Jazz live
Publié le 25 Mai 2017

Jazz en Comminges. Big Band Garonne / Hiromi-Edmar Castaneda

 

Le coup d’envoi de cette quinzième édition a drainé au Parc des Expositions de Saint-Gaudens une foule copieuse. Composite aussi, ce qui laisse bien augurer de la suite : s’y côtoient jeunes et moins jeunes, attirés les uns et les autres par l’importance et la réputation croissantes de la manifestation. Parmi eux, nombre d’habitués, dont certains venus, comme chaque année, du Val d’Aran espagnol, tout proche. Pas vraiment un saut dans l’inconnu. Si l’affiche a de quoi séduire, c’est que Philippe Léogé aussi bien qu’Hiromi ont laissé ici des souvenirs prégnants. Le  premier s’est largement impliqué, les années précédentes, dans Jazz en Comminges, In et Off confondus. La seconde a marqué les esprits par sa virtuosité et l’énergie qui en fait une manière de phénomène unique.

Cette fois, les contextes sont, certes, différents. Le pianiste toulousain dirige, depuis ses claviers, une grande formation propre à servir son talent de compositeur et d’arrangeur. Retour à ses premières amours. Les anciens se souviennent qu’il dirigea longtemps avec succès le Big Band 31 dont Garonne est, en quelque manière, l’avatar. Non que le style en soit perpétué. Léogé a pris résolument le virage de l’électro. Il cultive les grooves ravageurs (Le Colosse du Rhodes), privilégie un son de masse, fait dialoguer les pupitres, use des riffs et des tutti, comme sut en son temps le faire un Count Basie.  Mais si demeure la référence très fugitive au jazz « classique » et aux standards, c’est surtout sous forme de clin d’œil. Ainsi du I’ve Got You Under My Skin, largement distancié, que détaille la chanteuse Frédérika.

Cette dernière prend du reste une part importante dans l’élaboration et l’interprétation d’un répertoire qui emprunte souvent à la pop, au funk et à la soul, voire explore une sorte de fusion qui s’apparente au « Troisième courant ». Ainsi de l’utilisation d’un matériau original, le répertoire des troubadours occitans, tout droit remonté du Moyen-âge à travers les siècles et auquel les arrangements du leader confèrent une novelle jeunesse.

Outre Frédérika, sa voix bien timbrée et sa présence scénique, l’ensemble compte des individualités qui méritent d’être citées. D’abord la rythmique, omniprésente, remarquablement soudée – Cyril Amourette (g), Pascal Selma (b), Florent Tisseyre (perc), Fabien Tournier (dm). Ensuite, des solistes de la trempe de Jean-Michel Cabrol (ts), David Cayrou (bs) ou Rémy Vidal (tb), pour ne citer qu’eux. Sans compter Léogé, même si l’on est en droit de regretter que les dons de pianiste subtil auxquels il nous avait accoutumés ne se manifestent pas plus souvent, submergés qu’ils sont par d’implacables déferlantes sonores. Telles sont, à mon sens, les limites de ce big band. Le paroxysme y est cultivé de façon intensive, continue. Sans la moindre trêve. Sans ces espaces de respiration susceptibles de conférer à la musique un véritable relief. Réserves superfétatoires, au demeurant. Il serait bien incongru, sinon malséant, de juger cet ensemble ancré dans la modernité à l’aune des big bands de la Swing Era. Nous nous garderons donc de tomber dans ce travers !

Sur Hiromi, tous les superlatifs ont déjà été utilisés. Technique pianistique  stupéfiante, énergie quasiment électrique qui la projette parfois hors de son tabouret en des soubresauts évoquant les réactions de la grenouille sous les impulsions galvaniques des laborantins. Rien de surprenant si elle a séduit aussi bien Chick Corea qu’Ahmad Jamal. Avec cela, un toucher à la fois puissant et « perlé », une musicalité sans faille et une imagination qui lui permet d’improviser de longues phrases sans que son discours s’éloigne d’une imperturbable logique.

Moins connu, le harpiste colombien Edmar Castaneda avec qui elle forme un duo à l’originalité incontestable. Ils se sont rencontrés au Montréal Jazz Festival en 2016 et, depuis,  leur collaboration a produit des fruits savoureux. C’est que leur esthétique musicale apparaît si semblable qu’ils y puisent l’un et l’autre une stimulation des plus fécondes. Castaneda a mis son talent et sa technique au service de jazzmen aussi éminents que Paquito D’Rivera ou Wynton Marsalis, au sein du Lincoln Center Jazz Orchestra. C’est dire son expérience et sa faculté d’adaptation.

Son dialogue avec la pianiste se caractérise par la fluidité. Nulle rupture, nul hiatus. Chacun prolonge la phrase de l’autre avec un si parfait naturel que leur commun propos y gagne une cohérence quasi évidente. Connivence, mais aussi passes d’armes. Le débit, souvent torrentueux, sait se faire méditatif pour aborder des rivages où règne la sérénité. Cette alternance de frénésie et de douceur témoigne d’une véritable rencontre, non d’un étalage de virtuosité gratuite. Du reste, la simplicité l’emporte sur la sophistication. L’humour n’est jamais très loin et la pianiste en connaît les ressorts, elle qui a le génie des titres : n’improvise-t-elle pas sur un morceau qu’elle a baptisé Chou à la crème, parce que c’est « (son) dessert préféré » ? Son partenaire, lui, interprète en solo une de ses compositions intitulée « Jésus de Nazareth ». Comme quoi il faut de tout pour faire un monde. Et le monde ce ces deux-là est, au bout du compte,  infiniment attachant.

 

Jacques Aboucaya| 

Le coup d’envoi de cette quinzième édition a drainé au Parc des Expositions de Saint-Gaudens une foule copieuse. Composite aussi, ce qui laisse bien augurer de la suite : s’y côtoient jeunes et moins jeunes, attirés les uns et les autres par l’importance et la réputation croissantes de la manifestation. Parmi eux, nombre d’habitués, dont certains venus, comme chaque année, du Val d’Aran espagnol, tout proche. Pas vraiment un saut dans l’inconnu. Si l’affiche a de quoi séduire, c’est que Philippe Léogé aussi bien qu’Hiromi ont laissé ici des souvenirs prégnants. Le  premier s’est largement impliqué, les années précédentes, dans Jazz en Comminges, In et Off confondus. La seconde a marqué les esprits par sa virtuosité et l’énergie qui en fait une manière de phénomène unique.

Cette fois, les contextes sont, certes, différents. Le pianiste toulousain dirige, depuis ses claviers, une grande formation propre à servir son talent de compositeur et d’arrangeur. Retour à ses premières amours. Les anciens se souviennent qu’il dirigea longtemps avec succès le Big Band 31 dont Garonne est, en quelque manière, l’avatar. Non que le style en soit perpétué. Léogé a pris résolument le virage de l’électro. Il cultive les grooves ravageurs (Le Colosse du Rhodes), privilégie un son de masse, fait dialoguer les pupitres, use des riffs et des tutti, comme sut en son temps le faire un Count Basie.  Mais si demeure la référence très fugitive au jazz « classique » et aux standards, c’est surtout sous forme de clin d’œil. Ainsi du I’ve Got You Under My Skin, largement distancié, que détaille la chanteuse Frédérika.

Cette dernière prend du reste une part importante dans l’élaboration et l’interprétation d’un répertoire qui emprunte souvent à la pop, au funk et à la soul, voire explore une sorte de fusion qui s’apparente au « Troisième courant ». Ainsi de l’utilisation d’un matériau original, le répertoire des troubadours occitans, tout droit remonté du Moyen-âge à travers les siècles et auquel les arrangements du leader confèrent une novelle jeunesse.

Outre Frédérika, sa voix bien timbrée et sa présence scénique, l’ensemble compte des individualités qui méritent d’être citées. D’abord la rythmique, omniprésente, remarquablement soudée – Cyril Amourette (g), Pascal Selma (b), Florent Tisseyre (perc), Fabien Tournier (dm). Ensuite, des solistes de la trempe de Jean-Michel Cabrol (ts), David Cayrou (bs) ou Rémy Vidal (tb), pour ne citer qu’eux. Sans compter Léogé, même si l’on est en droit de regretter que les dons de pianiste subtil auxquels il nous avait accoutumés ne se manifestent pas plus souvent, submergés qu’ils sont par d’implacables déferlantes sonores. Telles sont, à mon sens, les limites de ce big band. Le paroxysme y est cultivé de façon intensive, continue. Sans la moindre trêve. Sans ces espaces de respiration susceptibles de conférer à la musique un véritable relief. Réserves superfétatoires, au demeurant. Il serait bien incongru, sinon malséant, de juger cet ensemble ancré dans la modernité à l’aune des big bands de la Swing Era. Nous nous garderons donc de tomber dans ce travers !

Sur Hiromi, tous les superlatifs ont déjà été utilisés. Technique pianistique  stupéfiante, énergie quasiment électrique qui la projette parfois hors de son tabouret en des soubresauts évoquant les réactions de la grenouille sous les impulsions galvaniques des laborantins. Rien de surprenant si elle a séduit aussi bien Chick Corea qu’Ahmad Jamal. Avec cela, un toucher à la fois puissant et « perlé », une musicalité sans faille et une imagination qui lui permet d’improviser de longues phrases sans que son discours s’éloigne d’une imperturbable logique.

Moins connu, le harpiste colombien Edmar Castaneda avec qui elle forme un duo à l’originalité incontestable. Ils se sont rencontrés au Montréal Jazz Festival en 2016 et, depuis,  leur collaboration a produit des fruits savoureux. C’est que leur esthétique musicale apparaît si semblable qu’ils y puisent l’un et l’autre une stimulation des plus fécondes. Castaneda a mis son talent et sa technique au service de jazzmen aussi éminents que Paquito D’Rivera ou Wynton Marsalis, au sein du Lincoln Center Jazz Orchestra. C’est dire son expérience et sa faculté d’adaptation.

Son dialogue avec la pianiste se caractérise par la fluidité. Nulle rupture, nul hiatus. Chacun prolonge la phrase de l’autre avec un si parfait naturel que leur commun propos y gagne une cohérence quasi évidente. Connivence, mais aussi passes d’armes. Le débit, souvent torrentueux, sait se faire méditatif pour aborder des rivages où règne la sérénité. Cette alternance de frénésie et de douceur témoigne d’une véritable rencontre, non d’un étalage de virtuosité gratuite. Du reste, la simplicité l’emporte sur la sophistication. L’humour n’est jamais très loin et la pianiste en connaît les ressorts, elle qui a le génie des titres : n’improvise-t-elle pas sur un morceau qu’elle a baptisé Chou à la crème, parce que c’est « (son) dessert préféré » ? Son partenaire, lui, interprète en solo une de ses compositions intitulée « Jésus de Nazareth ». Comme quoi il faut de tout pour faire un monde. Et le monde ce ces deux-là est, au bout du compte,  infiniment attachant.

 

Jacques Aboucaya| 

Le coup d’envoi de cette quinzième édition a drainé au Parc des Expositions de Saint-Gaudens une foule copieuse. Composite aussi, ce qui laisse bien augurer de la suite : s’y côtoient jeunes et moins jeunes, attirés les uns et les autres par l’importance et la réputation croissantes de la manifestation. Parmi eux, nombre d’habitués, dont certains venus, comme chaque année, du Val d’Aran espagnol, tout proche. Pas vraiment un saut dans l’inconnu. Si l’affiche a de quoi séduire, c’est que Philippe Léogé aussi bien qu’Hiromi ont laissé ici des souvenirs prégnants. Le  premier s’est largement impliqué, les années précédentes, dans Jazz en Comminges, In et Off confondus. La seconde a marqué les esprits par sa virtuosité et l’énergie qui en fait une manière de phénomène unique.

Cette fois, les contextes sont, certes, différents. Le pianiste toulousain dirige, depuis ses claviers, une grande formation propre à servir son talent de compositeur et d’arrangeur. Retour à ses premières amours. Les anciens se souviennent qu’il dirigea longtemps avec succès le Big Band 31 dont Garonne est, en quelque manière, l’avatar. Non que le style en soit perpétué. Léogé a pris résolument le virage de l’électro. Il cultive les grooves ravageurs (Le Colosse du Rhodes), privilégie un son de masse, fait dialoguer les pupitres, use des riffs et des tutti, comme sut en son temps le faire un Count Basie.  Mais si demeure la référence très fugitive au jazz « classique » et aux standards, c’est surtout sous forme de clin d’œil. Ainsi du I’ve Got You Under My Skin, largement distancié, que détaille la chanteuse Frédérika.

Cette dernière prend du reste une part importante dans l’élaboration et l’interprétation d’un répertoire qui emprunte souvent à la pop, au funk et à la soul, voire explore une sorte de fusion qui s’apparente au « Troisième courant ». Ainsi de l’utilisation d’un matériau original, le répertoire des troubadours occitans, tout droit remonté du Moyen-âge à travers les siècles et auquel les arrangements du leader confèrent une novelle jeunesse.

Outre Frédérika, sa voix bien timbrée et sa présence scénique, l’ensemble compte des individualités qui méritent d’être citées. D’abord la rythmique, omniprésente, remarquablement soudée – Cyril Amourette (g), Pascal Selma (b), Florent Tisseyre (perc), Fabien Tournier (dm). Ensuite, des solistes de la trempe de Jean-Michel Cabrol (ts), David Cayrou (bs) ou Rémy Vidal (tb), pour ne citer qu’eux. Sans compter Léogé, même si l’on est en droit de regretter que les dons de pianiste subtil auxquels il nous avait accoutumés ne se manifestent pas plus souvent, submergés qu’ils sont par d’implacables déferlantes sonores. Telles sont, à mon sens, les limites de ce big band. Le paroxysme y est cultivé de façon intensive, continue. Sans la moindre trêve. Sans ces espaces de respiration susceptibles de conférer à la musique un véritable relief. Réserves superfétatoires, au demeurant. Il serait bien incongru, sinon malséant, de juger cet ensemble ancré dans la modernité à l’aune des big bands de la Swing Era. Nous nous garderons donc de tomber dans ce travers !

Sur Hiromi, tous les superlatifs ont déjà été utilisés. Technique pianistique  stupéfiante, énergie quasiment électrique qui la projette parfois hors de son tabouret en des soubresauts évoquant les réactions de la grenouille sous les impulsions galvaniques des laborantins. Rien de surprenant si elle a séduit aussi bien Chick Corea qu’Ahmad Jamal. Avec cela, un toucher à la fois puissant et « perlé », une musicalité sans faille et une imagination qui lui permet d’improviser de longues phrases sans que son discours s’éloigne d’une imperturbable logique.

Moins connu, le harpiste colombien Edmar Castaneda avec qui elle forme un duo à l’originalité incontestable. Ils se sont rencontrés au Montréal Jazz Festival en 2016 et, depuis,  leur collaboration a produit des fruits savoureux. C’est que leur esthétique musicale apparaît si semblable qu’ils y puisent l’un et l’autre une stimulation des plus fécondes. Castaneda a mis son talent et sa technique au service de jazzmen aussi éminents que Paquito D’Rivera ou Wynton Marsalis, au sein du Lincoln Center Jazz Orchestra. C’est dire son expérience et sa faculté d’adaptation.

Son dialogue avec la pianiste se caractérise par la fluidité. Nulle rupture, nul hiatus. Chacun prolonge la phrase de l’autre avec un si parfait naturel que leur commun propos y gagne une cohérence quasi évidente. Connivence, mais aussi passes d’armes. Le débit, souvent torrentueux, sait se faire méditatif pour aborder des rivages où règne la sérénité. Cette alternance de frénésie et de douceur témoigne d’une véritable rencontre, non d’un étalage de virtuosité gratuite. Du reste, la simplicité l’emporte sur la sophistication. L’humour n’est jamais très loin et la pianiste en connaît les ressorts, elle qui a le génie des titres : n’improvise-t-elle pas sur un morceau qu’elle a baptisé Chou à la crème, parce que c’est « (son) dessert préféré » ? Son partenaire, lui, interprète en solo une de ses compositions intitulée « Jésus de Nazareth ». Comme quoi il faut de tout pour faire un monde. Et le monde ce ces deux-là est, au bout du compte,  infiniment attachant.

 

Jacques Aboucaya| 

Le coup d’envoi de cette quinzième édition a drainé au Parc des Expositions de Saint-Gaudens une foule copieuse. Composite aussi, ce qui laisse bien augurer de la suite : s’y côtoient jeunes et moins jeunes, attirés les uns et les autres par l’importance et la réputation croissantes de la manifestation. Parmi eux, nombre d’habitués, dont certains venus, comme chaque année, du Val d’Aran espagnol, tout proche. Pas vraiment un saut dans l’inconnu. Si l’affiche a de quoi séduire, c’est que Philippe Léogé aussi bien qu’Hiromi ont laissé ici des souvenirs prégnants. Le  premier s’est largement impliqué, les années précédentes, dans Jazz en Comminges, In et Off confondus. La seconde a marqué les esprits par sa virtuosité et l’énergie qui en fait une manière de phénomène unique.

Cette fois, les contextes sont, certes, différents. Le pianiste toulousain dirige, depuis ses claviers, une grande formation propre à servir son talent de compositeur et d’arrangeur. Retour à ses premières amours. Les anciens se souviennent qu’il dirigea longtemps avec succès le Big Band 31 dont Garonne est, en quelque manière, l’avatar. Non que le style en soit perpétué. Léogé a pris résolument le virage de l’électro. Il cultive les grooves ravageurs (Le Colosse du Rhodes), privilégie un son de masse, fait dialoguer les pupitres, use des riffs et des tutti, comme sut en son temps le faire un Count Basie.  Mais si demeure la référence très fugitive au jazz « classique » et aux standards, c’est surtout sous forme de clin d’œil. Ainsi du I’ve Got You Under My Skin, largement distancié, que détaille la chanteuse Frédérika.

Cette dernière prend du reste une part importante dans l’élaboration et l’interprétation d’un répertoire qui emprunte souvent à la pop, au funk et à la soul, voire explore une sorte de fusion qui s’apparente au « Troisième courant ». Ainsi de l’utilisation d’un matériau original, le répertoire des troubadours occitans, tout droit remonté du Moyen-âge à travers les siècles et auquel les arrangements du leader confèrent une novelle jeunesse.

Outre Frédérika, sa voix bien timbrée et sa présence scénique, l’ensemble compte des individualités qui méritent d’être citées. D’abord la rythmique, omniprésente, remarquablement soudée – Cyril Amourette (g), Pascal Selma (b), Florent Tisseyre (perc), Fabien Tournier (dm). Ensuite, des solistes de la trempe de Jean-Michel Cabrol (ts), David Cayrou (bs) ou Rémy Vidal (tb), pour ne citer qu’eux. Sans compter Léogé, même si l’on est en droit de regretter que les dons de pianiste subtil auxquels il nous avait accoutumés ne se manifestent pas plus souvent, submergés qu’ils sont par d’implacables déferlantes sonores. Telles sont, à mon sens, les limites de ce big band. Le paroxysme y est cultivé de façon intensive, continue. Sans la moindre trêve. Sans ces espaces de respiration susceptibles de conférer à la musique un véritable relief. Réserves superfétatoires, au demeurant. Il serait bien incongru, sinon malséant, de juger cet ensemble ancré dans la modernité à l’aune des big bands de la Swing Era. Nous nous garderons donc de tomber dans ce travers !

Sur Hiromi, tous les superlatifs ont déjà été utilisés. Technique pianistique  stupéfiante, énergie quasiment électrique qui la projette parfois hors de son tabouret en des soubresauts évoquant les réactions de la grenouille sous les impulsions galvaniques des laborantins. Rien de surprenant si elle a séduit aussi bien Chick Corea qu’Ahmad Jamal. Avec cela, un toucher à la fois puissant et « perlé », une musicalité sans faille et une imagination qui lui permet d’improviser de longues phrases sans que son discours s’éloigne d’une imperturbable logique.

Moins connu, le harpiste colombien Edmar Castaneda avec qui elle forme un duo à l’originalité incontestable. Ils se sont rencontrés au Montréal Jazz Festival en 2016 et, depuis,  leur collaboration a produit des fruits savoureux. C’est que leur esthétique musicale apparaît si semblable qu’ils y puisent l’un et l’autre une stimulation des plus fécondes. Castaneda a mis son talent et sa technique au service de jazzmen aussi éminents que Paquito D’Rivera ou Wynton Marsalis, au sein du Lincoln Center Jazz Orchestra. C’est dire son expérience et sa faculté d’adaptation.

Son dialogue avec la pianiste se caractérise par la fluidité. Nulle rupture, nul hiatus. Chacun prolonge la phrase de l’autre avec un si parfait naturel que leur commun propos y gagne une cohérence quasi évidente. Connivence, mais aussi passes d’armes. Le débit, souvent torrentueux, sait se faire méditatif pour aborder des rivages où règne la sérénité. Cette alternance de frénésie et de douceur témoigne d’une véritable rencontre, non d’un étalage de virtuosité gratuite. Du reste, la simplicité l’emporte sur la sophistication. L’humour n’est jamais très loin et la pianiste en connaît les ressorts, elle qui a le génie des titres : n’improvise-t-elle pas sur un morceau qu’elle a baptisé Chou à la crème, parce que c’est « (son) dessert préféré » ? Son partenaire, lui, interprète en solo une de ses compositions intitulée « Jésus de Nazareth ». Comme quoi il faut de tout pour faire un monde. Et le monde ce ces deux-là est, au bout du compte,  infiniment attachant.

 

Jacques Aboucaya