Jazz live
Publié le 24 Juil 2013

Jazz à Vannes 1 : François Théberge à la manœuvre

Après un petit coup de mou dans sa programmation marquant la fin de “règne” de Jean-Philippe Breton, Jazz à Vannes reprend de belles couleurs avec une affiche conçue par François Théberge. Au lendemain d’une avant-première gratuite sur le port confiée à Hugh Masekela qui a laissé un souvenir ému, retour sur le port hier, 23 juillet, en fin d’après-midi, avec le Jean-Philippe Scali Group, puis premier grand concert au jardin de Limur avec Ben Wendel et Dan Tepfer, suivi des sœurs Christine Jensen et Ingrid Jensen à la tête de l’Amazing Keystone Big Band.

 

 

À l’ère de la communication à tout va, c’est fou ce que l’on communique mal. Des sites inconsultables, des dossiers de presse illisibles, en ce sens qu’il faut franchir des pages de discours d’intention (pseudo-artistiques, voire politiques), des débauches de graphisme, d’iconographie et de mise en page (rappelons que ces trois arts n’ont d’autre but que d’être au service de l’information et non l’inverse) et des murs de logos partenaires, pour parvenir à trouver l’information, rarement complète. Ainsi, jusqu’à la lecture du programme définitif du festival tel qu’il est distribué au public, ce n’est que par hasard que nous avions appris la prise en charge de la programmation de Jazz à Vannes par François Théberge. Pas un mot dans l’édito du Maire. Une paille ! C’est pourtant à la lecture de son nom que l’on comprend l’originalité de cette 34ème édition de Jazz à Vannes qui nous avait sauté aux yeux lors de la saisie de notre guide des festivals. Une originalité orientée diront certains (beaucoup de Canada – Frrrançoué est québecois – et de CNSM parisien – Théberge fut directeur du CNSM de Paris et reste au cœur de son équipe pédagogique). Une originalité qui doit surtout à sa personnalité : qui d’autre aurait eu l’idée de programmer les sœurs Jensen et Cécile McLorin en big band, de placer le Glenn Ferris Triple Trio en première partie du Wayne Shorter Quartet et de coupler un concert d’Hermeto Pascoal avec une première partie du groupe de son bassiste historique, Iteberê Zwarg (en fait, Hermeto Pascoal a déplacé un concert au Portugal pour donner ce concert “en famille”).


Prenez la journée d’hier : outre un foisonnant festivals off, dans les bars et restaurants de Vannes et alentours (jusqu’au concert final du 28 juillet au Domaine artistique de Kerghehennec, à Bignan), qui met en valeur la pépinière locale de la fin de matinée au bar Le Gambetta aux après-concerts du bar des Valseuses, chaque jour à 16 heures, le petit salon de musique de Limur accueille un concert solo pour un public privilégié (réservation obligatoire au 02 97 01 62 20). Hier donc, c’est Ingrid Jensen que j’ai loupé, retenu dans ma campagne par des problèmes vétérinaires et automobiles. Demain 24 juillet, on y entendra le merveilleux contrebassiste Sylvain Romano à quelques heures de son concert sur la grande scène au sein du trio de Pierre de Bethmann. Le 25, ce sera au tour de Glenn Ferris de soliloquer et le 26, un autre merveilleux contrebassiste, le Nantais Sébastien Boisseau lui succèdera.


Jean-Philippe Scali Group “Roots Plugged In” : Jean-Philippe Scali (saxes ténor et soprano), Maxime Fougères, Jérôme Barde (guitare électrique), Fred Nardin (claviers), Samuel Hubert (contrebasse, guitare basse électrique), Manu Franchi (batterie).


Je n’arrive à Vannes qu’à l’heure du concert quotidien sur le port, celui du Jean-Philippe Scali Group, une formation très CNSM animée par un ancien du conservatoire parisien. François Théberge a commandé à son ancien élève un nouveau programme qu’il a monté ces dernières semaines et rôdé ces derniers jours (les 5, 11 et 12 juillet) au Baiser Salé de la parisienne rue des Lombards, tout en se préparant à présenter son sextette régulier à Jazz à Vienne (le 10 juillet). C’est donc un répertoire tout frais qu’il nous présente, entre funk, rock progressif, ambiances modales et héritage tynerien, et dont Scali, Maxime Fougères, Fred Nardin et Jérôme Barde se partagent la signature, le tout dans l’épaisse fumée d’un marchand de merguez, probablement installé derrière la scène et heureusement inodore. Fred Nardin passe du Fender au piano ou au clavier Nord pour émuler des sonorités d’orgue Hammond, les deux guitares se répartissent l’espace avec élégance et des rôles et des sonorités bien distinctes, la rythmique groove comme il faut et sert les couleurs des pièces moins groovy, Jean-Philippe Scali joue le rêve ou la chauffe d’un alto vif et acéré. Le public jubile, le marchand de merguez aussi qui fait tournoyer les projecteurs et les gélatines… car c’est lui, l’éclairagiste, qui enfumait la scène. Comme plus haut nous interpelions graphistes et maquettistes sur leurs responsabilités, rappelons aux éclairagistes qu’ils ne sont pas là pour montrer qu’ils ont du matos, et accessoirement que les effets de fumées dont on abuse, souvent au désagrément des artistes, sont faits pour accrocher la lumière des projecteurs et qu’en plein jour, ils n’ont d’autres effets que de transformer l’éclairagiste en marchand de merguez… hélas sans merguez ! J’ai faim et je me dirige vers les galettes-saucisses du jardin de Limur sans réaliser qu’à l’heure de ce concert du port (18h30), le bassiste Frédéric Monino et le batteur François Laizeau donnaient aux Valseuses une conférence intitulée Jaco Pastorius, Grooves & tourbillons.


Dan Tepfer (piano), Ben Wendel (sax ténor, basson).

 

L’une des plus belles affiche de l’été que ce duo dont le pari est de rejouer sur scène ce qu’ils ont concocté en studio, et en re-recording, sur leur album “Small Constructions” (Sunnyside). Un tour de force, qui serait injouable si Dan Tepfer n’avait cette prodigieuse indépendance des deux mains qui lui permet de se jouer à la droite d’enivrants ostinatos à la gauche, croisant l’une et l’autre pour explorer les graves, le tout avec une liberté de pensée qui ne le laisse jamais en pilote automatique, qui déjoue les pièges de la facilité mélodique et se joue de l’abstraction avec un constant et extrême contrôle de la matière sonore. Un jeu sur des espèces de perpetuum mobile qui pourrait devenir assommant (on s’agace ici et là du système) si les deux musiciens ne partageaient pas cette musicalité qui leur permet de multiplier les figures sur ces boucles immuables qu’ils travestissent, masquent et démembrent jusqu’à les rendre méconnaissables et n’en garder que la marque obsédante. Musicalité qu’ils remettent en jeu avec succès en échangeant leurs instruments dans leur avant-dernier titre, comme on risque tous ses gains en fin de soirée au casino. L’échange est le moteur de leur duo, échange d’idées, échanges de fonctions, Ben Wendel reprenant ces longs ostinatos modulants à son compte ou saisissant au vol telle phrase de piano à l’unisson ou en harmonie.


Sur Pannonica, dont Tepfer parvient à extraire l’essence du granit monkien en un pétrole brut qui entre en combustion spontanée au contact de ce qu’il a appris des fugues et chorales de Bach et des angularités profondes du piano du XXème siècle. Ben Wendel expose avec des airs de Charlie Rouse qu’il mâtine de quelque chose de Getzien puis une forme de pathos qui hésite entre vocabulaire encyclopédique de Brecker et l’onirisme dépouillé de Gabarek prévalant dans la balade Jean et Renata. Dans son intro solo d’All the Things You Are, c’est le souvenir des duos de Dan Tepfer et Lee Konitz qu’il réveille, tramant bientôt le tâtonnement mélodique konitzien d’une exploration harmonique arpégée qui renvoie au savoir faire post-coltranien, jusqu’à la prise de contrôle du piano qui emmène le vieux standard autour d’une pédale dont le fil rouge, bien que pointillé, met en relief la disjonction d’une furieuse opération de désossage cubiste. Après avoir visité Nino Rota (Wendel au basson), le solo de Lennie Tristano sur Line Up, quelques originaux dont un bel hommage à Gary Peacock, le duo nous quitte sur un Solar dont il transcende le caractère étroitement cyclique par un effet de torsade ou, si l’on veut, de spirale qui l’éloigne de cycle en cycle de son centre de gravité (ou l’étire vers le haut autour de son axe).


Entracte

À l’entracte, je croise l’incontournable des festivals d’été bretons, Philippe Delacroix-Herpin (vieille figure du jazz et du rock rennais à la fin des années 70, avec son compère Daniel Pabœuf, notamment au sein du groupe Marquis de Sade), en vacances de la Réunion où il vit depuis des lustres. Nous partageons notre enthousiasme pour cette belle première partie. Il me fait part, comme quelques autres avant lui, de son émotion à l’écoute de l’avant-concert de la veille, donné sur le port par Hugh Masekela, mais il évoque aussi le talent des deux chanteuses du groupe funk-soul Cut the Alligator entendu en première partie. Je confirme. Je les ai entendues fin mai à Saint-Brieuc dans le cadre d’une soirée Nina Simone organisée par la classe de jazz du conservatoire à La Citrouille où j’avais moi-même donné une conférence sur les chants rebelles de l’Amérique noire et j’avais été particulièrement ému par le feeling vrai, quasi animal mais trahi par aucun excès de candeur, de Louise Robard. C’est moins en terme de feeling que je témoignerai du talent de sa complice Stellis Groseil qu’en terme de potentiel de développement chez cette artiste très informée, promise, si elle ne s’égare pas en route, à une œuvre personnelle. Mais voici l’Amazing Keystone Big Band qui prend place derrière ses pupitres… Regagnons nos sièges.


Christine Jensen (composition, direction, saxes alto et soprano), Ingrid Jensen (trompette, bugle) + l’Amazing Keystone Big Band : David Enhco, Thierry Seneau, Vincent Labarre, Félicien Bouchot (trompette), Bastien Ballaz, Alois Benoît, Loic Bachevillier, Sylvain Thomas (trombone), Pierre Desassis (sax alto, flûte), Kenny Jeanney (saxes alto), Jon Boutellier, Eric Prost (sax ténor), Ghyslain Regard (sax baryton), Thibaut François (guitare électrique), Maggi Olin (piano), Patrick Maradan (contrebasse), Alan Jones (batterie).

 

Je me souviens d’une fin de conférence sur Ravel pour retraités rassis et durs d’oreille venus se réchauffer dans l’auditorium d’une médiathèque. Fin de la conférence… « Peut-être avez-vous des questions ? » Long silence gêné de ceux qui ont compris la question. Quelqu’un se jette à l’eau : « Ravel avait-il un frère ? » Désespoir du conférencier… Eh bien Ingrid Jensen avait une sœur. Car en France, c’est surtout Ingrid que nous avons connue. Voici une vingtaine d’années nous l’avions tout particulièrement aimée au sein du groupe Machination d’Hélène Labarrière… Depuis, les amateurs français les plus informés et leurs homologues américains et canadiens ont suivi les tribulations de la trompettiste à New York, notamment au sein des big bands de Maria Schneider et Darcy James Argue, mais aussi au côté de sa sœur, au sein du Nordic Connect. Celle-ci, saxophoniste est également compositrice à la tête d’un big band qui signait en 2009 “Treeline” (Justin Time, 2009).

Difficile de faire voyager un big band quasi inconnu jusqu’en France : François Théberge, passionné de big band (il dirige les travaux du big band du CNSM) a découvert dans les caves lyonnaises l’Amazing Keystone Big Band qu’animent trois de ses étudiants : le saxophoniste Jon Boutellier, le tromboniste Bastien Ballaz et le pianiste Fred Nardin, dans un esprit d’éclectisme qui les rend aptes sur le terrain de l’interaction coloriste entre sections à la Ellington-Gil Evans comme sur celui de l’efficacité par la division du travail à la Basie. Une pratique qui les a conduit des grands classiques au répertoire de Thad Jones / Mel Lewis et donc aux portes de l’univers de Maria Schneider. Or, c’est bien de la musique de Maria Schneider – mais aussi de Kenny Wheeler qui se partage avec Woody Shaw l’influence sur le jeu de trompette d’Ingrid – que se rapprochent le plus les partitions de Christine Jensen, avec un sens du détail tant dans l’écriture que dans la direction. Un sens du détail qui touche tout autant aux arts de la nuance, de la couleur orchestrale et de la forme dramatique qu’à l’harmonie et à l’efficacité rythmique auxquels trop de jazzmen sacrifie tout le reste.

Il serait de mauvaise foi de dire qu’il n’y eut pas hier quelques flottements, les plus évidents venant d’ailleurs de la pianiste suédoise Maggi Olin amenée par les sœurs Jensen (leur complice au sein du Nordic Connect) qui surprit tant, par la banalité de son langage et l’incertitude de son assise rythmique, que l’on soupçonna quelque contingence extra-musicale. En revanche, son partenaire le plus direct, le guitariste Thibaut François assura avec une belle autorité un rôle exigeant dévolu par les partitions de Christine. C’est le mot “autorité” qui revient au sujet d’Ingrid, pièce centrale et motrice, extraordinairement expressive au sein de ce dispositif orchestrale que sa sœur taille à la serpe, fouette ou caresse dans le sens du poil jusqu’à le réduire du tonnerre au murmure du vent dans les forêts de l’Ouest canadien dont les deux sœurs sont originaires.


On entendra Christine zébrer l’espace d’un alto ou d’un soprano évoquant les zébrures d’un David Binney, notamment dans de vifs échanges avec les altos de la section (Pierre Desassi et Kenny Jeanney). Mais on pourra regretter que les solistes de l’orchestre n’aient pas été plus impliqués. On remarquera Alan Jones, canadien, pièce rapportée suggérée par Théberge, qui par le bonheur de jouer qu’il communiqua à l’orchestre incitera probablement le public de Limur à le retrouver sur le port à 18h30 le 25 juillet à la tête de son Portland Oregon Band.

L’élève de François Théberge, Jon Boutelier, sera l’invité spécial de la pièce finale écrite spécialement pour Jazz à Vannes et dédié à son programmateur. Enfin, l’Frrrançoué sera invité en rappel à battre les premières mesures de sa propre composition (le voici déjà adopté par le public de Vannes) qui fera entendre deux figures majeures du big band : David Enhco et Bastien Ballaz. Réduit au silence, Eric Prost devait ronger son frein… et nous avec.

L’heure de route qui m’attendait pour retrouver ma campagne m’interdit de suivre les “after Limur” chaque soir, aux Valseuses, dévolues au bœuf, mais hier 23 juillet, réservée à l’Around Jaco Trio (hommage à Jaco Pastorius) de Frédéric Monino, avec Franck Tortiller et François Laizeau.


J’aurais aimé* annoncer le programme de ce 24 octobre : à 14h30 à la médiathèque Kercado, Histoire Drum, récit-batterie par François Laizeau ; à une heure, en un lieu et selon un programme non détaillés dans le programme, la première épreuve consacrée au trio du Tremplin national de jazz (le 25 : voix ; le 26 : ensembles instrumentaux) ; au Salon de musique de Limur à 16h, le solo du contrebassiste Sylvain Romano, puis à 17h au même endroit le quatuor de clarinettes Watt ; sur le port, à 18h30, le duo Zooloup de Denis Leloup et Zool Fleischer ; au jardin de Limur enfin un concert en trois partie avec à 20h30 le lauréat du tremplin du jour, à 21h le trio du pianiste Pierre de Bethmann avec Sylvain Romano et Tony Rabeson, à 22h30 Cécile McLorin avec l’Amazing Keystone Big Band. Je n’y serai pas, mais, le 31 juillet, j’irai entendre Cécie McLorin au Cloître des Carmes en avant-première du Tremplin jazz d’Avignon où elle se produira avec le Keystone (en version sextette). Et je retournerai à Jazz à Vannes le 26 pour entendre Glenn Ferris et Wayne Shorter.


Franck Bergerot


* Depuis les orages de samedi, ma campagne bretonne est privée de connexion informatique. Même la Poste ne sait plus délivrer de timbres faute d’ordinateur. Quant à l’Intermarché du coin, qui a vidé les régions de leurs commerces de proximité, il s’est effondré sous le poids de l’eau. Une structure qui n’avait pas un an. On vit une époque formidable.

 

|

Après un petit coup de mou dans sa programmation marquant la fin de “règne” de Jean-Philippe Breton, Jazz à Vannes reprend de belles couleurs avec une affiche conçue par François Théberge. Au lendemain d’une avant-première gratuite sur le port confiée à Hugh Masekela qui a laissé un souvenir ému, retour sur le port hier, 23 juillet, en fin d’après-midi, avec le Jean-Philippe Scali Group, puis premier grand concert au jardin de Limur avec Ben Wendel et Dan Tepfer, suivi des sœurs Christine Jensen et Ingrid Jensen à la tête de l’Amazing Keystone Big Band.

 

 

À l’ère de la communication à tout va, c’est fou ce que l’on communique mal. Des sites inconsultables, des dossiers de presse illisibles, en ce sens qu’il faut franchir des pages de discours d’intention (pseudo-artistiques, voire politiques), des débauches de graphisme, d’iconographie et de mise en page (rappelons que ces trois arts n’ont d’autre but que d’être au service de l’information et non l’inverse) et des murs de logos partenaires, pour parvenir à trouver l’information, rarement complète. Ainsi, jusqu’à la lecture du programme définitif du festival tel qu’il est distribué au public, ce n’est que par hasard que nous avions appris la prise en charge de la programmation de Jazz à Vannes par François Théberge. Pas un mot dans l’édito du Maire. Une paille ! C’est pourtant à la lecture de son nom que l’on comprend l’originalité de cette 34ème édition de Jazz à Vannes qui nous avait sauté aux yeux lors de la saisie de notre guide des festivals. Une originalité orientée diront certains (beaucoup de Canada – Frrrançoué est québecois – et de CNSM parisien – Théberge fut directeur du CNSM de Paris et reste au cœur de son équipe pédagogique). Une originalité qui doit surtout à sa personnalité : qui d’autre aurait eu l’idée de programmer les sœurs Jensen et Cécile McLorin en big band, de placer le Glenn Ferris Triple Trio en première partie du Wayne Shorter Quartet et de coupler un concert d’Hermeto Pascoal avec une première partie du groupe de son bassiste historique, Iteberê Zwarg (en fait, Hermeto Pascoal a déplacé un concert au Portugal pour donner ce concert “en famille”).


Prenez la journée d’hier : outre un foisonnant festivals off, dans les bars et restaurants de Vannes et alentours (jusqu’au concert final du 28 juillet au Domaine artistique de Kerghehennec, à Bignan), qui met en valeur la pépinière locale de la fin de matinée au bar Le Gambetta aux après-concerts du bar des Valseuses, chaque jour à 16 heures, le petit salon de musique de Limur accueille un concert solo pour un public privilégié (réservation obligatoire au 02 97 01 62 20). Hier donc, c’est Ingrid Jensen que j’ai loupé, retenu dans ma campagne par des problèmes vétérinaires et automobiles. Demain 24 juillet, on y entendra le merveilleux contrebassiste Sylvain Romano à quelques heures de son concert sur la grande scène au sein du trio de Pierre de Bethmann. Le 25, ce sera au tour de Glenn Ferris de soliloquer et le 26, un autre merveilleux contrebassiste, le Nantais Sébastien Boisseau lui succèdera.


Jean-Philippe Scali Group “Roots Plugged In” : Jean-Philippe Scali (saxes ténor et soprano), Maxime Fougères, Jérôme Barde (guitare électrique), Fred Nardin (claviers), Samuel Hubert (contrebasse, guitare basse électrique), Manu Franchi (batterie).


Je n’arrive à Vannes qu’à l’heure du concert quotidien sur le port, celui du Jean-Philippe Scali Group, une formation très CNSM animée par un ancien du conservatoire parisien. François Théberge a commandé à son ancien élève un nouveau programme qu’il a monté ces dernières semaines et rôdé ces derniers jours (les 5, 11 et 12 juillet) au Baiser Salé de la parisienne rue des Lombards, tout en se préparant à présenter son sextette régulier à Jazz à Vienne (le 10 juillet). C’est donc un répertoire tout frais qu’il nous présente, entre funk, rock progressif, ambiances modales et héritage tynerien, et dont Scali, Maxime Fougères, Fred Nardin et Jérôme Barde se partagent la signature, le tout dans l’épaisse fumée d’un marchand de merguez, probablement installé derrière la scène et heureusement inodore. Fred Nardin passe du Fender au piano ou au clavier Nord pour émuler des sonorités d’orgue Hammond, les deux guitares se répartissent l’espace avec élégance et des rôles et des sonorités bien distinctes, la rythmique groove comme il faut et sert les couleurs des pièces moins groovy, Jean-Philippe Scali joue le rêve ou la chauffe d’un alto vif et acéré. Le public jubile, le marchand de merguez aussi qui fait tournoyer les projecteurs et les gélatines… car c’est lui, l’éclairagiste, qui enfumait la scène. Comme plus haut nous interpelions graphistes et maquettistes sur leurs responsabilités, rappelons aux éclairagistes qu’ils ne sont pas là pour montrer qu’ils ont du matos, et accessoirement que les effets de fumées dont on abuse, souvent au désagrément des artistes, sont faits pour accrocher la lumière des projecteurs et qu’en plein jour, ils n’ont d’autres effets que de transformer l’éclairagiste en marchand de merguez… hélas sans merguez ! J’ai faim et je me dirige vers les galettes-saucisses du jardin de Limur sans réaliser qu’à l’heure de ce concert du port (18h30), le bassiste Frédéric Monino et le batteur François Laizeau donnaient aux Valseuses une conférence intitulée Jaco Pastorius, Grooves & tourbillons.


Dan Tepfer (piano), Ben Wendel (sax ténor, basson).

 

L’une des plus belles affiche de l’été que ce duo dont le pari est de rejouer sur scène ce qu’ils ont concocté en studio, et en re-recording, sur leur album “Small Constructions” (Sunnyside). Un tour de force, qui serait injouable si Dan Tepfer n’avait cette prodigieuse indépendance des deux mains qui lui permet de se jouer à la droite d’enivrants ostinatos à la gauche, croisant l’une et l’autre pour explorer les graves, le tout avec une liberté de pensée qui ne le laisse jamais en pilote automatique, qui déjoue les pièges de la facilité mélodique et se joue de l’abstraction avec un constant et extrême contrôle de la matière sonore. Un jeu sur des espèces de perpetuum mobile qui pourrait devenir assommant (on s’agace ici et là du système) si les deux musiciens ne partageaient pas cette musicalité qui leur permet de multiplier les figures sur ces boucles immuables qu’ils travestissent, masquent et démembrent jusqu’à les rendre méconnaissables et n’en garder que la marque obsédante. Musicalité qu’ils remettent en jeu avec succès en échangeant leurs instruments dans leur avant-dernier titre, comme on risque tous ses gains en fin de soirée au casino. L’échange est le moteur de leur duo, échange d’idées, échanges de fonctions, Ben Wendel reprenant ces longs ostinatos modulants à son compte ou saisissant au vol telle phrase de piano à l’unisson ou en harmonie.


Sur Pannonica, dont Tepfer parvient à extraire l’essence du granit monkien en un pétrole brut qui entre en combustion spontanée au contact de ce qu’il a appris des fugues et chorales de Bach et des angularités profondes du piano du XXème siècle. Ben Wendel expose avec des airs de Charlie Rouse qu’il mâtine de quelque chose de Getzien puis une forme de pathos qui hésite entre vocabulaire encyclopédique de Brecker et l’onirisme dépouillé de Gabarek prévalant dans la balade Jean et Renata. Dans son intro solo d’All the Things You Are, c’est le souvenir des duos de Dan Tepfer et Lee Konitz qu’il réveille, tramant bientôt le tâtonnement mélodique konitzien d’une exploration harmonique arpégée qui renvoie au savoir faire post-coltranien, jusqu’à la prise de contrôle du piano qui emmène le vieux standard autour d’une pédale dont le fil rouge, bien que pointillé, met en relief la disjonction d’une furieuse opération de désossage cubiste. Après avoir visité Nino Rota (Wendel au basson), le solo de Lennie Tristano sur Line Up, quelques originaux dont un bel hommage à Gary Peacock, le duo nous quitte sur un Solar dont il transcende le caractère étroitement cyclique par un effet de torsade ou, si l’on veut, de spirale qui l’éloigne de cycle en cycle de son centre de gravité (ou l’étire vers le haut autour de son axe).


Entracte

À l’entracte, je croise l’incontournable des festivals d’été bretons, Philippe Delacroix-Herpin (vieille figure du jazz et du rock rennais à la fin des années 70, avec son compère Daniel Pabœuf, notamment au sein du groupe Marquis de Sade), en vacances de la Réunion où il vit depuis des lustres. Nous partageons notre enthousiasme pour cette belle première partie. Il me fait part, comme quelques autres avant lui, de son émotion à l’écoute de l’avant-concert de la veille, donné sur le port par Hugh Masekela, mais il évoque aussi le talent des deux chanteuses du groupe funk-soul Cut the Alligator entendu en première partie. Je confirme. Je les ai entendues fin mai à Saint-Brieuc dans le cadre d’une soirée Nina Simone organisée par la classe de jazz du conservatoire à La Citrouille où j’avais moi-même donné une conférence sur les chants rebelles de l’Amérique noire et j’avais été particulièrement ému par le feeling vrai, quasi animal mais trahi par aucun excès de candeur, de Louise Robard. C’est moins en terme de feeling que je témoignerai du talent de sa complice Stellis Groseil qu’en terme de potentiel de développement chez cette artiste très informée, promise, si elle ne s’égare pas en route, à une œuvre personnelle. Mais voici l’Amazing Keystone Big Band qui prend place derrière ses pupitres… Regagnons nos sièges.


Christine Jensen (composition, direction, saxes alto et soprano), Ingrid Jensen (trompette, bugle) + l’Amazing Keystone Big Band : David Enhco, Thierry Seneau, Vincent Labarre, Félicien Bouchot (trompette), Bastien Ballaz, Alois Benoît, Loic Bachevillier, Sylvain Thomas (trombone), Pierre Desassis (sax alto, flûte), Kenny Jeanney (saxes alto), Jon Boutellier, Eric Prost (sax ténor), Ghyslain Regard (sax baryton), Thibaut François (guitare électrique), Maggi Olin (piano), Patrick Maradan (contrebasse), Alan Jones (batterie).

 

Je me souviens d’une fin de conférence sur Ravel pour retraités rassis et durs d’oreille venus se réchauffer dans l’auditorium d’une médiathèque. Fin de la conférence… « Peut-être avez-vous des questions ? » Long silence gêné de ceux qui ont compris la question. Quelqu’un se jette à l’eau : « Ravel avait-il un frère ? » Désespoir du conférencier… Eh bien Ingrid Jensen avait une sœur. Car en France, c’est surtout Ingrid que nous avons connue. Voici une vingtaine d’années nous l’avions tout particulièrement aimée au sein du groupe Machination d’Hélène Labarrière… Depuis, les amateurs français les plus informés et leurs homologues américains et canadiens ont suivi les tribulations de la trompettiste à New York, notamment au sein des big bands de Maria Schneider et Darcy James Argue, mais aussi au côté de sa sœur, au sein du Nordic Connect. Celle-ci, saxophoniste est également compositrice à la tête d’un big band qui signait en 2009 “Treeline” (Justin Time, 2009).

Difficile de faire voyager un big band quasi inconnu jusqu’en France : François Théberge, passionné de big band (il dirige les travaux du big band du CNSM) a découvert dans les caves lyonnaises l’Amazing Keystone Big Band qu’animent trois de ses étudiants : le saxophoniste Jon Boutellier, le tromboniste Bastien Ballaz et le pianiste Fred Nardin, dans un esprit d’éclectisme qui les rend aptes sur le terrain de l’interaction coloriste entre sections à la Ellington-Gil Evans comme sur celui de l’efficacité par la division du travail à la Basie. Une pratique qui les a conduit des grands classiques au répertoire de Thad Jones / Mel Lewis et donc aux portes de l’univers de Maria Schneider. Or, c’est bien de la musique de Maria Schneider – mais aussi de Kenny Wheeler qui se partage avec Woody Shaw l’influence sur le jeu de trompette d’Ingrid – que se rapprochent le plus les partitions de Christine Jensen, avec un sens du détail tant dans l’écriture que dans la direction. Un sens du détail qui touche tout autant aux arts de la nuance, de la couleur orchestrale et de la forme dramatique qu’à l’harmonie et à l’efficacité rythmique auxquels trop de jazzmen sacrifie tout le reste.

Il serait de mauvaise foi de dire qu’il n’y eut pas hier quelques flottements, les plus évidents venant d’ailleurs de la pianiste suédoise Maggi Olin amenée par les sœurs Jensen (leur complice au sein du Nordic Connect) qui surprit tant, par la banalité de son langage et l’incertitude de son assise rythmique, que l’on soupçonna quelque contingence extra-musicale. En revanche, son partenaire le plus direct, le guitariste Thibaut François assura avec une belle autorité un rôle exigeant dévolu par les partitions de Christine. C’est le mot “autorité” qui revient au sujet d’Ingrid, pièce centrale et motrice, extraordinairement expressive au sein de ce dispositif orchestrale que sa sœur taille à la serpe, fouette ou caresse dans le sens du poil jusqu’à le réduire du tonnerre au murmure du vent dans les forêts de l’Ouest canadien dont les deux sœurs sont originaires.


On entendra Christine zébrer l’espace d’un alto ou d’un soprano évoquant les zébrures d’un David Binney, notamment dans de vifs échanges avec les altos de la section (Pierre Desassi et Kenny Jeanney). Mais on pourra regretter que les solistes de l’orchestre n’aient pas été plus impliqués. On remarquera Alan Jones, canadien, pièce rapportée suggérée par Théberge, qui par le bonheur de jouer qu’il communiqua à l’orchestre incitera probablement le public de Limur à le retrouver sur le port à 18h30 le 25 juillet à la tête de son Portland Oregon Band.

L’élève de François Théberge, Jon Boutelier, sera l’invité spécial de la pièce finale écrite spécialement pour Jazz à Vannes et dédié à son programmateur. Enfin, l’Frrrançoué sera invité en rappel à battre les premières mesures de sa propre composition (le voici déjà adopté par le public de Vannes) qui fera entendre deux figures majeures du big band : David Enhco et Bastien Ballaz. Réduit au silence, Eric Prost devait ronger son frein… et nous avec.

L’heure de route qui m’attendait pour retrouver ma campagne m’interdit de suivre les “after Limur” chaque soir, aux Valseuses, dévolues au bœuf, mais hier 23 juillet, réservée à l’Around Jaco Trio (hommage à Jaco Pastorius) de Frédéric Monino, avec Franck Tortiller et François Laizeau.


J’aurais aimé* annoncer le programme de ce 24 octobre : à 14h30 à la médiathèque Kercado, Histoire Drum, récit-batterie par François Laizeau ; à une heure, en un lieu et selon un programme non détaillés dans le programme, la première épreuve consacrée au trio du Tremplin national de jazz (le 25 : voix ; le 26 : ensembles instrumentaux) ; au Salon de musique de Limur à 16h, le solo du contrebassiste Sylvain Romano, puis à 17h au même endroit le quatuor de clarinettes Watt ; sur le port, à 18h30, le duo Zooloup de Denis Leloup et Zool Fleischer ; au jardin de Limur enfin un concert en trois partie avec à 20h30 le lauréat du tremplin du jour, à 21h le trio du pianiste Pierre de Bethmann avec Sylvain Romano et Tony Rabeson, à 22h30 Cécile McLorin avec l’Amazing Keystone Big Band. Je n’y serai pas, mais, le 31 juillet, j’irai entendre Cécie McLorin au Cloître des Carmes en avant-première du Tremplin jazz d’Avignon où elle se produira avec le Keystone (en version sextette). Et je retournerai à Jazz à Vannes le 26 pour entendre Glenn Ferris et Wayne Shorter.


Franck Bergerot


* Depuis les orages de samedi, ma campagne bretonne est privée de connexion informatique. Même la Poste ne sait plus délivrer de timbres faute d’ordinateur. Quant à l’Intermarché du coin, qui a vidé les régions de leurs commerces de proximité, il s’est effondré sous le poids de l’eau. Une structure qui n’avait pas un an. On vit une époque formidable.

 

|

Après un petit coup de mou dans sa programmation marquant la fin de “règne” de Jean-Philippe Breton, Jazz à Vannes reprend de belles couleurs avec une affiche conçue par François Théberge. Au lendemain d’une avant-première gratuite sur le port confiée à Hugh Masekela qui a laissé un souvenir ému, retour sur le port hier, 23 juillet, en fin d’après-midi, avec le Jean-Philippe Scali Group, puis premier grand concert au jardin de Limur avec Ben Wendel et Dan Tepfer, suivi des sœurs Christine Jensen et Ingrid Jensen à la tête de l’Amazing Keystone Big Band.

 

 

À l’ère de la communication à tout va, c’est fou ce que l’on communique mal. Des sites inconsultables, des dossiers de presse illisibles, en ce sens qu’il faut franchir des pages de discours d’intention (pseudo-artistiques, voire politiques), des débauches de graphisme, d’iconographie et de mise en page (rappelons que ces trois arts n’ont d’autre but que d’être au service de l’information et non l’inverse) et des murs de logos partenaires, pour parvenir à trouver l’information, rarement complète. Ainsi, jusqu’à la lecture du programme définitif du festival tel qu’il est distribué au public, ce n’est que par hasard que nous avions appris la prise en charge de la programmation de Jazz à Vannes par François Théberge. Pas un mot dans l’édito du Maire. Une paille ! C’est pourtant à la lecture de son nom que l’on comprend l’originalité de cette 34ème édition de Jazz à Vannes qui nous avait sauté aux yeux lors de la saisie de notre guide des festivals. Une originalité orientée diront certains (beaucoup de Canada – Frrrançoué est québecois – et de CNSM parisien – Théberge fut directeur du CNSM de Paris et reste au cœur de son équipe pédagogique). Une originalité qui doit surtout à sa personnalité : qui d’autre aurait eu l’idée de programmer les sœurs Jensen et Cécile McLorin en big band, de placer le Glenn Ferris Triple Trio en première partie du Wayne Shorter Quartet et de coupler un concert d’Hermeto Pascoal avec une première partie du groupe de son bassiste historique, Iteberê Zwarg (en fait, Hermeto Pascoal a déplacé un concert au Portugal pour donner ce concert “en famille”).


Prenez la journée d’hier : outre un foisonnant festivals off, dans les bars et restaurants de Vannes et alentours (jusqu’au concert final du 28 juillet au Domaine artistique de Kerghehennec, à Bignan), qui met en valeur la pépinière locale de la fin de matinée au bar Le Gambetta aux après-concerts du bar des Valseuses, chaque jour à 16 heures, le petit salon de musique de Limur accueille un concert solo pour un public privilégié (réservation obligatoire au 02 97 01 62 20). Hier donc, c’est Ingrid Jensen que j’ai loupé, retenu dans ma campagne par des problèmes vétérinaires et automobiles. Demain 24 juillet, on y entendra le merveilleux contrebassiste Sylvain Romano à quelques heures de son concert sur la grande scène au sein du trio de Pierre de Bethmann. Le 25, ce sera au tour de Glenn Ferris de soliloquer et le 26, un autre merveilleux contrebassiste, le Nantais Sébastien Boisseau lui succèdera.


Jean-Philippe Scali Group “Roots Plugged In” : Jean-Philippe Scali (saxes ténor et soprano), Maxime Fougères, Jérôme Barde (guitare électrique), Fred Nardin (claviers), Samuel Hubert (contrebasse, guitare basse électrique), Manu Franchi (batterie).


Je n’arrive à Vannes qu’à l’heure du concert quotidien sur le port, celui du Jean-Philippe Scali Group, une formation très CNSM animée par un ancien du conservatoire parisien. François Théberge a commandé à son ancien élève un nouveau programme qu’il a monté ces dernières semaines et rôdé ces derniers jours (les 5, 11 et 12 juillet) au Baiser Salé de la parisienne rue des Lombards, tout en se préparant à présenter son sextette régulier à Jazz à Vienne (le 10 juillet). C’est donc un répertoire tout frais qu’il nous présente, entre funk, rock progressif, ambiances modales et héritage tynerien, et dont Scali, Maxime Fougères, Fred Nardin et Jérôme Barde se partagent la signature, le tout dans l’épaisse fumée d’un marchand de merguez, probablement installé derrière la scène et heureusement inodore. Fred Nardin passe du Fender au piano ou au clavier Nord pour émuler des sonorités d’orgue Hammond, les deux guitares se répartissent l’espace avec élégance et des rôles et des sonorités bien distinctes, la rythmique groove comme il faut et sert les couleurs des pièces moins groovy, Jean-Philippe Scali joue le rêve ou la chauffe d’un alto vif et acéré. Le public jubile, le marchand de merguez aussi qui fait tournoyer les projecteurs et les gélatines… car c’est lui, l’éclairagiste, qui enfumait la scène. Comme plus haut nous interpelions graphistes et maquettistes sur leurs responsabilités, rappelons aux éclairagistes qu’ils ne sont pas là pour montrer qu’ils ont du matos, et accessoirement que les effets de fumées dont on abuse, souvent au désagrément des artistes, sont faits pour accrocher la lumière des projecteurs et qu’en plein jour, ils n’ont d’autres effets que de transformer l’éclairagiste en marchand de merguez… hélas sans merguez ! J’ai faim et je me dirige vers les galettes-saucisses du jardin de Limur sans réaliser qu’à l’heure de ce concert du port (18h30), le bassiste Frédéric Monino et le batteur François Laizeau donnaient aux Valseuses une conférence intitulée Jaco Pastorius, Grooves & tourbillons.


Dan Tepfer (piano), Ben Wendel (sax ténor, basson).

 

L’une des plus belles affiche de l’été que ce duo dont le pari est de rejouer sur scène ce qu’ils ont concocté en studio, et en re-recording, sur leur album “Small Constructions” (Sunnyside). Un tour de force, qui serait injouable si Dan Tepfer n’avait cette prodigieuse indépendance des deux mains qui lui permet de se jouer à la droite d’enivrants ostinatos à la gauche, croisant l’une et l’autre pour explorer les graves, le tout avec une liberté de pensée qui ne le laisse jamais en pilote automatique, qui déjoue les pièges de la facilité mélodique et se joue de l’abstraction avec un constant et extrême contrôle de la matière sonore. Un jeu sur des espèces de perpetuum mobile qui pourrait devenir assommant (on s’agace ici et là du système) si les deux musiciens ne partageaient pas cette musicalité qui leur permet de multiplier les figures sur ces boucles immuables qu’ils travestissent, masquent et démembrent jusqu’à les rendre méconnaissables et n’en garder que la marque obsédante. Musicalité qu’ils remettent en jeu avec succès en échangeant leurs instruments dans leur avant-dernier titre, comme on risque tous ses gains en fin de soirée au casino. L’échange est le moteur de leur duo, échange d’idées, échanges de fonctions, Ben Wendel reprenant ces longs ostinatos modulants à son compte ou saisissant au vol telle phrase de piano à l’unisson ou en harmonie.


Sur Pannonica, dont Tepfer parvient à extraire l’essence du granit monkien en un pétrole brut qui entre en combustion spontanée au contact de ce qu’il a appris des fugues et chorales de Bach et des angularités profondes du piano du XXème siècle. Ben Wendel expose avec des airs de Charlie Rouse qu’il mâtine de quelque chose de Getzien puis une forme de pathos qui hésite entre vocabulaire encyclopédique de Brecker et l’onirisme dépouillé de Gabarek prévalant dans la balade Jean et Renata. Dans son intro solo d’All the Things You Are, c’est le souvenir des duos de Dan Tepfer et Lee Konitz qu’il réveille, tramant bientôt le tâtonnement mélodique konitzien d’une exploration harmonique arpégée qui renvoie au savoir faire post-coltranien, jusqu’à la prise de contrôle du piano qui emmène le vieux standard autour d’une pédale dont le fil rouge, bien que pointillé, met en relief la disjonction d’une furieuse opération de désossage cubiste. Après avoir visité Nino Rota (Wendel au basson), le solo de Lennie Tristano sur Line Up, quelques originaux dont un bel hommage à Gary Peacock, le duo nous quitte sur un Solar dont il transcende le caractère étroitement cyclique par un effet de torsade ou, si l’on veut, de spirale qui l’éloigne de cycle en cycle de son centre de gravité (ou l’étire vers le haut autour de son axe).


Entracte

À l’entracte, je croise l’incontournable des festivals d’été bretons, Philippe Delacroix-Herpin (vieille figure du jazz et du rock rennais à la fin des années 70, avec son compère Daniel Pabœuf, notamment au sein du groupe Marquis de Sade), en vacances de la Réunion où il vit depuis des lustres. Nous partageons notre enthousiasme pour cette belle première partie. Il me fait part, comme quelques autres avant lui, de son émotion à l’écoute de l’avant-concert de la veille, donné sur le port par Hugh Masekela, mais il évoque aussi le talent des deux chanteuses du groupe funk-soul Cut the Alligator entendu en première partie. Je confirme. Je les ai entendues fin mai à Saint-Brieuc dans le cadre d’une soirée Nina Simone organisée par la classe de jazz du conservatoire à La Citrouille où j’avais moi-même donné une conférence sur les chants rebelles de l’Amérique noire et j’avais été particulièrement ému par le feeling vrai, quasi animal mais trahi par aucun excès de candeur, de Louise Robard. C’est moins en terme de feeling que je témoignerai du talent de sa complice Stellis Groseil qu’en terme de potentiel de développement chez cette artiste très informée, promise, si elle ne s’égare pas en route, à une œuvre personnelle. Mais voici l’Amazing Keystone Big Band qui prend place derrière ses pupitres… Regagnons nos sièges.


Christine Jensen (composition, direction, saxes alto et soprano), Ingrid Jensen (trompette, bugle) + l’Amazing Keystone Big Band : David Enhco, Thierry Seneau, Vincent Labarre, Félicien Bouchot (trompette), Bastien Ballaz, Alois Benoît, Loic Bachevillier, Sylvain Thomas (trombone), Pierre Desassis (sax alto, flûte), Kenny Jeanney (saxes alto), Jon Boutellier, Eric Prost (sax ténor), Ghyslain Regard (sax baryton), Thibaut François (guitare électrique), Maggi Olin (piano), Patrick Maradan (contrebasse), Alan Jones (batterie).

 

Je me souviens d’une fin de conférence sur Ravel pour retraités rassis et durs d’oreille venus se réchauffer dans l’auditorium d’une médiathèque. Fin de la conférence… « Peut-être avez-vous des questions ? » Long silence gêné de ceux qui ont compris la question. Quelqu’un se jette à l’eau : « Ravel avait-il un frère ? » Désespoir du conférencier… Eh bien Ingrid Jensen avait une sœur. Car en France, c’est surtout Ingrid que nous avons connue. Voici une vingtaine d’années nous l’avions tout particulièrement aimée au sein du groupe Machination d’Hélène Labarrière… Depuis, les amateurs français les plus informés et leurs homologues américains et canadiens ont suivi les tribulations de la trompettiste à New York, notamment au sein des big bands de Maria Schneider et Darcy James Argue, mais aussi au côté de sa sœur, au sein du Nordic Connect. Celle-ci, saxophoniste est également compositrice à la tête d’un big band qui signait en 2009 “Treeline” (Justin Time, 2009).

Difficile de faire voyager un big band quasi inconnu jusqu’en France : François Théberge, passionné de big band (il dirige les travaux du big band du CNSM) a découvert dans les caves lyonnaises l’Amazing Keystone Big Band qu’animent trois de ses étudiants : le saxophoniste Jon Boutellier, le tromboniste Bastien Ballaz et le pianiste Fred Nardin, dans un esprit d’éclectisme qui les rend aptes sur le terrain de l’interaction coloriste entre sections à la Ellington-Gil Evans comme sur celui de l’efficacité par la division du travail à la Basie. Une pratique qui les a conduit des grands classiques au répertoire de Thad Jones / Mel Lewis et donc aux portes de l’univers de Maria Schneider. Or, c’est bien de la musique de Maria Schneider – mais aussi de Kenny Wheeler qui se partage avec Woody Shaw l’influence sur le jeu de trompette d’Ingrid – que se rapprochent le plus les partitions de Christine Jensen, avec un sens du détail tant dans l’écriture que dans la direction. Un sens du détail qui touche tout autant aux arts de la nuance, de la couleur orchestrale et de la forme dramatique qu’à l’harmonie et à l’efficacité rythmique auxquels trop de jazzmen sacrifie tout le reste.

Il serait de mauvaise foi de dire qu’il n’y eut pas hier quelques flottements, les plus évidents venant d’ailleurs de la pianiste suédoise Maggi Olin amenée par les sœurs Jensen (leur complice au sein du Nordic Connect) qui surprit tant, par la banalité de son langage et l’incertitude de son assise rythmique, que l’on soupçonna quelque contingence extra-musicale. En revanche, son partenaire le plus direct, le guitariste Thibaut François assura avec une belle autorité un rôle exigeant dévolu par les partitions de Christine. C’est le mot “autorité” qui revient au sujet d’Ingrid, pièce centrale et motrice, extraordinairement expressive au sein de ce dispositif orchestrale que sa sœur taille à la serpe, fouette ou caresse dans le sens du poil jusqu’à le réduire du tonnerre au murmure du vent dans les forêts de l’Ouest canadien dont les deux sœurs sont originaires.


On entendra Christine zébrer l’espace d’un alto ou d’un soprano évoquant les zébrures d’un David Binney, notamment dans de vifs échanges avec les altos de la section (Pierre Desassi et Kenny Jeanney). Mais on pourra regretter que les solistes de l’orchestre n’aient pas été plus impliqués. On remarquera Alan Jones, canadien, pièce rapportée suggérée par Théberge, qui par le bonheur de jouer qu’il communiqua à l’orchestre incitera probablement le public de Limur à le retrouver sur le port à 18h30 le 25 juillet à la tête de son Portland Oregon Band.

L’élève de François Théberge, Jon Boutelier, sera l’invité spécial de la pièce finale écrite spécialement pour Jazz à Vannes et dédié à son programmateur. Enfin, l’Frrrançoué sera invité en rappel à battre les premières mesures de sa propre composition (le voici déjà adopté par le public de Vannes) qui fera entendre deux figures majeures du big band : David Enhco et Bastien Ballaz. Réduit au silence, Eric Prost devait ronger son frein… et nous avec.

L’heure de route qui m’attendait pour retrouver ma campagne m’interdit de suivre les “after Limur” chaque soir, aux Valseuses, dévolues au bœuf, mais hier 23 juillet, réservée à l’Around Jaco Trio (hommage à Jaco Pastorius) de Frédéric Monino, avec Franck Tortiller et François Laizeau.


J’aurais aimé* annoncer le programme de ce 24 octobre : à 14h30 à la médiathèque Kercado, Histoire Drum, récit-batterie par François Laizeau ; à une heure, en un lieu et selon un programme non détaillés dans le programme, la première épreuve consacrée au trio du Tremplin national de jazz (le 25 : voix ; le 26 : ensembles instrumentaux) ; au Salon de musique de Limur à 16h, le solo du contrebassiste Sylvain Romano, puis à 17h au même endroit le quatuor de clarinettes Watt ; sur le port, à 18h30, le duo Zooloup de Denis Leloup et Zool Fleischer ; au jardin de Limur enfin un concert en trois partie avec à 20h30 le lauréat du tremplin du jour, à 21h le trio du pianiste Pierre de Bethmann avec Sylvain Romano et Tony Rabeson, à 22h30 Cécile McLorin avec l’Amazing Keystone Big Band. Je n’y serai pas, mais, le 31 juillet, j’irai entendre Cécie McLorin au Cloître des Carmes en avant-première du Tremplin jazz d’Avignon où elle se produira avec le Keystone (en version sextette). Et je retournerai à Jazz à Vannes le 26 pour entendre Glenn Ferris et Wayne Shorter.


Franck Bergerot


* Depuis les orages de samedi, ma campagne bretonne est privée de connexion informatique. Même la Poste ne sait plus délivrer de timbres faute d’ordinateur. Quant à l’Intermarché du coin, qui a vidé les régions de leurs commerces de proximité, il s’est effondré sous le poids de l’eau. Une structure qui n’avait pas un an. On vit une époque formidable.

 

|

Après un petit coup de mou dans sa programmation marquant la fin de “règne” de Jean-Philippe Breton, Jazz à Vannes reprend de belles couleurs avec une affiche conçue par François Théberge. Au lendemain d’une avant-première gratuite sur le port confiée à Hugh Masekela qui a laissé un souvenir ému, retour sur le port hier, 23 juillet, en fin d’après-midi, avec le Jean-Philippe Scali Group, puis premier grand concert au jardin de Limur avec Ben Wendel et Dan Tepfer, suivi des sœurs Christine Jensen et Ingrid Jensen à la tête de l’Amazing Keystone Big Band.

 

 

À l’ère de la communication à tout va, c’est fou ce que l’on communique mal. Des sites inconsultables, des dossiers de presse illisibles, en ce sens qu’il faut franchir des pages de discours d’intention (pseudo-artistiques, voire politiques), des débauches de graphisme, d’iconographie et de mise en page (rappelons que ces trois arts n’ont d’autre but que d’être au service de l’information et non l’inverse) et des murs de logos partenaires, pour parvenir à trouver l’information, rarement complète. Ainsi, jusqu’à la lecture du programme définitif du festival tel qu’il est distribué au public, ce n’est que par hasard que nous avions appris la prise en charge de la programmation de Jazz à Vannes par François Théberge. Pas un mot dans l’édito du Maire. Une paille ! C’est pourtant à la lecture de son nom que l’on comprend l’originalité de cette 34ème édition de Jazz à Vannes qui nous avait sauté aux yeux lors de la saisie de notre guide des festivals. Une originalité orientée diront certains (beaucoup de Canada – Frrrançoué est québecois – et de CNSM parisien – Théberge fut directeur du CNSM de Paris et reste au cœur de son équipe pédagogique). Une originalité qui doit surtout à sa personnalité : qui d’autre aurait eu l’idée de programmer les sœurs Jensen et Cécile McLorin en big band, de placer le Glenn Ferris Triple Trio en première partie du Wayne Shorter Quartet et de coupler un concert d’Hermeto Pascoal avec une première partie du groupe de son bassiste historique, Iteberê Zwarg (en fait, Hermeto Pascoal a déplacé un concert au Portugal pour donner ce concert “en famille”).


Prenez la journée d’hier : outre un foisonnant festivals off, dans les bars et restaurants de Vannes et alentours (jusqu’au concert final du 28 juillet au Domaine artistique de Kerghehennec, à Bignan), qui met en valeur la pépinière locale de la fin de matinée au bar Le Gambetta aux après-concerts du bar des Valseuses, chaque jour à 16 heures, le petit salon de musique de Limur accueille un concert solo pour un public privilégié (réservation obligatoire au 02 97 01 62 20). Hier donc, c’est Ingrid Jensen que j’ai loupé, retenu dans ma campagne par des problèmes vétérinaires et automobiles. Demain 24 juillet, on y entendra le merveilleux contrebassiste Sylvain Romano à quelques heures de son concert sur la grande scène au sein du trio de Pierre de Bethmann. Le 25, ce sera au tour de Glenn Ferris de soliloquer et le 26, un autre merveilleux contrebassiste, le Nantais Sébastien Boisseau lui succèdera.


Jean-Philippe Scali Group “Roots Plugged In” : Jean-Philippe Scali (saxes ténor et soprano), Maxime Fougères, Jérôme Barde (guitare électrique), Fred Nardin (claviers), Samuel Hubert (contrebasse, guitare basse électrique), Manu Franchi (batterie).


Je n’arrive à Vannes qu’à l’heure du concert quotidien sur le port, celui du Jean-Philippe Scali Group, une formation très CNSM animée par un ancien du conservatoire parisien. François Théberge a commandé à son ancien élève un nouveau programme qu’il a monté ces dernières semaines et rôdé ces derniers jours (les 5, 11 et 12 juillet) au Baiser Salé de la parisienne rue des Lombards, tout en se préparant à présenter son sextette régulier à Jazz à Vienne (le 10 juillet). C’est donc un répertoire tout frais qu’il nous présente, entre funk, rock progressif, ambiances modales et héritage tynerien, et dont Scali, Maxime Fougères, Fred Nardin et Jérôme Barde se partagent la signature, le tout dans l’épaisse fumée d’un marchand de merguez, probablement installé derrière la scène et heureusement inodore. Fred Nardin passe du Fender au piano ou au clavier Nord pour émuler des sonorités d’orgue Hammond, les deux guitares se répartissent l’espace avec élégance et des rôles et des sonorités bien distinctes, la rythmique groove comme il faut et sert les couleurs des pièces moins groovy, Jean-Philippe Scali joue le rêve ou la chauffe d’un alto vif et acéré. Le public jubile, le marchand de merguez aussi qui fait tournoyer les projecteurs et les gélatines… car c’est lui, l’éclairagiste, qui enfumait la scène. Comme plus haut nous interpelions graphistes et maquettistes sur leurs responsabilités, rappelons aux éclairagistes qu’ils ne sont pas là pour montrer qu’ils ont du matos, et accessoirement que les effets de fumées dont on abuse, souvent au désagrément des artistes, sont faits pour accrocher la lumière des projecteurs et qu’en plein jour, ils n’ont d’autres effets que de transformer l’éclairagiste en marchand de merguez… hélas sans merguez ! J’ai faim et je me dirige vers les galettes-saucisses du jardin de Limur sans réaliser qu’à l’heure de ce concert du port (18h30), le bassiste Frédéric Monino et le batteur François Laizeau donnaient aux Valseuses une conférence intitulée Jaco Pastorius, Grooves & tourbillons.


Dan Tepfer (piano), Ben Wendel (sax ténor, basson).

 

L’une des plus belles affiche de l’été que ce duo dont le pari est de rejouer sur scène ce qu’ils ont concocté en studio, et en re-recording, sur leur album “Small Constructions” (Sunnyside). Un tour de force, qui serait injouable si Dan Tepfer n’avait cette prodigieuse indépendance des deux mains qui lui permet de se jouer à la droite d’enivrants ostinatos à la gauche, croisant l’une et l’autre pour explorer les graves, le tout avec une liberté de pensée qui ne le laisse jamais en pilote automatique, qui déjoue les pièges de la facilité mélodique et se joue de l’abstraction avec un constant et extrême contrôle de la matière sonore. Un jeu sur des espèces de perpetuum mobile qui pourrait devenir assommant (on s’agace ici et là du système) si les deux musiciens ne partageaient pas cette musicalité qui leur permet de multiplier les figures sur ces boucles immuables qu’ils travestissent, masquent et démembrent jusqu’à les rendre méconnaissables et n’en garder que la marque obsédante. Musicalité qu’ils remettent en jeu avec succès en échangeant leurs instruments dans leur avant-dernier titre, comme on risque tous ses gains en fin de soirée au casino. L’échange est le moteur de leur duo, échange d’idées, échanges de fonctions, Ben Wendel reprenant ces longs ostinatos modulants à son compte ou saisissant au vol telle phrase de piano à l’unisson ou en harmonie.


Sur Pannonica, dont Tepfer parvient à extraire l’essence du granit monkien en un pétrole brut qui entre en combustion spontanée au contact de ce qu’il a appris des fugues et chorales de Bach et des angularités profondes du piano du XXème siècle. Ben Wendel expose avec des airs de Charlie Rouse qu’il mâtine de quelque chose de Getzien puis une forme de pathos qui hésite entre vocabulaire encyclopédique de Brecker et l’onirisme dépouillé de Gabarek prévalant dans la balade Jean et Renata. Dans son intro solo d’All the Things You Are, c’est le souvenir des duos de Dan Tepfer et Lee Konitz qu’il réveille, tramant bientôt le tâtonnement mélodique konitzien d’une exploration harmonique arpégée qui renvoie au savoir faire post-coltranien, jusqu’à la prise de contrôle du piano qui emmène le vieux standard autour d’une pédale dont le fil rouge, bien que pointillé, met en relief la disjonction d’une furieuse opération de désossage cubiste. Après avoir visité Nino Rota (Wendel au basson), le solo de Lennie Tristano sur Line Up, quelques originaux dont un bel hommage à Gary Peacock, le duo nous quitte sur un Solar dont il transcende le caractère étroitement cyclique par un effet de torsade ou, si l’on veut, de spirale qui l’éloigne de cycle en cycle de son centre de gravité (ou l’étire vers le haut autour de son axe).


Entracte

À l’entracte, je croise l’incontournable des festivals d’été bretons, Philippe Delacroix-Herpin (vieille figure du jazz et du rock rennais à la fin des années 70, avec son compère Daniel Pabœuf, notamment au sein du groupe Marquis de Sade), en vacances de la Réunion où il vit depuis des lustres. Nous partageons notre enthousiasme pour cette belle première partie. Il me fait part, comme quelques autres avant lui, de son émotion à l’écoute de l’avant-concert de la veille, donné sur le port par Hugh Masekela, mais il évoque aussi le talent des deux chanteuses du groupe funk-soul Cut the Alligator entendu en première partie. Je confirme. Je les ai entendues fin mai à Saint-Brieuc dans le cadre d’une soirée Nina Simone organisée par la classe de jazz du conservatoire à La Citrouille où j’avais moi-même donné une conférence sur les chants rebelles de l’Amérique noire et j’avais été particulièrement ému par le feeling vrai, quasi animal mais trahi par aucun excès de candeur, de Louise Robard. C’est moins en terme de feeling que je témoignerai du talent de sa complice Stellis Groseil qu’en terme de potentiel de développement chez cette artiste très informée, promise, si elle ne s’égare pas en route, à une œuvre personnelle. Mais voici l’Amazing Keystone Big Band qui prend place derrière ses pupitres… Regagnons nos sièges.


Christine Jensen (composition, direction, saxes alto et soprano), Ingrid Jensen (trompette, bugle) + l’Amazing Keystone Big Band : David Enhco, Thierry Seneau, Vincent Labarre, Félicien Bouchot (trompette), Bastien Ballaz, Alois Benoît, Loic Bachevillier, Sylvain Thomas (trombone), Pierre Desassis (sax alto, flûte), Kenny Jeanney (saxes alto), Jon Boutellier, Eric Prost (sax ténor), Ghyslain Regard (sax baryton), Thibaut François (guitare électrique), Maggi Olin (piano), Patrick Maradan (contrebasse), Alan Jones (batterie).

 

Je me souviens d’une fin de conférence sur Ravel pour retraités rassis et durs d’oreille venus se réchauffer dans l’auditorium d’une médiathèque. Fin de la conférence… « Peut-être avez-vous des questions ? » Long silence gêné de ceux qui ont compris la question. Quelqu’un se jette à l’eau : « Ravel avait-il un frère ? » Désespoir du conférencier… Eh bien Ingrid Jensen avait une sœur. Car en France, c’est surtout Ingrid que nous avons connue. Voici une vingtaine d’années nous l’avions tout particulièrement aimée au sein du groupe Machination d’Hélène Labarrière… Depuis, les amateurs français les plus informés et leurs homologues américains et canadiens ont suivi les tribulations de la trompettiste à New York, notamment au sein des big bands de Maria Schneider et Darcy James Argue, mais aussi au côté de sa sœur, au sein du Nordic Connect. Celle-ci, saxophoniste est également compositrice à la tête d’un big band qui signait en 2009 “Treeline” (Justin Time, 2009).

Difficile de faire voyager un big band quasi inconnu jusqu’en France : François Théberge, passionné de big band (il dirige les travaux du big band du CNSM) a découvert dans les caves lyonnaises l’Amazing Keystone Big Band qu’animent trois de ses étudiants : le saxophoniste Jon Boutellier, le tromboniste Bastien Ballaz et le pianiste Fred Nardin, dans un esprit d’éclectisme qui les rend aptes sur le terrain de l’interaction coloriste entre sections à la Ellington-Gil Evans comme sur celui de l’efficacité par la division du travail à la Basie. Une pratique qui les a conduit des grands classiques au répertoire de Thad Jones / Mel Lewis et donc aux portes de l’univers de Maria Schneider. Or, c’est bien de la musique de Maria Schneider – mais aussi de Kenny Wheeler qui se partage avec Woody Shaw l’influence sur le jeu de trompette d’Ingrid – que se rapprochent le plus les partitions de Christine Jensen, avec un sens du détail tant dans l’écriture que dans la direction. Un sens du détail qui touche tout autant aux arts de la nuance, de la couleur orchestrale et de la forme dramatique qu’à l’harmonie et à l’efficacité rythmique auxquels trop de jazzmen sacrifie tout le reste.

Il serait de mauvaise foi de dire qu’il n’y eut pas hier quelques flottements, les plus évidents venant d’ailleurs de la pianiste suédoise Maggi Olin amenée par les sœurs Jensen (leur complice au sein du Nordic Connect) qui surprit tant, par la banalité de son langage et l’incertitude de son assise rythmique, que l’on soupçonna quelque contingence extra-musicale. En revanche, son partenaire le plus direct, le guitariste Thibaut François assura avec une belle autorité un rôle exigeant dévolu par les partitions de Christine. C’est le mot “autorité” qui revient au sujet d’Ingrid, pièce centrale et motrice, extraordinairement expressive au sein de ce dispositif orchestrale que sa sœur taille à la serpe, fouette ou caresse dans le sens du poil jusqu’à le réduire du tonnerre au murmure du vent dans les forêts de l’Ouest canadien dont les deux sœurs sont originaires.


On entendra Christine zébrer l’espace d’un alto ou d’un soprano évoquant les zébrures d’un David Binney, notamment dans de vifs échanges avec les altos de la section (Pierre Desassi et Kenny Jeanney). Mais on pourra regretter que les solistes de l’orchestre n’aient pas été plus impliqués. On remarquera Alan Jones, canadien, pièce rapportée suggérée par Théberge, qui par le bonheur de jouer qu’il communiqua à l’orchestre incitera probablement le public de Limur à le retrouver sur le port à 18h30 le 25 juillet à la tête de son Portland Oregon Band.

L’élève de François Théberge, Jon Boutelier, sera l’invité spécial de la pièce finale écrite spécialement pour Jazz à Vannes et dédié à son programmateur. Enfin, l’Frrrançoué sera invité en rappel à battre les premières mesures de sa propre composition (le voici déjà adopté par le public de Vannes) qui fera entendre deux figures majeures du big band : David Enhco et Bastien Ballaz. Réduit au silence, Eric Prost devait ronger son frein… et nous avec.

L’heure de route qui m’attendait pour retrouver ma campagne m’interdit de suivre les “after Limur” chaque soir, aux Valseuses, dévolues au bœuf, mais hier 23 juillet, réservée à l’Around Jaco Trio (hommage à Jaco Pastorius) de Frédéric Monino, avec Franck Tortiller et François Laizeau.


J’aurais aimé* annoncer le programme de ce 24 octobre : à 14h30 à la médiathèque Kercado, Histoire Drum, récit-batterie par François Laizeau ; à une heure, en un lieu et selon un programme non détaillés dans le programme, la première épreuve consacrée au trio du Tremplin national de jazz (le 25 : voix ; le 26 : ensembles instrumentaux) ; au Salon de musique de Limur à 16h, le solo du contrebassiste Sylvain Romano, puis à 17h au même endroit le quatuor de clarinettes Watt ; sur le port, à 18h30, le duo Zooloup de Denis Leloup et Zool Fleischer ; au jardin de Limur enfin un concert en trois partie avec à 20h30 le lauréat du tremplin du jour, à 21h le trio du pianiste Pierre de Bethmann avec Sylvain Romano et Tony Rabeson, à 22h30 Cécile McLorin avec l’Amazing Keystone Big Band. Je n’y serai pas, mais, le 31 juillet, j’irai entendre Cécie McLorin au Cloître des Carmes en avant-première du Tremplin jazz d’Avignon où elle se produira avec le Keystone (en version sextette). Et je retournerai à Jazz à Vannes le 26 pour entendre Glenn Ferris et Wayne Shorter.


Franck Bergerot


* Depuis les orages de samedi, ma campagne bretonne est privée de connexion informatique. Même la Poste ne sait plus délivrer de timbres faute d’ordinateur. Quant à l’Intermarché du coin, qui a vidé les régions de leurs commerces de proximité, il s’est effondré sous le poids de l’eau. Une structure qui n’avait pas un an. On vit une époque formidable.