Jazz live
Publié le 21 Juil 2012

Jazz à Juan. Valeurs sûres et éternel retour

 En préambule, un mea culpa. Dans le line up de TROC (18 juillet), j’ai placé étourdiment la guitare entre les mains de Claude Engel alors que c’était Amaury Filliard qui officiait. Mes excuses aux deux intéressés et à nos lecteurs.

La soirée du 19 a connu un franc succès populaire, grâce à Bobby McFerrin dont les prouesses vocales ont de quoi émerveiller un public excédant largement celui des seuls amateurs de jazz. Mais avant lui, les Jazz Crusaders avaient prouvé que la longévité du groupe et la faveur dont il jouit depuis un demi siècle n’avait rien de fortuit.


Jazz Crusaders. Joe Sample (p), Wayne Henderson (tb), Wilton Felder (ts), Nick Sample (b), Joel Taylor (dm). 19 juillet.

Bobby McFerrin & Yellowjackets. Bobby McFerrin (voc), Bob Mintzer (ts, EWI), Russell Ferrante (p), Felix Pastorius (b), Will Kennedy (dm). 19 juillet.

Keith Jarrett, Gary Peancock & Jack DeJohnette. 20 juillet.


Il eût été illusoire d’attendre de ce nouvel avatar des Crusaders un quelconque changement de style et, du reste, tel n’est pas le propos d’une formation qui cultive depuis ses débuts une forme de musique aisément abordable. Qu’on l’appelle smooth jazz, jazz funk ou qu’on lui applique, au gré des modes, toute autre dénomination, elle est en prise directe avec les racines, blues, gospel, soul, comme le rappelle Joe Sample. Originaires de Houston, Texas, les trois anciens partagent une communauté d’inspiration. Nick Sample, fils du pianiste, et Joel Taylor leur apportent un soutien efficace, sans ostentation ni discrétion excessives. Le côté spectaculaire est assuré par Wayne Henderson, costume à paillettes, trombone coudé à la Dizzy. Rien d’excentrique toutefois dans son jeu, mais une puissance et une rigueur qui se conjuguent au style de Wilton Felder, lequel se glisse par instants dans le rôle de David « Fathead » Newman (Hard Times, de Ray Charles) et rappelle aussi, en d’autres occurrences, Joe Henderson plutôt que les ténors « velus » issus de sa région. Joe Sample est passionnant à suivre dans ses développements où alternent passages en block chords et phrases délicates mettant en valeur un toucher perlé. Au programme, outre Street Life, morceau emblématique immortalisé par Randy Crawford dans les années 70, quelques succès presque aussi populaires jalonnant leur longue carrière : On Broadway en ouverture, les compositions de Wayne Henderson Young Rabbits et Sunset in the Mountain, sans compter Way Back Home et, pour finir, Weather Beat. Sans doute le début révèle-t-il, chez les soufflants, les ravages du temps. Mise en place parfois approximative, difficulté à trouver la bonne carburation. Défauts explicables aussi par le manque d’occasions de se produire ensemble. Au demeurant compensés, au fil du concert, par le brio du pianiste et l’enthousiasme communicatif d’un groupe qui, après maints avatars, mérite assurément d’occuper encore le devant de la scène.


De Bobby McFerrin, de ses acrobaties vocales, de son extraordinaire énergie, de sa capacité à s’adapter à divers contextes, tout a été dit. Maître du beatboxing parfois imité mais jamais égalé, il reste inclassable. Son univers musical, élaboré au gré de l’inspiration du moment, est irréductible à tout autre. Scat, onomatopées, bruits divers inspirés par la nature, intégrés à un discours dont les sonorité et les rythmes empruntent à l’imaginaire autant qu’à des fragments de langues inconnues, il n’est pas sans rappeler le langage utilisé par Clark Terry dans Mumbles et qui fit la réputation du trompettiste. Avec, cependant, une voix à la large tessiture, de la basse au falsetto, qui lui autorise des contrastes étonnants. Avec les Yelllowjackets – excellent Bob Mintzer, rythmique à la hauteur – se crée d’emblée une connivence qui culmine avec des morceaux tels que Friends, Chooo ! ou Heaven’s. Echanges improvisés, relances inattendues. Un plaisir manifeste de jouer et de (se) surprendre. Assurément un environnement propice à susciter le meilleur d’un vocaliste largement sexagénaire, sur qui l’âge semble ne pas avoir de prise et qui fournit une de ses meilleures prestations.


Le lendemain 20 juillet, Keith Jarrett, flanqué de ses fidèles Gary Peacock et Jack DeJohnette. Un habitué de la Pinède où il s’est produit pour la première fois avec Charles Lloyd en 1966, puis en trio quasiment sans interruption depuis 1985. C’est dire que le public de Juan, qui répond chaque fois en nombre, a l’habitude des exigences, voire des foucades d’un artiste soucieux de faire respecter son art. Pas un bruit, pas un flash de photographe durant une prestation qui comportera, fait assez rare pour être noté, trois rappels, God Bless the Child, G. Blues et When I Fall In Love. Preuve que le pianiste est satisfait du comportement de l’assistance. Entamé par deux pièces de Leonard Bernstein extraites de West Side Story, Tonight et Somewhere, le concert se poursuit avec des thèmes moins populaires signés Nat King Cole (I’m Gonna Laugh You Right Out Of My Life), Oliver Nelson (Butch and Butch) ou George Gershwin (I’ve Got A Crunch On You) et des standards éprouvés, tel ce Bye Bye Blackbird que le pianiste affectionne. Autant d’occasions de vérifier, une fois de plus, la cohésion d’un trio qui demeure l’un des modèles du genre. D’apprécier la discrétion et la subtilité d’un batteur qui sait se garder de toute démonstration intempestive. De trouver la confirmation que Gary Peacock est parfait dans son rôle de plaque tournante ou de tour de contrôle. Quant à Jarrett lui-même, il reste incomparable dans l’art d’introduire un thème (Tonight), d’en développer toutes les possibilités avec une élégance jamais prise en défaut. Bref, une machine bien huilée, une prestation des plus honorables. A coup sûr, pas la meilleure que l’on ait connue en ces lieux, faute du grain de folie, de l’étincelle qui eût mis soudain le feu aux poudres et qu’on a en vain espérée. On aurait cependant tort de faire la fine bouche. Mais Jarrett nous a habitués à une telle exigence !

 

Jacques Aboucaya

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 En préambule, un mea culpa. Dans le line up de TROC (18 juillet), j’ai placé étourdiment la guitare entre les mains de Claude Engel alors que c’était Amaury Filliard qui officiait. Mes excuses aux deux intéressés et à nos lecteurs.

La soirée du 19 a connu un franc succès populaire, grâce à Bobby McFerrin dont les prouesses vocales ont de quoi émerveiller un public excédant largement celui des seuls amateurs de jazz. Mais avant lui, les Jazz Crusaders avaient prouvé que la longévité du groupe et la faveur dont il jouit depuis un demi siècle n’avait rien de fortuit.


Jazz Crusaders. Joe Sample (p), Wayne Henderson (tb), Wilton Felder (ts), Nick Sample (b), Joel Taylor (dm). 19 juillet.

Bobby McFerrin & Yellowjackets. Bobby McFerrin (voc), Bob Mintzer (ts, EWI), Russell Ferrante (p), Felix Pastorius (b), Will Kennedy (dm). 19 juillet.

Keith Jarrett, Gary Peancock & Jack DeJohnette. 20 juillet.


Il eût été illusoire d’attendre de ce nouvel avatar des Crusaders un quelconque changement de style et, du reste, tel n’est pas le propos d’une formation qui cultive depuis ses débuts une forme de musique aisément abordable. Qu’on l’appelle smooth jazz, jazz funk ou qu’on lui applique, au gré des modes, toute autre dénomination, elle est en prise directe avec les racines, blues, gospel, soul, comme le rappelle Joe Sample. Originaires de Houston, Texas, les trois anciens partagent une communauté d’inspiration. Nick Sample, fils du pianiste, et Joel Taylor leur apportent un soutien efficace, sans ostentation ni discrétion excessives. Le côté spectaculaire est assuré par Wayne Henderson, costume à paillettes, trombone coudé à la Dizzy. Rien d’excentrique toutefois dans son jeu, mais une puissance et une rigueur qui se conjuguent au style de Wilton Felder, lequel se glisse par instants dans le rôle de David « Fathead » Newman (Hard Times, de Ray Charles) et rappelle aussi, en d’autres occurrences, Joe Henderson plutôt que les ténors « velus » issus de sa région. Joe Sample est passionnant à suivre dans ses développements où alternent passages en block chords et phrases délicates mettant en valeur un toucher perlé. Au programme, outre Street Life, morceau emblématique immortalisé par Randy Crawford dans les années 70, quelques succès presque aussi populaires jalonnant leur longue carrière : On Broadway en ouverture, les compositions de Wayne Henderson Young Rabbits et Sunset in the Mountain, sans compter Way Back Home et, pour finir, Weather Beat. Sans doute le début révèle-t-il, chez les soufflants, les ravages du temps. Mise en place parfois approximative, difficulté à trouver la bonne carburation. Défauts explicables aussi par le manque d’occasions de se produire ensemble. Au demeurant compensés, au fil du concert, par le brio du pianiste et l’enthousiasme communicatif d’un groupe qui, après maints avatars, mérite assurément d’occuper encore le devant de la scène.


De Bobby McFerrin, de ses acrobaties vocales, de son extraordinaire énergie, de sa capacité à s’adapter à divers contextes, tout a été dit. Maître du beatboxing parfois imité mais jamais égalé, il reste inclassable. Son univers musical, élaboré au gré de l’inspiration du moment, est irréductible à tout autre. Scat, onomatopées, bruits divers inspirés par la nature, intégrés à un discours dont les sonorité et les rythmes empruntent à l’imaginaire autant qu’à des fragments de langues inconnues, il n’est pas sans rappeler le langage utilisé par Clark Terry dans Mumbles et qui fit la réputation du trompettiste. Avec, cependant, une voix à la large tessiture, de la basse au falsetto, qui lui autorise des contrastes étonnants. Avec les Yelllowjackets – excellent Bob Mintzer, rythmique à la hauteur – se crée d’emblée une connivence qui culmine avec des morceaux tels que Friends, Chooo ! ou Heaven’s. Echanges improvisés, relances inattendues. Un plaisir manifeste de jouer et de (se) surprendre. Assurément un environnement propice à susciter le meilleur d’un vocaliste largement sexagénaire, sur qui l’âge semble ne pas avoir de prise et qui fournit une de ses meilleures prestations.


Le lendemain 20 juillet, Keith Jarrett, flanqué de ses fidèles Gary Peacock et Jack DeJohnette. Un habitué de la Pinède où il s’est produit pour la première fois avec Charles Lloyd en 1966, puis en trio quasiment sans interruption depuis 1985. C’est dire que le public de Juan, qui répond chaque fois en nombre, a l’habitude des exigences, voire des foucades d’un artiste soucieux de faire respecter son art. Pas un bruit, pas un flash de photographe durant une prestation qui comportera, fait assez rare pour être noté, trois rappels, God Bless the Child, G. Blues et When I Fall In Love. Preuve que le pianiste est satisfait du comportement de l’assistance. Entamé par deux pièces de Leonard Bernstein extraites de West Side Story, Tonight et Somewhere, le concert se poursuit avec des thèmes moins populaires signés Nat King Cole (I’m Gonna Laugh You Right Out Of My Life), Oliver Nelson (Butch and Butch) ou George Gershwin (I’ve Got A Crunch On You) et des standards éprouvés, tel ce Bye Bye Blackbird que le pianiste affectionne. Autant d’occasions de vérifier, une fois de plus, la cohésion d’un trio qui demeure l’un des modèles du genre. D’apprécier la discrétion et la subtilité d’un batteur qui sait se garder de toute démonstration intempestive. De trouver la confirmation que Gary Peacock est parfait dans son rôle de plaque tournante ou de tour de contrôle. Quant à Jarrett lui-même, il reste incomparable dans l’art d’introduire un thème (Tonight), d’en développer toutes les possibilités avec une élégance jamais prise en défaut. Bref, une machine bien huilée, une prestation des plus honorables. A coup sûr, pas la meilleure que l’on ait connue en ces lieux, faute du grain de folie, de l’étincelle qui eût mis soudain le feu aux poudres et qu’on a en vain espérée. On aurait cependant tort de faire la fine bouche. Mais Jarrett nous a habitués à une telle exigence !

 

Jacques Aboucaya

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 En préambule, un mea culpa. Dans le line up de TROC (18 juillet), j’ai placé étourdiment la guitare entre les mains de Claude Engel alors que c’était Amaury Filliard qui officiait. Mes excuses aux deux intéressés et à nos lecteurs.

La soirée du 19 a connu un franc succès populaire, grâce à Bobby McFerrin dont les prouesses vocales ont de quoi émerveiller un public excédant largement celui des seuls amateurs de jazz. Mais avant lui, les Jazz Crusaders avaient prouvé que la longévité du groupe et la faveur dont il jouit depuis un demi siècle n’avait rien de fortuit.


Jazz Crusaders. Joe Sample (p), Wayne Henderson (tb), Wilton Felder (ts), Nick Sample (b), Joel Taylor (dm). 19 juillet.

Bobby McFerrin & Yellowjackets. Bobby McFerrin (voc), Bob Mintzer (ts, EWI), Russell Ferrante (p), Felix Pastorius (b), Will Kennedy (dm). 19 juillet.

Keith Jarrett, Gary Peancock & Jack DeJohnette. 20 juillet.


Il eût été illusoire d’attendre de ce nouvel avatar des Crusaders un quelconque changement de style et, du reste, tel n’est pas le propos d’une formation qui cultive depuis ses débuts une forme de musique aisément abordable. Qu’on l’appelle smooth jazz, jazz funk ou qu’on lui applique, au gré des modes, toute autre dénomination, elle est en prise directe avec les racines, blues, gospel, soul, comme le rappelle Joe Sample. Originaires de Houston, Texas, les trois anciens partagent une communauté d’inspiration. Nick Sample, fils du pianiste, et Joel Taylor leur apportent un soutien efficace, sans ostentation ni discrétion excessives. Le côté spectaculaire est assuré par Wayne Henderson, costume à paillettes, trombone coudé à la Dizzy. Rien d’excentrique toutefois dans son jeu, mais une puissance et une rigueur qui se conjuguent au style de Wilton Felder, lequel se glisse par instants dans le rôle de David « Fathead » Newman (Hard Times, de Ray Charles) et rappelle aussi, en d’autres occurrences, Joe Henderson plutôt que les ténors « velus » issus de sa région. Joe Sample est passionnant à suivre dans ses développements où alternent passages en block chords et phrases délicates mettant en valeur un toucher perlé. Au programme, outre Street Life, morceau emblématique immortalisé par Randy Crawford dans les années 70, quelques succès presque aussi populaires jalonnant leur longue carrière : On Broadway en ouverture, les compositions de Wayne Henderson Young Rabbits et Sunset in the Mountain, sans compter Way Back Home et, pour finir, Weather Beat. Sans doute le début révèle-t-il, chez les soufflants, les ravages du temps. Mise en place parfois approximative, difficulté à trouver la bonne carburation. Défauts explicables aussi par le manque d’occasions de se produire ensemble. Au demeurant compensés, au fil du concert, par le brio du pianiste et l’enthousiasme communicatif d’un groupe qui, après maints avatars, mérite assurément d’occuper encore le devant de la scène.


De Bobby McFerrin, de ses acrobaties vocales, de son extraordinaire énergie, de sa capacité à s’adapter à divers contextes, tout a été dit. Maître du beatboxing parfois imité mais jamais égalé, il reste inclassable. Son univers musical, élaboré au gré de l’inspiration du moment, est irréductible à tout autre. Scat, onomatopées, bruits divers inspirés par la nature, intégrés à un discours dont les sonorité et les rythmes empruntent à l’imaginaire autant qu’à des fragments de langues inconnues, il n’est pas sans rappeler le langage utilisé par Clark Terry dans Mumbles et qui fit la réputation du trompettiste. Avec, cependant, une voix à la large tessiture, de la basse au falsetto, qui lui autorise des contrastes étonnants. Avec les Yelllowjackets – excellent Bob Mintzer, rythmique à la hauteur – se crée d’emblée une connivence qui culmine avec des morceaux tels que Friends, Chooo ! ou Heaven’s. Echanges improvisés, relances inattendues. Un plaisir manifeste de jouer et de (se) surprendre. Assurément un environnement propice à susciter le meilleur d’un vocaliste largement sexagénaire, sur qui l’âge semble ne pas avoir de prise et qui fournit une de ses meilleures prestations.


Le lendemain 20 juillet, Keith Jarrett, flanqué de ses fidèles Gary Peacock et Jack DeJohnette. Un habitué de la Pinède où il s’est produit pour la première fois avec Charles Lloyd en 1966, puis en trio quasiment sans interruption depuis 1985. C’est dire que le public de Juan, qui répond chaque fois en nombre, a l’habitude des exigences, voire des foucades d’un artiste soucieux de faire respecter son art. Pas un bruit, pas un flash de photographe durant une prestation qui comportera, fait assez rare pour être noté, trois rappels, God Bless the Child, G. Blues et When I Fall In Love. Preuve que le pianiste est satisfait du comportement de l’assistance. Entamé par deux pièces de Leonard Bernstein extraites de West Side Story, Tonight et Somewhere, le concert se poursuit avec des thèmes moins populaires signés Nat King Cole (I’m Gonna Laugh You Right Out Of My Life), Oliver Nelson (Butch and Butch) ou George Gershwin (I’ve Got A Crunch On You) et des standards éprouvés, tel ce Bye Bye Blackbird que le pianiste affectionne. Autant d’occasions de vérifier, une fois de plus, la cohésion d’un trio qui demeure l’un des modèles du genre. D’apprécier la discrétion et la subtilité d’un batteur qui sait se garder de toute démonstration intempestive. De trouver la confirmation que Gary Peacock est parfait dans son rôle de plaque tournante ou de tour de contrôle. Quant à Jarrett lui-même, il reste incomparable dans l’art d’introduire un thème (Tonight), d’en développer toutes les possibilités avec une élégance jamais prise en défaut. Bref, une machine bien huilée, une prestation des plus honorables. A coup sûr, pas la meilleure que l’on ait connue en ces lieux, faute du grain de folie, de l’étincelle qui eût mis soudain le feu aux poudres et qu’on a en vain espérée. On aurait cependant tort de faire la fine bouche. Mais Jarrett nous a habitués à une telle exigence !

 

Jacques Aboucaya

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 En préambule, un mea culpa. Dans le line up de TROC (18 juillet), j’ai placé étourdiment la guitare entre les mains de Claude Engel alors que c’était Amaury Filliard qui officiait. Mes excuses aux deux intéressés et à nos lecteurs.

La soirée du 19 a connu un franc succès populaire, grâce à Bobby McFerrin dont les prouesses vocales ont de quoi émerveiller un public excédant largement celui des seuls amateurs de jazz. Mais avant lui, les Jazz Crusaders avaient prouvé que la longévité du groupe et la faveur dont il jouit depuis un demi siècle n’avait rien de fortuit.


Jazz Crusaders. Joe Sample (p), Wayne Henderson (tb), Wilton Felder (ts), Nick Sample (b), Joel Taylor (dm). 19 juillet.

Bobby McFerrin & Yellowjackets. Bobby McFerrin (voc), Bob Mintzer (ts, EWI), Russell Ferrante (p), Felix Pastorius (b), Will Kennedy (dm). 19 juillet.

Keith Jarrett, Gary Peancock & Jack DeJohnette. 20 juillet.


Il eût été illusoire d’attendre de ce nouvel avatar des Crusaders un quelconque changement de style et, du reste, tel n’est pas le propos d’une formation qui cultive depuis ses débuts une forme de musique aisément abordable. Qu’on l’appelle smooth jazz, jazz funk ou qu’on lui applique, au gré des modes, toute autre dénomination, elle est en prise directe avec les racines, blues, gospel, soul, comme le rappelle Joe Sample. Originaires de Houston, Texas, les trois anciens partagent une communauté d’inspiration. Nick Sample, fils du pianiste, et Joel Taylor leur apportent un soutien efficace, sans ostentation ni discrétion excessives. Le côté spectaculaire est assuré par Wayne Henderson, costume à paillettes, trombone coudé à la Dizzy. Rien d’excentrique toutefois dans son jeu, mais une puissance et une rigueur qui se conjuguent au style de Wilton Felder, lequel se glisse par instants dans le rôle de David « Fathead » Newman (Hard Times, de Ray Charles) et rappelle aussi, en d’autres occurrences, Joe Henderson plutôt que les ténors « velus » issus de sa région. Joe Sample est passionnant à suivre dans ses développements où alternent passages en block chords et phrases délicates mettant en valeur un toucher perlé. Au programme, outre Street Life, morceau emblématique immortalisé par Randy Crawford dans les années 70, quelques succès presque aussi populaires jalonnant leur longue carrière : On Broadway en ouverture, les compositions de Wayne Henderson Young Rabbits et Sunset in the Mountain, sans compter Way Back Home et, pour finir, Weather Beat. Sans doute le début révèle-t-il, chez les soufflants, les ravages du temps. Mise en place parfois approximative, difficulté à trouver la bonne carburation. Défauts explicables aussi par le manque d’occasions de se produire ensemble. Au demeurant compensés, au fil du concert, par le brio du pianiste et l’enthousiasme communicatif d’un groupe qui, après maints avatars, mérite assurément d’occuper encore le devant de la scène.


De Bobby McFerrin, de ses acrobaties vocales, de son extraordinaire énergie, de sa capacité à s’adapter à divers contextes, tout a été dit. Maître du beatboxing parfois imité mais jamais égalé, il reste inclassable. Son univers musical, élaboré au gré de l’inspiration du moment, est irréductible à tout autre. Scat, onomatopées, bruits divers inspirés par la nature, intégrés à un discours dont les sonorité et les rythmes empruntent à l’imaginaire autant qu’à des fragments de langues inconnues, il n’est pas sans rappeler le langage utilisé par Clark Terry dans Mumbles et qui fit la réputation du trompettiste. Avec, cependant, une voix à la large tessiture, de la basse au falsetto, qui lui autorise des contrastes étonnants. Avec les Yelllowjackets – excellent Bob Mintzer, rythmique à la hauteur – se crée d’emblée une connivence qui culmine avec des morceaux tels que Friends, Chooo ! ou Heaven’s. Echanges improvisés, relances inattendues. Un plaisir manifeste de jouer et de (se) surprendre. Assurément un environnement propice à susciter le meilleur d’un vocaliste largement sexagénaire, sur qui l’âge semble ne pas avoir de prise et qui fournit une de ses meilleures prestations.


Le lendemain 20 juillet, Keith Jarrett, flanqué de ses fidèles Gary Peacock et Jack DeJohnette. Un habitué de la Pinède où il s’est produit pour la première fois avec Charles Lloyd en 1966, puis en trio quasiment sans interruption depuis 1985. C’est dire que le public de Juan, qui répond chaque fois en nombre, a l’habitude des exigences, voire des foucades d’un artiste soucieux de faire respecter son art. Pas un bruit, pas un flash de photographe durant une prestation qui comportera, fait assez rare pour être noté, trois rappels, God Bless the Child, G. Blues et When I Fall In Love. Preuve que le pianiste est satisfait du comportement de l’assistance. Entamé par deux pièces de Leonard Bernstein extraites de West Side Story, Tonight et Somewhere, le concert se poursuit avec des thèmes moins populaires signés Nat King Cole (I’m Gonna Laugh You Right Out Of My Life), Oliver Nelson (Butch and Butch) ou George Gershwin (I’ve Got A Crunch On You) et des standards éprouvés, tel ce Bye Bye Blackbird que le pianiste affectionne. Autant d’occasions de vérifier, une fois de plus, la cohésion d’un trio qui demeure l’un des modèles du genre. D’apprécier la discrétion et la subtilité d’un batteur qui sait se garder de toute démonstration intempestive. De trouver la confirmation que Gary Peacock est parfait dans son rôle de plaque tournante ou de tour de contrôle. Quant à Jarrett lui-même, il reste incomparable dans l’art d’introduire un thème (Tonight), d’en développer toutes les possibilités avec une élégance jamais prise en défaut. Bref, une machine bien huilée, une prestation des plus honorables. A coup sûr, pas la meilleure que l’on ait connue en ces lieux, faute du grain de folie, de l’étincelle qui eût mis soudain le feu aux poudres et qu’on a en vain espérée. On aurait cependant tort de faire la fine bouche. Mais Jarrett nous a habitués à une telle exigence !

 

Jacques Aboucaya