Jazz live
Publié le 20 Sep 2023

JAZZ à TROIS-PALIS 2023 : électrons libres….

Plaisir de revenir vers ce festival de Charente, dans une commune qui compte un peu moins de 1000 Tripaliciens et Tripaliciennes. Un événement suscité par le batteur Bruno Tocanne (Tripalicien d’adoption depuis pas mal de temps), et animé par une poignée de bénévoles aussi enthousiastes qu’efficaces

Sur le site du festival, le dossier de presse est accessible à tous. Vous trouverez ici l’analyse en forme d’éditorial faite par le directeur artistique

IMPERIAL QUARTET ‘All Indians’

JOACHIM FLORENT (contrebasse, percussion, voix), GÉRALD CHEVILLON (saxophone ténor, percussion, voix), DAMIEN SABATIER (saxophones alto & soprano, percussion, voix), ANTONIN LEYMARIE (batterie, voix)

Trois-Palis, Foyer Communal, 15 septembre 2023, 20h30

Le groupe joue les thèmes de son disque publié en 2022. Une musique qui invente une aventure tuée dans l’œuf à l’ère du covid. Il s’agissait d’aller en Louisiane au contact des multiples traditions qui ont émergé dans ce territoire d’hybridation musicale. De ce voyage rêvé, ils sont revenus avec une musique sans pareille. D’un ostinato de batterie et de contrebasse va naître une effervescence de saxophones où de petites percussions vont émerger pour attiser une joie de jouer qui jamais ne se démentira. Il serait trop facile de dire de cette musique qu’elle festive : non, elle est foncièrement vivante, si l’on veut bien admettre que la musique n’est pas forcément, ou pas exclusivement, une fête ; mais un Art, assurément. Des moments recueillis nous délivrent une sorte de message subliminal : celui d’une musique qui dit tout des états de l’être humain. Et une résolution majestueuse conclura le premier set, car la pause au bar est aussi essentielle à l’économie d’un festival modeste qu’au ressourcement des émotions. Puis nous repartons pour ce voyage louisianais, avec en cours de route un dialogue ténor-alto qui réconcilierait Rollins et Ornette ! Une incantation vocale et collective nous conduira doucement au terme d’une exquise dramaturgie

JOACHIM FLORENT (contrebasse solo)

Église Notre-Dame, 16 septembre 2023, 11h

C’est rituel, même si ce n’est pas le rite coutumier du lieu : on retrouve un membre des groupes à l’affiche pour un solo, dans cette petite église dont l’acoustique fournit le temps de réverbération idéal, celui qui magnifie l’instrument sans l’écraser. Le récital commence à l’archet, en une sorte de mélopée mélancolique, comme une plainte qui se métamorphoserait en horizon d’espoir. La musique circule des terres arabo-andalouses jusqu’aux confins balkaniques, jeu d’esquives et de retours, émissions d’harmoniques et virage vers le pizzicato. Le parcours continue, traversant de crescendo en decrescendo les territoires du folk ou des musiques répétitives, puis celui de mélodies sinueuses. Bientôt c’est une voix à l’octave qui double la basse. Le contrebassiste modifie l’accord tout en jouant avant de courir à une mélodie endiablée assise sur le résonance naturelle du lieu. Et la voix du contrebassiste nous conduira au terme d’un solo qui nous laisse pantois. Rappel chaleureux, et retour musical de l’artiste pour conclure cet instant privilégié

MORGANE CARNET (saxophones baryton & alto solo)

Église Notre-Dame, 16 septembre 2023, 12h30

Autre tradition : le concert en plein air. Mais il a pas mal plu la nuit précédente près du pont de la Meure, l’herbe est saturée d’eau, et ce sera à nouveau l’église. Le festival avait eu le projet de programmer un trio dont la saxophonsite est membre, mais la date n’était pas possible pour le groupe. Qu’à cela ne tienne, en attendant un autre créneau la voici en solo. Elle commence au baryton, dans un registre hyper grave, jouant elle aussi de l’acoustique privilégiée du lieu. Et de ce jeu surgit la musique, en plein essor. Se saisissant ensuite du sax alto, elle part vers d’une sorte de sérénade qui bien vite tourne à la virulence, avec des accalmies successives et des fougues très soudaines. Ce sont toutes sortes de variations de couleurs, de dynamique, de sonorités et de phrasés autour d’un leitmotiv dont la récurrence fait cohérence. Retour au baryton ensuite, son très grave et harmoniques tourmentées. Pour le rappel, un canevas répétitif va progressivement se transformer en territoire d’expressivité. Belle conclusion d’un beau concert solo

ANNE ALVARO (voix) & FRANÇOIS CORNELOUP (saxophone baryton)

Foyer Communal, 16 septembre 2023, 20h30

Le concert commence avec Monsieur Palomar , un texte d’Italo Calvino : la voix d’Anne Alvaro nous en livre l’incipit. Monsieur Palomar regarde les vagues comme Thomas l’obscur s’assied et regarde la mer. Dès les premiers mots la comédienne a pris possession de notre attention, nous sommes captifs. Le baryton de François Corneloup entre en jeu, tournoiement de musique qui nous embarque à son tour. Un bref incident de son sur le micro voix (le sax est sans sono, en son direct) fait que pendant quelques instants Anne Alvaro porte davantage sa voix, sur le devant de la scène. Le saxophoniste réduit la voilure en jouant pianissimo. Une courte intervention sur la connexion et tout rentre dans l’ordre. Le récit de Calvino est comme une tentative, très oulipienne, d’épuisement du réel par les mots. L’écrivain était, comme Georges Perec (expert en ce genre de démarche), membre de l’Oulipo. Nous sommes portés par ce texte où l’obsession et l’humour discret cheminent de concert.

Vient ensuite Samuel Beckett et le texte de L’image, une longue phrase de dix pages, autre tentative d’épuisement du réel, et du langage. C’est comme une convergence des prosodies, entre voix et saxophone. Comme une chaîne : son, sens, expression, expressivité. C’est fascinant

LAURENT DEHORS – CÉLINE BONACINA Duo

Céline Bonacina (saxophones baryton & soprano), Laurent Dehors (saxophone ténor, clarinettes basse et contrebasse, clarinette, cornemuse du Centre, séquences)

Foyer Communal, 16 septembre 2023, 21h30

Un duo décapant : tout semble millimétré, et pourtant cela paraît d’une spontanéité folle. Un court thème de la saxophoniste baryton pour ouvrir le jeu, et son partenaire s’engouffre, clarinette basse puis sax ténor. On oscille constamment de la plus grande vivacité à l’exquise douceur, cette musique est la vie même. Des choses mystérieuses, un peu déconstruites, puis un saut à pied joint plein jazz, comme pour nous dire «on est là aussi !». Quand ils évoquent Les oiseaux, leurs volatiles sont moins apprivoisés que ceux de Messiaen. Des séquences déclenchées opportunément viennent se joindre aux instruments. Mais on a l’impression que lesdites séquences sont aussi de la musique entièrement faite à la main. Ça chauffe, ça rit, ça crie, ça joue, c’est intensément vivant, et profondément musical : irrésistible

DANIEL ERDMANN (saxophone ténor solo)

Église Notre-Dame, 17 septembre 2023, 11h

Prévu en conclusion de la soirée (et du festival) en trio avec Vincent Courtois et Robin Fincker, le saxophoniste nous offre en fin de la matinée du dimanche un solo ; ses partenaires avaient eu ce plaisir lors de l’édition 2021. Daniel Erdmann est en train de préparer, avec la pianiste Aki Takase, un duo autour du répertoire de Duke Ellington, et s’il ne prend pas le parti d’en faire son programme, le fil de son improvisation passera allusivement, élusivement, par quelques citations en déconstruction permanente (Caravan, African Flower….). C’est d’une fluidité extraordinaire, le saxophoniste joue magistralement de la sonorité de l’église, et les outils traditionnels de transition (arpèges de tierces mineurs, gammes par ton….) lui permettent de circuler en toute liberté dans les tonalités et les langages. Sa maîtrise de l’histoire de cet instrument et de cette musique lui permet de nous offrir un vertige de sensations et de mémoire. Chapeau bas !

NOTHING ELSE

Vincent Courtois (violoncelle), Daniel Erdmann (saxophone ténor) Robin Fincker (saxophone ténor & clarinette)

Foyer Communal, 17 septembre 2023, 17h30

Le trio joue sous l’intitulé de son disque récemment paru («Nothing Else», BMC Records / Socadisc), chroniqué dans le Jazz Magazine du mois de septembre. Le disque était de pure improvisation, comme l’est ce concert. Comme souvent dans la musique improvisée, tout part d’une note tenue, qui bientôt s’émancipe, s’égare et se diffracte. Signal de l’embarquement pour un voyage où chacun fixe un but, qui constamment se déplace. C’est bien d’une improvisation (très) collective qu’il s’agit, dans une sorte d’égarement solidaire. Les sonorités, les phrasés et les modes de jeu se répondent, s’entraînent ou s’opposent, selon les instants. Puis c’est une autre séquence, qui procède d’une autre aventure. Et en rappel, comme une mélodie immémoriale surgie des limbes. Beau, tout simplement.

texte et photos de Xavier Prévost