Jazz live
Publié le 14 Juin 2023

Gaëtan Nicot Trio au Sunside

Hier 13 juin, le pianiste Gaëtan Nicot présentait au Sunside le répertoire de son nouveau disque en trio “Peter Pan’s Moods”, en compagnie de Frédéric Chiffoleau et Christophe Lavergne.

Hier, on se bousculait devant le Sunset-Sunside, dans un chassé-croisé entre les retardataires pour le concert du Sunset au sous-sol (la harpiste Isabelle Olivier), le public du “concert à la bougie” selon la nouvelle formule proposée par Stéphane Portet au Sunside réservée ce soir-là au trio de David El Malek, Yoann Loustalot et Pierre de Bethman – le jazz critic se sentait un peu coupable de n’assister qu’à sa sortie – et la file d’auditeurs qui patientait devant la caisse pour assister au concert de Gaëtan Nicot.

Gaëtan qui ? Gaëtan Nicot n’a pas pignon sur rue à Paris. Curieusement sa rythmique n’a ni la renommée, ni la visibilité médiatique – si tant est que l’on puisse parler de visibilité médiatique en parlant de jazz – que certaines autres plus dans les clous, plus précisément étiquetées, pour figurer dans quelque palmarès du jazz français. Sauf chez ceux qui n’ont pas besoin de palmarès pour courir les lieux du jazz. On connaît pourtant Fred Chiffoleau depuis une vingtaine d’années et ses collaborations avec Alban Darche et Mérédic Collignon. Christophe Lavergne joue également avec Darche depuis autant de lustres, partenaire régulier de Sarah Murcia auprès de Sylvain Cathala (nous irons les entendre ce vendredi au Triton des Lilas autour de la chanteuse et oudiste Kamilya Jubran) et plus récemment au sein du quartette de Louis Sclavis.

Tous viennent du Grand Ouest français (Bretagne et Pays de Loire) où se croisent également Alban Darche, Geoffroy Tamisier, François Ripoche, Sébastien Boisseau, Pierrick Menuau…ces deux derniers figurant dans le quartette du second disque de Nicot “Rhapsodie”. Sur son premier album de 2015 “JazzRadiophonique Eighties”, c’est un autre “occidental” Étienne Callac qui donnait la réplique à Christophe Lavergne au sein d’un premier trio.

Parmi les avalanches de disques signés par de jeunes pianistes de talent et d’où l’on peine à extraire l’un ou l’autre de l’anonymat, dans celle du mois écoulé, c’est Gaëtan Nicot – et donc son disque “Peter Pan’s Moods” – qui nous a tiré l’oreille et nous a conduit jusqu’au Sunside. Une délicatesse peut-être, une sorte d’intelligence sensible dans l’écriture pianistique combinée à un sens de l’orchestre qui doit évidemment aux compagnons qu’il s’est choisi avec le meilleur goût.

Le répertoire joué au Sunside, emprunté au nouveau disque, s’ouvre comme ce dernier sur un audacieux réhabillage de My Favorite Things, qui tromperait presque notre familiarité avec la version célèbre de John Coltrane telle qu’elle a engendré depuis 1960 une sorte d’académisme aussi embarrassant que le sparadrap du Capitaine Haddock. Gaëtan Nicot s’en distingue et s’approprie l’original dans un rubato rhapsodique aérien – ce qui peut presque paraître un oxymore, sauf ici –  où la rythmique fait une entrée tardive d’une infinie délicatesse. Curieusement, la mémoire de My Favorite Things revient dans les tournures mélodiques et les trois temps du thème suivant, Back To Vesoul, avec un zeste de McCoy Tyner, mais un zeste seulement, loin de la puissance et de la pesanteur du modèle laissé par ce dernier.

Je me laisse distraire au bar pendant un commentaire de Gaëtan Nicot faisant référence à Wendy Darling et la fée clochette (“Peter Pan’s Moods” oblige) et se mélangent ici peut-être un peu mes souvenirs, ayant, à la faveur de l’obscurité, superposé ce que je croyais être deux pages de notes sur une seule de mon calepin. J’en retiens le mot “clochette” qui résonne dans les phrasés tintinnabulant de l’orchestre sur je ne sais plus quel morceau tout en tendre gaîté et jeux d’eau, me faisant dire que notre pianiste n’a pas volé la référence à Fauré, Ravel et Debussy, référence que je débusque dans les notes d’intention du pianiste quelque part sur le net, aux côtés d’autres (Hancock, Evans et un certaine Tyner).

Il y aura un autre “rhabillage” qui vous réjouira lorsque vous aurez l’occasion d’entendre le trio en concert ou sur disque, reprise de Played Twice de Monk et sa belle introduction en forme de dialogue du tandem piano/contrebasse avec les peaux chantantes de Christophe Lavergne, Chiffoleau prenant le relai dans un magistral et élégant solo au centre du morceau. Je vous laisse découvrir la suite par vous-mêmes. Franck Bergerot