IMPERIAL ORPHEON au PETIT DUC d’AIX EN PROVENCE

IMPERIAL ORPHEON au PETIT DUC, à Aix en Provence

Vendredi 28 Mai 2021

Le Petit Duc – Salle de concerts à Aix-en-ProvenceLe Petit Duc

Compagnie Impérial | Collectif de musiciens (compagnieimperial.com)

Gérald Chevillon saxophone basse, flûte à bec, FX 

Antonin Leymarie batterie

Rémy Poulakys accordéon, chant et chant lyrique

Damien Sabatier saxophone alto, sopranino, FX

Les beaux jours arrivant avec la fin du confinement, les cinémas et musées ouvrent leurs portes, les concerts reprennent. Le quartet Imperial Orphéon, programmé ce 28 Mai, est l’avant-dernier concert d’une saison pour le moins atypique, retransmis sur la webtélé du Petit Duc. Mais Gérard Dahan et Myriam Daups sont à jour, ils ont déjà prévu 45 dates pour la prochaine année.

Un concert festif sur la scène du Petit Duc pour faire danser chez soi, tel était le programme, qui tourne plus ou moins autour de l’album du quartet, intitulé justement Seducere. Il se vérifie rapidement que cette musique est accrocheuse. On est au bal, mais à un bal moderne qui fait voir du pays, cherche l’aventure, aimant le métissage pas sage, les folklores réels ou imaginaires, à l’ombre de l’ARFI, le plus vieux collectif de jazz en Rhône Alpes, qui a nourri tellement d’aventures communautaires. Un répertoire éclectique, il va sans dire, qui puise à toutes les musiques, valses, grooves électroniques, jazz (un peu, beaucoup), chansons, airs trad et même du lyrique. Le quartet se nourrit des musiques glanées dans un espace ouvert aux quatre vents, au monde, dans une quintessence du souffle plus encore qu’une virtuosité attendue des instrumentistes, issus du classique.

Un groupe atypique lui aussi, composé de musiciens aguerris,  deux soufflants polyphonistes qui se connaissent depuis toujours et épuisent à eux deux la gamme des six saxophones (du basse au sopranino),  un accordéoniste-chanteur étonnant et un nécessaire batteur. Une diversité des timbres et des textures de bon aloi, l’accordéon toujours riche en harmonique, introduisant cette dimension populaire, dansante, parfois mélancolique. Les quatre ne cherchent pas tant à créer de nouvelles atmosphères en utilisant couleurs et timbres différents qu’à démultiplier sons et effets, construire et déconstruire, souffler et un peu apaiser aussi. Virevoltant dans la rigueur et tiraillés entre diverses polarités, les musiciens cultivent un goût du paradoxe, quand leur musique pourrait faire croire à la légèreté d’un divertissement. On saisit vite qu’il n’en est rien et qu’on ne va pas aller glisser sur une piste de danse. Avec un authentique travail de placement et de répartition des rôles, incluant des permutations presque mathématiques, ils nous entraînent dans leur sillage, avec des rythmes très soutenus, une énergie communicative que l’on sent constamment canalisée,  entrecoupée de surprises vocales, de césures rythmiques. La musique est cousue de ces changements constants de voix, d’orchestrations, de passages arrangés, de relais d’un musicien à un autre.

La parole circule, l’écriture est au cordeau mais la liberté commence dans l’écoute attentive de l’autre, dans cet aménagement de solos très assumés pour chacun, à tour de rôle. S’ils improvisent, c’est dans le jouage et ils ont su développer cette pratique au sein de cet Impérial Orphéon créé il y a dix ans. Pas de loi mais une improvisation préparée en somme.

C’est la raison pour laquelle il faut rendre hommage au jeune Benoît Jublot qui remplace, quasiment au pied levé, le batteur Antonin Leymarie-que l’on connaît bien sur la scène jazz hexagonale mais qui va voir aussi du côté de l’électro et  du hip hop, retenu pour la répétition générale d’ Anima, une communion rythmique et gestuelle entre danseurs et musiciens, au théâtre de Vanves, le 29 Mai. Si les films se pressent, livrant  bataille pour accéder aux grands écrans retrouvés, c’est aussi le grand embouteillage et le casse-tête pour les concerts qui se bousculent dans les programmations des salles. Le quartet a donc travaillé deux jours de suite avant ce concert pour que tout soit en place avec le batteur, clair et précis, qui fera sa part, remplira sa mission pour sa première scène avec l’Orphéon.

Drôle de nom, plutôt original, cet « orphéon » et ce qu’il sous-tend, plaisait à ce ludion d’Antonin Leymarie, jamais à court d’idées ni de projets. Le mot rend hommage à ces orchestres populaires, « sociétés » de chants, sortes de phalanstères musicaux. 2011 sera l’acte de création de cette nouvelle branche de la Compagnie Impérial, grand format s’il en est, qui  a une longue histoire que l’on peut suivre en allant sur leur site. Retenez Impérial en plusieurs versions et formats, quatre en fait  : Imperial quartet des origines en 2003, GRIO (Grand Impérial Orchestra), Pulsar pour l’Afrique, et Imperial Orphéon.

L’idée de collectif est importante pour le noyau dur du groupe, Gérald Chevillon, Damien Sabatier et Antonin Leymarie, un saxophoniste pluriel à deux têtes et un batteur hyper actif qui s’étaient rencontrés dans la Compagnie Tous Dehors. On comprend dès lors d’où vient le goût d‘ Imperial Orphéon pour une musique populaire et décalée. On pense encore à La Compagnie des Musiques à Ouïr et aux groupes nés de cette galaxie, sous l’influence de ces valeureux aînés, les Charolles, Monniot, Sciutto, Dehors évidemment. 

Les membres de cet Impérial Orphéon le reconnaissent, « ils sont (bien) ensemble », comme le souligne le titre de l’une de leurs compositions où « ça vit mais peut aussi  partir en torche” (sic) . Le sens des nuances, l’intérêt pour la danse, l’amour du rythme les guident sans qu’il y ait un leader dans ce groupe d’alter egos. Une certaine continuité conceptuelle de cette musique sans beaucoup de temps morts.

Ils ne manquent pas d’air, de ce souffle joyeux qui fait vibrer l’ensemble, et pas seulement parce que cela commence par une première valse où l’accordéon fait entendre sa petite musique. Ils enchaînent avec “Palomita”, une autre valse, où l’accordéoniste Rémy Poulakis se met à chanter en espagnol. On entend vite que son répertoire est grand, sa tessiture large.

Il a des accents de Minvielle, il “jazzcogne”,  crie, scate et s’échappe vers le lyrique d’une belle voix de ténor. Ce que confirme un peu plus tard une mélodie rossinienne, non pas le célèbre aria Largo al factotum pour ce baryton du Barbier mais une danza, la Tarentelle napolitaine qui a l’originalité d’être initiée à la flûte à bec sopranino de Gérard Chevillon. Il l’a reçue à son départ pour Aix : une anecdote de parcours pour un morceau dédié à la Poste en somme, ce qui n’est pas fréquent.

On est vite conquis par des accents plus jazz dès le troisième titre “La rota”, où le substratum d’une rythmique peu commune (sax contrebasse, accordéon, batterie) assure l’envol de l’altiste, qui fonce autour d’une proposition en un solo incisif.

Mais chacun peut alterner dans ces tours et détours comme sur la “Valse à Barsa” qui suit, un autre titre de Leymarie. Drôle de valse qui ne tourne pas vraiment rond, avec des accents de blues. Une tournerie qui pourrait virer à la transe, mais le quartet ne laisse jamais s’installer un climat trop marqué, multipliant bifurcations, ruptures et changements de rythme. Damien Sabatier embouchant deux saxophones, sopranino et alto ponctue, appuie en hoquetant le solo du sax basse qui chante sa plainte alors que le chanteur fait un sérieux grand écart, un brin parodique.

Rémy Poulakys  « vocalese » quand il double l’instrument de son chant. Il chante même en anglais dans un morceau de la “setlist” qu’ils ne respectent pas vraiment, c’est connu, et dont je n’ai pas saisi le nom, avec une voix rock sensuelle,  plutôt“glam”, à la Elvis. Il ne va pas virer crooner tout de même? Non, car au morceau suivant, il sifflera, une vraie musique de cow boy.  Quant à une autre composition de Leymarie, véritable cheville ouvrière du groupe, elle va voir du côté de l’Afrique et du Mali des percussions mandingues. Les soufflants maîtrisent les effets élect(ron)iques, recourent aux pédales, ayant écouté Hendrix et Miles. En ajoutant le cliquetis de baguettes sur le sax basse qui sait aussi gronder rauque, tout est percutant dans cette compo qui favorise le crescendo jusqu’à ce qu’elle transmute en un chant très doux,  un berçant concert de voix,  de chant-contrechant qui dansent une gigue dans le ciel.

Lors du quart d’heure aixois, à la fin du concert, Myriam, la voix du Petit Duc en régie, fait part des réactions du public, nombreux ce soir derrière l’ordinateur: l’énergie a circulé et la formation est une vraie découverte pour beaucoup. De quoi réjouir les animateurs du Petit Duc. C’est en effet le jeu et l’enjeu de la chaîne que d’ouvrir des fenêtres de musique. La quartet fera donc à la demande, un double rappel car comment finir? On ne sait pas parce qu’on ne veut pas finir. Ce “bis bis” qui  finit par conclure est un lamento qui devient peu à peu enragé jusqu’à l’apaisement, murmure mon voisin, qui revit des souvenirs de son Amérique du Sud. 

Je garderai une impression de dérèglement raisonné, d’une drôlerie déjantée et baroque que permet une instrumentation étoffée.

Un  final de qualité pour cette série de concerts live, sans public certes mais sans streaming sur la webtélé du Petit Duc. Une salle qui aura innové en temps de pandémie en recourant à de nouveaux outils de captation pour maintenir la diffusion des concerts inscrits à la programmation et un lien avec son public.

Sophie Chambon