Jazz live
Publié le 26 Avr 2024

Fur célèbre “Bond” avec le Consort de Viole

Fur, c’est le trio d’Hélène Duret (clarinettes), Benjamin Sauzereau (guitare électrique) et Maxime Rouayroux (batterie) qui jouera ce soir 26 mai au Bijloke de Gand, comme hier au Studio de l’Ermitage de Paris. “Bond”, c’est le nouveau disque publié aujourd’hui-même par BMC (Budapest Music Center).

Inspiré par une édition de la Kreiz Breizh Akademi consacrée aux cordes et par les concerts du Quatuor IXI ou les performances de Jean-François Vrod et sa Soustraction des fleurs, voire par l’Orchestre incandescent de Sylviaine Hélary qui entoure sa flûte entre autres du violon alto, de la viole d’amour et du ténor de viole, j’ai évoqué un jour dans ces pages une “république des cordes”, sorte communauté transfrontalière utopique où de nouvelles générations d’improvisateurs circuleraient sans passeport des musiques populaires à archet à l’Europe savante du quatuor, du traditionnel au contemporain, de l’oral à l’écrit. Peut-être faudrait-il agrandir cette utopie aux bois, tant elle est riche de la bombarde au bansuri, et tant il est vrai que violons et clarinettes sont constituées d’essences sinon identiques du moins cousines. Et l’on voit que l’on résoudrait là en partie, provisoirement (et certes encore très imparfaitement), le problème d’actualité de la présence des femmes dans les musiques improvisées, si l’on considère leur fréquentation des écoles de musique ou des orchestres symphoniques essentiellement dans les classes et pupitres de cordes frottées et de bois (clarinettes, hautbois, flûte, le saxophone étant souvent considéré à tort comme un cuivre). Occasion non de pérenniser un ghetto mais au contraire d’en ouvrir portes et fenêtres.

Est-ce au nom de cette solidarité du bois qu’Hèlène Duret invita hier ses amies du Consort de viole à ouvrir le concert d’ouverture du trio Fur ? Ce fut en tout cas une belle surprise de trouver hier les chaises du Studio de l’Ermitage installées en cercle autour de quatre pupitres tournés les uns vers les autres, bientôt rejoints par Agnès Boisonnot Guilbaut (dessus de viole), Chloé Lucas (ténor de viole), Eliaz Hercelin Sanz et Alice Trocelier (basse de viole). Répertoire de compositeurs anglais du temps de Shakespeare, du plus savant au plus “populaire” ou “à danser”. En toute incompétence pour en parler, je me suis laissé porter par le charme des fugues (des plus réellement fuguées au plus homophoniques) de ces “voix” délicates qui se poursuivent follement, se perdent et se rejoignent, avec parfois cette impression soudaine de cousinage avec des musiques traditionnelles suédoises qui me restent en tête, mon utopie ainsi réalisée.

On change la disposition des chaises : désormais face à la scène, entrent Hélène Duret (clarinette et clarinette basse), Benjamin Sauzereau (guitare électrique) et Maxime Rouayroux (batterie), soit le trio Fur. Et rapidement quelques clichés tombent. Et d’abord celui de musique chambre, de délicatesse, de féminité. Ils ont certes leur part de vérité, mais il ne faut pas rester à leur surface et ne faudrait pas réserver à Fur cette écoute d’ameublement que l’on réserve trop souvent au disque ; il faut s’immerger, au-delà du joli, dans ce son (et donc ne pas avoir peur de monter le son de l’album annoncé, ni de s’asseoir sans rien d’autre à faire). Guitare très rock, un rock très ciselé à la façon des grands “plasticiens” du genre, mais très motrice, même lorsqu’elle se fait plus folky. Musique répétitive, ou plus exactement minimaliste en ce sens que la répétition évolue par d’infimes détails qui résident dans les glissement rythmiques, harmoniques, mélodiques. Et s’il y a là des mélodies, parfois très pop, on est plus saisie par la mélodie des rythmes et des couleurs, comme on peut l’être chez Bill Frisell (pour la touche americana), mais donnant aussi raison à ma voisine de concert qui entendait quelque chose d’africain, cette Afrique que nous font trop souvent oublier les standards des musiques actuelles.

Dans des rôles solistes à vocation très orchestrale, voire dramaturgique (qui participaient peut-être de la jubilation de l’homme de théâtre Denis Lavant que j’apercevais au bout de ma rangée), rôles très éloignés du libre “flow” du jazz-jazz, la clarinette partage souvent cette qualité motrice avec la guitare ou la relaie en souffle continu, lorsque celle-ci s’en affranchit pour de libres grafouillis sonores. Sans se départir de cette cohésion orchestrale, et surtout sans jamais tirer la couverture, et loin du tapis rythmique obligé du batteur de jazz, Maxime Rouayroux est admirablement spectaculaire, par la précision et la poésie de ses frappes et de son placement rythmique, de ses gestes et de ses choix timbraux, par son sens de l’espace et la continuité conceptuelle de la discontinuité sonore de son jeu, par la dynamique des puissances et des volumes (de l’infinitésimal au quadruple fortissimo), participant à ce sens du détail qui enchante le programme de Fur.

Il va s’en passer des choses d’ici là dans les lieux de musiques parisiens et de l’Hexagone mais, pour ma part, j’ai pris rendez-vous le jeudi 2 mai à l’Atelier du Plateau avec le duo Météore, soit Maëlle Desbrosses (violon alto, voix) et Fanny Meteier (tuba, voix) qui réduiront probablement à néant ma fumeuse théorie des cordes et des bois, déjà mis à mal par le trio fur, sa batterie et sa guitare électrique.

Franck Bergerot