Jazz live
Publié le 28 Jan 2019

JAZZ at the PHILHARMONIE : BIRD WITH STRINGS REVISITED

JAZZ at the PHILHARMONIE : BIRD WITH STRINGS REVISITED

Une belle idée de Vincent Bessières, du label Jazz & People, pour célébrer le soixante-dixième anniversaire de la venue de Charlie Parker à Paris, et de ses premiers enregistrements avec cordes à New York

CHARLIE PARKER, BIRD WITH STRINGS REVISITED

Bastien Stil (direction d’orchestre), Christophe Dal Sasso (arrangements), Youri Bessières, Claire Bucelle, Akemi Fillon, Johan Renard (violons), Marie Legendre, Jérémy Pasquier (altos), Jean-Philippe Feiss (violoncelle), Anne-Cécile Cuniot (flûte, flûte alto), Hélène Gueret (hautbois, cor anglais), Thomas Savy (clarinette, clarinette basse), Baptiste Gemser (cor), Cécile Hardouin (basson), Pierrick Pédron, Thomas De Pourquery, Jaleel Shaw, Géraldine Laurent, Olivier Bogé (saxophones altos), Thomas Bramerie (contrebasse), Ali Jackson (batterie)

Philharmonie de Paris, Grande salle Pierre Boulez, 27 janvier 2019, 20h30

Plusieurs sources phonographiques : les enregistrements de studio de 1949, 1950 & 1952, et les concerts de 1950. Dans cette matière l’arrangeur Christophe Dal Sasso a saisi onze titres qu’il a orchestrés avec le talent qu’on lui connaît. Quelques mots à propos du chef d’orchestre, Bastien Stil, naguère tubiste dans les orchestres symphoniques, mais aussi compagnon de route des jazzmen (notamment les frères Belmondo, partenaires coutumiers de l’arrangeur). Il a aussi dirigé de grands projets symphoniques avec Wayne Shorter, Dave Liebman, et quelques autres, et c’est désormais un chef reconnu en France et à l’étranger (récemment l’Ensemble Intercontemporain, ce qui lui permet de ne pas être trop intimidé dans la salle Pierre Boulez….). C’est l’archétype du musicien accompli : voici quelques années, lors d’une balance au studio Charles Trenet de Radio France, alors que nous attendions le pianiste pour peaufiner le son de l’instrument, il s’est installé au clavier et nous a joué, avec une parfaite maestria, la Fantaisie-Impromptu en do dièse mineur de Chopin !

Le concert commence par une composition de l’arrangeur, Ouverture pour cinq saxophones et orchestre, qui permet de dresser le décor. Puis Pierrick Pédron nous offre Autumn in New York avec un doux lyrisme qui laisse entendre, à mesure que l’improvisation se développe, l’incendie expressif. Après les applaudissements, exclamation de plaisir du public quand, enfin, les opérateurs-lumière renoncent à aveugler le public côté jardin avec des projecteurs indélicats qui nous empêchent, en nous éblouissant, de voir le soliste et la section de saxophones (j’étais à un balcon, côté jardin justement). Il y aura plusieurs épisodes à ce petit incident avant que les coupables ne renoncent définitivement à leur intrusion aveuglante…. Immédiatement après Pierrick présente ses partenaires saxophonistes, et le chef d’orchestre, ainsi que la section rythmique. Puis Géraldine Laurent et Jaleel Shaw seront conjointement les solistes de If I Should Loose You. Dans l’improvisation, beau développement de Jaleel Shaw surgi d’une paraphrase (subtiles ponctuations des cordes), avant que Géraldine Laurent, partant comme souvent d’un timbre de saxophone en ut avant de monter vers le son d’alto, ne nous entraîne dans les volutes les plus hardies. Stop chorus enflammé et conjoint des deux saxophones, avant retour de l’orchestre dans un mode de douceur hollywoodienne. Le soliste sera maintenant Olivier Bogé pour Everything Happens To Me : lyrisme encore, recueilli mais intense. Voici Thomas de Pourquery pour Summertime : les couleurs de l’orchestration sonnent comme un hommage à Gil Evans. Sur ce bon vieux standard à usage universel, Thomas va monter progressivement vers l’effervescence où il s’épanouit si souvent. Retour de Pierrick Pedron pour Lover : arrangement en dialogue entre bois et vents, puis séquence en trio, sax, basse et batterie, avec solo d’Ali Jackson. La pression monte jusqu’au tutti qui fournira au soliste un dernier écrin pour la réexposition finale, avant ultime (et torride) impro conclusive. Géraldine Laurent revient pour Stella By Starlight : exposé distendu et dramatique (a-t-elle pensé au Lover Man californien de juillet 1946 ?), couleurs evansiennes des instruments à vent quand les cordes sont plus classiques, jusqu’à ce que les différentes sections se rejoignent dans un langage commun. Le saxophone s’évade en solitaire, l’émotion est palpable, jusqu’à l’accord final de l’orchestre. Encore un beau moment de musique. Pour Just Friends, avant l’arrivée d’Olvier Bogé, les cordes déboulent comme un souvenir du Focus d’Eddie Sauter : break de batterie, puis le saxophoniste expose, fluide et chantant, un peu nostalgique aussi. L’orchestre répond au sax, puis s’installe dans son propre exposé, orchestré, relayé ensuite par la basse, en solo. Thomas Bramerie fait merveille, seul puis en dialogue avec l’orchestre, et Olivier Bogé reprend avce une improvisation qui, sous son air détendu, chante et s’envole. Retour de Jaleel Shaw, seul cette fois, pour Easy To Love : intro concertante des cordes finement orchestrées, et exposé qui privilégie le chant, avant que l’impro ne s’échappe, volubile et soutenue par les autres saxophones, en section, puis seulement par basse et batterie. Retour de l’orchestre, et de l’orchestration, jusqu’à un stop chorus qui prépare la coda. Thomas de Pourquery revient pour Laura, le saxophoniste joue comme il chante quand il fait le crooner (ce qui lui arrive de temps à autre, même sur disque). Son chaud lyrisme est ponctué de foucades, et l’orchestration oscille entre l’écrin et l’éperon. Comme dans la version princeps, intervention du hautbois en mode conclusif. Après quoi Thomas Savy, jazzman ce soir assigné au pupitre des bois, va présenter les vents et les cordes, ainsi que l’arrangeur, présent dans la salle, et annoncer à la demande du chef d’orchestre que le prochain thème sera le dernier du programme : il s’agit de What Is This Things Called Love, joué par les sax en section, à la façon du groupe Supersax dans les années 70. On y trouve une bouffée de Hot House (sa transfiguration par Tadd Dameron) et la rituelle citation de la Habanera du Carmen de Bizet. Dialogue avec les cordes, envolée collective et interventions solistes de Géraldine Laurent et Jaleel Shaw, séparément puis ensemble : stimulant et 100% musical. L’orchestre reprend le pouvoir puis dialogue avec le batteur, en soliste, avant la jubilation des saxophones, dans un joyeux désordre qui prélude à la coda. Généreux applaudissements du public, conquis comme je le suis, et après le coutumier rituel des sorties et retours, Stardust en rappel : ma mémoire vacillante de parkérophile plus ou moins assidu ne se rappelle aucune version avec cordes, mais il se peut que mon logiciel neuronal ne soit pas à jour. Et puis, comme ce sont des arrangements originaux, ce n’est de toute façon pas un problème : très bel exposé du couplet, rarement joué, par chacun des solistes, phrase par phrase et en dialogue avec un bel arrangement. Puis improvisations croisées des saxophones. Thomas Savy, depuis le pupitre des bois, va se mêler au dialogue de ses amis jazzmen : bel échange et jolie conclusion pour une soirée qui restera dans nos mémoires, et que l’on peut revivre (ou vivre pour ceux qui n’avaient pas la chance d’assister à ce concert qui affichait complet depuis plusieurs semaines) en suivant le lien ci-dessous vers Culturebox.

Xavier Prévost

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https://culturebox.francetvinfo.fr/musique/jazz-blues/charlie-parker-a-la-philharmonie-de-paris-284562