Jazz live
Publié le 20 Juil 2019

Jazz à Junas (1): musiques d’engagement dans les carrières

Jazz à Junas est désormais le navire amiral de quatre rendez-vous de musiques improvisées. Comme pour nombre d’évènements artistiques de ce type les temps ne sont pas si faciles, organisation, budget, conditions d'exercice. Cette année la 26e édition du festival a choisi, en thématique assumée, d’illustrer dans les Carrières un paysages de musiques engagées.

Omar Avital en plein travail, rythme et formule mélodiques, sur sa contrebasse. Soudain l’incroyable se produit:  le manche de son instrument se casse d’un coup juste sous les clefs, la laissant muette, cordes pendantes. Imprévisible, improbable accident de musique: ahuri, les yeux écarquillés le musicien israélien se trouve là, bouche bée sous sa fine moustache. Souffle coupé, fixant incrédule son jouet cassé, inutile, dérisoire, resté entre ses mains…

Kamilya Jubran (oud, voc)

17 juillet, Le Temple

Naïssam Jalal & Rythm of Resistance : Naïssam Jalal (flûte, nay), Mehdi Chaib (ts,ss, perc), Karsten Hochapfel (elg, cello), Zacharie Abram (b), Arnaud Dolmen (dm)

Rabih Abou-Khalil (oud), Luciano Biondini (acc), Jarod Cagwin (dm)

17 juillet

Jazz à Junas,  Les Carrières, Junas (30250)

 

Kamilya Jubran

Elle ouvre à Junas le bal moyen oriental du festival. Dans le Temple du village  Kamilya  Jubran avertit qu’elle va jouer en acoustique car dans ce lieu elle a repéré beaucoup de résonances, d’écho. Elle réclame dès lors « un petit exercice d’attention mutuellle… » Elle fait ainsi passer sa voix douce, ses mots de résistance dans un étonnant silence général au point que l’on percevrait presque les battements d’aile des éventails sensés apporter un souffle de fraicheur. Textes de  poètes arabes engagés, quelques pics d’intensité du chant pour marquer le cri. Pourtant la tonalité générale du concert en reste à des mots, des phrases lancés en une sorte de blues aux couleurs d’orient porté par les cordes doubles de l’oud pincées avec un léger vibrato. Émotions gardées sous contrôle.

 

Naïssim Jalal

Autre chant, autre climat, cantonné à l’instrumental celui là. Partagé entre moments de recherche de profondeur calme et sorte d’hymne à la joie de jouer, de provoquer. Témoin l’entrée en matière douce dans le petit flux d’air de la flûte de Naïssam Jalal (Olsloob Hayati) Rapidement pourtant le moteur rythmique (antillais) entre dans la danse sous l’appel des tambours. Dans ses compositions répercutée sur scène la flutiste syrienne convoque au voyage, passe en revue les couleurs, les paysages. Introduction trés sentie violoncelle/basse: la mélodie vient éclore sur les cordes  graves ( Étrange Samaaï) Sur le fond de tambours joués à main nue (Arnaud Dolmen toujours) le filet suave de la flûte de roseau monte dans les pierres de la carrière. Revirement (Nomades) : sur une marque rythmique collective du groupe (Arnaud Dolmen leadership. encore) le chorus de flûte là se fait explosif, à coup d’effets de lèvres donne du jump, découpe du relief. Le récit musical se fait en contrastes, évoluant entre douceurs étales et effervescence percussive. 

 

Arnaud Dolmen

 

Le groupe de musiciens, tous jeunes procède sans inhibition. Récite, improvise. Garde malgré tout de la sensilbilité en réserve. Exemple : Almot Wala Almazala. Le morceau composé par Naissam Jalal en hommage aux martyrs de la révolte du peuple syrien sonne comme un hymne. La flûte glisse dans le registre des graves, accroche une inflexion de  cri rauque, bascule en écho de volutes de souffl incantatoire. Le moment est à l’obscur plus qu’au clair. Dans le fil de ses musiques Rythm of Résistance justifie son titre.

 

Naïssam Jala, Mehdi Chaib

Un trio très homogène, une sorte de machine à produire du rythme sur des tempos en majorité  très enlevés. Des phrases sculptées, enchaînées, des  unissons oud/accordéon avec Luciano Biondini. Rabih Abou-Khalil lui aussi fait référence aux conflits du proche orient. Dreams over dying sonne en duo oud/tambour marqué par beaucoup d’attaques du leader sur les cordes de son instrument. De la dynamique et du pathos au besoin,en matière de contenu. Les thèmes, on le sent, on l’etend racontent des histoires. Et lui dans la façon de les présenter n’oublie pas l’humour. Comme dans cette façon d’introduire son ultime morceau “Je l’ai écrit dans le château de Dracula, mais au lever je n’avais été mordu que par…un moustique ’’ Au total c’est bien fait, carré, efficace. Le public se régale.

 

Rabih Abou Khalil

 

Avi Avital (mando), Omar Avital (b), Yonathan Avishai (p), Itamar Doari (percu)

David Dorantes (p), Javi Rubal (percu), Aytac Dogan (hanum), Ismail Tunkbilek (saz)

18 juillet

Jazz à Junas,  Les Carrières, Junas (30250)

 

Avi Avital (à g sur la photo), Omar Avital (à dr)

 

C’est un exercice qui apparaît facile dans le rendu vis à vis du public comme dans l’exécution sur scène. En modèle de base un titre inspiré du folklore marocain: en duo les deux Avital, sans lien de famille pourtant, tous deux experts habiles sur cordes, mandoline pour Avi, oud (et contrebasse, on en a parlé en tête de papier…) dialoguent en mode question réponse, à toi à moi. L’exercice entamé sans forcer  débouche sur un air de  danse sur lequel Omar se plaît à marquer les pas avec comme partenaire imaginaire, sa propre basse. Plan ludique, musique très abordable façon folklore, de quoi communier direct avec un auditoire conquis. On avait presque oublié cette phrase du même musicien, Omar, alors que,  chaleur oblige, ils devaient tous sacrifier à une bonne minute pour s’accorder “Ça vous paraît long oui, mais si nous musiciens nous aimons cette météo nos instruments pas du tout…” 

 

Omar Avital, basse de secours…

 

Vingt minutes plus tard il se retrouvait avec seulement un bout de bois à la main…Et grâce à la réactivité, l’esprit de débrouillardise de l’organisation, un quart d’heure après il disposait d’une autre contrebasse. Au rappel, les spectateurs des Carrières, toujours enthousiastes à partager ce moment de notes festives,  au quartet des Avital, n’avait pas tenu rigueur.

 

David Dorantes

David Dorantes, musicien gitan reste un pianiste difficile à classifier. Lui se dit pianiste de flamenco mais à l’évidence, dans son jeu, son expression, question dimension artistique, y a plus que cela. En ce sens le natif de Lebrija est unique dans la qualité intrinsèque de son arte pianistique. Confronté à deux autres “gitanos” venu de Turquie ceux là, la jonction en live s’opère naturellement. De par la brillance, l’aisance en toutes circonstances  du premier sur le clavier. Grâce à la volubilité naturelle des deux musiciens turcs, eux déjà très complices dans l’échange en un mano à mano d’enchainements de notes qui paraissent simples d’abord (L’asila)

 

Aytac Dogan et son hanum

Lorsque Dorantes entre en jeu (Danza de las sombras), seul dans premier temps, jaillit une cascade d’accords, de ruptures, de reliefs dégagés en une myriade de paysages On navigue à vue justement entre flamenco et jazz, no limit, sans frontière à déclarer (Sin muros ni candados)

 

Dorantes, l’engagement…

Entre les protagonistes certaines fois certes les musiques se fondent, d’autres pas tout à fait. Des séquences s’opèrent en duo “Il existe des particularismes dans l’art de la musique gitane turque par rapport à nos palos andalous. Il faut respecter ces différences” explique Dorantes. La nature des instruments utilisés importe aussi (le hanun d’Aytac Dogan, sorte de petite harpe jouée en à plat, le saz pour Ismail Tuncbilek) Le lien se fait pourtant naturellement au travers des capacités des uns et des autres dans l’improvisation. Alors toutes énergies conjuguées la musique coule en vagues venues de loin (Orobroy, Gitanos) Et dans la richesse des lignes de notes et rythmes qui se croisent, il apparaît en clair que se rencontrent ainsi au naturel des musiciens gens du voyage…hauts de gamme. Cet objectif, dans sa vision de programmation cette année, Junas l’avai sciemment ciblé.

Robert Latxague