Jazz à Sète: Célébration et danse en note bleue

Théâtre de la Mer, Sète ( 34200 ), 15 juillet
Sylvain Luc Célébration: Stéphane Belmondo (bu), China Moses, Thomas Dutronc (voc), André Ceccarelli (dm), Rémy Vignolo (dm, b), Thierry Elliez, Paul Lay (p, clav) Birelli Lagrene, Louis Winsberg, Marylise Luc (g), Gérard Luc, Lionel Suarez (acco), Olivier Ker Ourio (hca), Robert Latxague (texte, récit)

Drôle d’expérience. Vivre un concert du dedans et du dehors en simultané. Lire un texte poétique et entendre en même temps avec en alter ego, à ses côtés, le déroulé des notes, les accords, les syncopes du piano de Paul Lay. Sentir quelque part dans l’imaginaire comme la présence vécue du guitariste ami bayonnais que l’on avait vu, entendu à plusieurs reprises lancer ses fulgurances de phrases improvisées au vent de la mer de part et d’autre de la scène…L’écho des applaudissements en mode de coda. Pour lui qui sait, comme :une récompense supplémentaire…

Avant et après avoir foulé la scène observer ensuite les mouvements backstage, coulisses ouvertes à l’air libre du coucher de soleil irisant la surface ondulée par le souffle du vent chaud jusqu’à la tombée du rideau de la nuit noire, refuge potentiel de feelings cachés en cette soirée d’émotion, de souvenirs. Pour certains de partage. Sentir les réactions, les positionnements, les envies d’être et de paraître, les jugements qui sait des musiciens pris dans le tourbillon dérangeant des changements de plateaux fréquents, successifs. Évaluer leur part d’attentes, de plaisir, de stress avant puis pendant les passages sur scène sous le regard des copains participant à la célébration.

Écouter, reconnaître ou même découvrir les thèmes, les compositions, les mélodies fines si judicieusement tissées par le guitariste bayonnais expert en la matière. Retrouver peintes live par ses potes venus lui rendre hommage les couleurs des compos, des standards, des chansons qu’il se plaisait lui même à jouer. S’étonner également devant le ravissement avoué du trompettiste cubain Carlos Sarduy -on en reparlera- installé à nos côtés devant l’excellence, la volubilité des accordéonistes français. Ou encore la qualité du son de bugle de Stéphane Belmondo.

Un esprit disponible, connaisseur, avisé pouvait à cet effet voir se dessiner quelques arcs en ciel dans cette première nuit sétoise festivalière… Et dès lors que l’on se décidait à grimper les gradins jusque tout là haut de l’amphithêatre de pierre et béton dominant la Méditerranée, il n’était que de sentir dans les battements de mains répétés, des séquences de vrai plaisir.

Théâtre de la mer, 16 juillet
El Comité : Irving Acao (ts, ss), Carlos Sarduy (tp, bu, perc), Rolando Luna, Harold Lopez-Nussa (p, elp, clav), Gaston Joya (b, elb), Yarold Abreu (perc), Rodney Barreto (dm), + invitée : Laura Prince (voc)
On ne le savait pas forcément. Pourtant en cette seconde soirée festivalière sous chaleur lourde le Théâtre de la Mer bondé une fois de plus avait pris rendez-vous avec la danse. Ainsi au pied des gradins surplombant la grande bleue l’avant scène allait rapidement se transformer en dance floor…Certes Louis Martinez, le boss du festival avait convoqué, -avec qui sait un brin d’arrière pensée ?- un Comité qui s’y prête.

D’ailleurs aussitôt dit aussitôt fait: la machine des cubains fixés désormais de part et d’autres des Pyrénées se met en route (« Gran vía ») lancée par un petit fix façon duo de pianos en fusion -Au passage on ne soulignera jamais assez dans la musique ô combien colorée de ce combo d’héritiers de Chucho Valdes le rôle clef de ces deux pianistes à la fois très différents dans leur expression propre et si complémentaires dans le rendu de l’instrument. Le pic de cette montée en lacets rythmiques sera atteint via un solo de piano de Rolando Luna, patronyme prédestiné, forcément hors norme jazz ou autres musiques, ancré sur une structure basse/percussions éclatée tout du long.

Le calme après la tempête : il se manifeste dans un solo de trompette en notes détachées mais piquées dans une aiguë extrême. Signé Carlos Sarduy. Il reste toujours ces retours au thème à l’unisson en mode de point de rencontre comme autant d’étapes dans le processus musical. D’un piano à l’autre. Celui de Harold Lopez Nussa se veut plus construit en lignes, plus ordonné dans le déroulé de ses développements, à fortiori dans l’exercice pratique de la ballade ( « Nada mas » )

Et puis vient le moment de plonger dans l’essence du jazz. Lequel dans le jeu imprime au total un autre grain de musique, un autre vécu collectif assumé (basse acoustique, balais sur la caisse claire, caresses sur les peaux des congas, souffles soyeux du bugle ou du soprano). S’en échappent des notes, des séquences mi-balade jazz, mi-boléro suggéré, mi cha cha évoqué («Jazz plazza») El Comité garde en magasin un stock de musiques plurielles. Le groupe évolue en longues pièces traversées d’autant de décollages nécessaires. D’où sur la scène accostée à la mer un retour naturel à la magie du son cubain, à la clave cette clef rythmique caractéristique des escapades de jazz afro cubain. ( « Carroussel ») Rolando Luna, clavier extraverti, fouille alors au fond de sa mémoire histoire de faire ressurgir les couleurs, les formes musicales havanaises. Il les exploite stricto sensu. Il les transgresse ( « Allusión »)

Alors poussés, investis par le rythme, soudain les gens commencent à descendre des gradins pour danser sur l’avant scène. Un rideau de corps en mouvement se trouve vite dressé devant les premiers rangs…La conclusion de cette démonstration d’un jazz revivifiant métissé caraïbe se fait en compagnie de la chanteuse Laura Prince invitée sur deux morceaux. Le premier souligne la voix d’un accompagnement en douceur, léger, voilé comme une photo prise à contre jour. Le dernier, enlevé, tonique bien assis au coeur d’un rythme binaire sur fond de tapis de percussions exprime clairement ce que le titre tient à dire : « Wanna dance » fait sa mue en une rumba festive sous les assauts percussifs en diable de Yarold Abreu. Le parterre du théâtre sous un ciel étoilé grand ouvert baigne dans une houle de têtes et de tailles qui ondulent à qui mieux mieux…

Richard Bona (elb), Alexandre Hérichon (tp), Ciro Manna (g), Michaël Lecoq (cla), Nicolas Vicaro (dm)
Le public est resté massé devant la scène. Bouger, se trémousser, bref danser: il en redemande. Et dès l’entame de cette deuxième partie il paraît déjà attiré, pris dans les filets d’une séduction sous le gros son de la basse de Richard Bona. Son sésame à lui, son arme fatale autant que celle de sa sa voix.

Il y a plein de contrastes dans sa musique. On trouve dans ce répertoire pétri d’africanité ( « Kalambacoro ») nombre de paysage dessinés, imprimés des cultures rencontrées lors de ses innombrables tournées avec des musiciens aussi différents que les frères Brecker, Trilok Gurtu, Pat Metheny, Sylain Luc ou encore Joe Zawinul. De ce dernier il revisite ainsi le « Teen Town », belle page de Weather Report écrite par le bassiste iconique, Jaco Pastorius. Le temps pour Michael Lecoq de tracer en balade de riches arabesques sur ses claviers électroniques, douceur et sensibilité réunies façon Zawinul. De l’Inde aussi il choisit de reproduire un climat musical en deux moutures: une mélodie en lignes très modales questions couleurs pour rebondir au final sur une partie strictement funky ( « Shiva Mantra ») La trompette se jette alors dans un solo «électriquement » volubile dans le registre dominant des aigües.

Au sortir de nombre de montées en tension, d’injonctions rythmiques appuyées -à ce jeu la batterie de Nicolas Vicaro dit « Le Monégasque » s’il faut en croire le leader, fait montre d’un large savoir faire frappé, c’est le cas de le dire, d’une énergie démultipliée- au bout de ce pressing donc, le bassiste d’origine camerounaise seul puis s’appuyant sur les accords du piano se lance dans une parodie de la chanson française. Humour bon marché mais, on l’a vérifié, qui marche à tout coup. Richard Bona a l’âme du showman. Il parle, il raconte, il explicite à tout crin. Il branche ses musiciens. Il tient la scène par tous les bouts; « Voulez-vous danser la salsa ? » interroge-t-il en conclusion. La trompette illico jette ses sonorités chaudes « latinas » Lui balance ses temps et contretemps à la basse. Il y ajoute les intonations qu’il faut dans sa voix envoutante vers l’aigu, le tout dans sa langue camerounaise natale. Les caisses roulent à dessein sur la batterie. Et le public conquis, survolté enchaîne les mille pas qui vont avec.

Le final fredonné sur la mélodie de « Alfonsina del mar », hymne tout de douceurs du continent sud américain glisse dès lors comme une larme à l’oeil sur la scène du Théâtre de la Mer. En introduction de la première soirée Louis Martinez avait placé le festival sous le sceau de l’émotion. Au final de sa deuxième nuit, elle y régnait encore…
Robert Latxague