Jazz live
Publié le 21 Juil 2023

Jazz à Luz, 32e édition réussie!

La 32e édition de Jazz à Luz était un excellent cru, offrant comme chaque année son lot de révélations. En particulier celle de la pianiste Betty Hovette, mise à l’honneur pour trois concerts lors de cette édition, et qui a marqué les spectateurs par son hommage à Don Pullen.

Photo: Fabien Dupouy

Jazz à Luz n’est décidément pas un festival comme les autres. C’est une expérience globale qui dépasse la dimension musicale, avec non seulement des concerts, mais des films, des discussions, des balades dans la forêt. Et la somme de toutes ces expériences rend ce festival précieux et irremplaçable.

Un duo de trublionnes a inauguré le festival. Le duo Mamie Jotax, formé des saxophonistes Camille Maussion (entendue notamment dans Nefertiti) et Carmen Lefrançois. Elles se retrouvent autour d’une installation mystérieuse, un manège à pédales créé par Pedro Fremy, et installé sur la promenade de Bastan, un peu à l’écart du centre de Luz. Carmen Lefrançois et Camille Maussion ont baptisé musicalement ce nouveau lieu. Elles sont montées sur l’installation, ont exploré l’espace tout autour, luttant vaillamment contre le vent et la rumeur du Gave tout proche. Elles ont fait entendre des propositions musicales très libres, tantôt free, tantôt très mélodiques. Parfois même elles ont chanté. « Deux oiseaux qui se rencontrent » résume un type à côté de moi. Pas mieux.

La véritable ouverture du festival, juste après Mamie Jotax, fut un autre duo, celui entre la pianiste Betty Hovette et le guitariste électrique Nicolas Lafourest. Le duo existe depuis deux ans. Il s’appelle Xibipiio, ce qui définit, dans une langue parlée au bord de l’Amazone, l’instant qui se situe entre l’apparition et l’évanescence. Pour ne pas rater cet instant fugitif, il faut écouter intensément. On sent entre Betty Hovette et Nicolas Lafourest une telle écoute. Le début est plutôt mélodique, Nicolas a l’art de jouer des notes profondes, intenses, habitées, que Betty complète avec des petites ornementations, des trilles, des notes posées avec une grande légèreté de toucher. Une rêverie partagée se déploie sur les deux instruments. Ensuite, peu à peu, les rôles évoluent. On bascule même vers le milieu du concert vers quelque chose de tribal, d’intense, de répétitif. Un peu plus tard, alors que Betty Hovette a introduit quelques objets dans son piano, l’atmosphère se tend encore plus. Betty enchaîne les clusters énergiques, Nicolas égrène des accords saturés. Il y a ensuite une nouvelle pause mélodique où le guitariste intervient avec délicatesse. Un beau moment suspendu se prolonge. On a l’impression d’un lac de montagne où chaque ridule, chaque clapotis devient un événement. Très beau duo entre deux musiciens qui s’écoutent de tout leur être. Le public est debout.

Le premier concert du soir présente le groupe MingBauSet. Il réunit Vera Baumann, vocaliste (suisse allemande), le guitariste Florestan Berstet (suisse francophone) et le grand batteur américain Gerry Hemingway qui, de 1983 à 1994, fit partie du quartet d’Anthony Braxton (avec Marylin Crispell au piano). On est frappé tout d’abord par la tessiture de Vera Baumann qui commence par explorer les craquelures de sa voix, comme si elle avait 50 ans de gitanes maïs derrière elle. Mais elle cache son jeu. Sa voix se déploie, atteint des aigus spectaculaires. Le groupe manifeste une grande finesse dans les interactions : les R roulés  de la chanteuse sont repris à la batterie, les craquèlements de sa voix intégrés par le guitariste. Les crissements de cymbale sont nourris, enrichis par le guitariste et par la vocaliste. La musique se nourrit de ces micro-événements de timbre qui débouchent sur des montées d’énergie rapides, foudroyantes. Mais ce qui épate le plus dans ce groupe, c’est cette capacité à créer des moments où le temps se ralentit avec simultanément l’espace sonore qui se désencombre. Tout prend alors un relief saisissant. Cela donne des effets de matin du monde, l’impression d’entendre une musique qui vient d’éclore.

Le lendemain, c’est une de ces balades dans la montagne agrémentées de surprises sonores dont le festival s’est fait une spécialité. Le départ est donné devant l’école du village d’Esquièze-Sère. C’est une balade gentille, que l’on peut faire même avec les enfants et les journalistes. Des surprises culinaires agrémentent la ballade, ainsi que des surprises sonores. Richard Comte nous attend devant le château Sainte-Marie. Musique austère, exigeante, qui semble émaner des pierres. Il joue un drone qui varie d’intensité et s’enrichit d’autres sons à l’arrière-plan, comme des filigranes. A la fin, le son enfle démesurément, on dirait un réacteur d’avions traversé de cloches d’églises. Ce que fait Richard Conte entre dans le registre d’une musique post-spectrale, le principe est de fouiller tous les sons qui entrent dans un accord. Mais Richard Comte fait tout cela avec une intensité et un investissement qui n’appartiennent qu’à lui.

Un peu plus loin, Marie Olaya, à la guitare électrique. Cette jeune guitariste toulousaine donne un solo beaucoup moins marqué par l’ascétisme que celui de Richard Conte. Derrière l’énergie, on remarque la construction de son solo, progressive et rigoureuse, avec ces petites notes aigües qui deviennent peu à peu la colonne vertébrale de son solo. On observe aussi son sens des transitions, sa manière de passer de distorsions furieuses à des passages plus apaisés , presque contemplatifs. Son solo se termine de manière très poétique, avec du gros son mêlé à des bruits qui ressemblent à des pépiements d’oiseaux.

Le soir, c’est un des événements les plus attendus du festival, la création du projet initié par Betty Hovette avec Sébastien Bacquias (contrebasse) et Fabien Duscombs (batterie) autour de Don Pullen.  Qui se souvient de Don Pullen ? Qui se souvient de ce pianiste en un temps où même le nom de Cecil Taylor n’est plus évoqué que dans quelques cénacles ? Pourtant Don Pullen (1941-1995) fut un des pianistes les plus singuliers, à la fois ancré dans l’histoire de la musique noire (pianiste de Charlie Mingus, de Nina Simone, de David Murray) et dans la musique occidentale qu’il étudia avec profondeur. Le miracle étant que ce double ancrage n’ait pas étouffé mais au contraire décuplé un désir de liberté irrépressible qui s’entend dans ses solos, capables à tous moments d’embardées folles et imprévisibles. En 2020, Betty Hovette écoute ce pianiste, fascinée notamment par le disque Evidence of things unseen (1984). Elle perçoit sa culture académique, puisqu’elle-même en est nourrie. Quand en octobre 2022 Jean-Pierre Layrac, président de Jazz à Luz, lui propose une carte blanche pour Luz 2023, ce projet autour de Don Pullen lui vient tout de suite à l’esprit.

Le résultat, nous l’écoutons ce soir. La musique, dès les premières notes, atteint une très forte intensité. Sébastien Bacquias, à la contrebasse, Fabien Duscombs à la batterie sont à bloc. Quant à Betty, elle plaque des accords vigoureux sur le piano, comme si elle s’engageait avec lui dans un corps-à-corps vital. Ses mains zèbrent le clavier. De temps en temps, la musique est ponctuée de quelques phrases de Don Pullen extraites d’interviews. La tempête se calme, la contrebasse pose une atmosphère plus sereine, pianiste et batteur font l’école buissonière autour de cette contrebasse avant de s’engager tous ensemble dans une nouvelle montée énergique où la pianiste fait admirer une fois de plus la force de son jeu percussif. Puis un magnifique moment mélodique où Betty Hovette fait entendre un morceau de Don Pullen, Ode to Life, qui a la simplicité et la pureté d’une comptine enfantine. Montées et climats apaisants se succèdent ainsi, toujours de manière naturelle et organique. Jusqu’à la deuxième partie du concert où la musique franchit un nouveau palier. A un certain moment, batteur et contrebassiste font monter un groove très énergique que Betty Hovette contrebalance par des ornementations liquides au piano. Sébastien Bacquias saisit alors de son archet et le place tout à fait en haut du manche de sa contrebasse, dans l’aigu. Fabien Duscombs, lui, s’empare d’une petite cloche, et c’est exactement le son qu’il fallait à ce moment précis. Un peu plus tard, un nouveau moment de haute communication musicale. Sébastien Bacquias fait monter un groove irrésistible à la contrebasse, un groove typiquement jazz, que la batterie de Fabien Duscombs nourrit et renforce. Betty Hovette se laisse envelopper par ce groove. Si elle était pianiste de jazz, elle répondrait par des accords ou des plans de blues bien accrocheurs. Mais elle n’est pas pianiste de jazz. Alors, après avoir laissé passer un moment, elle s’insère dans ce groove avec sa culture et son langage de pianiste nourrie de tout le répertoire contemporain. Elle se lance dans une rafale de clusters, ses bras s’agitent, zigzaguent. On a l’impression qu’elle colorie le clavier avec ses mains. Moment d’une énergie stupéfiante. En rappel, elle joue un prélude de Messiaen sur lequel elle brode quelques instants avec ses partenaires, un moment parfait.

Photo: Fabien Dupouy

Quelques jours après, je l’interroge sur le concert et sur son parcours. Elle raconte un début de carrière dans le sillon de la musique écrite traditionnelle (avec un disque sur un compositeur oublié du XIXe siècle, Boély, puis de la musique contemporaine (travail sur Cage, Ligeti, Crumb, Harvey). Ce qui semble avoir guidé son travail, c’est l’aspiration à toujours plus de liberté. En 2015, elle fait la première partie du pianiste Craig Taborn, sur la proposition de Jean-Pierre Layrac. Un moment décisif qui la pousse à se lancer définitivement dans le domaine de l’improvisation libre. Le deuxième moment important sera sa rencontre avec la pianiste Christine Wodrascka avec laquelle elle forme le duo Iana (performance marquante à Luz en 2018). « Nous cherchions à aller au bout d’une intention de jeu en l’explorant presque obsessionnellement, aux limites de notre endurance. J’ai beaucoup appris de ce duo. J’ai appris une autre forme d’écoute, de narration… ». J’interroge Betty sur la dimension énergique de son jeu qui lors du concert a frappé bien des spectateurs : « Mon intention n’est pas de casser le piano, ni de lui faire violence… Evidemment je respecte l’instrument. J’essaie de le pousser dans ses limites. Je veux aller le chercher jusque dans ses entrailles. Et me dépasser moi-aussi par la même occasion. Il n’y a pas de violence, juste une volonté de dépassement de soi ».

A 22h30, le groupe Moby Duck apporte sa vitalité, son originalité, sa folie. Beaucoup d’ingrédients originaux dans ce groupe, à commencer par l’instrumentation : avec dans un même groupe une chanteuse à voix de cantatrice (Mélanie Fossier), une flûtiste (Delphine Joussein), et une harpiste électrique (Rafaëlle Rinaudo) on sort des sentiers battus. Beaucoup de vitalité, d’exubérance dans cette musique, mais aussi le sentiment que tous les musiciens n’ont pas encore trouvé leur place. Ensuite, dans la maison de la vallée, le groupe Pomme de Terre où l’on retrouve la guitare de Richard Comte, celle de Niels Mestre, la batterie d’Etienne Ziemmiak, et Aymeric Avice à la trompette et aux machines. Du gros son, incontestablement, les voûtes tremblent. Aymeric joue en respiration continue dans l’aigu puisque les guitares labourent les fréquences graves. Mais je regrette à certains moments que la trompette se fonde dans le magma sonore touillé par les guitaristes et le batteur, au lieu d’y surnager.

La vision des trois films de Mathieu Amalric sur John Zorn débute la journée du lendemain. Trois films fantastiques où la musique est au centre des débats, ce qui n’arrive quasiment jamais. On admire dans les deux premiers l’exigence souriante de Zorn, capable de demander à Marc Ribot de refaire ses triolets. On retient cette phrase de Zorn, qui pourrait servir d’étendard à tout projet d’improvisation libre : « It will never happen again ». Le troisième film est le plus efficace au plan dramatique, car il resserre sa focale sur les difficultés d’une chanteuse, Barbara Hannigan, aux prises avec une partition impossible de Zorn. Là encore, on retient cette exigence souriante de Zorn, prêt à quelques menus compromis, mais pas à céder sur l’essentiel. Et à force de voir Barbara Hannigan buter sur les mêmes passages, on finit par entrer dans cette musique tortueuse et même par la trouver lyrique.

Le soir, le Free Trio de Pablo Gïw (trompettiste-machine) et Laura Totenhagen (voix, électronique) et de Farida Amadou (basse, électronique). Le trompettiste, aux allures de moine, joue plus du souffle et des pistons que de son instrument (mais trouve quelques beaux motifs répétitifs vers la fin du concert). Laura Totenhagen, la vocaliste, use elle aussi beaucoup de son souffle. Celle qui tient la baraque, c’est Farida Amarou, avec des riffs entêtants, granitiques.

Boucan, composé de Mathias Imbert (contrebasse, voix) et Brunoï Zarn (banjo, guitare bidon, voix) a quelque chose de Louise Attaque. Du rythme, de l’énergie, de la chaleur. Des super musiciens (il faut voir l’intensité de Mathias Imbert avec sa contrebasse, y compris à l’archet) capables de captiver l’auditoire dès les premières notes, avant de chanter. Ils ont des refrains ésotériques et efficaces. Le public est mis dans leur poche en trente secondes.

Le soir, un duo belge d’une énergie phénoménale, La Jungle, constitué de Mathieu Flasse (guitare, claviers, voix) et Rémy Venant (batterie). Une tornade. Le batteur envoie des vagues d’énergie, sans un moment de répit, qui sont d’une force telle que le guitariste-chanteur peut se permettre de n’être pas à bloc. Le guitariste saute partout en hurlant des choses comme « Liberté totale », ou « Méchanceté ». Ambiance tribale, mais le batteur sait renouveler et varier ses rythmes tout en restant toujours aussi hypnotique. Dans un coin de la salle, un chien s’est endormi. Il est bien le seul.

A minuit, deux concerts nocturnes, dans la forêt. Le site, à dix minutes à pied du centre de Luz, est d’ordinaire dévolu à l’acrobranche. Dans une obscurité presque totale, rompue seulement par quelques irréductibles fumeurs de cigarettes, et dans un silence bravé par quelques hiboux, Betty Hovette et Laurent Paris ( qui forment le duo CIRus VIRcule) disposent leur matériel. Un cadre de piano, sans le clavier, juste les cordes, pour Betty. Un petit set minimal de batterie pour Laurent Paris avec une grosse caisse renversée qu’il place à ses pieds, une cymbale, quelques objets. Du point de vue de l’auditeur, la nuit change beaucoup la spatialisation du son. On reçoit le son indistinctement, de l’endroit où sont situés les deux musiciens, sans bien discerner qui fait quoi (et bien sûr, Betty Hovette et Laurent Paris jouent sur cette ambiguïté). L’autre enseignement de ce concert nocturne, c’est la finesse sonore que permet cette écoute, les sons ténus, effleurements, vibrations, couinements (Laurent paris utilise à plusieurs reprises une sorte de bruit qui fait penser à une chaussure en cuir neuve et qui crisse). A la fin, la musique prend de l’ampleur, devient plus percussive, plus vigoureuse, plus dramatique.

La soirée n’est pas finie. A quelques pas de là, deux guitaristes mettent le feu à la nuit. Il s’agit de Marie Olaya et de Nicolas Lafourest. Les hiboux en parlent encore. Vers une heure du matin, les deux guitaristes ont entamé leur set avec des distorsions pleines d’étincelles et de panache, avant ensuite d’arpenter des terres plus mélodiques, Nicolas Lafourest plaçant un de ses motifs doux et lancinants que Marie Olaya a arrosé de distorsions brûlantes et musicales. Deux guitaristes électriques, deux approches de l’instrument complémentaires mais différentes : Nicolas Lafourest est souvent plus mélodique, Marie Olaya plus bruitiste, plus focalisée sur les riffs et les pédales (en tous cas dans ce projet-là). Le concert s’est développé ainsi, de moments enflammés en moments lyriques. A la fin, Nicolas Lafourest a joué de très belles choses sur les textures que Marie Olaya créait avec ses pédales, comme un petit crachouillis électronique subtil dont Nicolas Lafourest extirpe une phrase magnifiquement lyrique. Très beau concert.

Le lendemain, je discute avec les deux musiciens. Leur complémentarité vient aussi de parcours différents. « Je suis autodidacte, même si je n’aime pas trop ce mot. En tous cas je ne sais pas lire une partition » confie Nicolas. Marie Olaya, c’est tout le contraire : « J’ai douze ans de guitare classique derrière moi, au conservatoire de Castres, puis j’ai suivi les ateliers de Marc Démereau à partir de 2015 sur la musique improvisée. Pour moi, après avoir beaucoup travaillé la musique brésilienne, la guitare électrique m’a permis de jouer des choses plus instinctives ».

Comme modèles, Nicolas Lafourest reconnaît l’influence de Rowland S. Howard, connu notamment pour ses collaborations avec Nick cave : « Son mode de jeu m’a marqué au fer rouge ». Marie cite l’influence du guitariste des Red Hot Chili Peppers John Frusciante et de… Brad Mehldau, de Marc Ribot. Quand je demande à Nicolas ce qu’il cherche dans son jeu, il répond : « la vérité ».

Ce matin-là, c’est Farida Amadou, la bassiste du Free Trio qui m’avait épaté dans le Free Trio par la solidité granitique de ses riffs et ostinato. Elle joue en solo, avec sa basse et ses machines. Elle pose sa basse à plat sur les genoux, et plaque des accords avec une petite tige de métal. On admire sa virtuosité à assembler ses constructions sonores, puis à les désassembler pour terminer dans la nudité de l’instrument. Beau moment où elle trouve une texture qui ressemble à une petite marche de batterie. Tout ce que fait Farida Amadou est très cohérent, très bien construit. Il existe une bonne manière de juger d’un musicien en solo, quel que soit l’instrument, mais qui marche bien avec la basse ou la guitare. C’est de regarder comment le solo se finit et si cette fin présente pour l’auditeur un caractère de nécessité. C’est le cas ici, Farida Amadou conclut par une mélodie enveloppée dans le souffle chaud d’une distorsion. Ses dernières notes sont fragiles, pianissimo. Brillant.

Samedi soir, l’un des derniers concerts, avec la chanteuse Isabelle Duthoit (voix et clarinette) accompagnée par le percussionniste Steve Heather et le guitariste Andy Moor. La chanteuse impressionne par la palette de sons dont elle dispose, et qui révèle une longue fréquentation des techniques de chants traditionnels japonais (elle pratique la diphonie comme on siffle sous sa douche). Elle peut tout faire : notes graves, qu’elle va chercher au plus profond du gosier, notes crachées, soufflées, voix de tête. Elle feule, elle rugit, elle pépie. Elle n’a pas un chat dans la gorge, elle a toute une jungle !

Et elle sidère par son endurance à tenir des sons extrêmes avec une telle intensité. Au début du concert, avec une telle vocaliste, les musiciens qui l’entourent sont un peu cantonnés dans le rôle d’accompagnateurs. Heureusement, ils prennent ensuite plus de place et deviennent de vrais partenaires d’improvisation, en particulier quand la chanteuse se met à la clarinette, pour des moments plus apaisés. Elle joue de cet instrument de façon très originale, en continuant à effectuer des sortes de cliquetis avec sa bouche. De belles interactions sont trouvées avec Steve Heather quand Isabelle Dutoit joue des variations sur le souffle, et avec Andy Moor qui la stimule, l’enveloppe et la propulse dans de nouvelles envolées sauvages. Sidérant.  

JF Mondot