Jazz live
Publié le 11 Oct 2025

Guillaume de Chassy, Lou Tavano, Florent Nisse : And Now the Queen !

Carla Bley, bien sûr, mais aussi Paul Bley et Charlie Haden dont le souvenir se mêlait à celui de la grande dame disparue, hier 11 octobre au Triton.  

Le Triton a donc réouvert, réaménagé après l’expulsion d’un partie de la parcelle occupée par le club, celle correspondant notamment à la seconde salle de concert ouverte en 2013. Un exploit réalisé pendant l’été, le restaurant perdant la plus grande partie de sa surface. Le nouveau venu n’y verra que du feu. La salle de concert originale n’a rien perdu, ni les coulisses ni le studio. Guillaume de Chassy y a passé trois jours en résidence pour préparer un projet qui lui tenait à cœur – la musique de Carla Bley – pour lequel il a fait appel à deux musiciens nouveaux dans son univers : le contrebassiste Florent Nisse et la chanteuse Lou Tavano.

Porté par une concentration qui sembla se transformer au cours du concert en jubilation intérieure, De Chassy commence seul sur And Now the Queen qui donne évidemment – son titre au programme – et finira de même sur Ojos de Gato, deux thèmes marqués par Paul Bley qui les enregistra en 1974 sur le même piano que celui sur lequel il avait enregistré “Open, to Love” qui fait un injuste ombrage à cet “Alone Again”. Le pari est risqué mais remporté, sans tourner le dos à l’original, mais sans pour autant céder à l’inclinaison. De Chassy sait comme Paul faire sonner tout le piano, à fond, dans toute sa dynamique, l’écouter sonner jusque dans ses ultimes harmoniques, flâner de l’une à l’autre de ces notes que Carla semait sur le papier comme on sème des petits cailloux sur son chemin, puis soudain faire tonner l’orage et en affoler l’agencement dans un grand déferlement dramatique, une ampleur du déploiement qui m’a fait songer, quoiqu’il n’y ait eu là pas l’ombre d’une ressemblance, à la Sonate en si mineur de Liszt.

Ayant fait son apparition – était-ce dès au cours d’And Now the Queen, sur les réitérations obsédantes de Floater, ou sur cette prière comme en action de grâce Jesus Maria –, Florent Nisse se trouva confronté à un pari identique : prendre la place occupée autrefois par d’autres très grands aînés (Steve Swallow, Gary Peacock, NHOP). Mais c’est à la mémoire de cet autre grand complice de Carla Bley qu’il rendit hommage, Charlie Haden, revisitant avec la mobilité qui est la sienne sur le manche, cette étrange mélange de brutalité et de douceur, cette savante candeur caractérisant l’ancien complice d’Ornette Coleman, Keith Jarrett… et l’obligé de Carla Bley.

Il y eut aussi quelques originaux et d’autres musiques de Carla Bley, des paroles originales de Lou Tavano venant bientôt s’y poser, moins récits qu’images, instants posés sur les mélodies avec cette impression qu’elle donne d’expirer le son avant même de l’articuler, ce que l’on jugerait maniérée si elle n’y mettait pas toute sa discipline “japonaise”, image que nous inspire la finesse de ses traits et la fente de ses yeux lorsque l’ombre de son épaisse chevelure automnale nous les laisse entrevoir.

Et il y avait du miracle qu’une pareille perfection dans la complicité, une telle justesse dans ce triple hommage (Carla, Paul et Charlie… car c’est ainsi que je l’entendis) ait pu se faire pour une première après trois jours de travail. Franck Bergerot