Final enchanteur du festival de St Rémy avec The Amazing Keystone Big Band

Retour à St Rémy pour le final enchanteur du Festival de Jazz de St Rémy édition 2025 avec The Amazing Keystone Big Band.
Fascinating Rhythm(s) – The Music of George Gershwin — The Amazing Keystone Big Band
Equipe — The Amazing Keystone Big Band

Pour le dernier concert du festival Bernard Chambre a prévu de faire entendre un grand format The Amazing Keystone Big Band (Victoire du Jazz du meilleur orchestre en 2018) soit 17 musiciens et 2 chanteurs dans leur dernier programme Fascinating Rhythm(s) (sorti en février dernier) consacré aux chansons des frères George & Ira Gershwin.
L’aventure de l’Amazing Keystone Big Band débute en avril 2010 à la Croix-Rousse, au jazz club la Clé de voûte. Quatre élèves issus du CNSM de Paris, complices depuis le Conservatoire, décident de former un grand orchestre à l’image de ceux de Duke Ellington ou Count Basie : le pianiste Fred Nardin, le saxophoniste Jon Boutellier ( fils du fondateur du festival Jazz à Vienne qui vit aujourd’hui à New York et sera remplacé ce soir par le très talentueux Adrien Sanchez), le tromboniste Bastien Ballaz ( que j’ai connu dans le Kami quintet de Pascal Charrier) et le trompettiste David Enhco d’une dynastie de musiciens.

L’Orchestre reprend le modèle des grandes formations de la Swing era où le jazz était du dernier cri, la musique qui comptait. Cette belle machine de swing adapte au répertoire d’antan les idées d’aujourd’hui. Car ce qui frappe d’emblée c’est la jeunesse de cette formation et son professionnalisme. Le succès vient dès 2012 avec l’adaptation jazz du conte musical de Prokofiev Pierre et le Loup. Les arrangements mettent en scène un spectacle interactif pour les petits qui séduit aussi les grands, les néophytes comme les amateurs avertis. Ils continueront avec une version jazz du Carnaval des animaux racontant l’aventure d’un loup, à la fois narrateur et acteur (Édouard Baer sur le CD) allant à la rencontre du bestiaire du carnaval.
S’ils se sont fait connaître avec leurs adaptations de classiques enfantins, ils ont cette capacité à adapter aussi bien Serge Prokofiev qu’Ella Fitzgerald, Django Reinhardt que Camille Saint-Saens. Des projets très divers qu’ils transforment selon les publics car ils ont un solide background classique, un amour réel du jazz mais aussi des musiques actuelles avec lesquels ils sont en prise directe. Leur répertoire est très ouvert ce qui leur assure un grand nombre de concerts : West Side Story , We love Ella, Judy Garland, Jazz et Cinéma.

On retrouve avec plaisir la formule classique de big band avec tutti et soli mettant en avant les musiciens de chaque pupitre. On retrouve l’alignement impeccable par pupitres, la « front line » de luxe des 5 saxophonistes, les autres pupitres non moins valeureux, 4 trombonistes

et 4 trompettes, la section rythmique piano, basse batterie et une guitare.

La rythmique solide et dicrète aux qualités réelles d’accompagnement soutient des solistes aux développements souvent inspirés, du tromboniste Bastien Ballaz

au trompettiste David Enhco, avec les saxophonistes qui tirent tous leur épingle du jeu du lead alto Kenny Jeanney à Pierre Dessassis, sans oublier les remplaçants.



Si on attend ces morceaux de bravoure, passage obligé-et l’on pense à leurs grands aînés de Paul Gonsalvez chez Duke à Buck Layton ou Harry « Sweets » Edison chez le Count, les tutti sont encore plus impressionnants par la cohésion, la précision et l’incroyable fougue de l’ensemble, valorisée encore par leur sonorisateur attitré. Sonorité, imagination mélodique et vélocité de chacun.
Leur mérite est d’adapter le répertoire de Gershwin, l’un des plus grands créateurs de comédie musicale. George Gershwin est l’un des rares compositeurs à réunir musiques «savantes» et «populaires» avec des mélodies uniques, plongeant dans le paysage sonore de sa ville, le New York du Jazz Age. Il a d’ailleurs inspiré un nombre incroyable de standards de jazz. En 1928, au lendemain de son poème symphonique Un Américain à Paris, il est considéré comme le médiateur entre Jazz et Musique symphonique. On évoqua même du jazz symphonique pour son Concerto en Fa. Quelque part un malentendu car si Gershwin a en lui cette pulsation étrange, traduisant le reflet des musiques populaires de son époque, avec un don mélodique que des années de succès dans la chanson ont rendu plus incisif, il a étudié Ravel (qu’il a rencontré et qui l’admirait) et Debussy, Schönberg et reste un compositeur américain exprimant des idées musicales neuves dans une musique devenue intemporelle.
Le son d’ensemble plus classique de ce programme est ancré dans la tradition du swing et du blues rehaussé par la qualité des arrangements sensibles et actuels du tromboniste Bastien Ballaz . Il est en effet toujours essentiel de revenir sur l’importance des arrangeurs qui habillent les mélodies parfois basiques et en font des architectures complexes. Dans la chanson ils sont souvent les vrais créateurs qu’il faudrait écouter de plus près. Lire à cet égard la somme de Serge Elhaïk Les clés d’une vie sur les arrangeurs trop souvent méconnus de la chanson française!

David Enhco qui fait office de M.C déroule le fil conducteur de la soirée présentant les chansons, les resituant dans leur contexte, et les musiciens solistes. Il fallait également songer à la version sur scène, comment alterner ballades et pièces plus énergiques ainsi que les interventions chantées du duo de charme de Neïma Naouri et Pablo Campos, seul ou à deux.

Pour composer la liste des morceaux (figurant sur le CD) et choisis ce soir en concert, la formation a opéré de façon collégiale, car musiciens et chanteurs ont tous une approche différente de Gershwin.

D’où le choix de quatre titres de l’opéra Porgy and Bess (1935) comme « Summertime »,« There’s a boat that’s leaving soon », « It ain’t necessarily so », « My Man ‘s gone now » ( les deux premières illustrées par Pablo Campos, les deux dernières par Neïma Naouri) . Si Norman Granz avait choisi l’incomparable Ella pour chanter les rôles féminins et Louis Armstrong pour incarner Porgy et Sportin’ Life, le duo de charme qui porte les chansons s’empare de « Someone to Watch Over Me » , « Embraceable you », « Our love is here to stay » ( qui évoque le désespoir d’Ira à la mort prématurée de son frère cadet), « Soon », « Who cares ? ».

Les chanteurs ne manquent pas de qualités vocales. Pablo Campos est vraiment convaincant, voix grave, chaude, sobre d,ans ses effets. La jeune Neïma Naouri qui a remplacé pendant la pandémie au pied levé Celia Kameni atteinte du Covid, s’est emparée du répertoire : une belle tessiture, le sens du swing et une voix juste qui se plie volontiers aux acrobaties, comme sur le morceau de bravoure techniquement redoutable pour l’orchestre et … les chanteurs, le titre du spectacle « Fascinating Rhythm(s) » que Bastien Ballaz a arrangé en « supprimant un temps par mesure », plaisanterie du présentateur non dénuée de sens.
Très expressive, elle peut évoquer par moment Liza Minelli, car elle aime la comédie musicale et a vraiment bossé l’accent et la prononciation; ce répertoire est créé pour les « musicals » où les Américains se sont imposé. Comme ce petit bijou d’humour de Let’s call the whole thing off ( sur les diffférences de prononciation entre anglais et américain) je pense irrésistiblement à Fred Astaire et Ginger Rogers dans ce chef d’oeuvre de 1937 Shall we dance?
https://www.youtube.com/watch?v=LOILZ_D3aRg
Même si la forme du spectacle ce soir est plus proche du récital que de la comédie musicale, ne boudons pas pour autant notre plaisir, tous ont fait le show, le public était conquis et c’est bien ce qui compte. La musique de Gershwin rend encore heureux aujourd’hui et on ne le célèbrera jamais assez .
Pour terminer un festival chaleureux, convivial, simple, rien de mieux que ce généreux big band qui annonce le bal sur le parvis, la fête continuera dehors (la nuit est encore douce heureusement malgré l’alerte orange sévère annoncée pour le lendemain ) devant l’Alpilium pour des “after”, en musique toujours.
Voilà une nouvelle édition réussie, la dix-septième d’un festival que l’on aime suivre décidément, à la programmation soignée de Bernard Chambre, le directeur artistique. Pris en charge par une équipe (répétons-le encore) formidable de bénévoles qui se déploient sur tous les fronts, du catering délicieux (des cuisinières émérites) aux chauffeurs dévoués, au photographe attentif… Du contrôle billets à l’accueil public sans oublier la technique… tous sont à leur poste avec efficacité et générosité pour que ces soirées soient réussies.
Sophie Chambon