Jazz live
Publié le 30 Juil 2012

Jazz à Foix : émouvante clôture

Le public venu à Foix pour entendre le Steve Kuhn Trio a vécu un moment très intense quand, pour refermer définitivement le festival 2012, Eric Baudeigne, le président de la manifestation, a remis un buste d’honneur à l’effigie de Gabriel Fauré au pianiste américain : ce dernier, très ému d’un tel honneur, ne put contenir quelques larmes. Pourquoi une telle distinction ? D’abord parce que Steve Kuhn aime profondément la musique française de la période fin XIXe – début XXe siècle (de Fauré, il a enregistré une version jazz de sa Pavane) ; mais surtout pour avoir tenu sa promesse d’offrir un magnifique concert de clôture au festival qui l’a si chaleureusement accueilli.

Steve Kuhn Trio
Dimanche 29 juillet 2012, Jazz à Foix, Foix (09), Centre Culturel l’Estive, 22h00
Steve Kuhn (p), Steve Swallow (elb), Billy Drummond (dm).

 

    En raison d’un piano capricieux, le concert avait finalement lieu au Centre Culturel de la ville de Foix. Moins charmeur que le plein air pyrénéen pour le public ; mais certes plus confortable pour les musiciens (quoi que, les caméras de la chaîne Mezzo étant de la partie, les projecteurs inondèrent les musiciens de leur écrasante chaleur). Est-ce à cause de se déplacement que le millier de spectateur atteint pour le concert de Tchavolo Smith, quelques jours plus tôt, se trouva réduit à quelques centaines ?
    Quoi qu’il en soit, les connaisseurs présents accueillirent chaudement Steve Kuhn accompagné par la rythmique de Carla Bley.
    En bon admirateur de Coltrane, dont il fut le tout premier pianiste (avant McCoy Tyner), Kuhn débuta son concert par une reprise de Super Jet, un thème que Coltrane avait enregistré aux cotés de Tadd Dameron, le compositeur de ce thème, en 1956 (sur “Mating Call”). La version du trio fut très classique, tant dans la forme que dans son expression. Idéal pour démarrer un concert en douceur. Vint ensuite Two by 2, un blues très habile de Kuhn où, à la cinquième mesure, sa pièce évite soigneusement de faire entendre le quatrième degré si typique du blues. Son jeu de piano commença alors à se préciser : très souple, bien au fond de la touche et cependant avec tout de même un petit côté perlé. Et bien sûr, un sens discret mais ô combien efficace de la surprise harmonique au moment précis où l’on ne s’y attend plus. Car Steve Kuhn est d’abord un pianiste qui joue « dans » l’harmonie. Au cours de ses solos, il ne s’aventure pas hors de la grille (alors même qu’il sait le faire, une phrase – une seule ! – un peu plus tard dans le concert l’ayant démontré). Comme souvent, chez ce genre de pianiste « encyclopédique », il intègre de fréquentes citations dans ses improvisations. Ce fut de nouveau le cas dans Blue Bossa (de Kenny Dorham, le premier employeur de Kuhn lorsque ce dernier emménagea à New York en 1959) où Besame Mucho et Invitation lui virent sous les doigts à plusieurs reprises. Après avoir proclamé son amour immodéré pour la musique de Ravel, Kuhn donna une interprétation de la fameuse Pavane pour une infante défunte. Tandis que la première phrase fut jouée au piano seul (avec quelques savoureuses réharmonisations), le duo rejoignit leur leader sur la deuxième phrase, pour assurer un matelas swing des mieux venus. Billy Drummond parut d’ailleurs dans une grande forme ce soir-là. Son swing, très souple, rebondissant et détendu, convenait à la perfection au jeu du pianiste, dosant très précisément son intensité, suivant tel un double les intentions de Kuhn, ne le couvrant jamais alors qu’il conserva constamment ses baguettes. Au cours de son improvisation, Kuhn réalisa (dans l’instant ?) une correspondance inattendue, et plutôt bien vue, entre Along Came Betty et la grille harmonique de la composition ravelienne. Après Remember (une valse de Steve Swallow) et une belle version de Stella by Starlight en ballade, le trio enchaîna deux compositions très seventies du leader : Transe et Oceans in the Sky (respectivement gravées en 1975 et 1977 pour ECM). Sans conteste, ce fut le sommet de la soirée. Pourtant, rendu sans doute un peu las par la chaleur des projecteurs, un brin contrarié par les notes désaccordées de l’extrême aigu de son instrument, Kuhn entreprit une longue introduction en solo qui fonctionna guère. Bien sûr, avec son immense métier, il sut tout à fait entretenir l’attention ; mais il était aussi perceptible que l’inspiration ne semblait pas vouloir lui venir en aide. Après que le trio l’ait rejoint quelques instants pour l’exposé du premier thème – très « seconde modalité 70’s » en rubato –, ce fut Steve Swallow qui se retrouva en solo absolu. Alors que pendant tout le reste du concert, il ne fut « que » irréprochable, soudain, en jouant tout en douceur sur cette sorte de « chanterelle de la basse électrique » que constitue la cinquième corde qu’il a ajouté à son instrument, il transporta le public le bonheur par une inspiration mélodique de haute qualité. En un fondu-enchaîné subtil, Kuhn le rattrapa en fin de solo pour introduire Oceans in the Sky, cela par un double trille « à la All Blues » (bien que sa valse n’est rien d’un blues). Peut-être aiguillonné par cette réussite, Kuhn donna alors sa meilleure improvisation de la soirée, en une lente mais irrépressible montée où son piano se transforma en orchestre – et s’il fallait proposer une image, on pourra s’imaginer une sorte de McCoy Tyner voulant rivaliser sur le terrain de jeu d’Ahmad Jamal. A la suite de son leader, Billy Drummond imagina lui aussi un solo absolument magnifique. Démarrant seulement avec sa grosse caisse et ses charlestons, jouées au pied tout en nuances, il réalisa une véritable performance en structurant son solo avec une forme en arche. En effet, au milieu de sa performance, il reprit dans l’ordre inverse les éléments mis en jeu dans la première partie de son intervention, la refermant de ce fait comme il l’avait ouverte. Les connaisseurs burent du petit lait !
    Le concert se referma par une reprise de Confirmation (où seule les deux premières mesures du pont furent en réalité citées textuellement), avec des solos alternés se resserrant de plus en plus (8/8 devenant 4/4, 2/2 et 1/1). En bis, ce fut The Zoo que le trio entonna, un morceau de Steve Kuhn (dont le début de grille rappelle le Spartacus Love Theme d’Alex North, magnifié par Bill Evans) au cours duquel il chanta lui-même les paroles de sa composition, s’accompagnant main gauche seule au clavier, clôturant ainsi le concert d’une façon aussi émouvante que la petite cérémonie qui allait suivre.

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Le public venu à Foix pour entendre le Steve Kuhn Trio a vécu un moment très intense quand, pour refermer définitivement le festival 2012, Eric Baudeigne, le président de la manifestation, a remis un buste d’honneur à l’effigie de Gabriel Fauré au pianiste américain : ce dernier, très ému d’un tel honneur, ne put contenir quelques larmes. Pourquoi une telle distinction ? D’abord parce que Steve Kuhn aime profondément la musique française de la période fin XIXe – début XXe siècle (de Fauré, il a enregistré une version jazz de sa Pavane) ; mais surtout pour avoir tenu sa promesse d’offrir un magnifique concert de clôture au festival qui l’a si chaleureusement accueilli.

Steve Kuhn Trio
Dimanche 29 juillet 2012, Jazz à Foix, Foix (09), Centre Culturel « L’Estive », 22h00
Steve Kuhn (p), Steve Swallow (elb), Billy Drummond (dm).

 

En raison d’un piano capricieux, le concert avait finalement lieu au Centre Culturel de la ville de Foix. Moins charmeur que le plein air pyrénéen pour le public ; mais certes plus confortable pour les musiciens (bien que, les caméras de la chaîne Mezzo étant de la partie, les projecteurs inondèrent les musiciens de leur écrasante chaleur). Est-ce à cause de se déplacement que le millier de spectateurs atteint pour le concert de Tchavolo Schmitt, quelques jours plus tôt, se trouva réduit à quelques centaines ?

 

Quoi qu’il en soit, les connaisseurs présents accueillirent chaudement Steve Kuhn accompagné par la rythmique de Carla Bley.

En bon admirateur de Coltrane, dont il fut le tout premier pianiste (avant McCoy Tyner), Kuhn débuta son concert par une reprise de Super Jet, un thème que Coltrane avait enregistré aux cotés de son compositeur, Tadd Dameron, en 1956 (sur “Mating Call”). La version du trio fut très classique, tant dans la forme que dans son expression. Idéal pour démarrer un concert en douceur. Vint ensuite Two by 2, un blues très habile de Kuhn où, à la cinquième mesure, sa pièce évite soigneusement de faire entendre le quatrième degré si typique du blues. Son jeu de piano commença alors à se préciser : très souple, bien au fond de la touche et cependant avec tout de même un petit côté perlé. Et bien sûr, un sens discret mais ô combien efficace de la surprise harmonique au moment précis où l’on ne s’y attend plus. Car Steve Kuhn est d’abord un pianiste qui joue « dans » l’harmonie. Au cours de ses solos, il ne s’aventure pas hors de la grille (alors même qu’il sait le faire, une phrase – une seule ! – un peu plus tard dans le concert l’ayant démontré). Comme souvent, chez ce genre de pianiste « encyclopédique », il intègre de fréquentes citations dans ses improvisations. Ce fut de nouveau le cas dans Blue Bossa (de Kenny Dorham, le premier employeur de Kuhn lorsque ce dernier emménagea à New York en 1959) où Besame Mucho et Invitation lui virent sous les doigts à plusieurs reprises.

 

Trio Steve Kuhn à Foix

 

Après avoir proclamé son amour immodéré pour la musique de Ravel, Kuhn donna une interprétation de la fameuse Pavane pour une infante défunte. Tandis que la première phrase fut jouée au piano seul (avec quelques savoureuses réharmonisations), le duo rejoignit leur leader sur la deuxième phrase, pour assurer un matelas swing des mieux venus. Billy Drummond parut d’ailleurs dans une grande forme ce soir-là. Son swing, très souple, rebondissant et détendu, convenait à la perfection au jeu du pianiste, dosant très précisément son intensité, suivant tel un double les intentions de Kuhn, ne le couvrant jamais alors qu’il conserva constamment ses baguettes. Au cours de son improvisation, Kuhn réalisa (dans l’instant ?) une correspondance inattendue, et plutôt bien vue, entre Along Came Betty et la grille harmonique de la composition ravelienne.

Après Remember (une valse de Steve Swallow) et une belle version de Stella by Starlight en ballade, le trio enchaîna deux compositions du leader bien ancrées dans leur époque de création : Transe et Oceans in the Sky (respectivement enregistrées en 1975 et 1977 pour ECM). Sans conteste, ce fut le sommet de la soirée. Pourtant, rendu sans doute un peu las par la chaleur des projecteurs, un brin contrarié par les notes désaccordées de l’extrême aigu de son instrument, Kuhn entreprit une longue introduction en solo qui ne fonctionna guère. Bien sûr, avec son immense métier, il sut tout à fait entretenir l’attention ; mais il était aussi perceptible que l’inspiration ne semblait pas vouloir lui venir en aide. Après que le trio l’ait rejoint quelques instants pour l’exposé du premier thème – très « seconde modalité 70’s » en rubato –, ce fut Steve Swallow qui se retrouva en solo absolu. Alors que pendant tout le reste du concert, il ne fut « que » irréprochable, soudain, en jouant tout en douceur sur cette sorte de « chanterelle de basse électrique » (une cinquième corde qu’il a ajoutée à son instrument), il transporta le public de bonheur par une inspiration mélodique de haute qualité. En un fondu-enchaîné subtil, Kuhn le rattrapa en fin de solo pour introduire Oceans in the Sky, cela par un double trille « à la All Blues » (bien que sa valse n’ait rien d’un blues). Peut-être aiguillonné par cette réussite, Kuhn donna alors sa meilleure improvisation de la soirée, en une lente mais irrépressible montée où son piano se transforma en orchestre – et s’il fallait proposer une image, on pourra s’imaginer une sorte de McCoy Tyner voulant rivaliser sur le terrain de jeu d’Ahmad Jamal. A la suite de son leader, Billy Drummond imagina lui aussi un solo absolument magnifique. Démarrant seulement avec sa grosse caisse et ses charlestons, jouées au pied tout en nuances, il réalisa une véritable performance en faisant de son solo une forme en arche. En effet, au milieu de sa performance, il reprit dans l’ordre inverse les éléments mis en jeu dans la première partie de son intervention, la refermant de ce fait comme il l’avait ouverte. Les connaisseurs burent du petit lait !

 

Ce récital s’acheva par une reprise de Confirmation (où seule les deux premières mesures du pont furent en réalité citées textuellement), avec des solos alternés se resserrant de plus en plus (8/8 devenant 4/4, 2/2 et 1/1). En bis, ce fut The Zoo que le trio entonna, un morceau de Steve Kuhn (dont le début de grille rappelle le Spartacus Love Theme d’Alex North, magnifié par Bill Evans) au cours duquel il chanta lui-même les paroles de sa composition, s’accompagnant main gauche seule au clavier, clôturant ainsi le concert d’une façon aussi émouvante que la petite cérémonie qui allait suivre.

 

Kuhn  Baudeigne

Steve Kuhn avec Eric Baudeigne

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Le public venu à Foix pour entendre le Steve Kuhn Trio a vécu un moment très intense quand, pour refermer définitivement le festival 2012, Eric Baudeigne, le président de la manifestation, a remis un buste d’honneur à l’effigie de Gabriel Fauré au pianiste américain : ce dernier, très ému d’un tel honneur, ne put contenir quelques larmes. Pourquoi une telle distinction ? D’abord parce que Steve Kuhn aime profondément la musique française de la période fin XIXe – début XXe siècle (de Fauré, il a enregistré une version jazz de sa Pavane) ; mais surtout pour avoir tenu sa promesse d’offrir un magnifique concert de clôture au festival qui l’a si chaleureusement accueilli.

Steve Kuhn Trio
Dimanche 29 juillet 2012, Jazz à Foix, Foix (09), Centre Culturel l’Estive, 22h00
Steve Kuhn (p), Steve Swallow (elb), Billy Drummond (dm).

 

    En raison d’un piano capricieux, le concert avait finalement lieu au Centre Culturel de la ville de Foix. Moins charmeur que le plein air pyrénéen pour le public ; mais certes plus confortable pour les musiciens (quoi que, les caméras de la chaîne Mezzo étant de la partie, les projecteurs inondèrent les musiciens de leur écrasante chaleur). Est-ce à cause de se déplacement que le millier de spectateur atteint pour le concert de Tchavolo Smith, quelques jours plus tôt, se trouva réduit à quelques centaines ?
    Quoi qu’il en soit, les connaisseurs présents accueillirent chaudement Steve Kuhn accompagné par la rythmique de Carla Bley.
    En bon admirateur de Coltrane, dont il fut le tout premier pianiste (avant McCoy Tyner), Kuhn débuta son concert par une reprise de Super Jet, un thème que Coltrane avait enregistré aux cotés de Tadd Dameron, le compositeur de ce thème, en 1956 (sur “Mating Call”). La version du trio fut très classique, tant dans la forme que dans son expression. Idéal pour démarrer un concert en douceur. Vint ensuite Two by 2, un blues très habile de Kuhn où, à la cinquième mesure, sa pièce évite soigneusement de faire entendre le quatrième degré si typique du blues. Son jeu de piano commença alors à se préciser : très souple, bien au fond de la touche et cependant avec tout de même un petit côté perlé. Et bien sûr, un sens discret mais ô combien efficace de la surprise harmonique au moment précis où l’on ne s’y attend plus. Car Steve Kuhn est d’abord un pianiste qui joue « dans » l’harmonie. Au cours de ses solos, il ne s’aventure pas hors de la grille (alors même qu’il sait le faire, une phrase – une seule ! – un peu plus tard dans le concert l’ayant démontré). Comme souvent, chez ce genre de pianiste « encyclopédique », il intègre de fréquentes citations dans ses improvisations. Ce fut de nouveau le cas dans Blue Bossa (de Kenny Dorham, le premier employeur de Kuhn lorsque ce dernier emménagea à New York en 1959) où Besame Mucho et Invitation lui virent sous les doigts à plusieurs reprises. Après avoir proclamé son amour immodéré pour la musique de Ravel, Kuhn donna une interprétation de la fameuse Pavane pour une infante défunte. Tandis que la première phrase fut jouée au piano seul (avec quelques savoureuses réharmonisations), le duo rejoignit leur leader sur la deuxième phrase, pour assurer un matelas swing des mieux venus. Billy Drummond parut d’ailleurs dans une grande forme ce soir-là. Son swing, très souple, rebondissant et détendu, convenait à la perfection au jeu du pianiste, dosant très précisément son intensité, suivant tel un double les intentions de Kuhn, ne le couvrant jamais alors qu’il conserva constamment ses baguettes. Au cours de son improvisation, Kuhn réalisa (dans l’instant ?) une correspondance inattendue, et plutôt bien vue, entre Along Came Betty et la grille harmonique de la composition ravelienne. Après Remember (une valse de Steve Swallow) et une belle version de Stella by Starlight en ballade, le trio enchaîna deux compositions très seventies du leader : Transe et Oceans in the Sky (respectivement gravées en 1975 et 1977 pour ECM). Sans conteste, ce fut le sommet de la soirée. Pourtant, rendu sans doute un peu las par la chaleur des projecteurs, un brin contrarié par les notes désaccordées de l’extrême aigu de son instrument, Kuhn entreprit une longue introduction en solo qui fonctionna guère. Bien sûr, avec son immense métier, il sut tout à fait entretenir l’attention ; mais il était aussi perceptible que l’inspiration ne semblait pas vouloir lui venir en aide. Après que le trio l’ait rejoint quelques instants pour l’exposé du premier thème – très « seconde modalité 70’s » en rubato –, ce fut Steve Swallow qui se retrouva en solo absolu. Alors que pendant tout le reste du concert, il ne fut « que » irréprochable, soudain, en jouant tout en douceur sur cette sorte de « chanterelle de la basse électrique » que constitue la cinquième corde qu’il a ajouté à son instrument, il transporta le public le bonheur par une inspiration mélodique de haute qualité. En un fondu-enchaîné subtil, Kuhn le rattrapa en fin de solo pour introduire Oceans in the Sky, cela par un double trille « à la All Blues » (bien que sa valse n’est rien d’un blues). Peut-être aiguillonné par cette réussite, Kuhn donna alors sa meilleure improvisation de la soirée, en une lente mais irrépressible montée où son piano se transforma en orchestre – et s’il fallait proposer une image, on pourra s’imaginer une sorte de McCoy Tyner voulant rivaliser sur le terrain de jeu d’Ahmad Jamal. A la suite de son leader, Billy Drummond imagina lui aussi un solo absolument magnifique. Démarrant seulement avec sa grosse caisse et ses charlestons, jouées au pied tout en nuances, il réalisa une véritable performance en structurant son solo avec une forme en arche. En effet, au milieu de sa performance, il reprit dans l’ordre inverse les éléments mis en jeu dans la première partie de son intervention, la refermant de ce fait comme il l’avait ouverte. Les connaisseurs burent du petit lait !
    Le concert se referma par une reprise de Confirmation (où seule les deux premières mesures du pont furent en réalité citées textuellement), avec des solos alternés se resserrant de plus en plus (8/8 devenant 4/4, 2/2 et 1/1). En bis, ce fut The Zoo que le trio entonna, un morceau de Steve Kuhn (dont le début de grille rappelle le Spartacus Love Theme d’Alex North, magnifié par Bill Evans) au cours duquel il chanta lui-même les paroles de sa composition, s’accompagnant main gauche seule au clavier, clôturant ainsi le concert d’une façon aussi émouvante que la petite cérémonie qui allait suivre.

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Le public venu à Foix pour entendre le Steve Kuhn Trio a vécu un moment très intense quand, pour refermer définitivement le festival 2012, Eric Baudeigne, le président de la manifestation, a remis un buste d’honneur à l’effigie de Gabriel Fauré au pianiste américain : ce dernier, très ému d’un tel honneur, ne put contenir quelques larmes. Pourquoi une telle distinction ? D’abord parce que Steve Kuhn aime profondément la musique française de la période fin XIXe – début XXe siècle (de Fauré, il a enregistré une version jazz de sa Pavane) ; mais surtout pour avoir tenu sa promesse d’offrir un magnifique concert de clôture au festival qui l’a si chaleureusement accueilli.

Steve Kuhn Trio
Dimanche 29 juillet 2012, Jazz à Foix, Foix (09), Centre Culturel « L’Estive », 22h00
Steve Kuhn (p), Steve Swallow (elb), Billy Drummond (dm).

 

En raison d’un piano capricieux, le concert avait finalement lieu au Centre Culturel de la ville de Foix. Moins charmeur que le plein air pyrénéen pour le public ; mais certes plus confortable pour les musiciens (bien que, les caméras de la chaîne Mezzo étant de la partie, les projecteurs inondèrent les musiciens de leur écrasante chaleur). Est-ce à cause de se déplacement que le millier de spectateurs atteint pour le concert de Tchavolo Schmitt, quelques jours plus tôt, se trouva réduit à quelques centaines ?

 

Quoi qu’il en soit, les connaisseurs présents accueillirent chaudement Steve Kuhn accompagné par la rythmique de Carla Bley.

En bon admirateur de Coltrane, dont il fut le tout premier pianiste (avant McCoy Tyner), Kuhn débuta son concert par une reprise de Super Jet, un thème que Coltrane avait enregistré aux cotés de son compositeur, Tadd Dameron, en 1956 (sur “Mating Call”). La version du trio fut très classique, tant dans la forme que dans son expression. Idéal pour démarrer un concert en douceur. Vint ensuite Two by 2, un blues très habile de Kuhn où, à la cinquième mesure, sa pièce évite soigneusement de faire entendre le quatrième degré si typique du blues. Son jeu de piano commença alors à se préciser : très souple, bien au fond de la touche et cependant avec tout de même un petit côté perlé. Et bien sûr, un sens discret mais ô combien efficace de la surprise harmonique au moment précis où l’on ne s’y attend plus. Car Steve Kuhn est d’abord un pianiste qui joue « dans » l’harmonie. Au cours de ses solos, il ne s’aventure pas hors de la grille (alors même qu’il sait le faire, une phrase – une seule ! – un peu plus tard dans le concert l’ayant démontré). Comme souvent, chez ce genre de pianiste « encyclopédique », il intègre de fréquentes citations dans ses improvisations. Ce fut de nouveau le cas dans Blue Bossa (de Kenny Dorham, le premier employeur de Kuhn lorsque ce dernier emménagea à New York en 1959) où Besame Mucho et Invitation lui virent sous les doigts à plusieurs reprises.

 

Trio Steve Kuhn à Foix

 

Après avoir proclamé son amour immodéré pour la musique de Ravel, Kuhn donna une interprétation de la fameuse Pavane pour une infante défunte. Tandis que la première phrase fut jouée au piano seul (avec quelques savoureuses réharmonisations), le duo rejoignit leur leader sur la deuxième phrase, pour assurer un matelas swing des mieux venus. Billy Drummond parut d’ailleurs dans une grande forme ce soir-là. Son swing, très souple, rebondissant et détendu, convenait à la perfection au jeu du pianiste, dosant très précisément son intensité, suivant tel un double les intentions de Kuhn, ne le couvrant jamais alors qu’il conserva constamment ses baguettes. Au cours de son improvisation, Kuhn réalisa (dans l’instant ?) une correspondance inattendue, et plutôt bien vue, entre Along Came Betty et la grille harmonique de la composition ravelienne.

Après Remember (une valse de Steve Swallow) et une belle version de Stella by Starlight en ballade, le trio enchaîna deux compositions du leader bien ancrées dans leur époque de création : Transe et Oceans in the Sky (respectivement enregistrées en 1975 et 1977 pour ECM). Sans conteste, ce fut le sommet de la soirée. Pourtant, rendu sans doute un peu las par la chaleur des projecteurs, un brin contrarié par les notes désaccordées de l’extrême aigu de son instrument, Kuhn entreprit une longue introduction en solo qui ne fonctionna guère. Bien sûr, avec son immense métier, il sut tout à fait entretenir l’attention ; mais il était aussi perceptible que l’inspiration ne semblait pas vouloir lui venir en aide. Après que le trio l’ait rejoint quelques instants pour l’exposé du premier thème – très « seconde modalité 70’s » en rubato –, ce fut Steve Swallow qui se retrouva en solo absolu. Alors que pendant tout le reste du concert, il ne fut « que » irréprochable, soudain, en jouant tout en douceur sur cette sorte de « chanterelle de basse électrique » (une cinquième corde qu’il a ajoutée à son instrument), il transporta le public de bonheur par une inspiration mélodique de haute qualité. En un fondu-enchaîné subtil, Kuhn le rattrapa en fin de solo pour introduire Oceans in the Sky, cela par un double trille « à la All Blues » (bien que sa valse n’ait rien d’un blues). Peut-être aiguillonné par cette réussite, Kuhn donna alors sa meilleure improvisation de la soirée, en une lente mais irrépressible montée où son piano se transforma en orchestre – et s’il fallait proposer une image, on pourra s’imaginer une sorte de McCoy Tyner voulant rivaliser sur le terrain de jeu d’Ahmad Jamal. A la suite de son leader, Billy Drummond imagina lui aussi un solo absolument magnifique. Démarrant seulement avec sa grosse caisse et ses charlestons, jouées au pied tout en nuances, il réalisa une véritable performance en faisant de son solo une forme en arche. En effet, au milieu de sa performance, il reprit dans l’ordre inverse les éléments mis en jeu dans la première partie de son intervention, la refermant de ce fait comme il l’avait ouverte. Les connaisseurs burent du petit lait !

 

Ce récital s’acheva par une reprise de Confirmation (où seule les deux premières mesures du pont furent en réalité citées textuellement), avec des solos alternés se resserrant de plus en plus (8/8 devenant 4/4, 2/2 et 1/1). En bis, ce fut The Zoo que le trio entonna, un morceau de Steve Kuhn (dont le début de grille rappelle le Spartacus Love Theme d’Alex North, magnifié par Bill Evans) au cours duquel il chanta lui-même les paroles de sa composition, s’accompagnant main gauche seule au clavier, clôturant ainsi le concert d’une façon aussi émouvante que la petite cérémonie qui allait suivre.

 

Kuhn  Baudeigne

Steve Kuhn avec Eric Baudeigne

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Le public venu à Foix pour entendre le Steve Kuhn Trio a vécu un moment très intense quand, pour refermer définitivement le festival 2012, Eric Baudeigne, le président de la manifestation, a remis un buste d’honneur à l’effigie de Gabriel Fauré au pianiste américain : ce dernier, très ému d’un tel honneur, ne put contenir quelques larmes. Pourquoi une telle distinction ? D’abord parce que Steve Kuhn aime profondément la musique française de la période fin XIXe – début XXe siècle (de Fauré, il a enregistré une version jazz de sa Pavane) ; mais surtout pour avoir tenu sa promesse d’offrir un magnifique concert de clôture au festival qui l’a si chaleureusement accueilli.

Steve Kuhn Trio
Dimanche 29 juillet 2012, Jazz à Foix, Foix (09), Centre Culturel l’Estive, 22h00
Steve Kuhn (p), Steve Swallow (elb), Billy Drummond (dm).

 

    En raison d’un piano capricieux, le concert avait finalement lieu au Centre Culturel de la ville de Foix. Moins charmeur que le plein air pyrénéen pour le public ; mais certes plus confortable pour les musiciens (quoi que, les caméras de la chaîne Mezzo étant de la partie, les projecteurs inondèrent les musiciens de leur écrasante chaleur). Est-ce à cause de se déplacement que le millier de spectateur atteint pour le concert de Tchavolo Smith, quelques jours plus tôt, se trouva réduit à quelques centaines ?
    Quoi qu’il en soit, les connaisseurs présents accueillirent chaudement Steve Kuhn accompagné par la rythmique de Carla Bley.
    En bon admirateur de Coltrane, dont il fut le tout premier pianiste (avant McCoy Tyner), Kuhn débuta son concert par une reprise de Super Jet, un thème que Coltrane avait enregistré aux cotés de Tadd Dameron, le compositeur de ce thème, en 1956 (sur “Mating Call”). La version du trio fut très classique, tant dans la forme que dans son expression. Idéal pour démarrer un concert en douceur. Vint ensuite Two by 2, un blues très habile de Kuhn où, à la cinquième mesure, sa pièce évite soigneusement de faire entendre le quatrième degré si typique du blues. Son jeu de piano commença alors à se préciser : très souple, bien au fond de la touche et cependant avec tout de même un petit côté perlé. Et bien sûr, un sens discret mais ô combien efficace de la surprise harmonique au moment précis où l’on ne s’y attend plus. Car Steve Kuhn est d’abord un pianiste qui joue « dans » l’harmonie. Au cours de ses solos, il ne s’aventure pas hors de la grille (alors même qu’il sait le faire, une phrase – une seule ! – un peu plus tard dans le concert l’ayant démontré). Comme souvent, chez ce genre de pianiste « encyclopédique », il intègre de fréquentes citations dans ses improvisations. Ce fut de nouveau le cas dans Blue Bossa (de Kenny Dorham, le premier employeur de Kuhn lorsque ce dernier emménagea à New York en 1959) où Besame Mucho et Invitation lui virent sous les doigts à plusieurs reprises. Après avoir proclamé son amour immodéré pour la musique de Ravel, Kuhn donna une interprétation de la fameuse Pavane pour une infante défunte. Tandis que la première phrase fut jouée au piano seul (avec quelques savoureuses réharmonisations), le duo rejoignit leur leader sur la deuxième phrase, pour assurer un matelas swing des mieux venus. Billy Drummond parut d’ailleurs dans une grande forme ce soir-là. Son swing, très souple, rebondissant et détendu, convenait à la perfection au jeu du pianiste, dosant très précisément son intensité, suivant tel un double les intentions de Kuhn, ne le couvrant jamais alors qu’il conserva constamment ses baguettes. Au cours de son improvisation, Kuhn réalisa (dans l’instant ?) une correspondance inattendue, et plutôt bien vue, entre Along Came Betty et la grille harmonique de la composition ravelienne. Après Remember (une valse de Steve Swallow) et une belle version de Stella by Starlight en ballade, le trio enchaîna deux compositions très seventies du leader : Transe et Oceans in the Sky (respectivement gravées en 1975 et 1977 pour ECM). Sans conteste, ce fut le sommet de la soirée. Pourtant, rendu sans doute un peu las par la chaleur des projecteurs, un brin contrarié par les notes désaccordées de l’extrême aigu de son instrument, Kuhn entreprit une longue introduction en solo qui fonctionna guère. Bien sûr, avec son immense métier, il sut tout à fait entretenir l’attention ; mais il était aussi perceptible que l’inspiration ne semblait pas vouloir lui venir en aide. Après que le trio l’ait rejoint quelques instants pour l’exposé du premier thème – très « seconde modalité 70’s » en rubato –, ce fut Steve Swallow qui se retrouva en solo absolu. Alors que pendant tout le reste du concert, il ne fut « que » irréprochable, soudain, en jouant tout en douceur sur cette sorte de « chanterelle de la basse électrique » que constitue la cinquième corde qu’il a ajouté à son instrument, il transporta le public le bonheur par une inspiration mélodique de haute qualité. En un fondu-enchaîné subtil, Kuhn le rattrapa en fin de solo pour introduire Oceans in the Sky, cela par un double trille « à la All Blues » (bien que sa valse n’est rien d’un blues). Peut-être aiguillonné par cette réussite, Kuhn donna alors sa meilleure improvisation de la soirée, en une lente mais irrépressible montée où son piano se transforma en orchestre – et s’il fallait proposer une image, on pourra s’imaginer une sorte de McCoy Tyner voulant rivaliser sur le terrain de jeu d’Ahmad Jamal. A la suite de son leader, Billy Drummond imagina lui aussi un solo absolument magnifique. Démarrant seulement avec sa grosse caisse et ses charlestons, jouées au pied tout en nuances, il réalisa une véritable performance en structurant son solo avec une forme en arche. En effet, au milieu de sa performance, il reprit dans l’ordre inverse les éléments mis en jeu dans la première partie de son intervention, la refermant de ce fait comme il l’avait ouverte. Les connaisseurs burent du petit lait !
    Le concert se referma par une reprise de Confirmation (où seule les deux premières mesures du pont furent en réalité citées textuellement), avec des solos alternés se resserrant de plus en plus (8/8 devenant 4/4, 2/2 et 1/1). En bis, ce fut The Zoo que le trio entonna, un morceau de Steve Kuhn (dont le début de grille rappelle le Spartacus Love Theme d’Alex North, magnifié par Bill Evans) au cours duquel il chanta lui-même les paroles de sa composition, s’accompagnant main gauche seule au clavier, clôturant ainsi le concert d’une façon aussi émouvante que la petite cérémonie qui allait suivre.

|

Le public venu à Foix pour entendre le Steve Kuhn Trio a vécu un moment très intense quand, pour refermer définitivement le festival 2012, Eric Baudeigne, le président de la manifestation, a remis un buste d’honneur à l’effigie de Gabriel Fauré au pianiste américain : ce dernier, très ému d’un tel honneur, ne put contenir quelques larmes. Pourquoi une telle distinction ? D’abord parce que Steve Kuhn aime profondément la musique française de la période fin XIXe – début XXe siècle (de Fauré, il a enregistré une version jazz de sa Pavane) ; mais surtout pour avoir tenu sa promesse d’offrir un magnifique concert de clôture au festival qui l’a si chaleureusement accueilli.

Steve Kuhn Trio
Dimanche 29 juillet 2012, Jazz à Foix, Foix (09), Centre Culturel « L’Estive », 22h00
Steve Kuhn (p), Steve Swallow (elb), Billy Drummond (dm).

 

En raison d’un piano capricieux, le concert avait finalement lieu au Centre Culturel de la ville de Foix. Moins charmeur que le plein air pyrénéen pour le public ; mais certes plus confortable pour les musiciens (bien que, les caméras de la chaîne Mezzo étant de la partie, les projecteurs inondèrent les musiciens de leur écrasante chaleur). Est-ce à cause de se déplacement que le millier de spectateurs atteint pour le concert de Tchavolo Schmitt, quelques jours plus tôt, se trouva réduit à quelques centaines ?

 

Quoi qu’il en soit, les connaisseurs présents accueillirent chaudement Steve Kuhn accompagné par la rythmique de Carla Bley.

En bon admirateur de Coltrane, dont il fut le tout premier pianiste (avant McCoy Tyner), Kuhn débuta son concert par une reprise de Super Jet, un thème que Coltrane avait enregistré aux cotés de son compositeur, Tadd Dameron, en 1956 (sur “Mating Call”). La version du trio fut très classique, tant dans la forme que dans son expression. Idéal pour démarrer un concert en douceur. Vint ensuite Two by 2, un blues très habile de Kuhn où, à la cinquième mesure, sa pièce évite soigneusement de faire entendre le quatrième degré si typique du blues. Son jeu de piano commença alors à se préciser : très souple, bien au fond de la touche et cependant avec tout de même un petit côté perlé. Et bien sûr, un sens discret mais ô combien efficace de la surprise harmonique au moment précis où l’on ne s’y attend plus. Car Steve Kuhn est d’abord un pianiste qui joue « dans » l’harmonie. Au cours de ses solos, il ne s’aventure pas hors de la grille (alors même qu’il sait le faire, une phrase – une seule ! – un peu plus tard dans le concert l’ayant démontré). Comme souvent, chez ce genre de pianiste « encyclopédique », il intègre de fréquentes citations dans ses improvisations. Ce fut de nouveau le cas dans Blue Bossa (de Kenny Dorham, le premier employeur de Kuhn lorsque ce dernier emménagea à New York en 1959) où Besame Mucho et Invitation lui virent sous les doigts à plusieurs reprises.

 

Trio Steve Kuhn à Foix

 

Après avoir proclamé son amour immodéré pour la musique de Ravel, Kuhn donna une interprétation de la fameuse Pavane pour une infante défunte. Tandis que la première phrase fut jouée au piano seul (avec quelques savoureuses réharmonisations), le duo rejoignit leur leader sur la deuxième phrase, pour assurer un matelas swing des mieux venus. Billy Drummond parut d’ailleurs dans une grande forme ce soir-là. Son swing, très souple, rebondissant et détendu, convenait à la perfection au jeu du pianiste, dosant très précisément son intensité, suivant tel un double les intentions de Kuhn, ne le couvrant jamais alors qu’il conserva constamment ses baguettes. Au cours de son improvisation, Kuhn réalisa (dans l’instant ?) une correspondance inattendue, et plutôt bien vue, entre Along Came Betty et la grille harmonique de la composition ravelienne.

Après Remember (une valse de Steve Swallow) et une belle version de Stella by Starlight en ballade, le trio enchaîna deux compositions du leader bien ancrées dans leur époque de création : Transe et Oceans in the Sky (respectivement enregistrées en 1975 et 1977 pour ECM). Sans conteste, ce fut le sommet de la soirée. Pourtant, rendu sans doute un peu las par la chaleur des projecteurs, un brin contrarié par les notes désaccordées de l’extrême aigu de son instrument, Kuhn entreprit une longue introduction en solo qui ne fonctionna guère. Bien sûr, avec son immense métier, il sut tout à fait entretenir l’attention ; mais il était aussi perceptible que l’inspiration ne semblait pas vouloir lui venir en aide. Après que le trio l’ait rejoint quelques instants pour l’exposé du premier thème – très « seconde modalité 70’s » en rubato –, ce fut Steve Swallow qui se retrouva en solo absolu. Alors que pendant tout le reste du concert, il ne fut « que » irréprochable, soudain, en jouant tout en douceur sur cette sorte de « chanterelle de basse électrique » (une cinquième corde qu’il a ajoutée à son instrument), il transporta le public de bonheur par une inspiration mélodique de haute qualité. En un fondu-enchaîné subtil, Kuhn le rattrapa en fin de solo pour introduire Oceans in the Sky, cela par un double trille « à la All Blues » (bien que sa valse n’ait rien d’un blues). Peut-être aiguillonné par cette réussite, Kuhn donna alors sa meilleure improvisation de la soirée, en une lente mais irrépressible montée où son piano se transforma en orchestre – et s’il fallait proposer une image, on pourra s’imaginer une sorte de McCoy Tyner voulant rivaliser sur le terrain de jeu d’Ahmad Jamal. A la suite de son leader, Billy Drummond imagina lui aussi un solo absolument magnifique. Démarrant seulement avec sa grosse caisse et ses charlestons, jouées au pied tout en nuances, il réalisa une véritable performance en faisant de son solo une forme en arche. En effet, au milieu de sa performance, il reprit dans l’ordre inverse les éléments mis en jeu dans la première partie de son intervention, la refermant de ce fait comme il l’avait ouverte. Les connaisseurs burent du petit lait !

 

Ce récital s’acheva par une reprise de Confirmation (où seule les deux premières mesures du pont furent en réalité citées textuellement), avec des solos alternés se resserrant de plus en plus (8/8 devenant 4/4, 2/2 et 1/1). En bis, ce fut The Zoo que le trio entonna, un morceau de Steve Kuhn (dont le début de grille rappelle le Spartacus Love Theme d’Alex North, magnifié par Bill Evans) au cours duquel il chanta lui-même les paroles de sa composition, s’accompagnant main gauche seule au clavier, clôturant ainsi le concert d’une façon aussi émouvante que la petite cérémonie qui allait suivre.

 

Kuhn  Baudeigne

Steve Kuhn avec Eric Baudeigne

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Le public venu à Foix pour entendre le Steve Kuhn Trio a vécu un moment très intense quand, pour refermer définitivement le festival 2012, Eric Baudeigne, le président de la manifestation, a remis un buste d’honneur à l’effigie de Gabriel Fauré au pianiste américain : ce dernier, très ému d’un tel honneur, ne put contenir quelques larmes. Pourquoi une telle distinction ? D’abord parce que Steve Kuhn aime profondément la musique française de la période fin XIXe – début XXe siècle (de Fauré, il a enregistré une version jazz de sa Pavane) ; mais surtout pour avoir tenu sa promesse d’offrir un magnifique concert de clôture au festival qui l’a si chaleureusement accueilli.

Steve Kuhn Trio
Dimanche 29 juillet 2012, Jazz à Foix, Foix (09), Centre Culturel l’Estive, 22h00
Steve Kuhn (p), Steve Swallow (elb), Billy Drummond (dm).

 

    En raison d’un piano capricieux, le concert avait finalement lieu au Centre Culturel de la ville de Foix. Moins charmeur que le plein air pyrénéen pour le public ; mais certes plus confortable pour les musiciens (quoi que, les caméras de la chaîne Mezzo étant de la partie, les projecteurs inondèrent les musiciens de leur écrasante chaleur). Est-ce à cause de se déplacement que le millier de spectateur atteint pour le concert de Tchavolo Smith, quelques jours plus tôt, se trouva réduit à quelques centaines ?
    Quoi qu’il en soit, les connaisseurs présents accueillirent chaudement Steve Kuhn accompagné par la rythmique de Carla Bley.
    En bon admirateur de Coltrane, dont il fut le tout premier pianiste (avant McCoy Tyner), Kuhn débuta son concert par une reprise de Super Jet, un thème que Coltrane avait enregistré aux cotés de Tadd Dameron, le compositeur de ce thème, en 1956 (sur “Mating Call”). La version du trio fut très classique, tant dans la forme que dans son expression. Idéal pour démarrer un concert en douceur. Vint ensuite Two by 2, un blues très habile de Kuhn où, à la cinquième mesure, sa pièce évite soigneusement de faire entendre le quatrième degré si typique du blues. Son jeu de piano commença alors à se préciser : très souple, bien au fond de la touche et cependant avec tout de même un petit côté perlé. Et bien sûr, un sens discret mais ô combien efficace de la surprise harmonique au moment précis où l’on ne s’y attend plus. Car Steve Kuhn est d’abord un pianiste qui joue « dans » l’harmonie. Au cours de ses solos, il ne s’aventure pas hors de la grille (alors même qu’il sait le faire, une phrase – une seule ! – un peu plus tard dans le concert l’ayant démontré). Comme souvent, chez ce genre de pianiste « encyclopédique », il intègre de fréquentes citations dans ses improvisations. Ce fut de nouveau le cas dans Blue Bossa (de Kenny Dorham, le premier employeur de Kuhn lorsque ce dernier emménagea à New York en 1959) où Besame Mucho et Invitation lui virent sous les doigts à plusieurs reprises. Après avoir proclamé son amour immodéré pour la musique de Ravel, Kuhn donna une interprétation de la fameuse Pavane pour une infante défunte. Tandis que la première phrase fut jouée au piano seul (avec quelques savoureuses réharmonisations), le duo rejoignit leur leader sur la deuxième phrase, pour assurer un matelas swing des mieux venus. Billy Drummond parut d’ailleurs dans une grande forme ce soir-là. Son swing, très souple, rebondissant et détendu, convenait à la perfection au jeu du pianiste, dosant très précisément son intensité, suivant tel un double les intentions de Kuhn, ne le couvrant jamais alors qu’il conserva constamment ses baguettes. Au cours de son improvisation, Kuhn réalisa (dans l’instant ?) une correspondance inattendue, et plutôt bien vue, entre Along Came Betty et la grille harmonique de la composition ravelienne. Après Remember (une valse de Steve Swallow) et une belle version de Stella by Starlight en ballade, le trio enchaîna deux compositions très seventies du leader : Transe et Oceans in the Sky (respectivement gravées en 1975 et 1977 pour ECM). Sans conteste, ce fut le sommet de la soirée. Pourtant, rendu sans doute un peu las par la chaleur des projecteurs, un brin contrarié par les notes désaccordées de l’extrême aigu de son instrument, Kuhn entreprit une longue introduction en solo qui fonctionna guère. Bien sûr, avec son immense métier, il sut tout à fait entretenir l’attention ; mais il était aussi perceptible que l’inspiration ne semblait pas vouloir lui venir en aide. Après que le trio l’ait rejoint quelques instants pour l’exposé du premier thème – très « seconde modalité 70’s » en rubato –, ce fut Steve Swallow qui se retrouva en solo absolu. Alors que pendant tout le reste du concert, il ne fut « que » irréprochable, soudain, en jouant tout en douceur sur cette sorte de « chanterelle de la basse électrique » que constitue la cinquième corde qu’il a ajouté à son instrument, il transporta le public le bonheur par une inspiration mélodique de haute qualité. En un fondu-enchaîné subtil, Kuhn le rattrapa en fin de solo pour introduire Oceans in the Sky, cela par un double trille « à la All Blues » (bien que sa valse n’est rien d’un blues). Peut-être aiguillonné par cette réussite, Kuhn donna alors sa meilleure improvisation de la soirée, en une lente mais irrépressible montée où son piano se transforma en orchestre – et s’il fallait proposer une image, on pourra s’imaginer une sorte de McCoy Tyner voulant rivaliser sur le terrain de jeu d’Ahmad Jamal. A la suite de son leader, Billy Drummond imagina lui aussi un solo absolument magnifique. Démarrant seulement avec sa grosse caisse et ses charlestons, jouées au pied tout en nuances, il réalisa une véritable performance en structurant son solo avec une forme en arche. En effet, au milieu de sa performance, il reprit dans l’ordre inverse les éléments mis en jeu dans la première partie de son intervention, la refermant de ce fait comme il l’avait ouverte. Les connaisseurs burent du petit lait !
    Le concert se referma par une reprise de Confirmation (où seule les deux premières mesures du pont furent en réalité citées textuellement), avec des solos alternés se resserrant de plus en plus (8/8 devenant 4/4, 2/2 et 1/1). En bis, ce fut The Zoo que le trio entonna, un morceau de Steve Kuhn (dont le début de grille rappelle le Spartacus Love Theme d’Alex North, magnifié par Bill Evans) au cours duquel il chanta lui-même les paroles de sa composition, s’accompagnant main gauche seule au clavier, clôturant ainsi le concert d’une façon aussi émouvante que la petite cérémonie qui allait suivre.

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Le public venu à Foix pour entendre le Steve Kuhn Trio a vécu un moment très intense quand, pour refermer définitivement le festival 2012, Eric Baudeigne, le président de la manifestation, a remis un buste d’honneur à l’effigie de Gabriel Fauré au pianiste américain : ce dernier, très ému d’un tel honneur, ne put contenir quelques larmes. Pourquoi une telle distinction ? D’abord parce que Steve Kuhn aime profondément la musique française de la période fin XIXe – début XXe siècle (de Fauré, il a enregistré une version jazz de sa Pavane) ; mais surtout pour avoir tenu sa promesse d’offrir un magnifique concert de clôture au festival qui l’a si chaleureusement accueilli.

Steve Kuhn Trio
Dimanche 29 juillet 2012, Jazz à Foix, Foix (09), Centre Culturel « L’Estive », 22h00
Steve Kuhn (p), Steve Swallow (elb), Billy Drummond (dm).

 

En raison d’un piano capricieux, le concert avait finalement lieu au Centre Culturel de la ville de Foix. Moins charmeur que le plein air pyrénéen pour le public ; mais certes plus confortable pour les musiciens (bien que, les caméras de la chaîne Mezzo étant de la partie, les projecteurs inondèrent les musiciens de leur écrasante chaleur). Est-ce à cause de se déplacement que le millier de spectateurs atteint pour le concert de Tchavolo Schmitt, quelques jours plus tôt, se trouva réduit à quelques centaines ?

 

Quoi qu’il en soit, les connaisseurs présents accueillirent chaudement Steve Kuhn accompagné par la rythmique de Carla Bley.

En bon admirateur de Coltrane, dont il fut le tout premier pianiste (avant McCoy Tyner), Kuhn débuta son concert par une reprise de Super Jet, un thème que Coltrane avait enregistré aux cotés de son compositeur, Tadd Dameron, en 1956 (sur “Mating Call”). La version du trio fut très classique, tant dans la forme que dans son expression. Idéal pour démarrer un concert en douceur. Vint ensuite Two by 2, un blues très habile de Kuhn où, à la cinquième mesure, sa pièce évite soigneusement de faire entendre le quatrième degré si typique du blues. Son jeu de piano commença alors à se préciser : très souple, bien au fond de la touche et cependant avec tout de même un petit côté perlé. Et bien sûr, un sens discret mais ô combien efficace de la surprise harmonique au moment précis où l’on ne s’y attend plus. Car Steve Kuhn est d’abord un pianiste qui joue « dans » l’harmonie. Au cours de ses solos, il ne s’aventure pas hors de la grille (alors même qu’il sait le faire, une phrase – une seule ! – un peu plus tard dans le concert l’ayant démontré). Comme souvent, chez ce genre de pianiste « encyclopédique », il intègre de fréquentes citations dans ses improvisations. Ce fut de nouveau le cas dans Blue Bossa (de Kenny Dorham, le premier employeur de Kuhn lorsque ce dernier emménagea à New York en 1959) où Besame Mucho et Invitation lui virent sous les doigts à plusieurs reprises.

 

Trio Steve Kuhn à Foix

 

Après avoir proclamé son amour immodéré pour la musique de Ravel, Kuhn donna une interprétation de la fameuse Pavane pour une infante défunte. Tandis que la première phrase fut jouée au piano seul (avec quelques savoureuses réharmonisations), le duo rejoignit leur leader sur la deuxième phrase, pour assurer un matelas swing des mieux venus. Billy Drummond parut d’ailleurs dans une grande forme ce soir-là. Son swing, très souple, rebondissant et détendu, convenait à la perfection au jeu du pianiste, dosant très précisément son intensité, suivant tel un double les intentions de Kuhn, ne le couvrant jamais alors qu’il conserva constamment ses baguettes. Au cours de son improvisation, Kuhn réalisa (dans l’instant ?) une correspondance inattendue, et plutôt bien vue, entre Along Came Betty et la grille harmonique de la composition ravelienne.

Après Remember (une valse de Steve Swallow) et une belle version de Stella by Starlight en ballade, le trio enchaîna deux compositions du leader bien ancrées dans leur époque de création : Transe et Oceans in the Sky (respectivement enregistrées en 1975 et 1977 pour ECM). Sans conteste, ce fut le sommet de la soirée. Pourtant, rendu sans doute un peu las par la chaleur des projecteurs, un brin contrarié par les notes désaccordées de l’extrême aigu de son instrument, Kuhn entreprit une longue introduction en solo qui ne fonctionna guère. Bien sûr, avec son immense métier, il sut tout à fait entretenir l’attention ; mais il était aussi perceptible que l’inspiration ne semblait pas vouloir lui venir en aide. Après que le trio l’ait rejoint quelques instants pour l’exposé du premier thème – très « seconde modalité 70’s » en rubato –, ce fut Steve Swallow qui se retrouva en solo absolu. Alors que pendant tout le reste du concert, il ne fut « que » irréprochable, soudain, en jouant tout en douceur sur cette sorte de « chanterelle de basse électrique » (une cinquième corde qu’il a ajoutée à son instrument), il transporta le public de bonheur par une inspiration mélodique de haute qualité. En un fondu-enchaîné subtil, Kuhn le rattrapa en fin de solo pour introduire Oceans in the Sky, cela par un double trille « à la All Blues » (bien que sa valse n’ait rien d’un blues). Peut-être aiguillonné par cette réussite, Kuhn donna alors sa meilleure improvisation de la soirée, en une lente mais irrépressible montée où son piano se transforma en orchestre – et s’il fallait proposer une image, on pourra s’imaginer une sorte de McCoy Tyner voulant rivaliser sur le terrain de jeu d’Ahmad Jamal. A la suite de son leader, Billy Drummond imagina lui aussi un solo absolument magnifique. Démarrant seulement avec sa grosse caisse et ses charlestons, jouées au pied tout en nuances, il réalisa une véritable performance en faisant de son solo une forme en arche. En effet, au milieu de sa performance, il reprit dans l’ordre inverse les éléments mis en jeu dans la première partie de son intervention, la refermant de ce fait comme il l’avait ouverte. Les connaisseurs burent du petit lait !

 

Ce récital s’acheva par une reprise de Confirmation (où seule les deux premières mesures du pont furent en réalité citées textuellement), avec des solos alternés se resserrant de plus en plus (8/8 devenant 4/4, 2/2 et 1/1). En bis, ce fut The Zoo que le trio entonna, un morceau de Steve Kuhn (dont le début de grille rappelle le Spartacus Love Theme d’Alex North, magnifié par Bill Evans) au cours duquel il chanta lui-même les paroles de sa composition, s’accompagnant main gauche seule au clavier, clôturant ainsi le concert d’une façon aussi émouvante que la petite cérémonie qui allait suivre.

 

Kuhn  Baudeigne

Steve Kuhn avec Eric Baudeigne