Jazz live
Publié le 7 Mai 2016

Jazz en Comminges, 3. Escale à New Orleans

Nouveau voyage musical pour un festival qui poursuit sa route avec un indéniable succès populaire : pour la troisième soirée, la salle du Parc des Expositions de Saint-Gaudens, dont la capacité d’accueil a été accrue depuis les années précédentes, se retrouve copieusement garnie. Direction, La Nouvelle-Orléans, en compagnie de  deux superbes trompettistes et d’une chanteuse qui a largement fait ses preuves.Il faut d’abord dissiper toute équivoque. La connotation attachée au nom d’une cité réputée être le berceau du jazz, évocatrice de vieux style, voire, pour certains, de passéisme ringard, est ici hors de saison. C’est bel et bien de la ville meurtrie par Katrina en 2005 qu’il s’agit, de son actualité et de sa renaissance artistique à laquelle participent les musiciens invités ce soir.

Christian Scott

A Tunde Adjuah Presents Stretch Music

Christian Scott (tp), Legan Richardson (ts), Tony Tixier (p, claviers), Kris Funn (b), Corey Fonville (dm).

A commencer par Christian Scott, impliqué en outre dans l’action sociale et politique, l’un des acteurs les plus en vue de ce renouveau. Un trompettiste surdoué qui, loin de se complaire dans la nostalgie , élabore le langage musical de demain. Un idiome en devenir, profus, polymorphe, nourri d’électronique, prenant en compte tous les courants de sa génération. Telle est cette stretch music aux contours indéfinissables.

Le répertoire fait une large place aux compositions du leader (West of the West, Girl, The Last Chieftan) sans pour autant négliger l’héritage, The Eye of the Hurricane, figurant dans l’album « Maiden Voyage » de Herbie Hancock, Equinox, un blues de John Coltrane qu’il s’approprie, intègre dans un univers où évoluent à sa suite des partenaires auxquels il laisse de grandes plages de liberté.

Occasion de goûter les envolées de Tony Tixier, au piano et au Fender Rhodes, l’implacable drumming électrisé de Corey Fonville, sonorisé à l’excès, du moins pour mes oreilles. Quant au trompettiste, si son instrument coudé évoque Dizzy ou Jon Faddis, il fait plus sûrement encore penser à Miles. Par sa sonorité lisse, dépourvue de vibrato. Par son phrasé. Par son attitude sur scène, buste penché, pavillon dirigé vers le sol. Autant d’impressions fugaces, de références hors de propos. Car Christian Scott aTunde Adhuah, tel est le nom qu’il s’est choisi, se situe délibérément ailleurs, dans « ce qui n’a pas été fait. Cela implique, ajoute-t-il, une capacité à revoir des processus de pensées passés tout en tenant compte des nouveaux paysages. » On ne saurait être plus clair.

Dee Dee Bridgewater, Irvin Mayfield with New Orleans 7

Dee Dee Bridgewater (voc), Irvin Mayfield (tp, voc), Erwin Hall (as, bcl), Victor Atkins (p), Kabari Lake (b), Adonis Rose (dm).

 De tels propos dans la bouche d’Irvin Mayfield seraient hautement improbables. Lui aussi est un superbe trompettiste, doté d’une technique parfaite, d’un son plein, qu’il joue ouvert ou avec sourdine, de la capacité à improviser un discours parfaitement cohérent. Lui aussi appartient à cette génération des « refondateurs » de New Orleans. Ses références sont toutefois différentes, plus ancrées dans une tradition qu’il ne renie pas, mais s’efforce de revivifier et de transmettre sans céder pour autant à la facilité du revivalisme.

Et puis il y a le cas de Dee Dee Bridgewater. Un monument. Une institution. L’été dernier, au festival d’Ascona, en Suisse, son association avec le créateur et directeur du New Orleans Jazz Orchestra avait remporté un immense succès, amplement mérité. J’y avais découvert une diva régénérée. Emouvante, sensible, dans une simplicité retrouvée. Magnifiquement épaulée par un big band galvanisé par Mayfield et au sein duquel elle savait se fondre, sans tirer la couverture à elle.

Que reste-t-il, ce soir, de ces belles dispositions ? Pas grand-chose, hélas, sinon un répertoire de standards inoxydables, Basin Street Blues, Saint James Infirmary, Do You Know What It Means. Du big band au swing impressionnant, ne demeurent que cinq rescapés – et non six, voir plus bas – dont Adonis Rose, batteur remarquable de finesse, qui a fait ses classes chez Wynton Marsalis, et un alto, Erwin Hall, si parcimonieux à la clarinette basse qu’elle lui sert avant tout d’ornement . Quant à Dee Dee, reprise par ses vieux démons, si son talent reste intact, notamment dans le scat, elle cabotine, minaude, manie un humour appuyé. Sa voix, sa capacité à swinguer suffiraient à focaliser sur elle l’attention sans qu’il y soit besoin d’autres ingrédients, surtout d’une qualité si contestable. Dommage, car Dee Dee, par sa chaleur communicative,suscite la sympathie. On oubliera vite une prestation dont on attendait beaucoup. Trop, sans doute.

Coda : depuis le début du festival, il ne se passe guère de soir sans que des lutins facétieux ne viennent compliquer la tâche du malheureux chroniqueur. Tantôt, à l’insu de tous, ils viennent au dernier moment perturber les line up. Si bien que le susdit chroniqueur, jamais sûr que les musiciens qui se produisent sur scène sont bien ceux que mentionne le programme, doit se livrer à une quête effrénée. Tantôt ils escamotent purement et simplement certains d’entre eux – le percussionniste prévu avec David Sanborn, la flûtiste de Christian Scott, le tromboniste annoncé avec Irvin Mayfield, par exemple, tous réduits à l’état de fantômes.

Pour les prochaines éditions, et dans le souci de transmettre aux lecteurs l’information la plus exacte possible, je suggère aux organisateurs et aux bénévoles (dont, par ailleurs, on ne soulignera jamais assez la disponibilité) de mettre sur pied des brigades anti-lutins destinées à mettre fin à de si funestes agissements…

Ce soir 7 mai, le saxophoniste Joe Lovano et le guitariste Al Di Mola

Jacques Aboucaya|Nouveau voyage musical pour un festival qui poursuit sa route avec un indéniable succès populaire : pour la troisième soirée, la salle du Parc des Expositions de Saint-Gaudens, dont la capacité d’accueil a été accrue depuis les années précédentes, se retrouve copieusement garnie. Direction, La Nouvelle-Orléans, en compagnie de  deux superbes trompettistes et d’une chanteuse qui a largement fait ses preuves.Il faut d’abord dissiper toute équivoque. La connotation attachée au nom d’une cité réputée être le berceau du jazz, évocatrice de vieux style, voire, pour certains, de passéisme ringard, est ici hors de saison. C’est bel et bien de la ville meurtrie par Katrina en 2005 qu’il s’agit, de son actualité et de sa renaissance artistique à laquelle participent les musiciens invités ce soir.

Christian Scott

A Tunde Adjuah Presents Stretch Music

Christian Scott (tp), Legan Richardson (ts), Tony Tixier (p, claviers), Kris Funn (b), Corey Fonville (dm).

A commencer par Christian Scott, impliqué en outre dans l’action sociale et politique, l’un des acteurs les plus en vue de ce renouveau. Un trompettiste surdoué qui, loin de se complaire dans la nostalgie , élabore le langage musical de demain. Un idiome en devenir, profus, polymorphe, nourri d’électronique, prenant en compte tous les courants de sa génération. Telle est cette stretch music aux contours indéfinissables.

Le répertoire fait une large place aux compositions du leader (West of the West, Girl, The Last Chieftan) sans pour autant négliger l’héritage, The Eye of the Hurricane, figurant dans l’album « Maiden Voyage » de Herbie Hancock, Equinox, un blues de John Coltrane qu’il s’approprie, intègre dans un univers où évoluent à sa suite des partenaires auxquels il laisse de grandes plages de liberté.

Occasion de goûter les envolées de Tony Tixier, au piano et au Fender Rhodes, l’implacable drumming électrisé de Corey Fonville, sonorisé à l’excès, du moins pour mes oreilles. Quant au trompettiste, si son instrument coudé évoque Dizzy ou Jon Faddis, il fait plus sûrement encore penser à Miles. Par sa sonorité lisse, dépourvue de vibrato. Par son phrasé. Par son attitude sur scène, buste penché, pavillon dirigé vers le sol. Autant d’impressions fugaces, de références hors de propos. Car Christian Scott aTunde Adhuah, tel est le nom qu’il s’est choisi, se situe délibérément ailleurs, dans « ce qui n’a pas été fait. Cela implique, ajoute-t-il, une capacité à revoir des processus de pensées passés tout en tenant compte des nouveaux paysages. » On ne saurait être plus clair.

Dee Dee Bridgewater, Irvin Mayfield with New Orleans 7

Dee Dee Bridgewater (voc), Irvin Mayfield (tp, voc), Erwin Hall (as, bcl), Victor Atkins (p), Kabari Lake (b), Adonis Rose (dm).

 De tels propos dans la bouche d’Irvin Mayfield seraient hautement improbables. Lui aussi est un superbe trompettiste, doté d’une technique parfaite, d’un son plein, qu’il joue ouvert ou avec sourdine, de la capacité à improviser un discours parfaitement cohérent. Lui aussi appartient à cette génération des « refondateurs » de New Orleans. Ses références sont toutefois différentes, plus ancrées dans une tradition qu’il ne renie pas, mais s’efforce de revivifier et de transmettre sans céder pour autant à la facilité du revivalisme.

Et puis il y a le cas de Dee Dee Bridgewater. Un monument. Une institution. L’été dernier, au festival d’Ascona, en Suisse, son association avec le créateur et directeur du New Orleans Jazz Orchestra avait remporté un immense succès, amplement mérité. J’y avais découvert une diva régénérée. Emouvante, sensible, dans une simplicité retrouvée. Magnifiquement épaulée par un big band galvanisé par Mayfield et au sein duquel elle savait se fondre, sans tirer la couverture à elle.

Que reste-t-il, ce soir, de ces belles dispositions ? Pas grand-chose, hélas, sinon un répertoire de standards inoxydables, Basin Street Blues, Saint James Infirmary, Do You Know What It Means. Du big band au swing impressionnant, ne demeurent que cinq rescapés – et non six, voir plus bas – dont Adonis Rose, batteur remarquable de finesse, qui a fait ses classes chez Wynton Marsalis, et un alto, Erwin Hall, si parcimonieux à la clarinette basse qu’elle lui sert avant tout d’ornement . Quant à Dee Dee, reprise par ses vieux démons, si son talent reste intact, notamment dans le scat, elle cabotine, minaude, manie un humour appuyé. Sa voix, sa capacité à swinguer suffiraient à focaliser sur elle l’attention sans qu’il y soit besoin d’autres ingrédients, surtout d’une qualité si contestable. Dommage, car Dee Dee, par sa chaleur communicative,suscite la sympathie. On oubliera vite une prestation dont on attendait beaucoup. Trop, sans doute.

Coda : depuis le début du festival, il ne se passe guère de soir sans que des lutins facétieux ne viennent compliquer la tâche du malheureux chroniqueur. Tantôt, à l’insu de tous, ils viennent au dernier moment perturber les line up. Si bien que le susdit chroniqueur, jamais sûr que les musiciens qui se produisent sur scène sont bien ceux que mentionne le programme, doit se livrer à une quête effrénée. Tantôt ils escamotent purement et simplement certains d’entre eux – le percussionniste prévu avec David Sanborn, la flûtiste de Christian Scott, le tromboniste annoncé avec Irvin Mayfield, par exemple, tous réduits à l’état de fantômes.

Pour les prochaines éditions, et dans le souci de transmettre aux lecteurs l’information la plus exacte possible, je suggère aux organisateurs et aux bénévoles (dont, par ailleurs, on ne soulignera jamais assez la disponibilité) de mettre sur pied des brigades anti-lutins destinées à mettre fin à de si funestes agissements…

Ce soir 7 mai, le saxophoniste Joe Lovano et le guitariste Al Di Mola

Jacques Aboucaya|Nouveau voyage musical pour un festival qui poursuit sa route avec un indéniable succès populaire : pour la troisième soirée, la salle du Parc des Expositions de Saint-Gaudens, dont la capacité d’accueil a été accrue depuis les années précédentes, se retrouve copieusement garnie. Direction, La Nouvelle-Orléans, en compagnie de  deux superbes trompettistes et d’une chanteuse qui a largement fait ses preuves.Il faut d’abord dissiper toute équivoque. La connotation attachée au nom d’une cité réputée être le berceau du jazz, évocatrice de vieux style, voire, pour certains, de passéisme ringard, est ici hors de saison. C’est bel et bien de la ville meurtrie par Katrina en 2005 qu’il s’agit, de son actualité et de sa renaissance artistique à laquelle participent les musiciens invités ce soir.

Christian Scott

A Tunde Adjuah Presents Stretch Music

Christian Scott (tp), Legan Richardson (ts), Tony Tixier (p, claviers), Kris Funn (b), Corey Fonville (dm).

A commencer par Christian Scott, impliqué en outre dans l’action sociale et politique, l’un des acteurs les plus en vue de ce renouveau. Un trompettiste surdoué qui, loin de se complaire dans la nostalgie , élabore le langage musical de demain. Un idiome en devenir, profus, polymorphe, nourri d’électronique, prenant en compte tous les courants de sa génération. Telle est cette stretch music aux contours indéfinissables.

Le répertoire fait une large place aux compositions du leader (West of the West, Girl, The Last Chieftan) sans pour autant négliger l’héritage, The Eye of the Hurricane, figurant dans l’album « Maiden Voyage » de Herbie Hancock, Equinox, un blues de John Coltrane qu’il s’approprie, intègre dans un univers où évoluent à sa suite des partenaires auxquels il laisse de grandes plages de liberté.

Occasion de goûter les envolées de Tony Tixier, au piano et au Fender Rhodes, l’implacable drumming électrisé de Corey Fonville, sonorisé à l’excès, du moins pour mes oreilles. Quant au trompettiste, si son instrument coudé évoque Dizzy ou Jon Faddis, il fait plus sûrement encore penser à Miles. Par sa sonorité lisse, dépourvue de vibrato. Par son phrasé. Par son attitude sur scène, buste penché, pavillon dirigé vers le sol. Autant d’impressions fugaces, de références hors de propos. Car Christian Scott aTunde Adhuah, tel est le nom qu’il s’est choisi, se situe délibérément ailleurs, dans « ce qui n’a pas été fait. Cela implique, ajoute-t-il, une capacité à revoir des processus de pensées passés tout en tenant compte des nouveaux paysages. » On ne saurait être plus clair.

Dee Dee Bridgewater, Irvin Mayfield with New Orleans 7

Dee Dee Bridgewater (voc), Irvin Mayfield (tp, voc), Erwin Hall (as, bcl), Victor Atkins (p), Kabari Lake (b), Adonis Rose (dm).

 De tels propos dans la bouche d’Irvin Mayfield seraient hautement improbables. Lui aussi est un superbe trompettiste, doté d’une technique parfaite, d’un son plein, qu’il joue ouvert ou avec sourdine, de la capacité à improviser un discours parfaitement cohérent. Lui aussi appartient à cette génération des « refondateurs » de New Orleans. Ses références sont toutefois différentes, plus ancrées dans une tradition qu’il ne renie pas, mais s’efforce de revivifier et de transmettre sans céder pour autant à la facilité du revivalisme.

Et puis il y a le cas de Dee Dee Bridgewater. Un monument. Une institution. L’été dernier, au festival d’Ascona, en Suisse, son association avec le créateur et directeur du New Orleans Jazz Orchestra avait remporté un immense succès, amplement mérité. J’y avais découvert une diva régénérée. Emouvante, sensible, dans une simplicité retrouvée. Magnifiquement épaulée par un big band galvanisé par Mayfield et au sein duquel elle savait se fondre, sans tirer la couverture à elle.

Que reste-t-il, ce soir, de ces belles dispositions ? Pas grand-chose, hélas, sinon un répertoire de standards inoxydables, Basin Street Blues, Saint James Infirmary, Do You Know What It Means. Du big band au swing impressionnant, ne demeurent que cinq rescapés – et non six, voir plus bas – dont Adonis Rose, batteur remarquable de finesse, qui a fait ses classes chez Wynton Marsalis, et un alto, Erwin Hall, si parcimonieux à la clarinette basse qu’elle lui sert avant tout d’ornement . Quant à Dee Dee, reprise par ses vieux démons, si son talent reste intact, notamment dans le scat, elle cabotine, minaude, manie un humour appuyé. Sa voix, sa capacité à swinguer suffiraient à focaliser sur elle l’attention sans qu’il y soit besoin d’autres ingrédients, surtout d’une qualité si contestable. Dommage, car Dee Dee, par sa chaleur communicative,suscite la sympathie. On oubliera vite une prestation dont on attendait beaucoup. Trop, sans doute.

Coda : depuis le début du festival, il ne se passe guère de soir sans que des lutins facétieux ne viennent compliquer la tâche du malheureux chroniqueur. Tantôt, à l’insu de tous, ils viennent au dernier moment perturber les line up. Si bien que le susdit chroniqueur, jamais sûr que les musiciens qui se produisent sur scène sont bien ceux que mentionne le programme, doit se livrer à une quête effrénée. Tantôt ils escamotent purement et simplement certains d’entre eux – le percussionniste prévu avec David Sanborn, la flûtiste de Christian Scott, le tromboniste annoncé avec Irvin Mayfield, par exemple, tous réduits à l’état de fantômes.

Pour les prochaines éditions, et dans le souci de transmettre aux lecteurs l’information la plus exacte possible, je suggère aux organisateurs et aux bénévoles (dont, par ailleurs, on ne soulignera jamais assez la disponibilité) de mettre sur pied des brigades anti-lutins destinées à mettre fin à de si funestes agissements…

Ce soir 7 mai, le saxophoniste Joe Lovano et le guitariste Al Di Mola

Jacques Aboucaya|Nouveau voyage musical pour un festival qui poursuit sa route avec un indéniable succès populaire : pour la troisième soirée, la salle du Parc des Expositions de Saint-Gaudens, dont la capacité d’accueil a été accrue depuis les années précédentes, se retrouve copieusement garnie. Direction, La Nouvelle-Orléans, en compagnie de  deux superbes trompettistes et d’une chanteuse qui a largement fait ses preuves.Il faut d’abord dissiper toute équivoque. La connotation attachée au nom d’une cité réputée être le berceau du jazz, évocatrice de vieux style, voire, pour certains, de passéisme ringard, est ici hors de saison. C’est bel et bien de la ville meurtrie par Katrina en 2005 qu’il s’agit, de son actualité et de sa renaissance artistique à laquelle participent les musiciens invités ce soir.

Christian Scott

A Tunde Adjuah Presents Stretch Music

Christian Scott (tp), Legan Richardson (ts), Tony Tixier (p, claviers), Kris Funn (b), Corey Fonville (dm).

A commencer par Christian Scott, impliqué en outre dans l’action sociale et politique, l’un des acteurs les plus en vue de ce renouveau. Un trompettiste surdoué qui, loin de se complaire dans la nostalgie , élabore le langage musical de demain. Un idiome en devenir, profus, polymorphe, nourri d’électronique, prenant en compte tous les courants de sa génération. Telle est cette stretch music aux contours indéfinissables.

Le répertoire fait une large place aux compositions du leader (West of the West, Girl, The Last Chieftan) sans pour autant négliger l’héritage, The Eye of the Hurricane, figurant dans l’album « Maiden Voyage » de Herbie Hancock, Equinox, un blues de John Coltrane qu’il s’approprie, intègre dans un univers où évoluent à sa suite des partenaires auxquels il laisse de grandes plages de liberté.

Occasion de goûter les envolées de Tony Tixier, au piano et au Fender Rhodes, l’implacable drumming électrisé de Corey Fonville, sonorisé à l’excès, du moins pour mes oreilles. Quant au trompettiste, si son instrument coudé évoque Dizzy ou Jon Faddis, il fait plus sûrement encore penser à Miles. Par sa sonorité lisse, dépourvue de vibrato. Par son phrasé. Par son attitude sur scène, buste penché, pavillon dirigé vers le sol. Autant d’impressions fugaces, de références hors de propos. Car Christian Scott aTunde Adhuah, tel est le nom qu’il s’est choisi, se situe délibérément ailleurs, dans « ce qui n’a pas été fait. Cela implique, ajoute-t-il, une capacité à revoir des processus de pensées passés tout en tenant compte des nouveaux paysages. » On ne saurait être plus clair.

Dee Dee Bridgewater, Irvin Mayfield with New Orleans 7

Dee Dee Bridgewater (voc), Irvin Mayfield (tp, voc), Erwin Hall (as, bcl), Victor Atkins (p), Kabari Lake (b), Adonis Rose (dm).

 De tels propos dans la bouche d’Irvin Mayfield seraient hautement improbables. Lui aussi est un superbe trompettiste, doté d’une technique parfaite, d’un son plein, qu’il joue ouvert ou avec sourdine, de la capacité à improviser un discours parfaitement cohérent. Lui aussi appartient à cette génération des « refondateurs » de New Orleans. Ses références sont toutefois différentes, plus ancrées dans une tradition qu’il ne renie pas, mais s’efforce de revivifier et de transmettre sans céder pour autant à la facilité du revivalisme.

Et puis il y a le cas de Dee Dee Bridgewater. Un monument. Une institution. L’été dernier, au festival d’Ascona, en Suisse, son association avec le créateur et directeur du New Orleans Jazz Orchestra avait remporté un immense succès, amplement mérité. J’y avais découvert une diva régénérée. Emouvante, sensible, dans une simplicité retrouvée. Magnifiquement épaulée par un big band galvanisé par Mayfield et au sein duquel elle savait se fondre, sans tirer la couverture à elle.

Que reste-t-il, ce soir, de ces belles dispositions ? Pas grand-chose, hélas, sinon un répertoire de standards inoxydables, Basin Street Blues, Saint James Infirmary, Do You Know What It Means. Du big band au swing impressionnant, ne demeurent que cinq rescapés – et non six, voir plus bas – dont Adonis Rose, batteur remarquable de finesse, qui a fait ses classes chez Wynton Marsalis, et un alto, Erwin Hall, si parcimonieux à la clarinette basse qu’elle lui sert avant tout d’ornement . Quant à Dee Dee, reprise par ses vieux démons, si son talent reste intact, notamment dans le scat, elle cabotine, minaude, manie un humour appuyé. Sa voix, sa capacité à swinguer suffiraient à focaliser sur elle l’attention sans qu’il y soit besoin d’autres ingrédients, surtout d’une qualité si contestable. Dommage, car Dee Dee, par sa chaleur communicative,suscite la sympathie. On oubliera vite une prestation dont on attendait beaucoup. Trop, sans doute.

Coda : depuis le début du festival, il ne se passe guère de soir sans que des lutins facétieux ne viennent compliquer la tâche du malheureux chroniqueur. Tantôt, à l’insu de tous, ils viennent au dernier moment perturber les line up. Si bien que le susdit chroniqueur, jamais sûr que les musiciens qui se produisent sur scène sont bien ceux que mentionne le programme, doit se livrer à une quête effrénée. Tantôt ils escamotent purement et simplement certains d’entre eux – le percussionniste prévu avec David Sanborn, la flûtiste de Christian Scott, le tromboniste annoncé avec Irvin Mayfield, par exemple, tous réduits à l’état de fantômes.

Pour les prochaines éditions, et dans le souci de transmettre aux lecteurs l’information la plus exacte possible, je suggère aux organisateurs et aux bénévoles (dont, par ailleurs, on ne soulignera jamais assez la disponibilité) de mettre sur pied des brigades anti-lutins destinées à mettre fin à de si funestes agissements…

Ce soir 7 mai, le saxophoniste Joe Lovano et le guitariste Al Di Mola

Jacques Aboucaya