Galliano et les 100 au Mandol’in festival de Marseille

Galliano et les 100 en final du Mandol’in Festival à Marseille
Voyageons ensemble de Naples à Marseille au son des mandolines et, selon les mots de Louis Brauquier : Laissez la mer, à moitié endormie, vous prendre dans ses bras, comme elle eut accueilli un poisson égaré.
Conservatoire Pierre Barbizet, lundi 7 juillet, 21h
Galliano et les 100 Richard Galliano ( accordéon ), Vincent Beer-Demander ( direction ) Orchestre des 100 : Nov’Mandolin Ensemble (Vincent Beer-Demander, Cécile Soirat, Fabio Gallucci, Grégory Morello et Philippe Gallois) Damien Paradisi (accordéon), Damien Paradisi ( orchestre à plectres et accordéons)

Une fois encore le mandoliniste Vincent Beer Demander et sa compagnie ont gagné leur pari, il est heureux à l’issue des quatre jours de la cinquième édition du festival de mandoline de Marseille. Le concert de clôture au coeur du Conservatoire accueille le grand Richard Galliano et cent musiciens pour interpréter ses œuvres. Si Marseille jazze aux Cinq continents depuis le début du mois de juillet, la ville vibre aussi aux sons de la mandoline avec le festival Mandol’in Marseille, créé en 2021 par Vincent Beer Demander, mandoliniste, compositeur, enseignant passionné qui a d’ailleurs réouvert à Marseille en 2009 la classe de mandoline au Conservatoire. Il voulait témoigner des cent ans de l’ouverture de la première classe de mandoline au monde au Conservatoire Pierre Barbizet par un Italien du Sud Laurent Fantauzzi. Juste retour des choses, puisque Marseille fut l’une des capitales de cet instrument. Une exposition se tient d’ailleurs au Conservatoire retraçant le phénomène.
Accueil – Compagnie Vincent Beer-Demander & Co
Du 4 au 7 juillet, le festival a célébré Naples, l’Italie avec dix concerts, deux scènes ouvertes, des balades sérénades dans divers lieux (Site archéologique du Port Antique – Musée d’histoire de Marseille- Mémorial des déportations, La Friche Belle de Mai- Conservatoire Pierre Barbizet de Marseille, un établissement Campus art Méditerranée ).
Le final grandiose et ébouriffant avait lieu lundi soir Richard Galliano & les 100 . Le mistral soufflait fort et la ville respirait enfin, le public joyeusement se pressait en nombre dans la cour. Trois jours de stage ouvert à 100 musiciens venus parfois de fort loin, d’Italie, du Japon et même de Paris ! ( mandolinistes, mandolistes, guitaristes, bassistes et accordéonistes sachant lire la musique) sous la direction de l’équipe pédagogique constituée de Richard Galliano, du Nov Mandolin Ensemble (Vincent Beer-Demander, Cécile Soirat, Fabio Gallucci, Grégory Morello et Philippe Gallois) et Damien Paradisi à l’accordéon. Le répertoire à l’étude est composé de compositions originales, créations de Richard Galliano et de la création « Mazurk’à Richard » de Vincent Beer-Demander.

J’ai découvert le mandoliniste il y a quatre ans à l’occasion d’un de ses albums hommage à Lalo Schifrin, compagnon de Dizzy Gillespie et immense compositeur de musiques de film qui vient de disparaître : « Tout lui est possible: passer de Vladimir Cosma et ses Caprices à Régis Campo, André Minvieille et Richard Galliano, Lalo Schiffrin et Sylvain Luc. Quelque chose nous dit que le jazz aura bientôt toute sa place, écrivais-je alors, soulignant par là que le mandoliniste n’avait qu’une idée en tête, renouveler le répertoire de la mandoline, instrument baroque du XVIIIème, immortalisé ensuite par Beethoven, les Romantiques. Il a dès lors multiplié les collaborations artistiques pour sortir du folklore napolitain évidemment. VBD totalement acclimaté à Marseille déclara même un jour que « La mandoline sauverait le monde”. Je pensais alors que s’il “faisait” du jazz, il ne se contenterait pas du thème-solo-thème, mais créerait des mélodies conjointes avec un combo ou même en grand ensemble. Cette mission non seulement est devenue très possible, mais il l’a réalisée cette année. Il avait déjà tenté un sacré coup en 2023 avec le mandoliniste brésilien H.de Hollanda avec “Hamilton et les 100 mandolines”, il réitère en faisant venir Richard Galliano. Une affinité élective entre mandoline et accordéon qui les a réunis tous deux alors qu’ils bataillent pour redonner une juste place à leurs instruments.
La formation :
Différents pupitres forment ce groupe gigantesque : 40 mandolines ( la première mandoline jouant le rôle du premier violon, la deuxième mandoline celui de second violon), dix mandoles à l’octave, 4 mandoloncelles assurant comme des violoncelles. Rappelons que l’instrument de quatre cordes doubles se joue sur une corde ou sur les doubles, avec des trémolos tenus ou des notes poussées au plectre, entre pouce et index, à la “plume” comme on disait à l’époque baroque, âge d’or de l’instrument. Vous comprendrez mieux si je vous dis que le plectre est le médiator des guitaristes! Le musicien peut s’adonner à des effets de percussion sur la table d’harmonie, au dos de l’instrument. Tout l’instrument entre alors en résonance pour produire le son. “La petite soeur de la guitare” a la tessiture du violon ( du sol grave au la suraigu) en met plein la vue et l’ouïe, surtout quand on use de la technique du trémolo. A ce pupitre étoffé, rajoutons 15 guitares qui jouent les basses et harmonisent l’ensemble auxquelles s’ajoutent les 3 contrebasses, les 2 percussionnistes et une harpiste, sans oublier l’orchestre de Digne de 20 accordéonistes. Ce bel ensemble n’a pas dû impressionner Richard Galliano qui a toujours su s’entourer des formations les plus diverses sans oublier de plonger dans le bain du solo, possible puisque l’accordéon très complet, est un véritable orchestre à lui seul.
Il est toujours excitant d’être là, écoutant une musique en train de se (re)créer avec une sonorité acoustique pleine. Répéter ne fut pas un vain mot pour la mise en place d’un tel programme qui a l’exigence de sa qualité. On aime ce soir partager la musique dans tous ses états, dans tous ses éclats, ce doux foisonnement orchestral dans la nuit qui s’installe remuante et ronronnante sans les tonitruantes cigales.
Qualité inaltérable et plastique de la musique de l’accordéoniste que l’on peut « s’approprier » tant elle est vite familière, simple d’apparence seulement. Entre tango et valse, Galliano a su allier jazz et musette, dans une ligne claire, saisissante dans son exigence technique qui sert une musicalité accrue. Il a su reprendre le flambeau de l’école française des Marcel Azzola et André Astier, du Belge Gus Viseur, des Tony Murena et Joe Privat, la valse et le swing musette. En s’entourant de la fine fleur du jazz, JF Jenny-Clark et Aldo Romano entre autres, il a voulu jouer autrement le musette, quelque peu déconsidéré dans les générations précédentes. Si l’accordéon est reconnu aujourd’hui avec Vincent Peirani, il n’en a pas toujours été ainsi et c’est Richard Galliano qui a ré-ouvert une voie dans les années 90.
Cette légende vivante à 75 ans bientôt, innovateur et voix singulière a fait des rencontres décisives : en premier celle de Claude Nougaro, un an après son arrivée à Paris, devenant accompagnateur et chef d’orchestre du chanteur. Puis il a créé le New Musette sur les conseils de son ami et mentor Astor Piazzola qui avait de son côté initié un New Tango vingt ans plus tôt. En allant voir Richard Galliano backstage, VBD me confie qu’à dix ans Ballet Tango paru en 1992 chez Milan, offert par son père fut son premier compact disque qui lui fit découvrir la musique d’Astor Piazzolla. « Je lui dois donc aussi la découverte de ce compositeur argentin qui m’a profondément marqué tant dans mes écritures que dans mon engagement musical sur scène et en studio. » Quant à moi, dans le registre des confidences, j’avoue à Richard Galliano que mon premier souvenir remonte à Assez de Nougaro ( 1980), pour lequel il composa ce qui fut longtemps un tube très personnel « Les voiliers ». Il m’avoue en souriant que pourtant cette chanson n’eut que peu d’audience comme « Allée des Brouillards ».

Qu’importe, l’accordéoniste a plus de cinquante albums à son actif en 54 ans de carrière . S’il a une discographie impressionnante chez les plus grands labels de jazz, il est le seul par contre à enregistrer du classique sur Deutsche Grammophone ce qui prouve l’étendue de son registre.
Concert Lundi 7 Juillet /Galliano & les 100 Avec Richard Galliano, Nov’Mandolin et Damien Paradisi.


Une certaine cohérence s’installe dans les titres que le programme généreux enchaîne sans temps mort et une ligne directrice se dessine dans un ensemble parfaitement équilibré. Galliano est soliste à part entière mais son jeu s’imbrique avec les autres accordéonistes en écho. On va évidemment l’apprécier ce soir comme interprète et comme compositeur. Les pièces se subdivisent en fragments avec suspens, rebonds, intercalant néanmoins des respirations avant des échappées fulgurantes ou des arrêts brutaux ( le dernier mouvement d’ «Opale concerto» très piazzolien). Une circulation continue avec des rythmes complexes qui exige une vigilance constante de tous. L’accordéoniste peut installer la toile de fond, favorisant la mélodie ou libérer avec une ardeur toute rythmique de folles courses-poursuite virevoltant sur un tempo de plus en plus vif, le bras droit tel un archet, dépliant les soufflets pour leur donner le maximum d’amplitude donc d’intensité. Un engagement physique évident, selon l’instrument qui peu peser près de 15 kilos.
Tous les musiciens s’emballent dans la contagion de la vitesse, une griserie éperdue, un tournoiement que n’aurait pas désavoué Ravel et sa valse étrange. Dans un dérèglement contrôlé, ils nous baladent sans jamais nous perdre car au tourbillon fou peut répondre l’infinie tendresse d’une berceuse, de mélodies souvent mélancoliques aux textures et tournures subtiles .
https://www.youtube.com/watch?v=FU9bZUuNNjI
Le concert commence avec le seul quintette sur « Umoresca »-sans » h « pour le différencier de la compo de Dvorak, écrit en 2015 à la demande de VBD, deux mouvements qui s’ouvrent par une longue cadence. Un discours harmonique en quintes et quartes où s’entendent de multiples imbrications rythmiques. Une composition devenue entre autre un classique du répertoire virtuose des mandolinistes solistes. Puis l’accordéoniste et le quintette jouent les deux derniers mouvements du concerto « Opale » (dédié à Joe Rossi). Le troisième mouvement a notamment servi de générique pour une série policière des années 2000 P.J, ce qui atteste de la résonance immédiate de son écriture auprès d’un large public.
Suivent ensuite de très nombreuses pièces arrangées, orchestrées et dirigées par VBD de surcroît ( « Habanerando », « Chat Pître » en mineur, sautillant, bondissant et humoristique à la Satie ou/et Chaplin, « Barbara », « Madreperla » aux doigtés virevoltants sur les boutons de nacre de l’instrument : un concerto en 3 mouvements dédié aux chers disparus, Astor Piazzola, l’harmoniciste Toot Thielemans ( au mellowtone, instrument à vent et anche libre, harmonica à clavier au son vibrant et expressif où Galliano passe du piano à touche au piano à bouche) et l’organiste Eddy Louiss (une mazurka antillaise entre réminiscences de l’africanité et java) « Aurore » ( une chanson que Galliano imaginait pour Diane Dufresne), « Valse à Margaux » au schéma harmonique de valse musette (cf Jeannette de Gus Viseur) encore au mellowtone). Suivent un arrangement du nostalgique « Oblivion », mythique tango de Piazzola et pour finir l’émouvant « Tango pour Claude » ( sa chanson « Vie Violence »). Deux titres qui font monter la pression. Les deux rappels où le public explose sont des arrangements gallianesques des « Moulins de mon Coeur » et de « la Javanaise » que la foule reprend en coeur. Le concert s’achève, le public s’attarde, les musiciens aussi …

Difficile de commenter tous les titres et nombreux hommages à ces musicien(ne)s devenus îcones musicales. On n’entendra pas ce soir « Complainte & Impromptu » composé en mémoire de Francis Lai cette fois, à la demande de VBD et de l’accordéoniste Grégory Daltin pour mandoline et deux accordéons, dans cet alliage subtil entre jazz, chanson et musique classique. J’insisterai sur la « Mazurk’à Richard » en hommage au confrère d’instruments populaires et chantre de l’accordéon moderne. « Autrefois, on associait volontiers les orchestres de mandolines aux accordéons et il n’était pas rare, comme s’en souvient l’arrangeur Jean Claude Vannier, d’entendre sur les bords de Seine, au Parc Montsouris ou sur la place Paoli à Corté, ces instruments du soleil qui donnent autant envie d’aimer que de danser ». En trois parties bien distinctes, « Mazurk’à Richard » respecte la forme et l’esprit des mazurkas italiennes d’antan mais dans un discours mélodique plus moderne, un parcours tonal enrichi de quelques petites surprises sur le plan rythmique. Les mandolines et guitares entourent l’accordéon soliste qui se taille de larges parts d’improvisations.
Jusqu’à aujourd’hui VBD a su trouver un ancrage populaire avec des mélodies simples, conjugué à l’art savant de réharmoniser, en changeant les accords, les enrichissant, jouant avec la matière musicale pour en faire des miniatures pour mandoline. Mais avec ce nouvel ensemble taille XXL, Richard Galliano et lui avaient le sentiment d’ajouter un supplément d’âme avec cent musiciens réunis qui vibrent ensemble, un orchestre de cordes pincées soutenues par le legato des accordéons. Sans négliger le fait qu’ils forment ainsi une alternative méditerranéenne à l’orchestre symphonique. Les formations de l’Europe de l’est ajoutent toujours des accordéons au dorma, balalaika et cymbalum.
Quand je lui demande ce qu’apporte la puissance de feu de l’orchestre avec ces quarante mandolines, VBD ajoute que leurs trémolos démultipliés ont une tenue proche des violons mais avec tellement plus de vibrations. Exactement ce que j’ai ressenti à ma place tout près de leur pupitre, cette clarté timbrale , cette légèreté propices aux embardées de l’accordéon solo jamais étouffé par des cuivres ou des cordes trop présentes.
A l’ami musicien qui me souffle en sortant que VBD en connaît un rayon sur les valses vénézuéliennes, je ne pouvais que laisser la place pour ma conclusion avec sa chanson-poème A Corazon : A corazon à corps à cris…. C’est Piazzola vêtu de rouge Libertango sorti d’un bouge C’est Galliano vêtu de noir Dernier tango cinq heures du soir çà se termine plus ou moins bien Amour Amor C’est borgesien (Jean-Jacques Dorio).

Sophie Chambon