Gonzalo Rubalcaba à Saint-Gaudens

Pour la soirée d’ouverture de sa 22e édition, le festival Jazz en Comminges de la ville de Saint-Gaudens a fait fort : un quartette de all-stars dirigé par Gonzalo Rubalcaba !
Gonzalo Rubalcaba « First Meeting »
Chris Potter (ss, ts), Gonzalo Rubalcaba (p), Larry Grenadier (cb), Eric Harland (dr)
Mercredi 28 mai 2025, Jazz en Comminges, Parc des expositions, Saint-Gaudens (31), 21h

Pas de première partie pour cette soirée (on se doute qu’une telle formation doit peser son pesant d’euros…), mais directement le groupe imaginé par Gonzalo Rubalcaba. Comme souvent dans les concerts de jazz, il faut que la machine chauffe pour atteindre son plein régime. Ce fut le cas dans le Comminges où les quatre fantastiques se mirent en train d’abord avec le 500 Miles High de Chick Corea (sans doute un clin d’œil à un partenaire de jeu ô combien apprécié de Rubalcaba) puis une composition de Larry Grenadier, assez pop, intitulée In the Nick of Night (State of the Union) pour lequel Chris Potter emboucha son soprano. Dans les deux cas, on put constater combien les trois Étatsuniens (re)cherchèrent à se mettre au diapason de l’expression recherchée par le musicien cubain depuis le XXIe siècle, à savoir une forme assez radicale d’invention permanente en forme d’épure. Pour ce pianiste considéré comme l’un des maîtres les plus époustouflants de son instrument, il s’agit en effet de refuser autant les formules toutes faites/prêtes que les constructions faciles (en grand crescendo). De ce fait, ses interventions reposent sur la quête de « la » note, de « la » phrase, avec une énergie très contenue, très intérieure mais à l’intensité maximale, et une place accordée comme rarement aux silences.
C’est avec l’interprétation de « Eminence », une composition d’Eric Harland, que le concert passa dans une autre dimension. Introduit par une improvisation libre du batteur – méconnaissable tant ce fort en thème des mesures asymétriques semblait goûter le pur plaisir de la recherche sonore pour elle-même –, la pièce se révéla être une ballade. Mais une ballade très contemporaine, où les repères se voyaient morphés en permanence (le morphing est une technique d’effets spéciaux issue du cinéma qui consiste à transformer un objet pour qu’il adopte l’apparence d’un autre). Durant son solo, Gonzalo Rubalcaba passa de phrases main droite seule extraordinairement mélodiques (et pourtant sans formules communes) à du free joué avec les poignets et les coudes. Le temps sembla tout à coup suspendu ! Au moment de la réexposition du thème, la coda se transforma en duo ténor/piano qui entraîna une ré-réexposition tout à fait inattendue. Preuve qu’il venait de se passer quelque chose d’exceptionnel, le public saint-gaudinois applaudit pendant plus d’une minute, ce qui est rare en milieu de concert.
Après une reprise de Con Alma, les musiciens entonnèrent une nouvelle composition de Chris Potter, Oba, au cours de laquelle on put reconnaître quelques accents cubains dans le jeu de Rubalcaba (mais de manière somme toute assez allusive). Pendant le solo du pianiste, je regardais Chris Potter. Extrêmement attentif à la performance de son partenaire, il se mordillait parfois les lèvres : était-ce à l’idée qu’il devait prendre son tour après de ce qu’il entendait ? Quoi qu’il en soit, comme Eric Harland et Larry Grenadier, le saxophoniste ne se contenta pas de faire du Chris Potter au long de la soirée, tous réalisant des performances sortant de leurs habitus sous l’impulsion esthétique du Cubain. Des trois, ce fut d’ailleurs Eric Harland qui alla le plus loin en ce sens en adoptant lui aussi cette sorte de coïtus reservatus musical dorénavant promu par son leader, façon d’atteindre de la sorte un plateau du plaisir plus raffiné et intense.
On comprend ainsi que l’auditoire réclama une prolongation. Il eut droit à Santo Canto, une composition que Rubalcaba avait déjà enregistré sur « Paseo » (2004), fondé sur groove, trouvé dans l’instant, que l’on pourrait qualifier de paradoxalement « dramatique ». Le pianiste y réalisa un solo d’une densité extrême en restant tout du long, ou quasi, dans une nuance des plus douces (ppp).
Ce soir, le quartette se produire pour sa (seulement) seconde date en France, au festival de Coutances. Précipitez-vous amis Normands !
Ludovic Florin
