Jazz en Arles au Méjan, 29ème édition

JAZZ AU MEJAN 29ème édition
Retour sur les bords du Rhône fin mai, dans la chapelle du Méjan pour un seul soir mais deux concerts. Le mistral est de la partie mais dans l’écrin de la chapelle baroque, l’heure est à la répétition d’un programme chant-guitare sur des poèmes mis en musique par Ernest Chausson.
Nostalgie du Ciel
Kevin Norwood : chant
Cyril Achard : guitare
Nostalgie du Ciel est un hommage à la mélodie française et plus particulièrement à la musique d’Ernest Chausson. Voilà un projet original qui traduit le goût des deux musiciens pour ces belles mélodies( Fauré, Duparc, d’Indy, Chausson…) de la fin XIXème souvent mélancoliques, d’un grand raffinement, aux envolées harmoniques d’un courant artistique révolu. Déjà proposé dans des lieux dédiés, l’église St Hippolyte à Venelles, la Cité de la Voix à Vézelay, l’acoustique de la chapelle du Méjan à Arles semble donc l’écrin idéal pour savourer ce duo inédit. Le choix tout indiqué que confirme la balance est de laisser le duo évoluer avec la magie du lieu, du son et du verbe sans réverb. On sent à ce moment une exigence douce mais ferme, un engagement du duo à faire comment ils sentent, avec la pratique dans l’esprit classique d’un seul instrument, guitare acoustique six cordes nylon sans mediator pour Cyril, voix pour Kevin. Une création continue qui suit une structure rigoureuse.

Les deux musiciens aux influences diverses (jazz, classique, musiques anciennes ) ont préféré ne pas se livrer à un récital de musique française, leur choix s’est donc porté sur un seul musicien, Ernest Chausson (1855-1899), l’un des plus énigmatiques et méconnus de tous les « mélodistes », mort prématurément d’un accident de vélo, qui écrivait dans son journal : La vie me semble tellement une chose passagère que je ne la compte presque pas, je rêve d’un idéal de bonheur qu’il m’est impossible de réaliser sur terre et cette disposition maladive est une sorte de nostalgie du ciel…
En tant que musiciens de jazz, pratiquant naturellement l’improvisation, ils trouvent dans ce programme un terrain de jeu idéal.

Le guitariste s’est prêté à un exercice de relecture tout à fait original puisque la musique de Chausson s’écoute habituellement en piano-voix. Le caractère inédit de ce duo repose donc sur un travail savant d’adaptation, de « ré-invention »même, avec des sections improvisées entre deux univers musicaux. Ces prolongements, voire développements permettent au duo d’improviser ensemble à partir de divers poèmes de Théophile Gautier, Leconte de Lisle , Charles Cros, Louise Ackermann… « Hébé », « Les Heures », « le Colibri », « Apaisement », « Chanson d’amour », « La dernière feuille », « le Temps des Lilas » ( il sera joué en dernier). Avec une limpidité toute classique , une élégance mélodique et rigueur rythmique pour des miniatures mélodiques . Voilà pourquoi Jean Paul Ricard qui assume la programmation de Jazz au Méjan avait répondu à l’attraction de ce programme exigeant. D’autant que ce sont des retrouvailles avec le chanteur dont le premier album en quartet Reborn, était sorti sur le label Ajmi series. Adoubé par David Linx qui évoquait «une voix chaudement haut perchée », sa voix étrange, un peu irréelle, par touches allusives laisse derrière elle un sillage de mélancolie que n’aurait pas renié Chausson.
Ayant opté pour un « tout musical » le concert a filé sans parole d’accompagnement, option intéressante pour laisser intact l‘accord musique-paroles. Mais ce duo confidentiel aurait mérité d’être mieux écouté, « entendu », les paroles ne se détachant pas assez nettement par moment, le français étant, comme souvent, moins facile à suivre, plus rebelle à la fluidité. Dans ces poèmes la voix ne prend sa pleine mesure que dans l’improvisation, vigoureuse, articulée au plus juste dans les onomatopées, agile dans les vocalises. Tous deux ont choisi une voie escarpée, abrupte par moment, sans compromission par rapport à leur idée de musique. Ils ne cherchent pas à plaire, à faire de la « jolie mélodie », même si ce qui demeure en mémoire est cette ré-harmonisation subtile, qui s’appuie sur une technique parfaitement maîtrisée. Une recherche d’émotion sans ostentation. Un concert attachant néanmoins, en demi-teinte, moins éclatant que la proposition habituelle escomptée, avouera le guitariste déçu du peu d’écho. La prise de son égalitaire aurait pu mieux faire ressortir la ligne instrumentale tout en valorisant le chanteur. On espère que la sortie du disque soulignera davantage toutes les nuances et émotions déployées.
Nostalgie du Ciel : Hébé, Opus 2 – No. 6
Nostalgie du Ciel – Les Heures, Opus 27 – No. 1
Surprise! : Airelle Besson (tp, compositions), Sebastian Sternal ( p, Rhodes, compositions), Jonas Burgwinkel ( batterie)

Changement total avec le trio sans contrebasse de la trompettiste Airelle Besson dans son nouvel album Surprise ! sorti en novembre dernier, co-production Papillon Jaune – Deutschlandfunk et L’Autre Distribution, à la genèse difficile.

Pour cette compositrice reconnue, enseignante, chef d’orchestre, cet album de pièces originales marque la naissance d’un nouveau trio franco-allemand composé du pianiste Sebastian Sternal et le batteur Jonas Burgwinkel. Une formation explosive, d’une jeunesse éclatante à l’image du batteur, inouï à tous les sens du terme, qui sait aussi ponctuer finement et du pianiste, non moins inventif , réfléchi et spontané sur Rhodes autant que sur son clavier habituel, compositeur de pas mal de titres avec un sens affirmé de la mise en espace. Les trois musiciens se connaissent depuis plus de dix ans depuis leur participation au quartet de Ricardo Del Fra, en hommage à Chet Baker en 2013. Leur complicité musicale fut une évidence, les deux musiciens allemands, étoiles montantes de la scène jazz européenne, galvanisent la trompettiste qui se découvre avec eux tout un univers de possibles, d’ouvertures. Le titre de l’album en est une preuve avec sa marque exclamative correspondant à l’injonction de Sebastian au début d’un concert « Let’s surprise ourselves »! Un mot d’ordre souriant mais ferme, non démenti ce soir, puisque certains titres sont portés à des tempi up up (upissimi). La trompettiste le reconnaît volontiers, comme étonnée de cette ardeur jamais intempestive. Un autre des points forts de cette formation aux dynamiques et couleurs particulières se manifeste paradoxalement par le manque initial d’assise rythmique qui pourrait être fatal à l’équilibre de ce trio sans contrebasse. Le socle de la contrebasse, pilier du groove doit se retrouver d’une autre manière d’où une écoute et ouverture dans les compositions.


Le concert file à toute berzingue et mon impression sans doute biaisée par l’enthousiasme est que l’on n’entend pas beaucoup de ballades dans le programme, à l’exception de cette « Prayer » idéale dans la chapelle… qui souligne la douceur de l’instrumentiste. Le public fidèle du festival, Arlésiens et Avignonnais de l’Ajmi est transporté, vraiment enthousiaste. Reconnaissons une fois encore la force du spectacle vivant, de l’ émotion indviduelle et surtout collective. Le spectacle vivant, c’est vivre ensemble une même sensation.
Précisons encore que tout, de la formation du trio jusqu’à l’enregistrement en octobre 2020 dans le contexte difficile de la pandémie, tient d’un hasard heureux. Un projet impromptu qui a pris le temps de s’affiner, l’un des miracles de la rencontre musicale et de ces affinités (s)électives. Le répertoire est celui du concert original à l’ exception du titre éponyme écrit plus tardivement par Airelle pour le trio, une composition particulièrement vive, percutante en homorythmie. On retrouve volontiers le chant épuré, parfois minimaliste d’Airelle Besson sur un ostinato au piano dans ce J.T ( à l’anglaise) puisqu’il s’agit d’un hommage au grand compositeur anglais John Taylor, mentor de Sebastian Sternal qui fut son élève à Cologne. JT est une composition aux rythmes chaloupés qui évoque le Brésil non sans oublier la saudade, atmosphères qu’aimait le pianiste anglais. « Time to say Goodbye », marche harmonique élégiaque sur un ostinato de 5 notes, qui commence le disque paradoxalement sera joué en fin de concert avec deux autres titres d’un album précédent, enregistré ici au Méjan en duo avec le guitariste brésilien Nelson Veras pour ce Prélude dont je me souvenais particulièrement de la pochette : « Lulea’s Sunset » et « Ma-Ion ».

Le concert s’achève sur « Neige » et le public qui reconnaît le titre vibre d’une émotion inattendue. Me revient aussi en mémoire le Tremplin jazz d’Avignon où la toute jeune Airelle présentait avec le saxophoniste Sylvain Rifflet leur quartet Rocking Chair sur le label aujourd’hui disparu Chief Inspector.

Tous deux ont fait du chemin depuis.
A la fin de cette soirée, Jean Paul Ricard, ému, regarde Baptiste Bondil qui gère l’organisation du festival depuis quelques années maintenant avec une toute petite équipe dévouée. Gageons qu’il pense déjà à sa programmation pour la trentième de Jazz au Méjan.
Sophie Chambon
