Jazz Campus en Clunisois (1), mon temps fort festival ( 18 et 19 août)
Jazz Campus, jeudi 18 août (Berzé le Chatel- Cluny)
Ah, retourner à Cluny pour les derniers feux de l’été, chaque année (même si je ne peux y rester que deux jours sur la semaine ), plonger au cœur de l’aventure durable, en dépit des obstacles, de ce festival formidable, à taille humaine, Jazz Campus http://www.jazzcampus.fr/festival/edition-2016/programmation-2016
est l’un des plaisirs rares de ce qui n’est décidément pas, ma saison préférée. Le festival, dans sa quarantième année, a été fondé sous le nom de Jazz à Cluny ( avec déjà cette spécificité de stages intensifs animés par des musiciens de talent) par le contrebassiste Didier Levallet, profondément attaché à cette terre, qui n’est pourtant pas celle de ses origines. Il nous fait découvrir le Clunisois, territoire bourguignon de la Saône et Loire, dans des lieux originaux : cette exploration d’une micro géographie enchante et dépayse avec des cieux contrastés- on n’est pourtant pas en climat océanique, un vignoble délicat et tonique, du patrimoine historique qui compte ( Cluny est célèbre dans la chrétienté pour son abbaye romane millénaire) et un accueil généreux, simple et bon vivant. Quant à la musique, on vient en faire provision, se régaler de ce jazz vif, actuel qui n’oublie pas pour autant ses repères.
Andreas Schaerer/ Lucas Niggli : retour aux origines
Au Château de Berzé, sur les terres de la comtesse de Milly, reconvertie en vigneronne, qui fait aussi visiter ce château médiéval, construit pour protéger l’abbaye de Cluny, se tiennent depuis trois ans des concerts assez insolites dans le cadre de l’ancien pressoir, le « tinailler », en fin d’après midi. Dans cette lumière de la fin août, changeante et dorée, le public toujours nombreux, vient découvrir l’étonnant duo suisse constitué du vocaliste-chanteur Andreas Schaerer et du batteur Lucas Niggli : alliance de la voix poussée dans ses ultimes retranchements, une voix qui se met dans tous ses états et une histoire de peaux, de son des tambours, du métal des cymbales, quelque chose de primitif et d’organique, de sensuel et travaillé où l’inspiration semble jaillir devant vous.
Si l’adrénaline reste un meilleur excitant que le café, cette folie apparente révèle une virtuosité acquise seulement au prix d’un travail acharné. J’ai découvert Andreas Schaerer et ses possibilités vocales sur CD et DVD en tournée avec l’une de ses formations, Hildegarde lernt fliegen, avant de les entendre aux Têtes de Jazz à Avignon il y a deux ans : un spectacle-cabaret indescriptible, un show décalé.
S’il y avait de la diva et du crooner dans sa performance pour Hildegarde, en duo c’est le « human beat box » qui prime, car Schaerer est capable de produire n’importe quel son avec sa bouche, en vrai bruiteur : ça commence par des effets de gorge qui passent de la fontaine à la cascade, tout en pianotant sur son micro comme s’il s‘agissait de phraser sur une trompette ou un saxophone. Il a aussi ces curieux petits gestes de doigts qu’ont les chanteurs. Même si le duo a sorti Arcanum chez Intakt/Orkhestra, ce qu’il nous offre ici semble tiré de l’improvisation…un parcours non balisé où Andreas Schaerer utilise sa voix comme vecteur d’expérimentation. En polyglotte émérite, à tous les sens du terme, il joue sur les sonorités et différences linguistiques de prononciation, les « r » roulés ou non, l’air devenant « aria » ou air des montagnes …suisses, sans yodler pour autant , les « ch » chuintés ou gutturaux. Il est capable d’endosser tous les rôles, du rythmique au mélodique même s’il a trouvé un batteur percussionniste et coloriste à sa mesure en Lucas Niggli, dont il serait injuste d’omettre la formidable vivacité, Zébulon espiègle, parfait associé. Improvisation sur un mot, une idée, une sensation ( la chaleur)…alors un objet comme cette bouteille de « Cristalline » dont le plastique plus « cheap » que celui d’Evian, permet de bons gros sons de compression…Spontanéité, jubilation, autodérision, une mise en oreille apéritive avant le retour à Cluny au Théâtre pour le concert du soir, le trio +3 de Marc Ducret.
METATONAL : de la genèse à la révélation
(photo de Maurice Salaün)
Recomposer, retravailler des extraits ou des motifs déjà joués, ressasser, remâcher ses propres fragments, les réécrire en fonction des autres membres du groupe. Voilà l’essence même de cette musique qui se joue dans l’instant, qui advient là devant nous. Ducret, sans en avoir l’air, évoque le mode d’emploi de sa composition à la table, avec morceaux assemblés, petits bouts cousus, paperolles qu’il a parfois composées pour lui et qu’il décide de donner aux autres. A moins que ce ne soit l’inverse, avec ce solo écrit pour la violoncelliste Noémie Boutin, qu’il a aussi décidé de reprendre à son compte. Pas de note de concert cette fois mais des commentaires bienvenus pour entrer dans cette musique mouvante, composée de ces éléments stables qu’il faudra un temps pour reconnaître ; et une longue pratique, car à la manière de Perec qui disait lire et relire toujours les mêmes livres, il faut une attention vigilante pour dévider l’écheveau de temps et de mémoire, d’enrichissements successifs, une intertextualité en quelque sorte. Si les sources d’inspiration montrent un éclectisme rare, le penchant littéraire semble prédominer. Cette fois ce n’est pas Ada ou l’ardeur du désir, mais Italo Calvino (Si par une nuit d’hiver un voyageur) qui peut éclairer sa construction, « roman gigogne », aux contraintes créatives oulipiennes. Une histoire métaromanesque (tiens, tiens) qui se construit tout en se déconstruisant au fur et à mesure. Qui devient narration à trous qui suit pourtant une « conceptual continuity ».
« Il ya toujours un paysage, un endroit où aller, une couleur qui se dégage… » expliquait -il.
Si les échanges sont permanents dans le groupe, c’est lui qui relance, redistribue le jeu, s’emparant de la formidable énergie que les partenaires, sa merveilleuse rythmique, renvoient. Il renoue dans ce projet avec un « vrai » jeu de guitare, nous donnant (enfin) l’occasion de l’entendre dérouler de plus longues phrases. Marc Ducret qui a tout longuement écouté, dit bien ne pas suivre le phrasé des guitaristes, même comme ceux qu’il admire comme Scofield dans sa lecture de standards « Georgia » ou « Do you know what it means…. » ( c’est moi qui rajoute ce dernier titre pourtant sacré par Louis et Billie), mais tenter un phrasé sec et percussif en analogie avec la frappe du batteur vers lequel il semble se tourner instinctivement.
(Maurice Salaün)
Une écriture abstraite, difficile à saisir, à l’organisation rigoureuse avec intrigue et suspens –on sent néanmoins l’agencement des pièces, certainement pas « faciles » qui s’emboîtent , un enchâssement circulaire , conséquence vertigineuse de ce travail auto réflexif. Des titres relativement simples, explicites comme « Inflammable » ou « Dialectes » ( vieux cheval de bataille de L’Ombra di Verdi,1999, de son puissant trio, la base, le laboratoire à partir duquel les idées voyagent. Ses fidèles lieutenants Bruno Chevillon ( quel solo chantant et doux ) et Eric Echampard l’entourent depuis 20 ans. Une aventure qui évolue avec son public
Quelle inspiration ? Après le projet ambitieux, le feuilleton des « Tower » et « Bridge », pour faire court, empilement et succession, un programme plus sobre, une architecture horizontale, je tenterai à la Frank Lloyd Wright, style « la maison de la cascade » …. qui s’étoffe d’une dimension orchestrale. Une amplitude due à la polyphonie des vents et une puissance symphonique que l’arrivée des soufflants autorise désormais, car le trio se dédouble et passe en sextet, pour notre plus grand bonheur.
Le saxophoniste Christophe Monniot, Pierrot lunaire, attend, se balance au bord du vide avant de s’y jeter avec son alto, dans un solo terrible à la fin de « Kumiho » (le renard à neuf queues… on y reviendra), le trompettiste Fabrice Martinez , le dernier arrivé dans le groupe, sur la corde raide, s’enhardit, tripote sa sourdine, en tirant des effets hasardeux qui passent fort bien, avec des cris d’animal écorché, des étranglements et gargouillis que ne renierait pas Andreas Schaerer. Le petit Suisse, Samuel Blaser, coulissant fortement mais toujours de façon impassible , applique le même sens diablement maîtrisé de la construction et du motif, avec une énergie tranquille, que ce soit du Machaut ou du Ducret.
Et puis, en fin de partie, voilà que le guitariste ajoute une note sentimentale et « populaire » : au cœur de ses recherches, de son écriture, ne se cache-t-il pas une attraction première pour les musiques de sa jeunesse, pop, folk, blues enfin, avant le jazz : de Woody Guthrie à James Taylor, de Jethro Tull à Genesis …car enfin, le clin d’œil à la pochette de ce Metatonal renvoie autant au Foxtrot de Peter Gabriel et consorts qu’à la Femme renarde de Janacek . Après avoir ménagé sa progression( il est malin), ce que l’on pressentait nous est dévoilé avec une suite tripartite inspirée de chansons du barde Zimmerman, « Times They Are A Changin » et « Wigwam » ( sur lequel il sort subrepticement un petit harmonica diatonique), avec une incise « 64 » qui lui est propre : acme de ce concert, révélation, dans une orchestration bancale, décalée, qui irrésistiblement renvoie à Dylan, à sa voix improbable que les parents du guitariste appréciaient fort peu, entre nasillement et « voix de crapaud ».
Le public du théâtre sort heureux et conquis, quant à moi, je remercie ( intérieurement ) Didier Levallet d’avoir programmé le groupe. Et on peut imaginer Marc Ducret satisfait, si ce n’est heureux.
Sophie Chambon|Jazz Campus, jeudi 18 août (Berzé le Chatel- Cluny)
Ah, retourner à Cluny pour les derniers feux de l’été, chaque année (même si je ne peux y rester que deux jours sur la semaine ), plonger au cœur de l’aventure durable, en dépit des obstacles, de ce festival formidable, à taille humaine, Jazz Campus http://www.jazzcampus.fr/festival/edition-2016/programmation-2016
est l’un des plaisirs rares de ce qui n’est décidément pas, ma saison préférée. Le festival, dans sa quarantième année, a été fondé sous le nom de Jazz à Cluny ( avec déjà cette spécificité de stages intensifs animés par des musiciens de talent) par le contrebassiste Didier Levallet, profondément attaché à cette terre, qui n’est pourtant pas celle de ses origines. Il nous fait découvrir le Clunisois, territoire bourguignon de la Saône et Loire, dans des lieux originaux : cette exploration d’une micro géographie enchante et dépayse avec des cieux contrastés- on n’est pourtant pas en climat océanique, un vignoble délicat et tonique, du patrimoine historique qui compte ( Cluny est célèbre dans la chrétienté pour son abbaye romane millénaire) et un accueil généreux, simple et bon vivant. Quant à la musique, on vient en faire provision, se régaler de ce jazz vif, actuel qui n’oublie pas pour autant ses repères.
Andreas Schaerer/ Lucas Niggli : retour aux origines
Au Château de Berzé, sur les terres de la comtesse de Milly, reconvertie en vigneronne, qui fait aussi visiter ce château médiéval, construit pour protéger l’abbaye de Cluny, se tiennent depuis trois ans des concerts assez insolites dans le cadre de l’ancien pressoir, le « tinailler », en fin d’après midi. Dans cette lumière de la fin août, changeante et dorée, le public toujours nombreux, vient découvrir l’étonnant duo suisse constitué du vocaliste-chanteur Andreas Schaerer et du batteur Lucas Niggli : alliance de la voix poussée dans ses ultimes retranchements, une voix qui se met dans tous ses états et une histoire de peaux, de son des tambours, du métal des cymbales, quelque chose de primitif et d’organique, de sensuel et travaillé où l’inspiration semble jaillir devant vous.
Si l’adrénaline reste un meilleur excitant que le café, cette folie apparente révèle une virtuosité acquise seulement au prix d’un travail acharné. J’ai découvert Andreas Schaerer et ses possibilités vocales sur CD et DVD en tournée avec l’une de ses formations, Hildegarde lernt fliegen, avant de les entendre aux Têtes de Jazz à Avignon il y a deux ans : un spectacle-cabaret indescriptible, un show décalé.
S’il y avait de la diva et du crooner dans sa performance pour Hildegarde, en duo c’est le « human beat box » qui prime, car Schaerer est capable de produire n’importe quel son avec sa bouche, en vrai bruiteur : ça commence par des effets de gorge qui passent de la fontaine à la cascade, tout en pianotant sur son micro comme s’il s‘agissait de phraser sur une trompette ou un saxophone. Il a aussi ces curieux petits gestes de doigts qu’ont les chanteurs. Même si le duo a sorti Arcanum chez Intakt/Orkhestra, ce qu’il nous offre ici semble tiré de l’improvisation…un parcours non balisé où Andreas Schaerer utilise sa voix comme vecteur d’expérimentation. En polyglotte émérite, à tous les sens du terme, il joue sur les sonorités et différences linguistiques de prononciation, les « r » roulés ou non, l’air devenant « aria » ou air des montagnes …suisses, sans yodler pour autant , les « ch » chuintés ou gutturaux. Il est capable d’endosser tous les rôles, du rythmique au mélodique même s’il a trouvé un batteur percussionniste et coloriste à sa mesure en Lucas Niggli, dont il serait injuste d’omettre la formidable vivacité, Zébulon espiègle, parfait associé. Improvisation sur un mot, une idée, une sensation ( la chaleur)…alors un objet comme cette bouteille de « Cristalline » dont le plastique plus « cheap » que celui d’Evian, permet de bons gros sons de compression…Spontanéité, jubilation, autodérision, une mise en oreille apéritive avant le retour à Cluny au Théâtre pour le concert du soir, le trio +3 de Marc Ducret.
METATONAL : de la genèse à la révélation
(photo de Maurice Salaün)
Recomposer, retravailler des extraits ou des motifs déjà joués, ressasser, remâcher ses propres fragments, les réécrire en fonction des autres membres du groupe. Voilà l’essence même de cette musique qui se joue dans l’instant, qui advient là devant nous. Ducret, sans en avoir l’air, évoque le mode d’emploi de sa composition à la table, avec morceaux assemblés, petits bouts cousus, paperolles qu’il a parfois composées pour lui et qu’il décide de donner aux autres. A moins que ce ne soit l’inverse, avec ce solo écrit pour la violoncelliste Noémie Boutin, qu’il a aussi décidé de reprendre à son compte. Pas de note de concert cette fois mais des commentaires bienvenus pour entrer dans cette musique mouvante, composée de ces éléments stables qu’il faudra un temps pour reconnaître ; et une longue pratique, car à la manière de Perec qui disait lire et relire toujours les mêmes livres, il faut une attention vigilante pour dévider l’écheveau de temps et de mémoire, d’enrichissements successifs, une intertextualité en quelque sorte. Si les sources d’inspiration montrent un éclectisme rare, le penchant littéraire semble prédominer. Cette fois ce n’est pas Ada ou l’ardeur du désir, mais Italo Calvino (Si par une nuit d’hiver un voyageur) qui peut éclairer sa construction, « roman gigogne », aux contraintes créatives oulipiennes. Une histoire métaromanesque (tiens, tiens) qui se construit tout en se déconstruisant au fur et à mesure. Qui devient narration à trous qui suit pourtant une « conceptual continuity ».
« Il ya toujours un paysage, un endroit où aller, une couleur qui se dégage… » expliquait -il.
Si les échanges sont permanents dans le groupe, c’est lui qui relance, redistribue le jeu, s’emparant de la formidable énergie que les partenaires, sa merveilleuse rythmique, renvoient. Il renoue dans ce projet avec un « vrai » jeu de guitare, nous donnant (enfin) l’occasion de l’entendre dérouler de plus longues phrases. Marc Ducret qui a tout longuement écouté, dit bien ne pas suivre le phrasé des guitaristes, même comme ceux qu’il admire comme Scofield dans sa lecture de standards « Georgia » ou « Do you know what it means…. » ( c’est moi qui rajoute ce dernier titre pourtant sacré par Louis et Billie), mais tenter un phrasé sec et percussif en analogie avec la frappe du batteur vers lequel il semble se tourner instinctivement.
(Maurice Salaün)
Une écriture abstraite, difficile à saisir, à l’organisation rigoureuse avec intrigue et suspens –on sent néanmoins l’agencement des pièces, certainement pas « faciles » qui s’emboîtent , un enchâssement circulaire , conséquence vertigineuse de ce travail auto réflexif. Des titres relativement simples, explicites comme « Inflammable » ou « Dialectes » ( vieux cheval de bataille de L’Ombra di Verdi,1999, de son puissant trio, la base, le laboratoire à partir duquel les idées voyagent. Ses fidèles lieutenants Bruno Chevillon ( quel solo chantant et doux ) et Eric Echampard l’entourent depuis 20 ans. Une aventure qui évolue avec son public
Quelle inspiration ? Après le projet ambitieux, le feuilleton des « Tower » et « Bridge », pour faire court, empilement et succession, un programme plus sobre, une architecture horizontale, je tenterai à la Frank Lloyd Wright, style « la maison de la cascade » …. qui s’étoffe d’une dimension orchestrale. Une amplitude due à la polyphonie des vents et une puissance symphonique que l’arrivée des soufflants autorise désormais, car le trio se dédouble et passe en sextet, pour notre plus grand bonheur.
Le saxophoniste Christophe Monniot, Pierrot lunaire, attend, se balance au bord du vide avant de s’y jeter avec son alto, dans un solo terrible à la fin de « Kumiho » (le renard à neuf queues… on y reviendra), le trompettiste Fabrice Martinez , le dernier arrivé dans le groupe, sur la corde raide, s’enhardit, tripote sa sourdine, en tirant des effets hasardeux qui passent fort bien, avec des cris d’animal écorché, des étranglements et gargouillis que ne renierait pas Andreas Schaerer. Le petit Suisse, Samuel Blaser, coulissant fortement mais toujours de façon impassible , applique le même sens diablement maîtrisé de la construction et du motif, avec une énergie tranquille, que ce soit du Machaut ou du Ducret.
Et puis, en fin de partie, voilà que le guitariste ajoute une note sentimentale et « populaire » : au cœur de ses recherches, de son écriture, ne se cache-t-il pas une attraction première pour les musiques de sa jeunesse, pop, folk, blues enfin, avant le jazz : de Woody Guthrie à James Taylor, de Jethro Tull à Genesis …car enfin, le clin d’œil à la pochette de ce Metatonal renvoie autant au Foxtrot de Peter Gabriel et consorts qu’à la Femme renarde de Janacek . Après avoir ménagé sa progression( il est malin), ce que l’on pressentait nous est dévoilé avec une suite tripartite inspirée de chansons du barde Zimmerman, « Times They Are A Changin » et « Wigwam » ( sur lequel il sort subrepticement un petit harmonica diatonique), avec une incise « 64 » qui lui est propre : acme de ce concert, révélation, dans une orchestration bancale, décalée, qui irrésistiblement renvoie à Dylan, à sa voix improbable que les parents du guitariste appréciaient fort peu, entre nasillement et « voix de crapaud ».
Le public du théâtre sort heureux et conquis, quant à moi, je remercie ( intérieurement ) Didier Levallet d’avoir programmé le groupe. Et on peut imaginer Marc Ducret satisfait, si ce n’est heureux.
Sophie Chambon|Jazz Campus, jeudi 18 août (Berzé le Chatel- Cluny)
Ah, retourner à Cluny pour les derniers feux de l’été, chaque année (même si je ne peux y rester que deux jours sur la semaine ), plonger au cœur de l’aventure durable, en dépit des obstacles, de ce festival formidable, à taille humaine, Jazz Campus http://www.jazzcampus.fr/festival/edition-2016/programmation-2016
est l’un des plaisirs rares de ce qui n’est décidément pas, ma saison préférée. Le festival, dans sa quarantième année, a été fondé sous le nom de Jazz à Cluny ( avec déjà cette spécificité de stages intensifs animés par des musiciens de talent) par le contrebassiste Didier Levallet, profondément attaché à cette terre, qui n’est pourtant pas celle de ses origines. Il nous fait découvrir le Clunisois, territoire bourguignon de la Saône et Loire, dans des lieux originaux : cette exploration d’une micro géographie enchante et dépayse avec des cieux contrastés- on n’est pourtant pas en climat océanique, un vignoble délicat et tonique, du patrimoine historique qui compte ( Cluny est célèbre dans la chrétienté pour son abbaye romane millénaire) et un accueil généreux, simple et bon vivant. Quant à la musique, on vient en faire provision, se régaler de ce jazz vif, actuel qui n’oublie pas pour autant ses repères.
Andreas Schaerer/ Lucas Niggli : retour aux origines
Au Château de Berzé, sur les terres de la comtesse de Milly, reconvertie en vigneronne, qui fait aussi visiter ce château médiéval, construit pour protéger l’abbaye de Cluny, se tiennent depuis trois ans des concerts assez insolites dans le cadre de l’ancien pressoir, le « tinailler », en fin d’après midi. Dans cette lumière de la fin août, changeante et dorée, le public toujours nombreux, vient découvrir l’étonnant duo suisse constitué du vocaliste-chanteur Andreas Schaerer et du batteur Lucas Niggli : alliance de la voix poussée dans ses ultimes retranchements, une voix qui se met dans tous ses états et une histoire de peaux, de son des tambours, du métal des cymbales, quelque chose de primitif et d’organique, de sensuel et travaillé où l’inspiration semble jaillir devant vous.
Si l’adrénaline reste un meilleur excitant que le café, cette folie apparente révèle une virtuosité acquise seulement au prix d’un travail acharné. J’ai découvert Andreas Schaerer et ses possibilités vocales sur CD et DVD en tournée avec l’une de ses formations, Hildegarde lernt fliegen, avant de les entendre aux Têtes de Jazz à Avignon il y a deux ans : un spectacle-cabaret indescriptible, un show décalé.
S’il y avait de la diva et du crooner dans sa performance pour Hildegarde, en duo c’est le « human beat box » qui prime, car Schaerer est capable de produire n’importe quel son avec sa bouche, en vrai bruiteur : ça commence par des effets de gorge qui passent de la fontaine à la cascade, tout en pianotant sur son micro comme s’il s‘agissait de phraser sur une trompette ou un saxophone. Il a aussi ces curieux petits gestes de doigts qu’ont les chanteurs. Même si le duo a sorti Arcanum chez Intakt/Orkhestra, ce qu’il nous offre ici semble tiré de l’improvisation…un parcours non balisé où Andreas Schaerer utilise sa voix comme vecteur d’expérimentation. En polyglotte émérite, à tous les sens du terme, il joue sur les sonorités et différences linguistiques de prononciation, les « r » roulés ou non, l’air devenant « aria » ou air des montagnes …suisses, sans yodler pour autant , les « ch » chuintés ou gutturaux. Il est capable d’endosser tous les rôles, du rythmique au mélodique même s’il a trouvé un batteur percussionniste et coloriste à sa mesure en Lucas Niggli, dont il serait injuste d’omettre la formidable vivacité, Zébulon espiègle, parfait associé. Improvisation sur un mot, une idée, une sensation ( la chaleur)…alors un objet comme cette bouteille de « Cristalline » dont le plastique plus « cheap » que celui d’Evian, permet de bons gros sons de compression…Spontanéité, jubilation, autodérision, une mise en oreille apéritive avant le retour à Cluny au Théâtre pour le concert du soir, le trio +3 de Marc Ducret.
METATONAL : de la genèse à la révélation
(photo de Maurice Salaün)
Recomposer, retravailler des extraits ou des motifs déjà joués, ressasser, remâcher ses propres fragments, les réécrire en fonction des autres membres du groupe. Voilà l’essence même de cette musique qui se joue dans l’instant, qui advient là devant nous. Ducret, sans en avoir l’air, évoque le mode d’emploi de sa composition à la table, avec morceaux assemblés, petits bouts cousus, paperolles qu’il a parfois composées pour lui et qu’il décide de donner aux autres. A moins que ce ne soit l’inverse, avec ce solo écrit pour la violoncelliste Noémie Boutin, qu’il a aussi décidé de reprendre à son compte. Pas de note de concert cette fois mais des commentaires bienvenus pour entrer dans cette musique mouvante, composée de ces éléments stables qu’il faudra un temps pour reconnaître ; et une longue pratique, car à la manière de Perec qui disait lire et relire toujours les mêmes livres, il faut une attention vigilante pour dévider l’écheveau de temps et de mémoire, d’enrichissements successifs, une intertextualité en quelque sorte. Si les sources d’inspiration montrent un éclectisme rare, le penchant littéraire semble prédominer. Cette fois ce n’est pas Ada ou l’ardeur du désir, mais Italo Calvino (Si par une nuit d’hiver un voyageur) qui peut éclairer sa construction, « roman gigogne », aux contraintes créatives oulipiennes. Une histoire métaromanesque (tiens, tiens) qui se construit tout en se déconstruisant au fur et à mesure. Qui devient narration à trous qui suit pourtant une « conceptual continuity ».
« Il ya toujours un paysage, un endroit où aller, une couleur qui se dégage… » expliquait -il.
Si les échanges sont permanents dans le groupe, c’est lui qui relance, redistribue le jeu, s’emparant de la formidable énergie que les partenaires, sa merveilleuse rythmique, renvoient. Il renoue dans ce projet avec un « vrai » jeu de guitare, nous donnant (enfin) l’occasion de l’entendre dérouler de plus longues phrases. Marc Ducret qui a tout longuement écouté, dit bien ne pas suivre le phrasé des guitaristes, même comme ceux qu’il admire comme Scofield dans sa lecture de standards « Georgia » ou « Do you know what it means…. » ( c’est moi qui rajoute ce dernier titre pourtant sacré par Louis et Billie), mais tenter un phrasé sec et percussif en analogie avec la frappe du batteur vers lequel il semble se tourner instinctivement.
(Maurice Salaün)
Une écriture abstraite, difficile à saisir, à l’organisation rigoureuse avec intrigue et suspens –on sent néanmoins l’agencement des pièces, certainement pas « faciles » qui s’emboîtent , un enchâssement circulaire , conséquence vertigineuse de ce travail auto réflexif. Des titres relativement simples, explicites comme « Inflammable » ou « Dialectes » ( vieux cheval de bataille de L’Ombra di Verdi,1999, de son puissant trio, la base, le laboratoire à partir duquel les idées voyagent. Ses fidèles lieutenants Bruno Chevillon ( quel solo chantant et doux ) et Eric Echampard l’entourent depuis 20 ans. Une aventure qui évolue avec son public
Quelle inspiration ? Après le projet ambitieux, le feuilleton des « Tower » et « Bridge », pour faire court, empilement et succession, un programme plus sobre, une architecture horizontale, je tenterai à la Frank Lloyd Wright, style « la maison de la cascade » …. qui s’étoffe d’une dimension orchestrale. Une amplitude due à la polyphonie des vents et une puissance symphonique que l’arrivée des soufflants autorise désormais, car le trio se dédouble et passe en sextet, pour notre plus grand bonheur.
Le saxophoniste Christophe Monniot, Pierrot lunaire, attend, se balance au bord du vide avant de s’y jeter avec son alto, dans un solo terrible à la fin de « Kumiho » (le renard à neuf queues… on y reviendra), le trompettiste Fabrice Martinez , le dernier arrivé dans le groupe, sur la corde raide, s’enhardit, tripote sa sourdine, en tirant des effets hasardeux qui passent fort bien, avec des cris d’animal écorché, des étranglements et gargouillis que ne renierait pas Andreas Schaerer. Le petit Suisse, Samuel Blaser, coulissant fortement mais toujours de façon impassible , applique le même sens diablement maîtrisé de la construction et du motif, avec une énergie tranquille, que ce soit du Machaut ou du Ducret.
Et puis, en fin de partie, voilà que le guitariste ajoute une note sentimentale et « populaire » : au cœur de ses recherches, de son écriture, ne se cache-t-il pas une attraction première pour les musiques de sa jeunesse, pop, folk, blues enfin, avant le jazz : de Woody Guthrie à James Taylor, de Jethro Tull à Genesis …car enfin, le clin d’œil à la pochette de ce Metatonal renvoie autant au Foxtrot de Peter Gabriel et consorts qu’à la Femme renarde de Janacek . Après avoir ménagé sa progression( il est malin), ce que l’on pressentait nous est dévoilé avec une suite tripartite inspirée de chansons du barde Zimmerman, « Times They Are A Changin » et « Wigwam » ( sur lequel il sort subrepticement un petit harmonica diatonique), avec une incise « 64 » qui lui est propre : acme de ce concert, révélation, dans une orchestration bancale, décalée, qui irrésistiblement renvoie à Dylan, à sa voix improbable que les parents du guitariste appréciaient fort peu, entre nasillement et « voix de crapaud ».
Le public du théâtre sort heureux et conquis, quant à moi, je remercie ( intérieurement ) Didier Levallet d’avoir programmé le groupe. Et on peut imaginer Marc Ducret satisfait, si ce n’est heureux.
Sophie Chambon|Jazz Campus, jeudi 18 août (Berzé le Chatel- Cluny)
Ah, retourner à Cluny pour les derniers feux de l’été, chaque année (même si je ne peux y rester que deux jours sur la semaine ), plonger au cœur de l’aventure durable, en dépit des obstacles, de ce festival formidable, à taille humaine, Jazz Campus http://www.jazzcampus.fr/festival/edition-2016/programmation-2016
est l’un des plaisirs rares de ce qui n’est décidément pas, ma saison préférée. Le festival, dans sa quarantième année, a été fondé sous le nom de Jazz à Cluny ( avec déjà cette spécificité de stages intensifs animés par des musiciens de talent) par le contrebassiste Didier Levallet, profondément attaché à cette terre, qui n’est pourtant pas celle de ses origines. Il nous fait découvrir le Clunisois, territoire bourguignon de la Saône et Loire, dans des lieux originaux : cette exploration d’une micro géographie enchante et dépayse avec des cieux contrastés- on n’est pourtant pas en climat océanique, un vignoble délicat et tonique, du patrimoine historique qui compte ( Cluny est célèbre dans la chrétienté pour son abbaye romane millénaire) et un accueil généreux, simple et bon vivant. Quant à la musique, on vient en faire provision, se régaler de ce jazz vif, actuel qui n’oublie pas pour autant ses repères.
Andreas Schaerer/ Lucas Niggli : retour aux origines
Au Château de Berzé, sur les terres de la comtesse de Milly, reconvertie en vigneronne, qui fait aussi visiter ce château médiéval, construit pour protéger l’abbaye de Cluny, se tiennent depuis trois ans des concerts assez insolites dans le cadre de l’ancien pressoir, le « tinailler », en fin d’après midi. Dans cette lumière de la fin août, changeante et dorée, le public toujours nombreux, vient découvrir l’étonnant duo suisse constitué du vocaliste-chanteur Andreas Schaerer et du batteur Lucas Niggli : alliance de la voix poussée dans ses ultimes retranchements, une voix qui se met dans tous ses états et une histoire de peaux, de son des tambours, du métal des cymbales, quelque chose de primitif et d’organique, de sensuel et travaillé où l’inspiration semble jaillir devant vous.
Si l’adrénaline reste un meilleur excitant que le café, cette folie apparente révèle une virtuosité acquise seulement au prix d’un travail acharné. J’ai découvert Andreas Schaerer et ses possibilités vocales sur CD et DVD en tournée avec l’une de ses formations, Hildegarde lernt fliegen, avant de les entendre aux Têtes de Jazz à Avignon il y a deux ans : un spectacle-cabaret indescriptible, un show décalé.
S’il y avait de la diva et du crooner dans sa performance pour Hildegarde, en duo c’est le « human beat box » qui prime, car Schaerer est capable de produire n’importe quel son avec sa bouche, en vrai bruiteur : ça commence par des effets de gorge qui passent de la fontaine à la cascade, tout en pianotant sur son micro comme s’il s‘agissait de phraser sur une trompette ou un saxophone. Il a aussi ces curieux petits gestes de doigts qu’ont les chanteurs. Même si le duo a sorti Arcanum chez Intakt/Orkhestra, ce qu’il nous offre ici semble tiré de l’improvisation…un parcours non balisé où Andreas Schaerer utilise sa voix comme vecteur d’expérimentation. En polyglotte émérite, à tous les sens du terme, il joue sur les sonorités et différences linguistiques de prononciation, les « r » roulés ou non, l’air devenant « aria » ou air des montagnes …suisses, sans yodler pour autant , les « ch » chuintés ou gutturaux. Il est capable d’endosser tous les rôles, du rythmique au mélodique même s’il a trouvé un batteur percussionniste et coloriste à sa mesure en Lucas Niggli, dont il serait injuste d’omettre la formidable vivacité, Zébulon espiègle, parfait associé. Improvisation sur un mot, une idée, une sensation ( la chaleur)…alors un objet comme cette bouteille de « Cristalline » dont le plastique plus « cheap » que celui d’Evian, permet de bons gros sons de compression…Spontanéité, jubilation, autodérision, une mise en oreille apéritive avant le retour à Cluny au Théâtre pour le concert du soir, le trio +3 de Marc Ducret.
METATONAL : de la genèse à la révélation
(photo de Maurice Salaün)
Recomposer, retravailler des extraits ou des motifs déjà joués, ressasser, remâcher ses propres fragments, les réécrire en fonction des autres membres du groupe. Voilà l’essence même de cette musique qui se joue dans l’instant, qui advient là devant nous. Ducret, sans en avoir l’air, évoque le mode d’emploi de sa composition à la table, avec morceaux assemblés, petits bouts cousus, paperolles qu’il a parfois composées pour lui et qu’il décide de donner aux autres. A moins que ce ne soit l’inverse, avec ce solo écrit pour la violoncelliste Noémie Boutin, qu’il a aussi décidé de reprendre à son compte. Pas de note de concert cette fois mais des commentaires bienvenus pour entrer dans cette musique mouvante, composée de ces éléments stables qu’il faudra un temps pour reconnaître ; et une longue pratique, car à la manière de Perec qui disait lire et relire toujours les mêmes livres, il faut une attention vigilante pour dévider l’écheveau de temps et de mémoire, d’enrichissements successifs, une intertextualité en quelque sorte. Si les sources d’inspiration montrent un éclectisme rare, le penchant littéraire semble prédominer. Cette fois ce n’est pas Ada ou l’ardeur du désir, mais Italo Calvino (Si par une nuit d’hiver un voyageur) qui peut éclairer sa construction, « roman gigogne », aux contraintes créatives oulipiennes. Une histoire métaromanesque (tiens, tiens) qui se construit tout en se déconstruisant au fur et à mesure. Qui devient narration à trous qui suit pourtant une « conceptual continuity ».
« Il ya toujours un paysage, un endroit où aller, une couleur qui se dégage… » expliquait -il.
Si les échanges sont permanents dans le groupe, c’est lui qui relance, redistribue le jeu, s’emparant de la formidable énergie que les partenaires, sa merveilleuse rythmique, renvoient. Il renoue dans ce projet avec un « vrai » jeu de guitare, nous donnant (enfin) l’occasion de l’entendre dérouler de plus longues phrases. Marc Ducret qui a tout longuement écouté, dit bien ne pas suivre le phrasé des guitaristes, même comme ceux qu’il admire comme Scofield dans sa lecture de standards « Georgia » ou « Do you know what it means…. » ( c’est moi qui rajoute ce dernier titre pourtant sacré par Louis et Billie), mais tenter un phrasé sec et percussif en analogie avec la frappe du batteur vers lequel il semble se tourner instinctivement.
(Maurice Salaün)
Une écriture abstraite, difficile à saisir, à l’organisation rigoureuse avec intrigue et suspens –on sent néanmoins l’agencement des pièces, certainement pas « faciles » qui s’emboîtent , un enchâssement circulaire , conséquence vertigineuse de ce travail auto réflexif. Des titres relativement simples, explicites comme « Inflammable » ou « Dialectes » ( vieux cheval de bataille de L’Ombra di Verdi,1999, de son puissant trio, la base, le laboratoire à partir duquel les idées voyagent. Ses fidèles lieutenants Bruno Chevillon ( quel solo chantant et doux ) et Eric Echampard l’entourent depuis 20 ans. Une aventure qui évolue avec son public
Quelle inspiration ? Après le projet ambitieux, le feuilleton des « Tower » et « Bridge », pour faire court, empilement et succession, un programme plus sobre, une architecture horizontale, je tenterai à la Frank Lloyd Wright, style « la maison de la cascade » …. qui s’étoffe d’une dimension orchestrale. Une amplitude due à la polyphonie des vents et une puissance symphonique que l’arrivée des soufflants autorise désormais, car le trio se dédouble et passe en sextet, pour notre plus grand bonheur.
Le saxophoniste Christophe Monniot, Pierrot lunaire, attend, se balance au bord du vide avant de s’y jeter avec son alto, dans un solo terrible à la fin de « Kumiho » (le renard à neuf queues… on y reviendra), le trompettiste Fabrice Martinez , le dernier arrivé dans le groupe, sur la corde raide, s’enhardit, tripote sa sourdine, en tirant des effets hasardeux qui passent fort bien, avec des cris d’animal écorché, des étranglements et gargouillis que ne renierait pas Andreas Schaerer. Le petit Suisse, Samuel Blaser, coulissant fortement mais toujours de façon impassible , applique le même sens diablement maîtrisé de la construction et du motif, avec une énergie tranquille, que ce soit du Machaut ou du Ducret.
Et puis, en fin de partie, voilà que le guitariste ajoute une note sentimentale et « populaire » : au cœur de ses recherches, de son écriture, ne se cache-t-il pas une attraction première pour les musiques de sa jeunesse, pop, folk, blues enfin, avant le jazz : de Woody Guthrie à James Taylor, de Jethro Tull à Genesis …car enfin, le clin d’œil à la pochette de ce Metatonal renvoie autant au Foxtrot de Peter Gabriel et consorts qu’à la Femme renarde de Janacek . Après avoir ménagé sa progression( il est malin), ce que l’on pressentait nous est dévoilé avec une suite tripartite inspirée de chansons du barde Zimmerman, « Times They Are A Changin » et « Wigwam » ( sur lequel il sort subrepticement un petit harmonica diatonique), avec une incise « 64 » qui lui est propre : acme de ce concert, révélation, dans une orchestration bancale, décalée, qui irrésistiblement renvoie à Dylan, à sa voix improbable que les parents du guitariste appréciaient fort peu, entre nasillement et « voix de crapaud ».
Le public du théâtre sort heureux et conquis, quant à moi, je remercie ( intérieurement ) Didier Levallet d’avoir programmé le groupe. Et on peut imaginer Marc Ducret satisfait, si ce n’est heureux.
Sophie Chambon