jazz Campus en Clunisois : Nubu et le trio ETE

Samedi 23 août : Final de Jazz Campus en Clunisois

https://www.jazzcampus.fr/

Nubu Nahash Urban Brass Unit aux Ecuries St Hugues 12h 30.

Victor Auffray – Flugabone, chant
Thibaut Du Cheyron – Trombones, voix
Elisabeth Coxall – Serpent, chant lead
Marion Ruault – Contrebasse, voix
Guillaume Lys – Percussions

Les lauréats Jazz Migration #10 – Jazz Migration

C’est le traditionnel « pique nique » de fin de festival où le public amène son frichti, le festival offrant le concert. Et nous ne serons pas déçus par cette musique généreuse d’un groupe jeune, passionné qui donne à voir et entendre pendant plus d’une heure et demi leur programme. Nubu est l’un des finalistes du réseau Jazzmigration AJC dont on ne vantera jamais assez les mérites. Ce dispositif d’accompagnement de musiciens et musiciennes émergents du jazz et musiques improvisées est porté par AJC avec le soutien du ministère de la Culture, de la SACEM, de l’Adami, de la Spedidam, du CNM…Je ne rate jamais un concert des lauréats dans les festivals que je suis, matière à déouverte des jeunes pousses du jazz hexagonal comme Adèle Viret, Noe Clerc les années précédentes.

Un quintet performant, enthousiaste qui croise instruments et styles d’époques différentes : une instrumentation pour le moins originale avec serpent, flugabone, trombone, percussions à peaux animales, contrebasse. Le concert commence d’ailleurs par un duo voix-contrebasse ( Elizabeth Coxhall à la voix et Marion Ruault dont la cellule de la contrebasse est cassée), relayé par une batterie de cuivres: le trombone de Thibaut Du Cheyron qui donne aussi de la voix, l’intrigant flugabone de Victor Auffray, hybride entre bugle et trombone à pistons.

Quant à la vocaliste, elle se saisit d’un serpent, ce cuivre en S double, ancêtre du tuba, à six trous qui passe à douze clés dans l’ophicleide plus virtuose qui se mêle aux percussions, à la contrebasse et aux trombones pour créer un feuilletage et une texture sonores uniques. Autre basse de l’ensemble, le serpent évoque Michel Godard, orfèvre au tuba et grand amateur de cet instrument. Sans oublier la voix, un instrument à part entière, enflant et survoltée dans les aigus d’une chanteuse maîtrisant la langue de Shakespeare, nourrie de scat, vocalese qui poussent au cri. Nubu mixe les époques, travaille la fusion des timbres qui s’ajustent avec bonheur, les graves cuivrés et moelleux dans un folklore anglosaxon qui peut remonter au XVII ème, non pas du Dowland ou du Purcell mais des anonymes qui racontent des histoires plus ou moins sordides, très sombres en tous les cas, de cadavres dans des landes battues par les vents. J’avoue ne pas avoir tout suivi d’une histoire à rallonge en trois parties « Sisters », épisodes que se délecte à raconter la chanteuse. Ce quintet à l’instrumentation rare joue une musique bien plus inspirée du folk anglo-saxon que d’un baroque jazzifié, qui mêle chanson et improvisations implosives. Un concert qui mériterait une première partie de soirée du festival, assurément, Mr. Levallet ?

Le trio E.T.E : There is an another way

Accueil – Andy Emler

Andy Emler : Piano Compositions
Claude Tchamitchian : Contrebasse
Eric Echampard : Batterie

Rembobinons le film : tout a commencé en 2003 avec la formation de ce trio dans TEE Time d’un tout jeune label In circum girum, un T.E.E dernière génération à grande vitesse qui nous faisait découvrir de nouvelles frontières avec trois véritables voix, composant et improvisant ensemble. Le pianiste Andy Emler faisait le lien avec une rythmique des plus séduisantes Eric Echampard et Claude Tchamitchian : circulation, glissements, échange des fonctions entre trois complices. Loin de tourner en rond, ce trio stimulant et jubilatoire avançait ensemble dans la matière sonore entre énergie déployée parfois en force, moments d’improvisations ouvertes, jeu constant de questions-réponses, créant une voie rigoureuse et poétique. Après ce premier album le trio de TEE récidivait en 2006 avec cette intrigante question « A quelle distance sommes-nous ? » qu’ils se posaient à eux même sur le sens des musiques qui se référaient alors à l’idiome jazz. Quelque vingt ans plus tard, on retrouve le trio TEE devenu ETE . Andy Emler affectionne ces anagrammes et titres étranges comme »Obsession 3″, parfois perecquiens « E total », entendre mi total ( inverse de la Disparition). Si on a déjà beaucoup glosé sur « l’art du trio », jamais complices n’ont autant pris le temps de faire entendre leur voix. Andy Emler à la tête d’un brillant et spectaculaire « Méga octet » dans lequel il a conservé cette paire d’as à la rythmique, a continué l’aventure du trio savourant le plaisir plus raffiné de cette formation d’excellence, installant un univers immédiatement reconnaissable.

Au centre de l’attelage, le contrebassiste Claude Tchamitchian donne toute sa mesure dans des passages irrésistibles, étrangement palpitants, il travaille l’archet comme personne, en tire des sons inouïs, fait ronronner sa basse autant que gémir, craquer sous les doigts de son maître. Cette musique d’une grande fluidité, hypnotique dès l’ouverture poursuit son entreprise de séduction dans une suite de trois titres. Ainsi se brosse à larges traits dans notre imaginaire un paysage ample avec de superbes moments d’improvisations ouvertes, traçant une voie rigoureuse et poétique entre accélérations intenses où l’on apprécie toujours autant l’énergie froide, presque rageuse d’Éric Echampard qui passe souvent avec une vigueur inégalée, mais se retient aussi, modère sa puissance de frappe pour ne pas étouffer ses comparses. Avec un set de batterie des plus sobres, ce virtuose des baguettes impose un rythme sûr et léger, aidé, il est vrai, dans sa démarche percussive par les assauts du piano qui peut se déchaîner. Peu de pièces courtes mais des envolées lyriques, survoltées qui favorisent l’emballement progressif, l’exaltation jusqu’au bout de souffle. Sans oublier parfois une douceur insistante, faussement impressionniste ravelienne « à la manière d’Andy ».

Ces trois-là ont eu raison d’insister et de poursuivre leur démarche esthétique, un « solo permanent à trois », entre musique savante et populaire, actuelle assurément. On pourrait évoquer un jazz chambré qui se joue des limitations convenues entre musique expérimentale, contemporaine et d’avant-garde : les musiciens prennent encore le risque de la liberté sans oublier certains repères, admettant certains dérèglements, toujours raisonnés, comme pour conserver une certaine rigueur dans ces « formes ouvertes ».
En près d’une heure d’une musique drue et généreuse qui s’étire avec une force qui balaie tout sur son passage jusqu’au final qui se résout dans un bruissement de la nuance la plus exquise d’effleurements aux balais jusqu’à ce que l’obscurité tombe sur le plateau. On se laisse faire, embarquant pour un voyage in(dé)fini, plongé dans un état second !

Cette formation n‘a enregistré en fait que quatre disques si je compte bien. Après Sad and Beautiful à la pochette en belle résonance, comme un rideau de pluie zébrant un ciel outre-mer,  « outre profond » à la manière d’un Soulages, le plus sombre The useful Report ( qui fournira quelques fragments du rappel). C’est dire que ces musiciens prennent leur temps, élaborent des projets et une musique soigneusement réfléchis.  Et ce n’est pas seulement parce qu’ils sont engagés ailleurs, mais parce qu’ils sont soucieux de produire du sens : ils présentent une musique en expansion, « expansive » aussi, du jazz contemporain mâtiné de beaucoup d’autres influences. Leur univers est vite identifiable cependant,  une « abstraction lyrique » qui concourt à édifier une histoire, une fiction mentale dont on suit les épisodes à la sortie de chaque album, sur le label de la Buissonne.  A suivre le tout dernier dont nous avons eu la primeur ce soir, en mars 2026 There is another way. On souhaite donc que ce T.E.E nous fasse encore voyager longtemps,  que ce bel E.T.E persiste dans sa démarche esthétique tout en gardant ce désir et plaisir communs du jeu.

Fin de l’édition trop courte pour moi . Remerciements de Didier Levallet à l’équipe des 27 bénévoles ( Claire et Gérard, Josse et Janine, Elizabeth, Serge, Marc… pardon de ne pas les citer tous) et les deux chevilles ouvrières Hélène et Marion sans qui ça tournerait beaucoup moins bien. Cette belle équipe que chaque année je retrouve avec émotion comme si nous nous étions quittés la veille…

Sophie Chambon