Jazz live
Publié le 28 Mai 2017

Jazz en Comminges. Kyle Eastwood / Monty Alexander / Jamie Cullum

Les dernières soirées du festival, les 26 et 27 mai, s’inscrivaient dans le droit fil du souhait exprimé par les organisateurs : offrir une large palette de styles, représentative de la diversité du jazz. Témoigner ainsi de la capacité de cette musique à s’ouvrir sur des horizons nouveaux, sans pour autant se couper de  ses racines. Ainsi, après un début riche de contrastes, le retour à des valeurs sûres s’est avéré judicieux. Jamais le Parc des Expositions n’avait connu une telle affluence.

Salle comble, donc, pour Kyle Eastwood (b, elb) dont le quartette – Quentin Collins (tp, bu), Andrew McCormack (p), Chris Higginbotton (dm) – accueillait Stefano di Battista (as, ss). Un invité de luxe s’intégrant parfaitement à une formation avec laquelle il partage une esthétique commune, grosso modo celle du post-bop. L’occasion, une fois encore, d’apprécier le lyrisme du saxophoniste, sa fluidité, sa sonorité, singulièrement au soprano où il se démarque de ses devanciers sur un instrument réputé ingrat. Tout aussi remarquable, son intervention à l’alto dans l’un des thèmes les plus joués de Charles Mingus, Boogie Stop Shuffle.

Cette référence à un grand ancêtre est de circonstance. Le leader, qui alterne contrebasse et basse électrique, n’aurait sûrement pas l’outrecuidance de se comparer à l’auteur des Fables of Faubus. Il a pourtant, ces dernières années, gagné en maîtrise. Après des errances diverses, son jeu, désormais recentré sur des valeurs sûres (les fondamentaux, diraient les sportifs), semble s’être simplifié. L’accompagnateur a pris une incontestable assurance. Le soliste, une capacité à se mouvoir dans des climats aussi divers que celui d’Ennio Morricone (un thème de Cinema Paradiso), l’exotisme d’une composition personnelle (Marrakech), une musique de film créée pour son père. Voire, en rappel, un blues fédérateur de belle venue, sur lequel chacun est invité à s’exprimer.

Sur ces chemins soigneusement balisés, trop, peut-être, au gré de certains, ses partenaires l’escortent sans la moindre réticence, le moindre faux pas. Quentin Collins se révèle improvisateur aux développements toujours logiques, au jeu véloce. Doté, au bugle, d’une belle matité de son. A noter le jeu brillant et la subtilité harmonique du pianiste dont la complicité avec le bassiste (électrique, en l’occurrence) atteint son apogée sur une ballade interprétée en duo. S’il fallait à tout prix émettre une réserve, elle concernerait le batteur dont l’accompagnement gagnerait parfois à être plus aérien. Vétille. Nobody’s perfect : c’est la conclusion d’un fameux film de Billy Wilder. Qui oserait la contredire ?

Monty Alexander propose (et impose) un tout autre climat. On connaît l’originalité d’un projet déjà présenté ici et qui rallie, une fois encore, les suffrages : établir un pont entre ses deux sources d’inspiration, le jazz et la musique de sa Jamaïque natale, ce reggae qu’il n’aura, finalement, pas cessé de cultiver, fût-ce sporadiquement, au long de sa carrière.

Encore le terme de pont serait-il inapproprié, sauf à considérer qu’il incarne lui-même ce lien. Il s’agit plutôt de la coexistence de deux genres musicaux tour à tour en vedette, sous les espèces de deux trios alternativement sollicités. Formule originale. On songe au double quartette mis sur pied par Ornette Coleman au début des années 60. Ressemblance uniquement formelle. Ici, le pianiste joue le rôle de pivot, ou de catalyseur, dont le rôle consiste à passer le témoin.

Occasion pour apprécier son sens rythmique exceptionnel, sa façon unique de faire « respirer » ses phrases, cette économie de moyens qui met en valeur un swing que l’on pourrait qualifier de naturel. Qu’il joue le blues ou cite des phrases de Bob Marley, qu’il sollicite le batteur Steve Brown ou le spectaculaire percussionniste Karl Wright, semblable aisance. Semblable capacité à se mouvoir dans le climat du Delta du Mississippi ou dans celui des Caraïbes. Parlera-t-on de fusion ? Pas vraiment. Ou alors, elle est aussi éloignée qu’il se peut du melting pot auquel nous ont trop souvent habitués quelques mariages incongrus. Il s’agit ici d’une union de cœur – c’est toute la différence.

Final en apothéose, le lendemain. Jamais, de mémoire de festivalier, on n’avait connu telle affluence. Immenses files d’attente, salle archicomble. Au point que les allées elles-mêmes sont envahies par des grappes de spectateurs frénétiques, prêts à tout pour mitrailler l’idole avec un téléphone portable. Quant à l’approcher d’assez près pour effleurer son bras ou son épaule, c’est un nirvana auquel parviennent seulement quelques rares élus.

Le responsable de cet engouement, ou de ce culte, Jamie Cullum. La soirée finale lui est entièrement consacrée, à lui et au quartette qui lui donne la réplique et d’où émergent Rory Simmons (tp, g) et Tom Richards (ts, claviers). Réputation non usurpée. Le chanteur, dont la voix a gagné dans le registre grave, possède toujours un abattage impressionnant. Son jeu de piano est plus qu’honorable. Il taquine toujours à l’occasion, avec la même désinvolture, une caisse claire déposée sur son chemin (il jettera dans le public sa paire de baguettes, au risque de déclencher l’émeute). Son talent, celui d’un crooner (What A Difference A Day Makes) qui sait se muer en bluesman ou en chanteur de pop, repose sur une énergie infatigable. Rompu de surcroît à l’art des transitions qui lui permet de passer d’un registre à un autre, de la douceur à la véhémence. Ainsi sa prestation se déroule-t-elle du début à la fin sans la moindre rupture. Un long fleuve – mais qui n’aurait rien de tranquille.

Faut-il dresse un bilan de cette quinzième édition de Jazz en Comminges ? Superflu. Cette dernière soirée est, en elle-même, assez éloquente. Reste à Pierre Jammes, Bernard Cadène et leur équipe du CLAP à se tourner vers la programmation de l’an prochain. Ce pourquoi nous leur souhaitons bonne chance !

Jacques Aboucaya|Les dernières soirées du festival, les 26 et 27 mai, s’inscrivaient dans le droit fil du souhait exprimé par les organisateurs : offrir une large palette de styles, représentative de la diversité du jazz. Témoigner ainsi de la capacité de cette musique à s’ouvrir sur des horizons nouveaux, sans pour autant se couper de  ses racines. Ainsi, après un début riche de contrastes, le retour à des valeurs sûres s’est avéré judicieux. Jamais le Parc des Expositions n’avait connu une telle affluence.

Salle comble, donc, pour Kyle Eastwood (b, elb) dont le quartette – Quentin Collins (tp, bu), Andrew McCormack (p), Chris Higginbotton (dm) – accueillait Stefano di Battista (as, ss). Un invité de luxe s’intégrant parfaitement à une formation avec laquelle il partage une esthétique commune, grosso modo celle du post-bop. L’occasion, une fois encore, d’apprécier le lyrisme du saxophoniste, sa fluidité, sa sonorité, singulièrement au soprano où il se démarque de ses devanciers sur un instrument réputé ingrat. Tout aussi remarquable, son intervention à l’alto dans l’un des thèmes les plus joués de Charles Mingus, Boogie Stop Shuffle.

Cette référence à un grand ancêtre est de circonstance. Le leader, qui alterne contrebasse et basse électrique, n’aurait sûrement pas l’outrecuidance de se comparer à l’auteur des Fables of Faubus. Il a pourtant, ces dernières années, gagné en maîtrise. Après des errances diverses, son jeu, désormais recentré sur des valeurs sûres (les fondamentaux, diraient les sportifs), semble s’être simplifié. L’accompagnateur a pris une incontestable assurance. Le soliste, une capacité à se mouvoir dans des climats aussi divers que celui d’Ennio Morricone (un thème de Cinema Paradiso), l’exotisme d’une composition personnelle (Marrakech), une musique de film créée pour son père. Voire, en rappel, un blues fédérateur de belle venue, sur lequel chacun est invité à s’exprimer.

Sur ces chemins soigneusement balisés, trop, peut-être, au gré de certains, ses partenaires l’escortent sans la moindre réticence, le moindre faux pas. Quentin Collins se révèle improvisateur aux développements toujours logiques, au jeu véloce. Doté, au bugle, d’une belle matité de son. A noter le jeu brillant et la subtilité harmonique du pianiste dont la complicité avec le bassiste (électrique, en l’occurrence) atteint son apogée sur une ballade interprétée en duo. S’il fallait à tout prix émettre une réserve, elle concernerait le batteur dont l’accompagnement gagnerait parfois à être plus aérien. Vétille. Nobody’s perfect : c’est la conclusion d’un fameux film de Billy Wilder. Qui oserait la contredire ?

Monty Alexander propose (et impose) un tout autre climat. On connaît l’originalité d’un projet déjà présenté ici et qui rallie, une fois encore, les suffrages : établir un pont entre ses deux sources d’inspiration, le jazz et la musique de sa Jamaïque natale, ce reggae qu’il n’aura, finalement, pas cessé de cultiver, fût-ce sporadiquement, au long de sa carrière.

Encore le terme de pont serait-il inapproprié, sauf à considérer qu’il incarne lui-même ce lien. Il s’agit plutôt de la coexistence de deux genres musicaux tour à tour en vedette, sous les espèces de deux trios alternativement sollicités. Formule originale. On songe au double quartette mis sur pied par Ornette Coleman au début des années 60. Ressemblance uniquement formelle. Ici, le pianiste joue le rôle de pivot, ou de catalyseur, dont le rôle consiste à passer le témoin.

Occasion pour apprécier son sens rythmique exceptionnel, sa façon unique de faire « respirer » ses phrases, cette économie de moyens qui met en valeur un swing que l’on pourrait qualifier de naturel. Qu’il joue le blues ou cite des phrases de Bob Marley, qu’il sollicite le batteur Steve Brown ou le spectaculaire percussionniste Karl Wright, semblable aisance. Semblable capacité à se mouvoir dans le climat du Delta du Mississippi ou dans celui des Caraïbes. Parlera-t-on de fusion ? Pas vraiment. Ou alors, elle est aussi éloignée qu’il se peut du melting pot auquel nous ont trop souvent habitués quelques mariages incongrus. Il s’agit ici d’une union de cœur – c’est toute la différence.

Final en apothéose, le lendemain. Jamais, de mémoire de festivalier, on n’avait connu telle affluence. Immenses files d’attente, salle archicomble. Au point que les allées elles-mêmes sont envahies par des grappes de spectateurs frénétiques, prêts à tout pour mitrailler l’idole avec un téléphone portable. Quant à l’approcher d’assez près pour effleurer son bras ou son épaule, c’est un nirvana auquel parviennent seulement quelques rares élus.

Le responsable de cet engouement, ou de ce culte, Jamie Cullum. La soirée finale lui est entièrement consacrée, à lui et au quartette qui lui donne la réplique et d’où émergent Rory Simmons (tp, g) et Tom Richards (ts, claviers). Réputation non usurpée. Le chanteur, dont la voix a gagné dans le registre grave, possède toujours un abattage impressionnant. Son jeu de piano est plus qu’honorable. Il taquine toujours à l’occasion, avec la même désinvolture, une caisse claire déposée sur son chemin (il jettera dans le public sa paire de baguettes, au risque de déclencher l’émeute). Son talent, celui d’un crooner (What A Difference A Day Makes) qui sait se muer en bluesman ou en chanteur de pop, repose sur une énergie infatigable. Rompu de surcroît à l’art des transitions qui lui permet de passer d’un registre à un autre, de la douceur à la véhémence. Ainsi sa prestation se déroule-t-elle du début à la fin sans la moindre rupture. Un long fleuve – mais qui n’aurait rien de tranquille.

Faut-il dresse un bilan de cette quinzième édition de Jazz en Comminges ? Superflu. Cette dernière soirée est, en elle-même, assez éloquente. Reste à Pierre Jammes, Bernard Cadène et leur équipe du CLAP à se tourner vers la programmation de l’an prochain. Ce pourquoi nous leur souhaitons bonne chance !

Jacques Aboucaya|Les dernières soirées du festival, les 26 et 27 mai, s’inscrivaient dans le droit fil du souhait exprimé par les organisateurs : offrir une large palette de styles, représentative de la diversité du jazz. Témoigner ainsi de la capacité de cette musique à s’ouvrir sur des horizons nouveaux, sans pour autant se couper de  ses racines. Ainsi, après un début riche de contrastes, le retour à des valeurs sûres s’est avéré judicieux. Jamais le Parc des Expositions n’avait connu une telle affluence.

Salle comble, donc, pour Kyle Eastwood (b, elb) dont le quartette – Quentin Collins (tp, bu), Andrew McCormack (p), Chris Higginbotton (dm) – accueillait Stefano di Battista (as, ss). Un invité de luxe s’intégrant parfaitement à une formation avec laquelle il partage une esthétique commune, grosso modo celle du post-bop. L’occasion, une fois encore, d’apprécier le lyrisme du saxophoniste, sa fluidité, sa sonorité, singulièrement au soprano où il se démarque de ses devanciers sur un instrument réputé ingrat. Tout aussi remarquable, son intervention à l’alto dans l’un des thèmes les plus joués de Charles Mingus, Boogie Stop Shuffle.

Cette référence à un grand ancêtre est de circonstance. Le leader, qui alterne contrebasse et basse électrique, n’aurait sûrement pas l’outrecuidance de se comparer à l’auteur des Fables of Faubus. Il a pourtant, ces dernières années, gagné en maîtrise. Après des errances diverses, son jeu, désormais recentré sur des valeurs sûres (les fondamentaux, diraient les sportifs), semble s’être simplifié. L’accompagnateur a pris une incontestable assurance. Le soliste, une capacité à se mouvoir dans des climats aussi divers que celui d’Ennio Morricone (un thème de Cinema Paradiso), l’exotisme d’une composition personnelle (Marrakech), une musique de film créée pour son père. Voire, en rappel, un blues fédérateur de belle venue, sur lequel chacun est invité à s’exprimer.

Sur ces chemins soigneusement balisés, trop, peut-être, au gré de certains, ses partenaires l’escortent sans la moindre réticence, le moindre faux pas. Quentin Collins se révèle improvisateur aux développements toujours logiques, au jeu véloce. Doté, au bugle, d’une belle matité de son. A noter le jeu brillant et la subtilité harmonique du pianiste dont la complicité avec le bassiste (électrique, en l’occurrence) atteint son apogée sur une ballade interprétée en duo. S’il fallait à tout prix émettre une réserve, elle concernerait le batteur dont l’accompagnement gagnerait parfois à être plus aérien. Vétille. Nobody’s perfect : c’est la conclusion d’un fameux film de Billy Wilder. Qui oserait la contredire ?

Monty Alexander propose (et impose) un tout autre climat. On connaît l’originalité d’un projet déjà présenté ici et qui rallie, une fois encore, les suffrages : établir un pont entre ses deux sources d’inspiration, le jazz et la musique de sa Jamaïque natale, ce reggae qu’il n’aura, finalement, pas cessé de cultiver, fût-ce sporadiquement, au long de sa carrière.

Encore le terme de pont serait-il inapproprié, sauf à considérer qu’il incarne lui-même ce lien. Il s’agit plutôt de la coexistence de deux genres musicaux tour à tour en vedette, sous les espèces de deux trios alternativement sollicités. Formule originale. On songe au double quartette mis sur pied par Ornette Coleman au début des années 60. Ressemblance uniquement formelle. Ici, le pianiste joue le rôle de pivot, ou de catalyseur, dont le rôle consiste à passer le témoin.

Occasion pour apprécier son sens rythmique exceptionnel, sa façon unique de faire « respirer » ses phrases, cette économie de moyens qui met en valeur un swing que l’on pourrait qualifier de naturel. Qu’il joue le blues ou cite des phrases de Bob Marley, qu’il sollicite le batteur Steve Brown ou le spectaculaire percussionniste Karl Wright, semblable aisance. Semblable capacité à se mouvoir dans le climat du Delta du Mississippi ou dans celui des Caraïbes. Parlera-t-on de fusion ? Pas vraiment. Ou alors, elle est aussi éloignée qu’il se peut du melting pot auquel nous ont trop souvent habitués quelques mariages incongrus. Il s’agit ici d’une union de cœur – c’est toute la différence.

Final en apothéose, le lendemain. Jamais, de mémoire de festivalier, on n’avait connu telle affluence. Immenses files d’attente, salle archicomble. Au point que les allées elles-mêmes sont envahies par des grappes de spectateurs frénétiques, prêts à tout pour mitrailler l’idole avec un téléphone portable. Quant à l’approcher d’assez près pour effleurer son bras ou son épaule, c’est un nirvana auquel parviennent seulement quelques rares élus.

Le responsable de cet engouement, ou de ce culte, Jamie Cullum. La soirée finale lui est entièrement consacrée, à lui et au quartette qui lui donne la réplique et d’où émergent Rory Simmons (tp, g) et Tom Richards (ts, claviers). Réputation non usurpée. Le chanteur, dont la voix a gagné dans le registre grave, possède toujours un abattage impressionnant. Son jeu de piano est plus qu’honorable. Il taquine toujours à l’occasion, avec la même désinvolture, une caisse claire déposée sur son chemin (il jettera dans le public sa paire de baguettes, au risque de déclencher l’émeute). Son talent, celui d’un crooner (What A Difference A Day Makes) qui sait se muer en bluesman ou en chanteur de pop, repose sur une énergie infatigable. Rompu de surcroît à l’art des transitions qui lui permet de passer d’un registre à un autre, de la douceur à la véhémence. Ainsi sa prestation se déroule-t-elle du début à la fin sans la moindre rupture. Un long fleuve – mais qui n’aurait rien de tranquille.

Faut-il dresse un bilan de cette quinzième édition de Jazz en Comminges ? Superflu. Cette dernière soirée est, en elle-même, assez éloquente. Reste à Pierre Jammes, Bernard Cadène et leur équipe du CLAP à se tourner vers la programmation de l’an prochain. Ce pourquoi nous leur souhaitons bonne chance !

Jacques Aboucaya|Les dernières soirées du festival, les 26 et 27 mai, s’inscrivaient dans le droit fil du souhait exprimé par les organisateurs : offrir une large palette de styles, représentative de la diversité du jazz. Témoigner ainsi de la capacité de cette musique à s’ouvrir sur des horizons nouveaux, sans pour autant se couper de  ses racines. Ainsi, après un début riche de contrastes, le retour à des valeurs sûres s’est avéré judicieux. Jamais le Parc des Expositions n’avait connu une telle affluence.

Salle comble, donc, pour Kyle Eastwood (b, elb) dont le quartette – Quentin Collins (tp, bu), Andrew McCormack (p), Chris Higginbotton (dm) – accueillait Stefano di Battista (as, ss). Un invité de luxe s’intégrant parfaitement à une formation avec laquelle il partage une esthétique commune, grosso modo celle du post-bop. L’occasion, une fois encore, d’apprécier le lyrisme du saxophoniste, sa fluidité, sa sonorité, singulièrement au soprano où il se démarque de ses devanciers sur un instrument réputé ingrat. Tout aussi remarquable, son intervention à l’alto dans l’un des thèmes les plus joués de Charles Mingus, Boogie Stop Shuffle.

Cette référence à un grand ancêtre est de circonstance. Le leader, qui alterne contrebasse et basse électrique, n’aurait sûrement pas l’outrecuidance de se comparer à l’auteur des Fables of Faubus. Il a pourtant, ces dernières années, gagné en maîtrise. Après des errances diverses, son jeu, désormais recentré sur des valeurs sûres (les fondamentaux, diraient les sportifs), semble s’être simplifié. L’accompagnateur a pris une incontestable assurance. Le soliste, une capacité à se mouvoir dans des climats aussi divers que celui d’Ennio Morricone (un thème de Cinema Paradiso), l’exotisme d’une composition personnelle (Marrakech), une musique de film créée pour son père. Voire, en rappel, un blues fédérateur de belle venue, sur lequel chacun est invité à s’exprimer.

Sur ces chemins soigneusement balisés, trop, peut-être, au gré de certains, ses partenaires l’escortent sans la moindre réticence, le moindre faux pas. Quentin Collins se révèle improvisateur aux développements toujours logiques, au jeu véloce. Doté, au bugle, d’une belle matité de son. A noter le jeu brillant et la subtilité harmonique du pianiste dont la complicité avec le bassiste (électrique, en l’occurrence) atteint son apogée sur une ballade interprétée en duo. S’il fallait à tout prix émettre une réserve, elle concernerait le batteur dont l’accompagnement gagnerait parfois à être plus aérien. Vétille. Nobody’s perfect : c’est la conclusion d’un fameux film de Billy Wilder. Qui oserait la contredire ?

Monty Alexander propose (et impose) un tout autre climat. On connaît l’originalité d’un projet déjà présenté ici et qui rallie, une fois encore, les suffrages : établir un pont entre ses deux sources d’inspiration, le jazz et la musique de sa Jamaïque natale, ce reggae qu’il n’aura, finalement, pas cessé de cultiver, fût-ce sporadiquement, au long de sa carrière.

Encore le terme de pont serait-il inapproprié, sauf à considérer qu’il incarne lui-même ce lien. Il s’agit plutôt de la coexistence de deux genres musicaux tour à tour en vedette, sous les espèces de deux trios alternativement sollicités. Formule originale. On songe au double quartette mis sur pied par Ornette Coleman au début des années 60. Ressemblance uniquement formelle. Ici, le pianiste joue le rôle de pivot, ou de catalyseur, dont le rôle consiste à passer le témoin.

Occasion pour apprécier son sens rythmique exceptionnel, sa façon unique de faire « respirer » ses phrases, cette économie de moyens qui met en valeur un swing que l’on pourrait qualifier de naturel. Qu’il joue le blues ou cite des phrases de Bob Marley, qu’il sollicite le batteur Steve Brown ou le spectaculaire percussionniste Karl Wright, semblable aisance. Semblable capacité à se mouvoir dans le climat du Delta du Mississippi ou dans celui des Caraïbes. Parlera-t-on de fusion ? Pas vraiment. Ou alors, elle est aussi éloignée qu’il se peut du melting pot auquel nous ont trop souvent habitués quelques mariages incongrus. Il s’agit ici d’une union de cœur – c’est toute la différence.

Final en apothéose, le lendemain. Jamais, de mémoire de festivalier, on n’avait connu telle affluence. Immenses files d’attente, salle archicomble. Au point que les allées elles-mêmes sont envahies par des grappes de spectateurs frénétiques, prêts à tout pour mitrailler l’idole avec un téléphone portable. Quant à l’approcher d’assez près pour effleurer son bras ou son épaule, c’est un nirvana auquel parviennent seulement quelques rares élus.

Le responsable de cet engouement, ou de ce culte, Jamie Cullum. La soirée finale lui est entièrement consacrée, à lui et au quartette qui lui donne la réplique et d’où émergent Rory Simmons (tp, g) et Tom Richards (ts, claviers). Réputation non usurpée. Le chanteur, dont la voix a gagné dans le registre grave, possède toujours un abattage impressionnant. Son jeu de piano est plus qu’honorable. Il taquine toujours à l’occasion, avec la même désinvolture, une caisse claire déposée sur son chemin (il jettera dans le public sa paire de baguettes, au risque de déclencher l’émeute). Son talent, celui d’un crooner (What A Difference A Day Makes) qui sait se muer en bluesman ou en chanteur de pop, repose sur une énergie infatigable. Rompu de surcroît à l’art des transitions qui lui permet de passer d’un registre à un autre, de la douceur à la véhémence. Ainsi sa prestation se déroule-t-elle du début à la fin sans la moindre rupture. Un long fleuve – mais qui n’aurait rien de tranquille.

Faut-il dresse un bilan de cette quinzième édition de Jazz en Comminges ? Superflu. Cette dernière soirée est, en elle-même, assez éloquente. Reste à Pierre Jammes, Bernard Cadène et leur équipe du CLAP à se tourner vers la programmation de l’an prochain. Ce pourquoi nous leur souhaitons bonne chance !

Jacques Aboucaya