Jazz Campus en Clunisois (2), mon temps fort festival: Brotherhood Heritage….
Ma deuxième journée à Cluny, au cœur de la semaine festivalière. A chaque journée, son angle d’approche… et l’on va respirer aujourd’hui à pleins poumons le souffle de la fanfare…
Cluny, Samedi 19 août
Possible(s) Quartet : au pied de mon arbre Rémi Gaudillat (trompette, bugle), Fred Roudet (trompette, bugle), Loïc Bachevillier (trombone), Laurent Vichard (clarinettes).
Découverte pour le concert pique nique gratuit du samedi aux Haras Nationaux, de ce « quatuor à cordes à vent », créé en 2012 par le trompettiste Rémi Gaudillat. Chaque année, c’est un public autre qui vient, en famille, déjeuner sur l’herbe, attentif aux propositions musicales du festival. Une instrumentation originale, sans basse, sans tambour mais avec deux trompettes/bugles. C’est ce qui fait, entre autre, l’intérêt et la difficulté de cette écriture contrapuntique pour soufflants, sans le soutien de la batterie. Chacun peut et doit prendre en charge cette fonction (en particulier la clarinette basse, le trombone) pour soulager les copains d’une tension continue. Car cet exercice de style, sans filet harmonique, demande un effort constant et… bien plus que du souffle, ce dont nos quatre compères ne manquent pas.
Dans la musique de cette formation de la région lyonnaise qui se présente comme une fanfare poétique et cuivrée, se repèrent des influences multiples dont la plus logique est celle de la Marmite infernale de l’Arfi et de son folklore imaginaire (l’un des titres, «La tendresse de la sauterelle » est justement dédiée à l’un de ses membres surnommé « l’homme sauterelle ») ; mais le Lester Bowie ‘s Brass Fantasy qui mixait jazz et musiques populaires, aventure et humour, a marqué Bruno Gaudillat qui a créé un Brass band qui s’en inspire ouvertement, Docteur Lester ; dans le quartet, certains ont participé aux projets du batteur toujours très actif, Bruno Tocanne ou à d’autres formations du réseau imuZZic, collectif de jazz et de musiques actuelles .
Une écriture serrée dans laquelle s’ouvrent des espaces de liberté, puisque le Possible(s) Quartet est justement issu de la Cie Les Improfreesateurs. Si leur premier CD ouvrait joliment le Champ des Possibles, le second, Orchestique sur le label IMR, indique un rapport sensuel à la danse, au rythme, soulignant un sens mélodique réel. Des changements fréquents de rythme, des ruptures finement amenées, empêchent de partir dans une trop lointaine rêverie, pourtant propice avec certains thèmes : « Le miroir d’Igor », suite en deux parties du tromboniste Laurent Bachevillier, l’amusant « Chassez le naturel, il revient en tango », ou le plus nostalgique « Les Poilus ».
Voilà un concert impromptu, un jazz chambré à l’alambic . Un foisonnement de références musicales, mais quels qu’ils soient, les codes musicaux sont assujettis au pouvoir de l’imagination ; les styles, genres et techniques se jouent les uns tout contre les autres.On ne s’en lasse pas et comme l’indique le programme, on en redemande…
Brotherhood Heritage, Théâtre Municipal des Arts, 21h00 : un joyeux happening sonore
François Raulin (piano, arrangements), Didier Levallet (contrebasse, arrangements), Simon Goubert (batterie) Chris Biscoe, Raphael Imbert, François Corneloup (saxophones), Michel Marre, Alain VankenHove (trompettes, bugles), Jean Louis Pommier, Mathias Mahler (trombones)
Ce sera mon final pour l’édition 2016 de Jazz Campus, puisque je n’assisterai pas le lendemain à la restitution du travail des stagiaires à Matour, qui est toujours un grand moment, bucolique et émouvant.
Fraternité de cette troupe, tentet improbable (9 Français et un Anglais, 2 trompettes/bugles, 2 trombones, 3 saxophones, contrebasse, piano, batterie, un incroyable équipage de poètes et de virtuoses, où chacun prend ses marques avec une fantaisie charmante, dans un sérieux délire, vérifié en répétitions. Ce projet, commande de quelques festivals de l’AJC, a été créé à Coutances en mai dernier puis au Mans, soulevant à chaque fois l’enthousiasme du public. Après Cluny, il continuera sa route aux Rendez-vous de l »Erdre, à Nevers, Strasbourg et sans doute Grenoble. Des dates donc pour cet ensemble de choc mis sur pied par Didier Levallet qui joua dans l’un des derniers orchestres européens de Chris McGregor, avec l’altiste Chris Biscoe, invité en conséquence pour cette reformation. Le contrebassiste fit naturellement appel au pianiste François Raulin qui a longtemps dirigé à Cluny des stages fort appréciés pour grandes formations (Monk, Pascoal, Zappa, et …le Brotherhood de McGregor en 2011 ). Raulin, animateur infatigable, compositeur et arrangeur était tout indiqué pour monter le répertoire de Mc Gregor, en y incorporant compositions personnelles (« Hymn to the breath »), d’autant qu’il voyagea en Afrique très jeune et contracta une passion pour ces rythmes et accords si particuliers.
Ce Brotherhood Heritage reprend la musique frénétique, follement festive de ce Big Band multiracial monté par le pianiste Chris McGregor, autour de son noyau historique The Blue Notes, le seul groupe mixte du Cap, composé de Louis Moholo (dms), Dudu Pukwana ( sax) et Mongezi Feza (tp), avant de devoir s’exiler en Europe en 1964 pour cause d’apartheid. La musique des Sud africains rencontra alors à Londres celle de l’avant-garde avec des musiciens comme Evan Parker, faisant les beaux jours de la cave du Ronnie Scott’ s, «musique ahurissante qui hurlait son retour à l’Afrique ». La Confrérie du Souffle jouait loin de tout conservatisme, une musique enjouée, militante, ancrée dans la culture sud africaine, les kwela bands ou orchestre de danse à la scansion très particulière, sensible autant à l’esprit de fanfare cher à Albert Ayler, qu’à celui, humaniste d’un Don Cherry.
Affaire de famille, quand on lit le titre des morceaux joués, d’ « Andromeda », joué en ouverture, dédié à la propre fille de McGregor qui joue du saxophone à «Maxine», la délicieuse ballade très ellingtonienne écrite pour la femme du pianiste, dont le score fut fourni par Didier Levallet, avec les arrangements originaux de Chris Mc Gregor. Didier Levallet, heureux, confia qu’il avait apporté une de ses compositions écrite en 1991, en hommage à Chris McGregor, un an après sa disparition. L’année suivante, le contrebassiste recréait une formation comparable avec déjà 3 membres de l’actuel tentet, Simon Goubert, Michel Marre et Chris Biscoe. On put encore entendre un « Country cooking » très enlevé où résonnent ces plages de liberté et d’improvisation collectives : une euphorique cacophonie, marquée de périodes insistantes, répétées à un rythme de plus en plus vif. La rythmique tient la machine sous pression et le formidable Simon Goubert, installé au centre du dispositif, martèle la caisse claire selon les indications fournies, sans perdre pour autant sa marque de fabrique, une puissante légèreté. François Raulin se lance dans une impro particulièrement percussive, sans doute songeant à McGregor qui disait que « son piano était son tambour favori ». Didier Levallet, aux anges, chantonne en faisant vibrer sa basse. Que dire des chorus que prennent les solistes, sans obéir à la hiérarchie rigide des Big bands classiques ? Il faudrait les citer tous, égaux dans ce système, s’en donnant à cœur joie, surchauffé comme Mathias Mahler agitant éperdument sa sourdine, Raphael Imbert, François Corneloup jamais en reste pour des soli ébouriffés, Michel Marre impérial, notre belge Vankenhove potache, refusant de quitter la scène…
Bravo pour cette performance, création continue et imprévisible où l’esprit de la fête est intact, celui de la danse, d’un retour à l’Afrique : on ne peut que se réjouir de cette initiative qui fait revivre une musique qui a marqué d’ une empreinte profonde une génération, plus jazz que rock, question d’âge et d’exposition sans doute. On a bien besoin aujourd’hui de retrouver ce jazz effervescent, joyeusement réinventé, au pouvoir attendu de libération, toujours porteur de sens.
Merci à ce festival « modeste et tenace » selon les mots de son créateur, et à la belle équipe qui le constitue chaque année.
Sophie Chambon
|Ma deuxième journée à Cluny, au cœur de la semaine festivalière. A chaque journée, son angle d’approche… et l’on va respirer aujourd’hui à pleins poumons le souffle de la fanfare…
Cluny, Samedi 19 août
Possible(s) Quartet : au pied de mon arbre Rémi Gaudillat (trompette, bugle), Fred Roudet (trompette, bugle), Loïc Bachevillier (trombone), Laurent Vichard (clarinettes).
Découverte pour le concert pique nique gratuit du samedi aux Haras Nationaux, de ce « quatuor à cordes à vent », créé en 2012 par le trompettiste Rémi Gaudillat. Chaque année, c’est un public autre qui vient, en famille, déjeuner sur l’herbe, attentif aux propositions musicales du festival. Une instrumentation originale, sans basse, sans tambour mais avec deux trompettes/bugles. C’est ce qui fait, entre autre, l’intérêt et la difficulté de cette écriture contrapuntique pour soufflants, sans le soutien de la batterie. Chacun peut et doit prendre en charge cette fonction (en particulier la clarinette basse, le trombone) pour soulager les copains d’une tension continue. Car cet exercice de style, sans filet harmonique, demande un effort constant et… bien plus que du souffle, ce dont nos quatre compères ne manquent pas.
Dans la musique de cette formation de la région lyonnaise qui se présente comme une fanfare poétique et cuivrée, se repèrent des influences multiples dont la plus logique est celle de la Marmite infernale de l’Arfi et de son folklore imaginaire (l’un des titres, «La tendresse de la sauterelle » est justement dédiée à l’un de ses membres surnommé « l’homme sauterelle ») ; mais le Lester Bowie ‘s Brass Fantasy qui mixait jazz et musiques populaires, aventure et humour, a marqué Bruno Gaudillat qui a créé un Brass band qui s’en inspire ouvertement, Docteur Lester ; dans le quartet, certains ont participé aux projets du batteur toujours très actif, Bruno Tocanne ou à d’autres formations du réseau imuZZic, collectif de jazz et de musiques actuelles .
Une écriture serrée dans laquelle s’ouvrent des espaces de liberté, puisque le Possible(s) Quartet est justement issu de la Cie Les Improfreesateurs. Si leur premier CD ouvrait joliment le Champ des Possibles, le second, Orchestique sur le label IMR, indique un rapport sensuel à la danse, au rythme, soulignant un sens mélodique réel. Des changements fréquents de rythme, des ruptures finement amenées, empêchent de partir dans une trop lointaine rêverie, pourtant propice avec certains thèmes : « Le miroir d’Igor », suite en deux parties du tromboniste Laurent Bachevillier, l’amusant « Chassez le naturel, il revient en tango », ou le plus nostalgique « Les Poilus ».
Voilà un concert impromptu, un jazz chambré à l’alambic . Un foisonnement de références musicales, mais quels qu’ils soient, les codes musicaux sont assujettis au pouvoir de l’imagination ; les styles, genres et techniques se jouent les uns tout contre les autres.On ne s’en lasse pas et comme l’indique le programme, on en redemande…
Brotherhood Heritage, Théâtre Municipal des Arts, 21h00 : un joyeux happening sonore
François Raulin (piano, arrangements), Didier Levallet (contrebasse, arrangements), Simon Goubert (batterie) Chris Biscoe, Raphael Imbert, François Corneloup (saxophones), Michel Marre, Alain VankenHove (trompettes, bugles), Jean Louis Pommier, Mathias Mahler (trombones)
Ce sera mon final pour l’édition 2016 de Jazz Campus, puisque je n’assisterai pas le lendemain à la restitution du travail des stagiaires à Matour, qui est toujours un grand moment, bucolique et émouvant.
Fraternité de cette troupe, tentet improbable (9 Français et un Anglais, 2 trompettes/bugles, 2 trombones, 3 saxophones, contrebasse, piano, batterie, un incroyable équipage de poètes et de virtuoses, où chacun prend ses marques avec une fantaisie charmante, dans un sérieux délire, vérifié en répétitions. Ce projet, commande de quelques festivals de l’AJC, a été créé à Coutances en mai dernier puis au Mans, soulevant à chaque fois l’enthousiasme du public. Après Cluny, il continuera sa route aux Rendez-vous de l »Erdre, à Nevers, Strasbourg et sans doute Grenoble. Des dates donc pour cet ensemble de choc mis sur pied par Didier Levallet qui joua dans l’un des derniers orchestres européens de Chris McGregor, avec l’altiste Chris Biscoe, invité en conséquence pour cette reformation. Le contrebassiste fit naturellement appel au pianiste François Raulin qui a longtemps dirigé à Cluny des stages fort appréciés pour grandes formations (Monk, Pascoal, Zappa, et …le Brotherhood de McGregor en 2011 ). Raulin, animateur infatigable, compositeur et arrangeur était tout indiqué pour monter le répertoire de Mc Gregor, en y incorporant compositions personnelles (« Hymn to the breath »), d’autant qu’il voyagea en Afrique très jeune et contracta une passion pour ces rythmes et accords si particuliers.
Ce Brotherhood Heritage reprend la musique frénétique, follement festive de ce Big Band multiracial monté par le pianiste Chris McGregor, autour de son noyau historique The Blue Notes, le seul groupe mixte du Cap, composé de Louis Moholo (dms), Dudu Pukwana ( sax) et Mongezi Feza (tp), avant de devoir s’exiler en Europe en 1964 pour cause d’apartheid. La musique des Sud africains rencontra alors à Londres celle de l’avant-garde avec des musiciens comme Evan Parker, faisant les beaux jours de la cave du Ronnie Scott’ s, «musique ahurissante qui hurlait son retour à l’Afrique ». La Confrérie du Souffle jouait loin de tout conservatisme, une musique enjouée, militante, ancrée dans la culture sud africaine, les kwela bands ou orchestre de danse à la scansion très particulière, sensible autant à l’esprit de fanfare cher à Albert Ayler, qu’à celui, humaniste d’un Don Cherry.
Affaire de famille, quand on lit le titre des morceaux joués, d’ « Andromeda », joué en ouverture, dédié à la propre fille de McGregor qui joue du saxophone à «Maxine», la délicieuse ballade très ellingtonienne écrite pour la femme du pianiste, dont le score fut fourni par Didier Levallet, avec les arrangements originaux de Chris Mc Gregor. Didier Levallet, heureux, confia qu’il avait apporté une de ses compositions écrite en 1991, en hommage à Chris McGregor, un an après sa disparition. L’année suivante, le contrebassiste recréait une formation comparable avec déjà 3 membres de l’actuel tentet, Simon Goubert, Michel Marre et Chris Biscoe. On put encore entendre un « Country cooking » très enlevé où résonnent ces plages de liberté et d’improvisation collectives : une euphorique cacophonie, marquée de périodes insistantes, répétées à un rythme de plus en plus vif. La rythmique tient la machine sous pression et le formidable Simon Goubert, installé au centre du dispositif, martèle la caisse claire selon les indications fournies, sans perdre pour autant sa marque de fabrique, une puissante légèreté. François Raulin se lance dans une impro particulièrement percussive, sans doute songeant à McGregor qui disait que « son piano était son tambour favori ». Didier Levallet, aux anges, chantonne en faisant vibrer sa basse. Que dire des chorus que prennent les solistes, sans obéir à la hiérarchie rigide des Big bands classiques ? Il faudrait les citer tous, égaux dans ce système, s’en donnant à cœur joie, surchauffé comme Mathias Mahler agitant éperdument sa sourdine, Raphael Imbert, François Corneloup jamais en reste pour des soli ébouriffés, Michel Marre impérial, notre belge Vankenhove potache, refusant de quitter la scène…
Bravo pour cette performance, création continue et imprévisible où l’esprit de la fête est intact, celui de la danse, d’un retour à l’Afrique : on ne peut que se réjouir de cette initiative qui fait revivre une musique qui a marqué d’ une empreinte profonde une génération, plus jazz que rock, question d’âge et d’exposition sans doute. On a bien besoin aujourd’hui de retrouver ce jazz effervescent, joyeusement réinventé, au pouvoir attendu de libération, toujours porteur de sens.
Merci à ce festival « modeste et tenace » selon les mots de son créateur, et à la belle équipe qui le constitue chaque année.
Sophie Chambon
|Ma deuxième journée à Cluny, au cœur de la semaine festivalière. A chaque journée, son angle d’approche… et l’on va respirer aujourd’hui à pleins poumons le souffle de la fanfare…
Cluny, Samedi 19 août
Possible(s) Quartet : au pied de mon arbre Rémi Gaudillat (trompette, bugle), Fred Roudet (trompette, bugle), Loïc Bachevillier (trombone), Laurent Vichard (clarinettes).
Découverte pour le concert pique nique gratuit du samedi aux Haras Nationaux, de ce « quatuor à cordes à vent », créé en 2012 par le trompettiste Rémi Gaudillat. Chaque année, c’est un public autre qui vient, en famille, déjeuner sur l’herbe, attentif aux propositions musicales du festival. Une instrumentation originale, sans basse, sans tambour mais avec deux trompettes/bugles. C’est ce qui fait, entre autre, l’intérêt et la difficulté de cette écriture contrapuntique pour soufflants, sans le soutien de la batterie. Chacun peut et doit prendre en charge cette fonction (en particulier la clarinette basse, le trombone) pour soulager les copains d’une tension continue. Car cet exercice de style, sans filet harmonique, demande un effort constant et… bien plus que du souffle, ce dont nos quatre compères ne manquent pas.
Dans la musique de cette formation de la région lyonnaise qui se présente comme une fanfare poétique et cuivrée, se repèrent des influences multiples dont la plus logique est celle de la Marmite infernale de l’Arfi et de son folklore imaginaire (l’un des titres, «La tendresse de la sauterelle » est justement dédiée à l’un de ses membres surnommé « l’homme sauterelle ») ; mais le Lester Bowie ‘s Brass Fantasy qui mixait jazz et musiques populaires, aventure et humour, a marqué Bruno Gaudillat qui a créé un Brass band qui s’en inspire ouvertement, Docteur Lester ; dans le quartet, certains ont participé aux projets du batteur toujours très actif, Bruno Tocanne ou à d’autres formations du réseau imuZZic, collectif de jazz et de musiques actuelles .
Une écriture serrée dans laquelle s’ouvrent des espaces de liberté, puisque le Possible(s) Quartet est justement issu de la Cie Les Improfreesateurs. Si leur premier CD ouvrait joliment le Champ des Possibles, le second, Orchestique sur le label IMR, indique un rapport sensuel à la danse, au rythme, soulignant un sens mélodique réel. Des changements fréquents de rythme, des ruptures finement amenées, empêchent de partir dans une trop lointaine rêverie, pourtant propice avec certains thèmes : « Le miroir d’Igor », suite en deux parties du tromboniste Laurent Bachevillier, l’amusant « Chassez le naturel, il revient en tango », ou le plus nostalgique « Les Poilus ».
Voilà un concert impromptu, un jazz chambré à l’alambic . Un foisonnement de références musicales, mais quels qu’ils soient, les codes musicaux sont assujettis au pouvoir de l’imagination ; les styles, genres et techniques se jouent les uns tout contre les autres.On ne s’en lasse pas et comme l’indique le programme, on en redemande…
Brotherhood Heritage, Théâtre Municipal des Arts, 21h00 : un joyeux happening sonore
François Raulin (piano, arrangements), Didier Levallet (contrebasse, arrangements), Simon Goubert (batterie) Chris Biscoe, Raphael Imbert, François Corneloup (saxophones), Michel Marre, Alain VankenHove (trompettes, bugles), Jean Louis Pommier, Mathias Mahler (trombones)
Ce sera mon final pour l’édition 2016 de Jazz Campus, puisque je n’assisterai pas le lendemain à la restitution du travail des stagiaires à Matour, qui est toujours un grand moment, bucolique et émouvant.
Fraternité de cette troupe, tentet improbable (9 Français et un Anglais, 2 trompettes/bugles, 2 trombones, 3 saxophones, contrebasse, piano, batterie, un incroyable équipage de poètes et de virtuoses, où chacun prend ses marques avec une fantaisie charmante, dans un sérieux délire, vérifié en répétitions. Ce projet, commande de quelques festivals de l’AJC, a été créé à Coutances en mai dernier puis au Mans, soulevant à chaque fois l’enthousiasme du public. Après Cluny, il continuera sa route aux Rendez-vous de l »Erdre, à Nevers, Strasbourg et sans doute Grenoble. Des dates donc pour cet ensemble de choc mis sur pied par Didier Levallet qui joua dans l’un des derniers orchestres européens de Chris McGregor, avec l’altiste Chris Biscoe, invité en conséquence pour cette reformation. Le contrebassiste fit naturellement appel au pianiste François Raulin qui a longtemps dirigé à Cluny des stages fort appréciés pour grandes formations (Monk, Pascoal, Zappa, et …le Brotherhood de McGregor en 2011 ). Raulin, animateur infatigable, compositeur et arrangeur était tout indiqué pour monter le répertoire de Mc Gregor, en y incorporant compositions personnelles (« Hymn to the breath »), d’autant qu’il voyagea en Afrique très jeune et contracta une passion pour ces rythmes et accords si particuliers.
Ce Brotherhood Heritage reprend la musique frénétique, follement festive de ce Big Band multiracial monté par le pianiste Chris McGregor, autour de son noyau historique The Blue Notes, le seul groupe mixte du Cap, composé de Louis Moholo (dms), Dudu Pukwana ( sax) et Mongezi Feza (tp), avant de devoir s’exiler en Europe en 1964 pour cause d’apartheid. La musique des Sud africains rencontra alors à Londres celle de l’avant-garde avec des musiciens comme Evan Parker, faisant les beaux jours de la cave du Ronnie Scott’ s, «musique ahurissante qui hurlait son retour à l’Afrique ». La Confrérie du Souffle jouait loin de tout conservatisme, une musique enjouée, militante, ancrée dans la culture sud africaine, les kwela bands ou orchestre de danse à la scansion très particulière, sensible autant à l’esprit de fanfare cher à Albert Ayler, qu’à celui, humaniste d’un Don Cherry.
Affaire de famille, quand on lit le titre des morceaux joués, d’ « Andromeda », joué en ouverture, dédié à la propre fille de McGregor qui joue du saxophone à «Maxine», la délicieuse ballade très ellingtonienne écrite pour la femme du pianiste, dont le score fut fourni par Didier Levallet, avec les arrangements originaux de Chris Mc Gregor. Didier Levallet, heureux, confia qu’il avait apporté une de ses compositions écrite en 1991, en hommage à Chris McGregor, un an après sa disparition. L’année suivante, le contrebassiste recréait une formation comparable avec déjà 3 membres de l’actuel tentet, Simon Goubert, Michel Marre et Chris Biscoe. On put encore entendre un « Country cooking » très enlevé où résonnent ces plages de liberté et d’improvisation collectives : une euphorique cacophonie, marquée de périodes insistantes, répétées à un rythme de plus en plus vif. La rythmique tient la machine sous pression et le formidable Simon Goubert, installé au centre du dispositif, martèle la caisse claire selon les indications fournies, sans perdre pour autant sa marque de fabrique, une puissante légèreté. François Raulin se lance dans une impro particulièrement percussive, sans doute songeant à McGregor qui disait que « son piano était son tambour favori ». Didier Levallet, aux anges, chantonne en faisant vibrer sa basse. Que dire des chorus que prennent les solistes, sans obéir à la hiérarchie rigide des Big bands classiques ? Il faudrait les citer tous, égaux dans ce système, s’en donnant à cœur joie, surchauffé comme Mathias Mahler agitant éperdument sa sourdine, Raphael Imbert, François Corneloup jamais en reste pour des soli ébouriffés, Michel Marre impérial, notre belge Vankenhove potache, refusant de quitter la scène…
Bravo pour cette performance, création continue et imprévisible où l’esprit de la fête est intact, celui de la danse, d’un retour à l’Afrique : on ne peut que se réjouir de cette initiative qui fait revivre une musique qui a marqué d’ une empreinte profonde une génération, plus jazz que rock, question d’âge et d’exposition sans doute. On a bien besoin aujourd’hui de retrouver ce jazz effervescent, joyeusement réinventé, au pouvoir attendu de libération, toujours porteur de sens.
Merci à ce festival « modeste et tenace » selon les mots de son créateur, et à la belle équipe qui le constitue chaque année.
Sophie Chambon
|Ma deuxième journée à Cluny, au cœur de la semaine festivalière. A chaque journée, son angle d’approche… et l’on va respirer aujourd’hui à pleins poumons le souffle de la fanfare…
Cluny, Samedi 19 août
Possible(s) Quartet : au pied de mon arbre Rémi Gaudillat (trompette, bugle), Fred Roudet (trompette, bugle), Loïc Bachevillier (trombone), Laurent Vichard (clarinettes).
Découverte pour le concert pique nique gratuit du samedi aux Haras Nationaux, de ce « quatuor à cordes à vent », créé en 2012 par le trompettiste Rémi Gaudillat. Chaque année, c’est un public autre qui vient, en famille, déjeuner sur l’herbe, attentif aux propositions musicales du festival. Une instrumentation originale, sans basse, sans tambour mais avec deux trompettes/bugles. C’est ce qui fait, entre autre, l’intérêt et la difficulté de cette écriture contrapuntique pour soufflants, sans le soutien de la batterie. Chacun peut et doit prendre en charge cette fonction (en particulier la clarinette basse, le trombone) pour soulager les copains d’une tension continue. Car cet exercice de style, sans filet harmonique, demande un effort constant et… bien plus que du souffle, ce dont nos quatre compères ne manquent pas.
Dans la musique de cette formation de la région lyonnaise qui se présente comme une fanfare poétique et cuivrée, se repèrent des influences multiples dont la plus logique est celle de la Marmite infernale de l’Arfi et de son folklore imaginaire (l’un des titres, «La tendresse de la sauterelle » est justement dédiée à l’un de ses membres surnommé « l’homme sauterelle ») ; mais le Lester Bowie ‘s Brass Fantasy qui mixait jazz et musiques populaires, aventure et humour, a marqué Bruno Gaudillat qui a créé un Brass band qui s’en inspire ouvertement, Docteur Lester ; dans le quartet, certains ont participé aux projets du batteur toujours très actif, Bruno Tocanne ou à d’autres formations du réseau imuZZic, collectif de jazz et de musiques actuelles .
Une écriture serrée dans laquelle s’ouvrent des espaces de liberté, puisque le Possible(s) Quartet est justement issu de la Cie Les Improfreesateurs. Si leur premier CD ouvrait joliment le Champ des Possibles, le second, Orchestique sur le label IMR, indique un rapport sensuel à la danse, au rythme, soulignant un sens mélodique réel. Des changements fréquents de rythme, des ruptures finement amenées, empêchent de partir dans une trop lointaine rêverie, pourtant propice avec certains thèmes : « Le miroir d’Igor », suite en deux parties du tromboniste Laurent Bachevillier, l’amusant « Chassez le naturel, il revient en tango », ou le plus nostalgique « Les Poilus ».
Voilà un concert impromptu, un jazz chambré à l’alambic . Un foisonnement de références musicales, mais quels qu’ils soient, les codes musicaux sont assujettis au pouvoir de l’imagination ; les styles, genres et techniques se jouent les uns tout contre les autres.On ne s’en lasse pas et comme l’indique le programme, on en redemande…
Brotherhood Heritage, Théâtre Municipal des Arts, 21h00 : un joyeux happening sonore
François Raulin (piano, arrangements), Didier Levallet (contrebasse, arrangements), Simon Goubert (batterie) Chris Biscoe, Raphael Imbert, François Corneloup (saxophones), Michel Marre, Alain VankenHove (trompettes, bugles), Jean Louis Pommier, Mathias Mahler (trombones)
Ce sera mon final pour l’édition 2016 de Jazz Campus, puisque je n’assisterai pas le lendemain à la restitution du travail des stagiaires à Matour, qui est toujours un grand moment, bucolique et émouvant.
Fraternité de cette troupe, tentet improbable (9 Français et un Anglais, 2 trompettes/bugles, 2 trombones, 3 saxophones, contrebasse, piano, batterie, un incroyable équipage de poètes et de virtuoses, où chacun prend ses marques avec une fantaisie charmante, dans un sérieux délire, vérifié en répétitions. Ce projet, commande de quelques festivals de l’AJC, a été créé à Coutances en mai dernier puis au Mans, soulevant à chaque fois l’enthousiasme du public. Après Cluny, il continuera sa route aux Rendez-vous de l »Erdre, à Nevers, Strasbourg et sans doute Grenoble. Des dates donc pour cet ensemble de choc mis sur pied par Didier Levallet qui joua dans l’un des derniers orchestres européens de Chris McGregor, avec l’altiste Chris Biscoe, invité en conséquence pour cette reformation. Le contrebassiste fit naturellement appel au pianiste François Raulin qui a longtemps dirigé à Cluny des stages fort appréciés pour grandes formations (Monk, Pascoal, Zappa, et …le Brotherhood de McGregor en 2011 ). Raulin, animateur infatigable, compositeur et arrangeur était tout indiqué pour monter le répertoire de Mc Gregor, en y incorporant compositions personnelles (« Hymn to the breath »), d’autant qu’il voyagea en Afrique très jeune et contracta une passion pour ces rythmes et accords si particuliers.
Ce Brotherhood Heritage reprend la musique frénétique, follement festive de ce Big Band multiracial monté par le pianiste Chris McGregor, autour de son noyau historique The Blue Notes, le seul groupe mixte du Cap, composé de Louis Moholo (dms), Dudu Pukwana ( sax) et Mongezi Feza (tp), avant de devoir s’exiler en Europe en 1964 pour cause d’apartheid. La musique des Sud africains rencontra alors à Londres celle de l’avant-garde avec des musiciens comme Evan Parker, faisant les beaux jours de la cave du Ronnie Scott’ s, «musique ahurissante qui hurlait son retour à l’Afrique ». La Confrérie du Souffle jouait loin de tout conservatisme, une musique enjouée, militante, ancrée dans la culture sud africaine, les kwela bands ou orchestre de danse à la scansion très particulière, sensible autant à l’esprit de fanfare cher à Albert Ayler, qu’à celui, humaniste d’un Don Cherry.
Affaire de famille, quand on lit le titre des morceaux joués, d’ « Andromeda », joué en ouverture, dédié à la propre fille de McGregor qui joue du saxophone à «Maxine», la délicieuse ballade très ellingtonienne écrite pour la femme du pianiste, dont le score fut fourni par Didier Levallet, avec les arrangements originaux de Chris Mc Gregor. Didier Levallet, heureux, confia qu’il avait apporté une de ses compositions écrite en 1991, en hommage à Chris McGregor, un an après sa disparition. L’année suivante, le contrebassiste recréait une formation comparable avec déjà 3 membres de l’actuel tentet, Simon Goubert, Michel Marre et Chris Biscoe. On put encore entendre un « Country cooking » très enlevé où résonnent ces plages de liberté et d’improvisation collectives : une euphorique cacophonie, marquée de périodes insistantes, répétées à un rythme de plus en plus vif. La rythmique tient la machine sous pression et le formidable Simon Goubert, installé au centre du dispositif, martèle la caisse claire selon les indications fournies, sans perdre pour autant sa marque de fabrique, une puissante légèreté. François Raulin se lance dans une impro particulièrement percussive, sans doute songeant à McGregor qui disait que « son piano était son tambour favori ». Didier Levallet, aux anges, chantonne en faisant vibrer sa basse. Que dire des chorus que prennent les solistes, sans obéir à la hiérarchie rigide des Big bands classiques ? Il faudrait les citer tous, égaux dans ce système, s’en donnant à cœur joie, surchauffé comme Mathias Mahler agitant éperdument sa sourdine, Raphael Imbert, François Corneloup jamais en reste pour des soli ébouriffés, Michel Marre impérial, notre belge Vankenhove potache, refusant de quitter la scène…
Bravo pour cette performance, création continue et imprévisible où l’esprit de la fête est intact, celui de la danse, d’un retour à l’Afrique : on ne peut que se réjouir de cette initiative qui fait revivre une musique qui a marqué d’ une empreinte profonde une génération, plus jazz que rock, question d’âge et d’exposition sans doute. On a bien besoin aujourd’hui de retrouver ce jazz effervescent, joyeusement réinventé, au pouvoir attendu de libération, toujours porteur de sens.
Merci à ce festival « modeste et tenace » selon les mots de son créateur, et à la belle équipe qui le constitue chaque année.
Sophie Chambon