Jazz live
Publié le 1 Oct 2025

Il faut aller voir Soundtrack to a Coup d’État de Johan Grimonprez.

Et pas seulement parce que Louis Armstrong, Nina Simone, Max Roach et Abbey Lincoln s’y trouvent en tête du casting, comme à l’arrière-plan du double assassinat de Patrice Lulumba et de l’espoir d’une Afrique décolonisée démocratique.

En dépit des questionnements qui me traversaient hier en quittant la discussion avec le réalisateur Johan Grimonprez à l’issue de la projection en avant-première de son film au Cinéma Lumières de Nanterre, il faut aller voir Soundtrack to a Coup d’État, chef d’œuvre documentaire pour la richesse et l’étayage de ses sources et la qualité exceptionnelle de son montage. Où l’on voit, selon une logique implacable et en dépit d’une agitation impatiente et brouillonne, les puissances impérialistes confisquer leurs ressources minières et humaines aux démocraties naissantes.

Au-delà d’un strict récit chronologique, c’est le kaléisdoscope des images, du son et des petites phrases prononcées et affichées à l’écran, où se côtoient et se succèdent acteurs de tous bords, militants démocratiques ou fantoches, diplomates pervers ou impuissants, populations bernées, violées, massacrées, cirque onusien où gesticule (et agit) notamment un stupéfiant Nikita Kroutchev (mettant en arrière-plan Cuba dans la poche de l’Union soviétique… avec la complicité naïve des autorités américaines) en présence d’un secrétaire général des Nations Unis, Dag Hammarskjöld, accablé par le sentiments d’impuissance, tandis que parade un Roi belge à la Hergé, que la CIA tisse sa toile et que se mobilisent les réseaux criminels de mercenaires (séquence essentielle coupée lors de la diffusion sur Arte au printemps dernier, comme le confiait hier le réalisateur). Avec ce message envoyé du Congo aux USA alors que se prépare l’assassinat de Lulumba et qui d’une certaine manière résume le film (je cite de tête) : « Cessez de nous envoyer des assassins, on en a déjà trop et ils se bousculent. » 

Et si le jazzfan appréciera la bande son où se succèdent (également à l’image) Abbey Lincoln et Max Roach, Nina Simone et Dizzy Gillespie, John Coltrane et Ornette Coleman, plus une multitude de musiques africaines qui me sont plus ou moins inconnues, la grande figure qui crève l’écran – outre celles de Kroutchev et bien évidemment des lumineux Patrice Lulumba et Andrée Blouin – c’est celle d’un Malcolm X, brillantissime.

Les questionnements – mais je ne voudrais pas qu’ils détournent le moindre spectateur –, ce sont la place faite au jazz dans ce chef d’œuvre et dans sa promotion; d’autre part, la construction du film, avec un démarrage assez lent au cours duquel on se demande si l’on est encore ou pas dans le générique, puis une première partie qui ne procède pas encore de la narration mais qui manque sa fonction d’exposition – comme on dit au théâtre d’une première scène présentant les personnages – au profit d’une mise en bouche fascinante par la multiplicité des sources et la qualité virtuose du montage. Mais un peu vaine pour qui n’a jamais entendu parler ni de Max Roach et ni d’Abbey Lincoln – ne riez pas, un sondage dans les couloirs de mon immeuble vous détromperait cruellement, pour ne rien dire d’Ornette Coleman – ; qui n’a pas idée de ce que fut la chaine radio Voice of America ; qui ignore ce que furent les “Jazz Ambassadors” et le cas de conscience que suscita chez eux leur envoi de par le monde. Moi-même, j’avais oublié – et ce ne me revint à l’esprit qu’avec les images émeutières de la fin du film – que le 15 février 1961, un mois après l’assassinat de Lulumba, fit irruption, lors d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, une soixantaine de manifestants emmenée par Abbey Lincoln et Max Roach – d’autre sources mentionnent Abbey Lincoln, Maya Angelou et Rosa Guy fondatrice de la Cultural Association of Women of African Heritage, avec le renfort de Roach et quelques autres mititants

Cette première partie, aussi fascinante soit-elle, aurait pu céder de sa dimension esthétique à une fonction plus didactique, et de sa longueur à la seconde partie “narrative” pour la rendre plus “lisible” alors que défile à l’écran les citations en tous caractères (déclarations ou missives échangées entre les différentes parties, certifiées par la mention très précise de leurs sources) à un rythme défiant parfois l’entendement. Reste qu’il faut aller voir ce Sound Track to a Coup d’état en salle dès aujourd’hui, 1er octobre. Franck Bergerot