Jazz live
Publié le 9 Août 2013

Jazz em Agosto, Lisbonne, Peter Evans Octet, et autres voyages

Pour Anne-Sophie et Nuno, nos guides dans Lisbonne

 

Fou furieux. De Mats Gustafsson à Peter Evans, en passant par ceux qui ont conçu le tram 28 à Lisbonne, et ceux qui le conduisent aujourd’hui, aucune différence. Dans tous les cas, la certitude absolue que ça va passer, la conviction inébranlable que c’est bien ça qu’il faut faire, et au fond un certain plaisir malin à vous faire passer des frissons dans l’échine et à vous en rajouter une couche si vous avez l’idée de faire savoir que vous êtes sur le point de craquer. J’exagère à peine.

 

 

Peter Evans Octet : Peter Evans (tp, comp), Ron Stabinsky (p, tp), Brandon Seabrook (g), Dan Peck (tuba), Tom Blancarte (b, euphonium), Sam Pluta (electronics), Jim Black (dm), Ian Antonio (perc)

 

 

Mais commençons par ce qui fit de la journé d’hier une préparation idéale au concert du soir. On nous avait parlé du tram 28 à Lisbonne, vanté la circulation qu’il assure entre les collines : oui, Lisbonne, comme Rome et Itxassou, est construite sur 7 collines. Ce qui explique que vous ne vous ennuyez jamais là-bas, comme dans les autres villes, célèbres pour leur festival de jazz contemporain, « Una Stricia di terra feconda » à Rome et « Errobiko Festibala » à Itxassou. Ici, c’est « Jazz Em Agosto ». Un jumelage serait amusant. Vous ne vous ennuyez jamais parce que ça monte, ou ça descend. Pas de calme plat. En jazz, c’est la même chose, il y a des formations qui jouent sur les contrastes permanents, et d’autres sur le lisse. Boyd Raeburn, par exemple. Duke Ellington ou Sun Ra, c’est plutôt sans cesse l’opposition des climats. 

 

Bon. Revenons au tram 28. Il arrive, repart, se déplace, dans un grand bruit de ferraile. Les voitures sont celles des années de ses années de naissance (début du XX° siècle), on assure que la motorisation électrique a été entièrement revue selon les exigences de notre temps, on veut bien le croire mais rien ne l’assure entièrement. Le tram 28 c’est à la fois le grand huit de votre plus proche « Foire aux plaisirs », comme on dit à Bordeaux (une ville qui n’y connaît rien mais qui se pousse), et un moyen de se déplacer entre les collines absolument irréfutable. Donc on le prend pour aller d’un point du quartier « Baixa » à un autre de l' »Alfama » (le plus ancien de la ville), les lisboètes adorent l’utiliser, les touristes ont tous en tête de voir ça de plus près, donc c’est bondé dès les premières heures du jour. Admettons que vous arriviez à monter dans l’engin. Tout de suite, vous êtes ballotés en avant au démarrage (formidable starter, incroyabe rapidité), et très vite en arrière au premier freinage (formidable aussi, arrêt vraiment immédiat). Au pied d’une côte déjà impressionnante, le wattman (oui, c’est comme ça qu’on appelle les conducteurs de tram de ces années-là, en tous cas à Clermont-Ferrand dans les années 50 on utilisait ce mot. Mais si), donc la wattman vous fait savoir qu’en raison d’un problème technique il n’est pas question qu’il aille plus loin. Donc vous prenez le suivant. Et là, c’est parti pour le grand huit : descentes à fond de pentes bien marquées, virages à angle droit sans ralentir, grande agitation de la clochette pour avertir les marcheurs qui ont la drôle d’idée de se balader à pied dans les rues, montées abruptes en accélérant, freinages, reprises, tout le monde se bouscule, on voit passer trois individus qui ne cachent qu’à peine leur intention de profiter de l’agitation générale, mais quand même furieux d’avoir été démasqués. Vous croyez que vous êtes arrivés ? Mais non, on en reprend un peu, et que ça remonte et que ça redescend. Le wattman s’amuse, c’est clair, et plus il entend les cris de son convoi, plus il en rajoute. La motorisation moderne, ça doit être ça. On peut tout faire en pleine sécurité, donc on le fait. Sur des voitures anciennes, rêvons de parcours modernes. Dans des wagons qui semblent sur le point de se défaire, mettons des tigres électriques. Cela dit, soyons clairs : il fallait déjà être fou furieux pour construire de pareils engins au XX° siècle, et surtout pour les faire aller de rues en rues à travers ces collines. Rues étroites au possible. Pentes incroyables. Ils l’ont fait. Les lisboètes ont le sens du risque, peut-être même un certain goût pour la chose. Ils n’ont pas été épargnés (tremblement de terre, incendie), donc ils en rajoutent dans un beau geste de défi. C’est mon idée.

 

Vous arrivez dans ce quartier ancien, ouvrier, qui se nomme l’Alfama. Vous montez quand même et redescendez deux ou trois rues (désertes), puis vous arrivez sur une petite place tout près du Panthéon, une petite guinguette vous attend, fraîcheur totale, petites choses à grignoter, on a installé pour les gens du quartier des tables fixées au sol avec quatre chaises, il s’en sont saisis pour jouer aux cartes. C’est le calme après la fureur, c’est Lisbonne paisible après Lisbonne excitée, c’est la débauche après l’usine. Le soir venu ce sera le fado.

 

Mais non, le soir venu c’est Peter Evans et son nouvel octet. Soit une façon de jouer sur les nerfs du mélomane assez voisine de tout ce qu’on vient d’évoquer. Par exemple avec une série de notes répétées qui semble ne jamais vouloir finir. Ou une manière de construire à partir de deux notes un univers qui tient à la fois du répétitif absolu (sans variation) et de la repasse trait pour trait sur ce qu’on vient de dire. Le jeune homme est sûr de lui et de son effet, et il a raison. Le répertoire de cet octet (création en Europe hier soir) montre à quel point Peter Evans est capable de renouvellement. On avait entendu un quartet (en 2008 à Bordeaux, à l’époque on se poussait vraiment jusqu’à accueillir ce jeune musicien totalement inconnu au bataillon) très « énergique » (pardon Jacques Aboucaya), on a découvert hier soir une formation à l’instrumentation très variée, et surtout une musique au fond assez inouïe dans le contexte du jazz contemporain. Une musique où le jeu (au sens du ludique) compte beaucoup, où l’humour est présent à côté du sérieux le plus imperturbable, et où la tendresse doit s’entendre à demi-mot. Jim Black, parfait dans cette aventure, nous est apparu de nouveau mince comme un fil, et heureux d’être là. Brandon Seabrook n’a rien perdu de sa folie douce, Peter Evans a trouvé en Ron Stabinsky (ne pas confondre avec le coureur cycliste) un alter-ego parfait à la trompette, leur duo à l’unisson sur le rappel était une merveille. Une très belle découverte. Ce soir, c’est Anthony Braxton en quartet. On ne présente plus.

 

Philippe Méziat

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Pour Anne-Sophie et Nuno, nos guides dans Lisbonne

 

Fou furieux. De Mats Gustafsson à Peter Evans, en passant par ceux qui ont conçu le tram 28 à Lisbonne, et ceux qui le conduisent aujourd’hui, aucune différence. Dans tous les cas, la certitude absolue que ça va passer, la conviction inébranlable que c’est bien ça qu’il faut faire, et au fond un certain plaisir malin à vous faire passer des frissons dans l’échine et à vous en rajouter une couche si vous avez l’idée de faire savoir que vous êtes sur le point de craquer. J’exagère à peine.

 

 

Peter Evans Octet : Peter Evans (tp, comp), Ron Stabinsky (p, tp), Brandon Seabrook (g), Dan Peck (tuba), Tom Blancarte (b, euphonium), Sam Pluta (electronics), Jim Black (dm), Ian Antonio (perc)

 

 

Mais commençons par ce qui fit de la journé d’hier une préparation idéale au concert du soir. On nous avait parlé du tram 28 à Lisbonne, vanté la circulation qu’il assure entre les collines : oui, Lisbonne, comme Rome et Itxassou, est construite sur 7 collines. Ce qui explique que vous ne vous ennuyez jamais là-bas, comme dans les autres villes, célèbres pour leur festival de jazz contemporain, « Una Stricia di terra feconda » à Rome et « Errobiko Festibala » à Itxassou. Ici, c’est « Jazz Em Agosto ». Un jumelage serait amusant. Vous ne vous ennuyez jamais parce que ça monte, ou ça descend. Pas de calme plat. En jazz, c’est la même chose, il y a des formations qui jouent sur les contrastes permanents, et d’autres sur le lisse. Boyd Raeburn, par exemple. Duke Ellington ou Sun Ra, c’est plutôt sans cesse l’opposition des climats. 

 

Bon. Revenons au tram 28. Il arrive, repart, se déplace, dans un grand bruit de ferraile. Les voitures sont celles des années de ses années de naissance (début du XX° siècle), on assure que la motorisation électrique a été entièrement revue selon les exigences de notre temps, on veut bien le croire mais rien ne l’assure entièrement. Le tram 28 c’est à la fois le grand huit de votre plus proche « Foire aux plaisirs », comme on dit à Bordeaux (une ville qui n’y connaît rien mais qui se pousse), et un moyen de se déplacer entre les collines absolument irréfutable. Donc on le prend pour aller d’un point du quartier « Baixa » à un autre de l' »Alfama » (le plus ancien de la ville), les lisboètes adorent l’utiliser, les touristes ont tous en tête de voir ça de plus près, donc c’est bondé dès les premières heures du jour. Admettons que vous arriviez à monter dans l’engin. Tout de suite, vous êtes ballotés en avant au démarrage (formidable starter, incroyabe rapidité), et très vite en arrière au premier freinage (formidable aussi, arrêt vraiment immédiat). Au pied d’une côte déjà impressionnante, le wattman (oui, c’est comme ça qu’on appelle les conducteurs de tram de ces années-là, en tous cas à Clermont-Ferrand dans les années 50 on utilisait ce mot. Mais si), donc la wattman vous fait savoir qu’en raison d’un problème technique il n’est pas question qu’il aille plus loin. Donc vous prenez le suivant. Et là, c’est parti pour le grand huit : descentes à fond de pentes bien marquées, virages à angle droit sans ralentir, grande agitation de la clochette pour avertir les marcheurs qui ont la drôle d’idée de se balader à pied dans les rues, montées abruptes en accélérant, freinages, reprises, tout le monde se bouscule, on voit passer trois individus qui ne cachent qu’à peine leur intention de profiter de l’agitation générale, mais quand même furieux d’avoir été démasqués. Vous croyez que vous êtes arrivés ? Mais non, on en reprend un peu, et que ça remonte et que ça redescend. Le wattman s’amuse, c’est clair, et plus il entend les cris de son convoi, plus il en rajoute. La motorisation moderne, ça doit être ça. On peut tout faire en pleine sécurité, donc on le fait. Sur des voitures anciennes, rêvons de parcours modernes. Dans des wagons qui semblent sur le point de se défaire, mettons des tigres électriques. Cela dit, soyons clairs : il fallait déjà être fou furieux pour construire de pareils engins au XX° siècle, et surtout pour les faire aller de rues en rues à travers ces collines. Rues étroites au possible. Pentes incroyables. Ils l’ont fait. Les lisboètes ont le sens du risque, peut-être même un certain goût pour la chose. Ils n’ont pas été épargnés (tremblement de terre, incendie), donc ils en rajoutent dans un beau geste de défi. C’est mon idée.

 

Vous arrivez dans ce quartier ancien, ouvrier, qui se nomme l’Alfama. Vous montez quand même et redescendez deux ou trois rues (désertes), puis vous arrivez sur une petite place tout près du Panthéon, une petite guinguette vous attend, fraîcheur totale, petites choses à grignoter, on a installé pour les gens du quartier des tables fixées au sol avec quatre chaises, il s’en sont saisis pour jouer aux cartes. C’est le calme après la fureur, c’est Lisbonne paisible après Lisbonne excitée, c’est la débauche après l’usine. Le soir venu ce sera le fado.

 

Mais non, le soir venu c’est Peter Evans et son nouvel octet. Soit une façon de jouer sur les nerfs du mélomane assez voisine de tout ce qu’on vient d’évoquer. Par exemple avec une série de notes répétées qui semble ne jamais vouloir finir. Ou une manière de construire à partir de deux notes un univers qui tient à la fois du répétitif absolu (sans variation) et de la repasse trait pour trait sur ce qu’on vient de dire. Le jeune homme est sûr de lui et de son effet, et il a raison. Le répertoire de cet octet (création en Europe hier soir) montre à quel point Peter Evans est capable de renouvellement. On avait entendu un quartet (en 2008 à Bordeaux, à l’époque on se poussait vraiment jusqu’à accueillir ce jeune musicien totalement inconnu au bataillon) très « énergique » (pardon Jacques Aboucaya), on a découvert hier soir une formation à l’instrumentation très variée, et surtout une musique au fond assez inouïe dans le contexte du jazz contemporain. Une musique où le jeu (au sens du ludique) compte beaucoup, où l’humour est présent à côté du sérieux le plus imperturbable, et où la tendresse doit s’entendre à demi-mot. Jim Black, parfait dans cette aventure, nous est apparu de nouveau mince comme un fil, et heureux d’être là. Brandon Seabrook n’a rien perdu de sa folie douce, Peter Evans a trouvé en Ron Stabinsky (ne pas confondre avec le coureur cycliste) un alter-ego parfait à la trompette, leur duo à l’unisson sur le rappel était une merveille. Une très belle découverte. Ce soir, c’est Anthony Braxton en quartet. On ne présente plus.

 

Philippe Méziat

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Pour Anne-Sophie et Nuno, nos guides dans Lisbonne

 

Fou furieux. De Mats Gustafsson à Peter Evans, en passant par ceux qui ont conçu le tram 28 à Lisbonne, et ceux qui le conduisent aujourd’hui, aucune différence. Dans tous les cas, la certitude absolue que ça va passer, la conviction inébranlable que c’est bien ça qu’il faut faire, et au fond un certain plaisir malin à vous faire passer des frissons dans l’échine et à vous en rajouter une couche si vous avez l’idée de faire savoir que vous êtes sur le point de craquer. J’exagère à peine.

 

 

Mais commençons par ce qui fit de la journé d’hier une préparation idéale au concert du soir. On nous avait parlé du tram 28 à Lisbonne, vanté la circulation qu’il assure entre les collines : oui, Lisbonne, comme Rome et Itxassou, est construite sur 7 collines. Ce qui explique que vous ne vous ennuyez jamais là-bas, comme dans les autres villes, célèbres pour leur festival de jazz contemporain, « Una Stricia di terra feconda » à Rome et « Errobiko Festibala » à Itxassou. Ici, c’est « Jazz Em Agosto ». Un jumelage serait amusant. Vous ne vous ennuyez jamais parce que ça monte, ou ça descend. Pas de calme plat. En jazz, c’est la même chose, il y a des formations qui jouent sur les contrastes permanents, et d’autres sur le lisse. Boyd Raeburn, par exemple. Duke Ellington ou Sun Ra, c’est plutôt sans cesse l’opposition des climats. 

 

Bon. Revenons au tram 28. Il arrive, repart, se déplace, dans un grand bruit de ferraile. Les voitures sont celles des années de ses années de naissance (début du XX° siècle), on assure que la motorisation électrique a été entièrement revue selon les exigences de notre temps, on veut bien le croire mais rien ne l’assure entièrement. Le tram 28 c’est à la fois le grand huit de votre plus proche « Foire aux plaisirs », comme on dit à Bordeaux (une ville qui n’y connaît rien mais qui se pousse), et un moyen de se déplacer entre les collines absolument irréfutable. Donc on le prend pour aller d’un point du quartier « Baixa » à un autre de l' »Alfama » (le plus ancien de la ville), les lisboètes adorent l’utiliser, les touristes ont tous en tête de voir ça de plus près, donc c’est bondé dès les premières heures du jour. Admettons que vous arriviez à monter dans l’engin. Tout de suite, vous êtes ballotés en avant au démarrage (formidable starter, incroyabe rapidité), et très vite en arrière au premier freinage (formidable aussi, arrêt vraiment immédiat). Au pied d’une côte déjà impressionnante, le wattman (oui, c’est comme ça qu’on appelle les conducteurs de tram de ces années-là, en tous cas à Clermont-Ferrand dans les années 50 on utilisait ce mot. Mais si.), donc le wattman vous fait savoir qu’en raison d’un problème technique il n’est pas question qu’il aille plus loin. Donc vous prenez le suivant. Et là, c’est parti pour le grand huit : descentes à fond de pentes bien marquées, virages à angle droit sans ralentir, grande agitation de la clochette pour avertir les marcheurs qui ont la drôle d’idée de se balader à pied dans les rues, montées abruptes en accélérant, freinages, reprises, tout le monde se bouscule, on voit passer trois individus qui ne cachent qu’à peine leur intention de profiter de l’agitation générale, mais quand même furieux d’avoir été démasqués. Vous croyez que vous êtes arrivés ? Mais non, on en reprend un peu, et que ça remonte et que ça redescend. Le wattman s’amuse, c’est clair, et plus il entend les cris de son convoi, plus il en rajoute. La motorisation moderne, ça doit être ça. On peut tout faire en pleine sécurité, donc on le fait. Sur des voitures anciennes, rêvons de parcours modernes. Dans des wagons qui semblent sur le point de se défaire, mettons des tigres électriques. Cela dit, soyons clairs : il fallait déjà être fou furieux pour construire de pareils engins au XX° siècle, et surtout pour les faire aller de rues en rues à travers ces collines. Rues étroites au possible. Pentes incroyables. Ils l’ont fait. Les lisboètes ont le sens du risque, peut-être même un certain goût pour la chose. Ils n’ont pas été épargnés (tremblement de terre, incendie), donc ils en rajoutent dans un beau geste de défi. C’est mon idée.

 

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Vous arrivez dans ce quartier ancien, ouvrier, qui se nomme l’Alfama. Vous montez quand même et redescendez deux ou trois rues (désertes), puis vous arrivez sur une petite place tout près du Panthéon, une petite guinguette vous attend, fraîcheur totale, petites choses à grignoter, on a installé pour les gens du quartier des tables fixées au sol avec quatre chaises, il s’en sont saisis pour jouer aux cartes. C’est le calme après la fureur, c’est Lisbonne paisible après Lisbonne excitée, c’est la débauche après l’usine. Le soir venu ce sera le fado.

 

Mais non, le soir venu c’est Peter Evans et son nouvel octet. Soit une façon de jouer sur les nerfs du mélomane assez voisine de tout ce qu’on vient d’évoquer. Par exemple avec une série de notes répétées qui semble ne jamais vouloir finir. Ou une manière de construire à partir de deux notes un univers qui tient à la fois du répétitif absolu (sans variation) et de la repasse trait pour trait sur ce qu’on vient de dire. Le jeune homme est sûr de lui et de son effet, et il a raison. Le répertoire de cet octet (création en Europe hier soir) montre à quel point Peter Evans est capable de renouvellement. On avait entendu un quartet (en 2008 à Bordeaux, à l’époque on se poussait vraiment jusqu’à accueillir ce jeune musicien totalement inconnu au bataillon) très « énergique » (pardon Jacques Aboucaya), on a découvert hier soir une formation à l’instrumentation très variée, et surtout une musique au fond assez inouïe dans le contexte du jazz contemporain. Une musique où le jeu (au sens du ludique) compte beaucoup, où l’humour est présent à côté du sérieux le plus imperturbable, et où la tendresse doit s’entendre à demi-mot. Jim Black, parfait dans cette aventure, nous est apparu de nouveau mince comme un fil, et heureux d’être là. Brandon Seabrook n’a rien perdu de sa folie douce, Peter Evans a trouvé en Ron Stabinsky (ne pas confondre avec le coureur cycliste) un alter-ego parfait à la trompette, leur duo à l’unisson sur le rappel était une merveille. Une très belle découverte. Ce soir, c’est Anthony Braxton en quartet. On ne présente plus.

 

Philippe Méziat

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Pour Anne-Sophie et Nuno, nos guides dans Lisbonne

 

Fou furieux. De Mats Gustafsson à Peter Evans, en passant par ceux qui ont conçu le tram 28 à Lisbonne, et ceux qui le conduisent aujourd’hui, aucune différence. Dans tous les cas, la certitude absolue que ça va passer, la conviction inébranlable que c’est bien ça qu’il faut faire, et au fond un certain plaisir malin à vous faire passer des frissons dans l’échine et à vous en rajouter une couche si vous avez l’idée de faire savoir que vous êtes sur le point de craquer. J’exagère à peine.

 

Mais commençons par ce qui fit de la journé d’hier une préparation idéale au concert du soir. On nous avait parlé du tram 28 à Lisbonne, vanté la circulation qu’il assure entre les collines : oui, Lisbonne, comme Rome et Itxassou, est construite sur 7 collines. Ce qui explique que vous ne vous ennuyez jamais là-bas, comme dans les autres villes, célèbres pour leur festival de jazz contemporain, « Una Stricia di terra feconda » à Rome et « Errobiko Festibala » à Itxassou. Ici, c’est « Jazz Em Agosto ». Un jumelage serait amusant. Vous ne vous ennuyez jamais parce que ça monte, ou ça descend. Pas de calme plat. En jazz, c’est la même chose, il y a des formations qui jouent sur les contrastes permanents, et d’autres sur le lisse. Boyd Raeburn, par exemple. Duke Ellington ou Sun Ra, c’est plutôt sans cesse l’opposition des climats. 

 

Bon. Revenons au tram 28. Il arrive, repart, se déplace, dans un grand bruit de ferraile. Les voitures sont celles des années de ses années de naissance (début du XX° siècle), on assure que la motorisation électrique a été entièrement revue selon les exigences de notre temps, on veut bien le croire mais rien ne l’assure entièrement. Le tram 28 c’est à la fois le grand huit de votre plus proche « Foire aux plaisirs », comme on dit à Bordeaux (une ville qui n’y connaît rien mais qui se pousse), et un moyen de se déplacer entre les collines absolument irréfutable. Donc on le prend pour aller d’un point du quartier « Baixa » à un autre de l' »Alfama » (le plus ancien de la ville), les lisboètes adorent l’utiliser, les touristes ont tous en tête de voir ça de plus près, donc c’est bondé dès les premières heures du jour. Admettons que vous arriviez à monter dans l’engin. Tout de suite, vous êtes ballotés en avant au démarrage (formidable starter, incroyabe rapidité), et très vite en arrière au premier freinage (formidable aussi, arrêt vraiment immédiat). Au pied d’une côte déjà impressionnante, le wattman (oui, c’est comme ça qu’on appelle les conducteurs de tram de ces années-là, en tous cas à Clermont-Ferrand dans les années 50 on utilisait ce mot. Mais si), donc la wattman vous fait savoir qu’en raison d’un problème technique il n’est pas question qu’il aille plus loin. Donc vous prenez le suivant. Et là, c’est parti pour le grand huit : descentes à fond de pentes bien marquées, virages à angle droit sans ralentir, grande agitation de la clochette pour avertir les marcheurs qui ont la drôle d’idée de se balader à pied dans les rues, montées abruptes en accélérant, freinages, reprises, tout le monde se bouscule, on voit passer trois individus qui ne cachent qu’à peine leur intention de profiter de l’agitation générale, mais quand même furieux d’avoir été démasqués. Vous croyez que vous êtes arrivés ? Mais non, on en reprend un peu, et que ça remonte et que ça redescend. Le wattman s’amuse, c’est clair, et plus il entend les cris de son convoi, plus il en rajoute. La motorisation moderne, ça doit être ça. On peut tout faire en pleine sécurité, donc on le fait. Sur des voitures anciennes, rêvons de parcours modernes. Dans des wagons qui semblent sur le point de se défaire, mettons des tigres électriques. Cela dit, soyons clairs : il fallait déjà être fou furieux pour construire de pareils engins au XX° siècle, et surtout pour les faire aller de rues en rues à travers ces collines. Rues étroites au possible. Pentes incroyables. Ils l’ont fait. Les lisboètes ont le sens du risque, peut-être même un certain goût pour la chose. Ils n’ont pas été épargnés (tremblement de terre, incendie), donc ils en rajoutent dans un beau geste de défi. C’est mon idée.

 

Vous arrivez dans ce quartier ancien, ouvrier, qui se nomme l’Alfama. Vous montez quand même et redescendez deux ou trois rues (désertes), puis vous arrivez sur une petite place tout près du Panthéon, une petite guinguette vous attend, fraîcheur totale, petites choses à grignoter, on a installé pour les gens du quartier des tables fixées au sol avec quatre chaises, il s’en sont saisis pour jouer aux cartes. C’est le calme après la fureur, c’est Lisbonne paisible après Lisbonne excitée, c’est la débauche après l’usine. Le soir venu ce sera le fado.

 

Mais non, le soir venu c’est Peter Evans et son nouvel octet.

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Pour Anne-Sophie et Nuno, nos guides dans Lisbonne

 

Fou furieux. De Mats Gustafsson à Peter Evans, en passant par ceux qui ont conçu le tram 28 à Lisbonne, et ceux qui le conduisent aujourd’hui, aucune différence. Dans tous les cas, la certitude absolue que ça va passer, la conviction inébranlable que c’est bien ça qu’il faut faire, et au fond un certain plaisir malin à vous faire passer des frissons dans l’échine et à vous en rajouter une couche si vous avez l’idée de faire savoir que vous êtes sur le point de craquer. J’exagère à peine.

 

Peter Evans Octet : Peter Evans (tp, comp), Ron Stabinsky (p, tp), Brandon Seabrook (g), Dan Peck (tuba), Tom Blancarte (b, euphonium), Sam Pluta (electronics), Jim Black (dm), Ian Antonio (perc)

 

 

Mais commençons par ce qui fit de la journé d’hier une préparation idéale au concert du soir. On nous avait parlé du tram 28 à Lisbonne, vanté la circulation qu’il assure entre les collines : oui, Lisbonne, comme Rome et Itxassou, est construite sur 7 collines. Ce qui explique que vous ne vous ennuyez jamais là-bas, comme dans les autres villes, célèbres pour leur festival de jazz contemporain, « Una Stricia di terra feconda » à Rome et « Errobiko Festibala » à Itxassou. Ici, c’est « Jazz Em Agosto ». Un jumelage serait amusant. Vous ne vous ennuyez jamais parce que ça monte, ou ça descend. Pas de calme plat. En jazz, c’est la même chose, il y a des formations qui jouent sur les contrastes permanents, et d’autres sur le lisse. Boyd Raeburn, par exemple. Duke Ellington ou Sun Ra, c’est plutôt sans cesse l’opposition des climats. 

 

Bon. Revenons au tram 28. Il arrive, repart, se déplace, dans un grand bruit de ferraile. Les voitures sont celles des années de ses années de naissance (début du XX° siècle), on assure que la motorisation électrique a été entièrement revue selon les exigences de notre temps, on veut bien le croire mais rien ne l’assure entièrement. Le tram 28 c’est à la fois le grand huit de votre plus proche « Foire aux plaisirs », comme on dit à Bordeaux (une ville qui n’y connaît rien mais qui se pousse), et un moyen de se déplacer entre les collines absolument irréfutable. Donc on le prend pour aller d’un point du quartier « Baixa » à un autre de l' »Alfama » (le plus ancien de la ville), les lisboètes adorent l’utiliser, les touristes ont tous en tête de voir ça de plus près, donc c’est bondé dès les premières heures du jour. Admettons que vous arriviez à monter dans l’engin. Tout de suite, vous êtes ballotés en avant au démarrage (formidable starter, incroyabe rapidité), et très vite en arrière au premier freinage (formidable aussi, arrêt vraiment immédiat). Au pied d’une côte déjà impressionnante, le wattman (oui, c’est comme ça qu’on appelle les conducteurs de tram de ces années-là, en tous cas à Clermont-Ferrand dans les années 50 on utilisait ce mot. Mais si), donc la wattman vous fait savoir qu’en raison d’un problème technique il n’est pas question qu’il aille plus loin. Donc vous prenez le suivant. Et là, c’est parti pour le grand huit : descentes à fond de pentes bien marquées, virages à angle droit sans ralentir, grande agitation de la clochette pour avertir les marcheurs qui ont la drôle d’idée de se balader à pied dans les rues, montées abruptes en accélérant, freinages, reprises, tout le monde se bouscule, on voit passer trois individus qui ne cachent qu’à peine leur intention de profiter de l’agitation générale, mais quand même furieux d’avoir été démasqués. Vous croyez que vous êtes arrivés ? Mais non, on en reprend un peu, et que ça remonte et que ça redescend. Le wattman s’amuse, c’est clair, et plus il entend les cris de son convoi, plus il en rajoute. La motorisation moderne, ça doit être ça. On peut tout faire en pleine sécurité, donc on le fait. Sur des voitures anciennes, rêvons de parcours modernes. Dans des wagons qui semblent sur le point de se défaire, mettons des tigres électriques. Cela dit, soyons clairs : il fallait déjà être fou furieux pour construire de pareils engins au XX° siècle, et surtout pour les faire aller de rues en rues à travers ces collines. Rues étroites au possible. Pentes incroyables. Ils l’ont fait. Les lisboètes ont le sens du risque, peut-être même un certain goût pour la chose. Ils n’ont pas été épargnés (tremblement de terre, incendie), donc ils en rajoutent dans un beau geste de défi. C’est mon idée.

 

Vous arrivez dans ce quartier ancien, ouvrier, qui se nomme l’Alfama. Vous montez quand même et redescendez deux ou trois rues (désertes), puis vous arrivez sur une petite place tout près du Panthéon, une petite guinguette vous attend, fraîcheur totale, petites choses à grignoter, on a installé pour les gens du quartier des tables fixées au sol avec quatre chaises, il s’en sont saisis pour jouer aux cartes. C’est le calme après la fureur, c’est Lisbonne paisible après Lisbonne excitée, c’est la débauche après l’usine. Le soir venu ce sera le fado.

 

Mais non, le soir venu c’est Peter Evans et son nouvel octet. Soit une façon de jouer sur les nerfs du mélomane assez voisine de tout ce qu’on vient d’évoquer. Par exemple avec une série de notes répétées qui semble ne jamais vouloir finir. Ou une manière de construire à partir de deux notes un univers qui tient à la fois du répétitif absolu (sans variation) et de la repasse trait pour trait sur ce qu’on vient de dire. Le jeune homme est sûr de lui et de son effet, et il a raison. Le répertoire de cet octet (création en Europe hier soir) montre à quel point Peter Evans est capable de renouvellement. On avait entendu un quartet (en 2008 à Bordeaux, à l’époque on se poussait vraiment jusqu’à accueillir ce jeune musicien totalement inconnu au bataillon) très « énergique » (pardon Jacques Aboucaya), on a découvert hier soir une formation à l’instrumentation très variée, et surtout une musique au fond assez inouïe dans le contexte du jazz contemporain. Une musique où le jeu (au sens du ludique) compte beaucoup, où l’humour est présent à côté du sérieux le plus imperturbable, et où la tendresse doit s’entendre à demi-mot. Jim Black, parfait dans cette aventure, nous est apparu de nouveau mince comme un fil, et heureux d’être là. Brandon Seabrook n’a rien perdu de sa folie douce, Peter Evans a trouvé en Ron Stabinsky (ne pas confondre avec le coureur cycliste) un alter-ego parfait à la trompette, leur duo à l’unisson sur le rappel était une merveille. Une très belle découverte. Ce soir, c’est Anthony Braxton en quartet. On ne présente plus.

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Pour Anne-Sophie et Nuno, nos guides dans Lisbonne

 

Fou furieux. De Mats Gustafsson à Peter Evans, en passant par ceux qui ont conçu le tram 28 à Lisbonne, et ceux qui le conduisent aujourd’hui, aucune différence. Dans tous les cas, la certitude absolue que ça va passer, la conviction inébranlable que c’est bien ça qu’il faut faire, et au fond un certain plaisir malin à vous faire passer des frissons dans l’échine et à vous en rajouter une couche si vous avez l’idée de faire savoir que vous êtes sur le point de craquer. J’exagère à peine.

 

 

Peter Evans Octet : Peter Evans (tp, comp), Ron Stabinsky (p, tp), Brandon Seabrook (g), Dan Peck (tuba), Tom Blancarte (b, euphonium), Sam Pluta (electronics), Jim Black (dm), Ian Antonio (perc)

 

 

Mais commençons par ce qui fit de la journé d’hier une préparation idéale au concert du soir. On nous avait parlé du tram 28 à Lisbonne, vanté la circulation qu’il assure entre les collines : oui, Lisbonne, comme Rome et Itxassou, est construite sur 7 collines. Ce qui explique que vous ne vous ennuyez jamais là-bas, comme dans les autres villes, célèbres pour leur festival de jazz contemporain, « Una Stricia di terra feconda » à Rome et « Errobiko Festibala » à Itxassou. Ici, c’est « Jazz Em Agosto ». Un jumelage serait amusant. Vous ne vous ennuyez jamais parce que ça monte, ou ça descend. Pas de calme plat. En jazz, c’est la même chose, il y a des formations qui jouent sur les contrastes permanents, et d’autres sur le lisse. Boyd Raeburn, par exemple. Duke Ellington ou Sun Ra, c’est plutôt sans cesse l’opposition des climats. 

 

Bon. Revenons au tram 28. Il arrive, repart, se déplace, dans un grand bruit de ferraile. Les voitures sont celles des années de ses années de naissance (début du XX° siècle), on assure que la motorisation électrique a été entièrement revue selon les exigences de notre temps, on veut bien le croire mais rien ne l’assure entièrement. Le tram 28 c’est à la fois le grand huit de votre plus proche « Foire aux plaisirs », comme on dit à Bordeaux (une ville qui n’y connaît rien mais qui se pousse), et un moyen de se déplacer entre les collines absolument irréfutable. Donc on le prend pour aller d’un point du quartier « Baixa » à un autre de l' »Alfama » (le plus ancien de la ville), les lisboètes adorent l’utiliser, les touristes ont tous en tête de voir ça de plus près, donc c’est bondé dès les premières heures du jour. Admettons que vous arriviez à monter dans l’engin. Tout de suite, vous êtes ballotés en avant au démarrage (formidable starter, incroyabe rapidité), et très vite en arrière au premier freinage (formidable aussi, arrêt vraiment immédiat). Au pied d’une côte déjà impressionnante, le wattman (oui, c’est comme ça qu’on appelle les conducteurs de tram de ces années-là, en tous cas à Clermont-Ferrand dans les années 50 on utilisait ce mot. Mais si), donc la wattman vous fait savoir qu’en raison d’un problème technique il n’est pas question qu’il aille plus loin. Donc vous prenez le suivant. Et là, c’est parti pour le grand huit : descentes à fond de pentes bien marquées, virages à angle droit sans ralentir, grande agitation de la clochette pour avertir les marcheurs qui ont la drôle d’idée de se balader à pied dans les rues, montées abruptes en accélérant, freinages, reprises, tout le monde se bouscule, on voit passer trois individus qui ne cachent qu’à peine leur intention de profiter de l’agitation générale, mais quand même furieux d’avoir été démasqués. Vous croyez que vous êtes arrivés ? Mais non, on en reprend un peu, et que ça remonte et que ça redescend. Le wattman s’amuse, c’est clair, et plus il entend les cris de son convoi, plus il en rajoute. La motorisation moderne, ça doit être ça. On peut tout faire en pleine sécurité, donc on le fait. Sur des voitures anciennes, rêvons de parcours modernes. Dans des wagons qui semblent sur le point de se défaire, mettons des tigres électriques. Cela dit, soyons clairs : il fallait déjà être fou furieux pour construire de pareils engins au XX° siècle, et surtout pour les faire aller de rues en rues à travers ces collines. Rues étroites au possible. Pentes incroyables. Ils l’ont fait. Les lisboètes ont le sens du risque, peut-être même un certain goût pour la chose. Ils n’ont pas été épargnés (tremblement de terre, incendie), donc ils en rajoutent dans un beau geste de défi. C’est mon idée.

 

Vous arrivez dans ce quartier ancien, ouvrier, qui se nomme l’Alfama. Vous montez quand même et redescendez deux ou trois rues (désertes), puis vous arrivez sur une petite place tout près du Panthéon, une petite guinguette vous attend, fraîcheur totale, petites choses à grignoter, on a installé pour les gens du quartier des tables fixées au sol avec quatre chaises, il s’en sont saisis pour jouer aux cartes. C’est le calme après la fureur, c’est Lisbonne paisible après Lisbonne excitée, c’est la débauche après l’usine. Le soir venu ce sera le fado.

 

Mais non, le soir venu c’est Peter Evans et son nouvel octet. Soit une façon de jouer sur les nerfs du mélomane assez voisine de tout ce qu’on vient d’évoquer. Par exemple avec une série de notes répétées qui semble ne jamais vouloir finir. Ou une manière de construire à partir de deux notes un univers qui tient à la fois du répétitif absolu (sans variation) et de la repasse trait pour trait sur ce qu’on vient de dire. Le jeune homme est sûr de lui et de son effet, et il a raison. Le répertoire de cet octet (création en Europe hier soir) montre à quel point Peter Evans est capable de renouvellement. On avait entendu un quartet (en 2008 à Bordeaux, à l’époque on se poussait vraiment jusqu’à accueillir ce jeune musicien totalement inconnu au bataillon) très « énergique » (pardon Jacques Aboucaya), on a découvert hier soir une formation à l’instrumentation très variée, et surtout une musique au fond assez inouïe dans le contexte du jazz contemporain. Une musique où le jeu (au sens du ludique) compte beaucoup, où l’humour est présent à côté du sérieux le plus imperturbable, et où la tendresse doit s’entendre à demi-mot. Jim Black, parfait dans cette aventure, nous est apparu de nouveau mince comme un fil, et heureux d’être là. Brandon Seabrook n’a rien perdu de sa folie douce, Peter Evans a trouvé en Ron Stabinsky (ne pas confondre avec le coureur cycliste) un alter-ego parfait à la trompette, leur duo à l’unisson sur le rappel était une merveille. Une très belle découverte. Ce soir, c’est Anthony Braxton en quartet. On ne présente plus.

 

Philippe Méziat

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Pour Anne-Sophie et Nuno, nos guides dans Lisbonne

 

Fou furieux. De Mats Gustafsson à Peter Evans, en passant par ceux qui ont conçu le tram 28 à Lisbonne, et ceux qui le conduisent aujourd’hui, aucune différence. Dans tous les cas, la certitude absolue que ça va passer, la conviction inébranlable que c’est bien ça qu’il faut faire, et au fond un certain plaisir malin à vous faire passer des frissons dans l’échine et à vous en rajouter une couche si vous avez l’idée de faire savoir que vous êtes sur le point de craquer. J’exagère à peine.

 

 

Peter Evans Octet : Peter Evans (tp, comp), Ron Stabinsky (p, tp), Brandon Seabrook (g), Dan Peck (tuba), Tom Blancarte (b, euphonium), Sam Pluta (electronics), Jim Black (dm), Ian Antonio (perc)

 

 

Mais commençons par ce qui fit de la journé d’hier une préparation idéale au concert du soir. On nous avait parlé du tram 28 à Lisbonne, vanté la circulation qu’il assure entre les collines : oui, Lisbonne, comme Rome et Itxassou, est construite sur 7 collines. Ce qui explique que vous ne vous ennuyez jamais là-bas, comme dans les autres villes, célèbres pour leur festival de jazz contemporain, « Una Stricia di terra feconda » à Rome et « Errobiko Festibala » à Itxassou. Ici, c’est « Jazz Em Agosto ». Un jumelage serait amusant. Vous ne vous ennuyez jamais parce que ça monte, ou ça descend. Pas de calme plat. En jazz, c’est la même chose, il y a des formations qui jouent sur les contrastes permanents, et d’autres sur le lisse. Boyd Raeburn, par exemple. Duke Ellington ou Sun Ra, c’est plutôt sans cesse l’opposition des climats. 

 

Bon. Revenons au tram 28. Il arrive, repart, se déplace, dans un grand bruit de ferraile. Les voitures sont celles des années de ses années de naissance (début du XX° siècle), on assure que la motorisation électrique a été entièrement revue selon les exigences de notre temps, on veut bien le croire mais rien ne l’assure entièrement. Le tram 28 c’est à la fois le grand huit de votre plus proche « Foire aux plaisirs », comme on dit à Bordeaux (une ville qui n’y connaît rien mais qui se pousse), et un moyen de se déplacer entre les collines absolument irréfutable. Donc on le prend pour aller d’un point du quartier « Baixa » à un autre de l' »Alfama » (le plus ancien de la ville), les lisboètes adorent l’utiliser, les touristes ont tous en tête de voir ça de plus près, donc c’est bondé dès les premières heures du jour. Admettons que vous arriviez à monter dans l’engin. Tout de suite, vous êtes ballotés en avant au démarrage (formidable starter, incroyabe rapidité), et très vite en arrière au premier freinage (formidable aussi, arrêt vraiment immédiat). Au pied d’une côte déjà impressionnante, le wattman (oui, c’est comme ça qu’on appelle les conducteurs de tram de ces années-là, en tous cas à Clermont-Ferrand dans les années 50 on utilisait ce mot. Mais si), donc la wattman vous fait savoir qu’en raison d’un problème technique il n’est pas question qu’il aille plus loin. Donc vous prenez le suivant. Et là, c’est parti pour le grand huit : descentes à fond de pentes bien marquées, virages à angle droit sans ralentir, grande agitation de la clochette pour avertir les marcheurs qui ont la drôle d’idée de se balader à pied dans les rues, montées abruptes en accélérant, freinages, reprises, tout le monde se bouscule, on voit passer trois individus qui ne cachent qu’à peine leur intention de profiter de l’agitation générale, mais quand même furieux d’avoir été démasqués. Vous croyez que vous êtes arrivés ? Mais non, on en reprend un peu, et que ça remonte et que ça redescend. Le wattman s’amuse, c’est clair, et plus il entend les cris de son convoi, plus il en rajoute. La motorisation moderne, ça doit être ça. On peut tout faire en pleine sécurité, donc on le fait. Sur des voitures anciennes, rêvons de parcours modernes. Dans des wagons qui semblent sur le point de se défaire, mettons des tigres électriques. Cela dit, soyons clairs : il fallait déjà être fou furieux pour construire de pareils engins au XX° siècle, et surtout pour les faire aller de rues en rues à travers ces collines. Rues étroites au possible. Pentes incroyables. Ils l’ont fait. Les lisboètes ont le sens du risque, peut-être même un certain goût pour la chose. Ils n’ont pas été épargnés (tremblement de terre, incendie), donc ils en rajoutent dans un beau geste de défi. C’est mon idée.

 

Vous arrivez dans ce quartier ancien, ouvrier, qui se nomme l’Alfama. Vous montez quand même et redescendez deux ou trois rues (désertes), puis vous arrivez sur une petite place tout près du Panthéon, une petite guinguette vous attend, fraîcheur totale, petites choses à grignoter, on a installé pour les gens du quartier des tables fixées au sol avec quatre chaises, il s’en sont saisis pour jouer aux cartes. C’est le calme après la fureur, c’est Lisbonne paisible après Lisbonne excitée, c’est la débauche après l’usine. Le soir venu ce sera le fado.

 

Mais non, le soir venu c’est Peter Evans et son nouvel octet. Soit une façon de jouer sur les nerfs du mélomane assez voisine de tout ce qu’on vient d’évoquer. Par exemple avec une série de notes répétées qui semble ne jamais vouloir finir. Ou une manière de construire à partir de deux notes un univers qui tient à la fois du répétitif absolu (sans variation) et de la repasse trait pour trait sur ce qu’on vient de dire. Le jeune homme est sûr de lui et de son effet, et il a raison. Le répertoire de cet octet (création en Europe hier soir) montre à quel point Peter Evans est capable de renouvellement. On avait entendu un quartet (en 2008 à Bordeaux, à l’époque on se poussait vraiment jusqu’à accueillir ce jeune musicien totalement inconnu au bataillon) très « énergique » (pardon Jacques Aboucaya), on a découvert hier soir une formation à l’instrumentation très variée, et surtout une musique au fond assez inouïe dans le contexte du jazz contemporain. Une musique où le jeu (au sens du ludique) compte beaucoup, où l’humour est présent à côté du sérieux le plus imperturbable, et où la tendresse doit s’entendre à demi-mot. Jim Black, parfait dans cette aventure, nous est apparu de nouveau mince comme un fil, et heureux d’être là. Brandon Seabrook n’a rien perdu de sa folie douce, Peter Evans a trouvé en Ron Stabinsky (ne pas confondre avec le coureur cycliste) un alter-ego parfait à la trompette, leur duo à l’unisson sur le rappel était une merveille. Une très belle découverte. Ce soir, c’est Anthony Braxton en quartet. On ne présente plus.

 

Philippe Méziat

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Pour Anne-Sophie et Nuno, nos guides dans Lisbonne

 

Fou furieux. De Mats Gustafsson à Peter Evans, en passant par ceux qui ont conçu le tram 28 à Lisbonne, et ceux qui le conduisent aujourd’hui, aucune différence. Dans tous les cas, la certitude absolue que ça va passer, la conviction inébranlable que c’est bien ça qu’il faut faire, et au fond un certain plaisir malin à vous faire passer des frissons dans l’échine et à vous en rajouter une couche si vous avez l’idée de faire savoir que vous êtes sur le point de craquer. J’exagère à peine.

 

 

Mais commençons par ce qui fit de la journé d’hier une préparation idéale au concert du soir. On nous avait parlé du tram 28 à Lisbonne, vanté la circulation qu’il assure entre les collines : oui, Lisbonne, comme Rome et Itxassou, est construite sur 7 collines. Ce qui explique que vous ne vous ennuyez jamais là-bas, comme dans les autres villes, célèbres pour leur festival de jazz contemporain, « Una Stricia di terra feconda » à Rome et « Errobiko Festibala » à Itxassou. Ici, c’est « Jazz Em Agosto ». Un jumelage serait amusant. Vous ne vous ennuyez jamais parce que ça monte, ou ça descend. Pas de calme plat. En jazz, c’est la même chose, il y a des formations qui jouent sur les contrastes permanents, et d’autres sur le lisse. Boyd Raeburn, par exemple. Duke Ellington ou Sun Ra, c’est plutôt sans cesse l’opposition des climats. 

 

Bon. Revenons au tram 28. Il arrive, repart, se déplace, dans un grand bruit de ferraile. Les voitures sont celles des années de ses années de naissance (début du XX° siècle), on assure que la motorisation électrique a été entièrement revue selon les exigences de notre temps, on veut bien le croire mais rien ne l’assure entièrement. Le tram 28 c’est à la fois le grand huit de votre plus proche « Foire aux plaisirs », comme on dit à Bordeaux (une ville qui n’y connaît rien mais qui se pousse), et un moyen de se déplacer entre les collines absolument irréfutable. Donc on le prend pour aller d’un point du quartier « Baixa » à un autre de l' »Alfama » (le plus ancien de la ville), les lisboètes adorent l’utiliser, les touristes ont tous en tête de voir ça de plus près, donc c’est bondé dès les premières heures du jour. Admettons que vous arriviez à monter dans l’engin. Tout de suite, vous êtes ballotés en avant au démarrage (formidable starter, incroyabe rapidité), et très vite en arrière au premier freinage (formidable aussi, arrêt vraiment immédiat). Au pied d’une côte déjà impressionnante, le wattman (oui, c’est comme ça qu’on appelle les conducteurs de tram de ces années-là, en tous cas à Clermont-Ferrand dans les années 50 on utilisait ce mot. Mais si.), donc le wattman vous fait savoir qu’en raison d’un problème technique il n’est pas question qu’il aille plus loin. Donc vous prenez le suivant. Et là, c’est parti pour le grand huit : descentes à fond de pentes bien marquées, virages à angle droit sans ralentir, grande agitation de la clochette pour avertir les marcheurs qui ont la drôle d’idée de se balader à pied dans les rues, montées abruptes en accélérant, freinages, reprises, tout le monde se bouscule, on voit passer trois individus qui ne cachent qu’à peine leur intention de profiter de l’agitation générale, mais quand même furieux d’avoir été démasqués. Vous croyez que vous êtes arrivés ? Mais non, on en reprend un peu, et que ça remonte et que ça redescend. Le wattman s’amuse, c’est clair, et plus il entend les cris de son convoi, plus il en rajoute. La motorisation moderne, ça doit être ça. On peut tout faire en pleine sécurité, donc on le fait. Sur des voitures anciennes, rêvons de parcours modernes. Dans des wagons qui semblent sur le point de se défaire, mettons des tigres électriques. Cela dit, soyons clairs : il fallait déjà être fou furieux pour construire de pareils engins au XX° siècle, et surtout pour les faire aller de rues en rues à travers ces collines. Rues étroites au possible. Pentes incroyables. Ils l’ont fait. Les lisboètes ont le sens du risque, peut-être même un certain goût pour la chose. Ils n’ont pas été épargnés (tremblement de terre, incendie), donc ils en rajoutent dans un beau geste de défi. C’est mon idée.

 

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Vous arrivez dans ce quartier ancien, ouvrier, qui se nomme l’Alfama. Vous montez quand même et redescendez deux ou trois rues (désertes), puis vous arrivez sur une petite place tout près du Panthéon, une petite guinguette vous attend, fraîcheur totale, petites choses à grignoter, on a installé pour les gens du quartier des tables fixées au sol avec quatre chaises, il s’en sont saisis pour jouer aux cartes. C’est le calme après la fureur, c’est Lisbonne paisible après Lisbonne excitée, c’est la débauche après l’usine. Le soir venu ce sera le fado.

 

Mais non, le soir venu c’est Peter Evans et son nouvel octet. Soit une façon de jouer sur les nerfs du mélomane assez voisine de tout ce qu’on vient d’évoquer. Par exemple avec une série de notes répétées qui semble ne jamais vouloir finir. Ou une manière de construire à partir de deux notes un univers qui tient à la fois du répétitif absolu (sans variation) et de la repasse trait pour trait sur ce qu’on vient de dire. Le jeune homme est sûr de lui et de son effet, et il a raison. Le répertoire de cet octet (création en Europe hier soir) montre à quel point Peter Evans est capable de renouvellement. On avait entendu un quartet (en 2008 à Bordeaux, à l’époque on se poussait vraiment jusqu’à accueillir ce jeune musicien totalement inconnu au bataillon) très « énergique » (pardon Jacques Aboucaya), on a découvert hier soir une formation à l’instrumentation très variée, et surtout une musique au fond assez inouïe dans le contexte du jazz contemporain. Une musique où le jeu (au sens du ludique) compte beaucoup, où l’humour est présent à côté du sérieux le plus imperturbable, et où la tendresse doit s’entendre à demi-mot. Jim Black, parfait dans cette aventure, nous est apparu de nouveau mince comme un fil, et heureux d’être là. Brandon Seabrook n’a rien perdu de sa folie douce, Peter Evans a trouvé en Ron Stabinsky (ne pas confondre avec le coureur cycliste) un alter-ego parfait à la trompette, leur duo à l’unisson sur le rappel était une merveille. Une très belle découverte. Ce soir, c’est Anthony Braxton en quartet. On ne présente plus.

 

Philippe Méziat

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Pour Anne-Sophie et Nuno, nos guides dans Lisbonne

 

Fou furieux. De Mats Gustafsson à Peter Evans, en passant par ceux qui ont conçu le tram 28 à Lisbonne, et ceux qui le conduisent aujourd’hui, aucune différence. Dans tous les cas, la certitude absolue que ça va passer, la conviction inébranlable que c’est bien ça qu’il faut faire, et au fond un certain plaisir malin à vous faire passer des frissons dans l’échine et à vous en rajouter une couche si vous avez l’idée de faire savoir que vous êtes sur le point de craquer. J’exagère à peine.

 

Mais commençons par ce qui fit de la journé d’hier une préparation idéale au concert du soir. On nous avait parlé du tram 28 à Lisbonne, vanté la circulation qu’il assure entre les collines : oui, Lisbonne, comme Rome et Itxassou, est construite sur 7 collines. Ce qui explique que vous ne vous ennuyez jamais là-bas, comme dans les autres villes, célèbres pour leur festival de jazz contemporain, « Una Stricia di terra feconda » à Rome et « Errobiko Festibala » à Itxassou. Ici, c’est « Jazz Em Agosto ». Un jumelage serait amusant. Vous ne vous ennuyez jamais parce que ça monte, ou ça descend. Pas de calme plat. En jazz, c’est la même chose, il y a des formations qui jouent sur les contrastes permanents, et d’autres sur le lisse. Boyd Raeburn, par exemple. Duke Ellington ou Sun Ra, c’est plutôt sans cesse l’opposition des climats. 

 

Bon. Revenons au tram 28. Il arrive, repart, se déplace, dans un grand bruit de ferraile. Les voitures sont celles des années de ses années de naissance (début du XX° siècle), on assure que la motorisation électrique a été entièrement revue selon les exigences de notre temps, on veut bien le croire mais rien ne l’assure entièrement. Le tram 28 c’est à la fois le grand huit de votre plus proche « Foire aux plaisirs », comme on dit à Bordeaux (une ville qui n’y connaît rien mais qui se pousse), et un moyen de se déplacer entre les collines absolument irréfutable. Donc on le prend pour aller d’un point du quartier « Baixa » à un autre de l' »Alfama » (le plus ancien de la ville), les lisboètes adorent l’utiliser, les touristes ont tous en tête de voir ça de plus près, donc c’est bondé dès les premières heures du jour. Admettons que vous arriviez à monter dans l’engin. Tout de suite, vous êtes ballotés en avant au démarrage (formidable starter, incroyabe rapidité), et très vite en arrière au premier freinage (formidable aussi, arrêt vraiment immédiat). Au pied d’une côte déjà impressionnante, le wattman (oui, c’est comme ça qu’on appelle les conducteurs de tram de ces années-là, en tous cas à Clermont-Ferrand dans les années 50 on utilisait ce mot. Mais si), donc la wattman vous fait savoir qu’en raison d’un problème technique il n’est pas question qu’il aille plus loin. Donc vous prenez le suivant. Et là, c’est parti pour le grand huit : descentes à fond de pentes bien marquées, virages à angle droit sans ralentir, grande agitation de la clochette pour avertir les marcheurs qui ont la drôle d’idée de se balader à pied dans les rues, montées abruptes en accélérant, freinages, reprises, tout le monde se bouscule, on voit passer trois individus qui ne cachent qu’à peine leur intention de profiter de l’agitation générale, mais quand même furieux d’avoir été démasqués. Vous croyez que vous êtes arrivés ? Mais non, on en reprend un peu, et que ça remonte et que ça redescend. Le wattman s’amuse, c’est clair, et plus il entend les cris de son convoi, plus il en rajoute. La motorisation moderne, ça doit être ça. On peut tout faire en pleine sécurité, donc on le fait. Sur des voitures anciennes, rêvons de parcours modernes. Dans des wagons qui semblent sur le point de se défaire, mettons des tigres électriques. Cela dit, soyons clairs : il fallait déjà être fou furieux pour construire de pareils engins au XX° siècle, et surtout pour les faire aller de rues en rues à travers ces collines. Rues étroites au possible. Pentes incroyables. Ils l’ont fait. Les lisboètes ont le sens du risque, peut-être même un certain goût pour la chose. Ils n’ont pas été épargnés (tremblement de terre, incendie), donc ils en rajoutent dans un beau geste de défi. C’est mon idée.

 

Vous arrivez dans ce quartier ancien, ouvrier, qui se nomme l’Alfama. Vous montez quand même et redescendez deux ou trois rues (désertes), puis vous arrivez sur une petite place tout près du Panthéon, une petite guinguette vous attend, fraîcheur totale, petites choses à grignoter, on a installé pour les gens du quartier des tables fixées au sol avec quatre chaises, il s’en sont saisis pour jouer aux cartes. C’est le calme après la fureur, c’est Lisbonne paisible après Lisbonne excitée, c’est la débauche après l’usine. Le soir venu ce sera le fado.

 

Mais non, le soir venu c’est Peter Evans et son nouvel octet.

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Pour Anne-Sophie et Nuno, nos guides dans Lisbonne

 

Fou furieux. De Mats Gustafsson à Peter Evans, en passant par ceux qui ont conçu le tram 28 à Lisbonne, et ceux qui le conduisent aujourd’hui, aucune différence. Dans tous les cas, la certitude absolue que ça va passer, la conviction inébranlable que c’est bien ça qu’il faut faire, et au fond un certain plaisir malin à vous faire passer des frissons dans l’échine et à vous en rajouter une couche si vous avez l’idée de faire savoir que vous êtes sur le point de craquer. J’exagère à peine.

 

Peter Evans Octet : Peter Evans (tp, comp), Ron Stabinsky (p, tp), Brandon Seabrook (g), Dan Peck (tuba), Tom Blancarte (b, euphonium), Sam Pluta (electronics), Jim Black (dm), Ian Antonio (perc)

 

 

Mais commençons par ce qui fit de la journé d’hier une préparation idéale au concert du soir. On nous avait parlé du tram 28 à Lisbonne, vanté la circulation qu’il assure entre les collines : oui, Lisbonne, comme Rome et Itxassou, est construite sur 7 collines. Ce qui explique que vous ne vous ennuyez jamais là-bas, comme dans les autres villes, célèbres pour leur festival de jazz contemporain, « Una Stricia di terra feconda » à Rome et « Errobiko Festibala » à Itxassou. Ici, c’est « Jazz Em Agosto ». Un jumelage serait amusant. Vous ne vous ennuyez jamais parce que ça monte, ou ça descend. Pas de calme plat. En jazz, c’est la même chose, il y a des formations qui jouent sur les contrastes permanents, et d’autres sur le lisse. Boyd Raeburn, par exemple. Duke Ellington ou Sun Ra, c’est plutôt sans cesse l’opposition des climats. 

 

Bon. Revenons au tram 28. Il arrive, repart, se déplace, dans un grand bruit de ferraile. Les voitures sont celles des années de ses années de naissance (début du XX° siècle), on assure que la motorisation électrique a été entièrement revue selon les exigences de notre temps, on veut bien le croire mais rien ne l’assure entièrement. Le tram 28 c’est à la fois le grand huit de votre plus proche « Foire aux plaisirs », comme on dit à Bordeaux (une ville qui n’y connaît rien mais qui se pousse), et un moyen de se déplacer entre les collines absolument irréfutable. Donc on le prend pour aller d’un point du quartier « Baixa » à un autre de l' »Alfama » (le plus ancien de la ville), les lisboètes adorent l’utiliser, les touristes ont tous en tête de voir ça de plus près, donc c’est bondé dès les premières heures du jour. Admettons que vous arriviez à monter dans l’engin. Tout de suite, vous êtes ballotés en avant au démarrage (formidable starter, incroyabe rapidité), et très vite en arrière au premier freinage (formidable aussi, arrêt vraiment immédiat). Au pied d’une côte déjà impressionnante, le wattman (oui, c’est comme ça qu’on appelle les conducteurs de tram de ces années-là, en tous cas à Clermont-Ferrand dans les années 50 on utilisait ce mot. Mais si), donc la wattman vous fait savoir qu’en raison d’un problème technique il n’est pas question qu’il aille plus loin. Donc vous prenez le suivant. Et là, c’est parti pour le grand huit : descentes à fond de pentes bien marquées, virages à angle droit sans ralentir, grande agitation de la clochette pour avertir les marcheurs qui ont la drôle d’idée de se balader à pied dans les rues, montées abruptes en accélérant, freinages, reprises, tout le monde se bouscule, on voit passer trois individus qui ne cachent qu’à peine leur intention de profiter de l’agitation générale, mais quand même furieux d’avoir été démasqués. Vous croyez que vous êtes arrivés ? Mais non, on en reprend un peu, et que ça remonte et que ça redescend. Le wattman s’amuse, c’est clair, et plus il entend les cris de son convoi, plus il en rajoute. La motorisation moderne, ça doit être ça. On peut tout faire en pleine sécurité, donc on le fait. Sur des voitures anciennes, rêvons de parcours modernes. Dans des wagons qui semblent sur le point de se défaire, mettons des tigres électriques. Cela dit, soyons clairs : il fallait déjà être fou furieux pour construire de pareils engins au XX° siècle, et surtout pour les faire aller de rues en rues à travers ces collines. Rues étroites au possible. Pentes incroyables. Ils l’ont fait. Les lisboètes ont le sens du risque, peut-être même un certain goût pour la chose. Ils n’ont pas été épargnés (tremblement de terre, incendie), donc ils en rajoutent dans un beau geste de défi. C’est mon idée.

 

Vous arrivez dans ce quartier ancien, ouvrier, qui se nomme l’Alfama. Vous montez quand même et redescendez deux ou trois rues (désertes), puis vous arrivez sur une petite place tout près du Panthéon, une petite guinguette vous attend, fraîcheur totale, petites choses à grignoter, on a installé pour les gens du quartier des tables fixées au sol avec quatre chaises, il s’en sont saisis pour jouer aux cartes. C’est le calme après la fureur, c’est Lisbonne paisible après Lisbonne excitée, c’est la débauche après l’usine. Le soir venu ce sera le fado.

 

Mais non, le soir venu c’est Peter Evans et son nouvel octet. Soit une façon de jouer sur les nerfs du mélomane assez voisine de tout ce qu’on vient d’évoquer. Par exemple avec une série de notes répétées qui semble ne jamais vouloir finir. Ou une manière de construire à partir de deux notes un univers qui tient à la fois du répétitif absolu (sans variation) et de la repasse trait pour trait sur ce qu’on vient de dire. Le jeune homme est sûr de lui et de son effet, et il a raison. Le répertoire de cet octet (création en Europe hier soir) montre à quel point Peter Evans est capable de renouvellement. On avait entendu un quartet (en 2008 à Bordeaux, à l’époque on se poussait vraiment jusqu’à accueillir ce jeune musicien totalement inconnu au bataillon) très « énergique » (pardon Jacques Aboucaya), on a découvert hier soir une formation à l’instrumentation très variée, et surtout une musique au fond assez inouïe dans le contexte du jazz contemporain. Une musique où le jeu (au sens du ludique) compte beaucoup, où l’humour est présent à côté du sérieux le plus imperturbable, et où la tendresse doit s’entendre à demi-mot. Jim Black, parfait dans cette aventure, nous est apparu de nouveau mince comme un fil, et heureux d’être là. Brandon Seabrook n’a rien perdu de sa folie douce, Peter Evans a trouvé en Ron Stabinsky (ne pas confondre avec le coureur cycliste) un alter-ego parfait à la trompette, leur duo à l’unisson sur le rappel était une merveille. Une très belle découverte. Ce soir, c’est Anthony Braxton en quartet. On ne présente plus.

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Pour Anne-Sophie et Nuno, nos guides dans Lisbonne

 

Fou furieux. De Mats Gustafsson à Peter Evans, en passant par ceux qui ont conçu le tram 28 à Lisbonne, et ceux qui le conduisent aujourd’hui, aucune différence. Dans tous les cas, la certitude absolue que ça va passer, la conviction inébranlable que c’est bien ça qu’il faut faire, et au fond un certain plaisir malin à vous faire passer des frissons dans l’échine et à vous en rajouter une couche si vous avez l’idée de faire savoir que vous êtes sur le point de craquer. J’exagère à peine.

 

 

Peter Evans Octet : Peter Evans (tp, comp), Ron Stabinsky (p, tp), Brandon Seabrook (g), Dan Peck (tuba), Tom Blancarte (b, euphonium), Sam Pluta (electronics), Jim Black (dm), Ian Antonio (perc)

 

 

Mais commençons par ce qui fit de la journé d’hier une préparation idéale au concert du soir. On nous avait parlé du tram 28 à Lisbonne, vanté la circulation qu’il assure entre les collines : oui, Lisbonne, comme Rome et Itxassou, est construite sur 7 collines. Ce qui explique que vous ne vous ennuyez jamais là-bas, comme dans les autres villes, célèbres pour leur festival de jazz contemporain, « Una Stricia di terra feconda » à Rome et « Errobiko Festibala » à Itxassou. Ici, c’est « Jazz Em Agosto ». Un jumelage serait amusant. Vous ne vous ennuyez jamais parce que ça monte, ou ça descend. Pas de calme plat. En jazz, c’est la même chose, il y a des formations qui jouent sur les contrastes permanents, et d’autres sur le lisse. Boyd Raeburn, par exemple. Duke Ellington ou Sun Ra, c’est plutôt sans cesse l’opposition des climats. 

 

Bon. Revenons au tram 28. Il arrive, repart, se déplace, dans un grand bruit de ferraile. Les voitures sont celles des années de ses années de naissance (début du XX° siècle), on assure que la motorisation électrique a été entièrement revue selon les exigences de notre temps, on veut bien le croire mais rien ne l’assure entièrement. Le tram 28 c’est à la fois le grand huit de votre plus proche « Foire aux plaisirs », comme on dit à Bordeaux (une ville qui n’y connaît rien mais qui se pousse), et un moyen de se déplacer entre les collines absolument irréfutable. Donc on le prend pour aller d’un point du quartier « Baixa » à un autre de l' »Alfama » (le plus ancien de la ville), les lisboètes adorent l’utiliser, les touristes ont tous en tête de voir ça de plus près, donc c’est bondé dès les premières heures du jour. Admettons que vous arriviez à monter dans l’engin. Tout de suite, vous êtes ballotés en avant au démarrage (formidable starter, incroyabe rapidité), et très vite en arrière au premier freinage (formidable aussi, arrêt vraiment immédiat). Au pied d’une côte déjà impressionnante, le wattman (oui, c’est comme ça qu’on appelle les conducteurs de tram de ces années-là, en tous cas à Clermont-Ferrand dans les années 50 on utilisait ce mot. Mais si), donc la wattman vous fait savoir qu’en raison d’un problème technique il n’est pas question qu’il aille plus loin. Donc vous prenez le suivant. Et là, c’est parti pour le grand huit : descentes à fond de pentes bien marquées, virages à angle droit sans ralentir, grande agitation de la clochette pour avertir les marcheurs qui ont la drôle d’idée de se balader à pied dans les rues, montées abruptes en accélérant, freinages, reprises, tout le monde se bouscule, on voit passer trois individus qui ne cachent qu’à peine leur intention de profiter de l’agitation générale, mais quand même furieux d’avoir été démasqués. Vous croyez que vous êtes arrivés ? Mais non, on en reprend un peu, et que ça remonte et que ça redescend. Le wattman s’amuse, c’est clair, et plus il entend les cris de son convoi, plus il en rajoute. La motorisation moderne, ça doit être ça. On peut tout faire en pleine sécurité, donc on le fait. Sur des voitures anciennes, rêvons de parcours modernes. Dans des wagons qui semblent sur le point de se défaire, mettons des tigres électriques. Cela dit, soyons clairs : il fallait déjà être fou furieux pour construire de pareils engins au XX° siècle, et surtout pour les faire aller de rues en rues à travers ces collines. Rues étroites au possible. Pentes incroyables. Ils l’ont fait. Les lisboètes ont le sens du risque, peut-être même un certain goût pour la chose. Ils n’ont pas été épargnés (tremblement de terre, incendie), donc ils en rajoutent dans un beau geste de défi. C’est mon idée.

 

Vous arrivez dans ce quartier ancien, ouvrier, qui se nomme l’Alfama. Vous montez quand même et redescendez deux ou trois rues (désertes), puis vous arrivez sur une petite place tout près du Panthéon, une petite guinguette vous attend, fraîcheur totale, petites choses à grignoter, on a installé pour les gens du quartier des tables fixées au sol avec quatre chaises, il s’en sont saisis pour jouer aux cartes. C’est le calme après la fureur, c’est Lisbonne paisible après Lisbonne excitée, c’est la débauche après l’usine. Le soir venu ce sera le fado.

 

Mais non, le soir venu c’est Peter Evans et son nouvel octet. Soit une façon de jouer sur les nerfs du mélomane assez voisine de tout ce qu’on vient d’évoquer. Par exemple avec une série de notes répétées qui semble ne jamais vouloir finir. Ou une manière de construire à partir de deux notes un univers qui tient à la fois du répétitif absolu (sans variation) et de la repasse trait pour trait sur ce qu’on vient de dire. Le jeune homme est sûr de lui et de son effet, et il a raison. Le répertoire de cet octet (création en Europe hier soir) montre à quel point Peter Evans est capable de renouvellement. On avait entendu un quartet (en 2008 à Bordeaux, à l’époque on se poussait vraiment jusqu’à accueillir ce jeune musicien totalement inconnu au bataillon) très « énergique » (pardon Jacques Aboucaya), on a découvert hier soir une formation à l’instrumentation très variée, et surtout une musique au fond assez inouïe dans le contexte du jazz contemporain. Une musique où le jeu (au sens du ludique) compte beaucoup, où l’humour est présent à côté du sérieux le plus imperturbable, et où la tendresse doit s’entendre à demi-mot. Jim Black, parfait dans cette aventure, nous est apparu de nouveau mince comme un fil, et heureux d’être là. Brandon Seabrook n’a rien perdu de sa folie douce, Peter Evans a trouvé en Ron Stabinsky (ne pas confondre avec le coureur cycliste) un alter-ego parfait à la trompette, leur duo à l’unisson sur le rappel était une merveille. Une très belle découverte. Ce soir, c’est Anthony Braxton en quartet. On ne présente plus.

 

Philippe Méziat

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Pour Anne-Sophie et Nuno, nos guides dans Lisbonne

 

Fou furieux. De Mats Gustafsson à Peter Evans, en passant par ceux qui ont conçu le tram 28 à Lisbonne, et ceux qui le conduisent aujourd’hui, aucune différence. Dans tous les cas, la certitude absolue que ça va passer, la conviction inébranlable que c’est bien ça qu’il faut faire, et au fond un certain plaisir malin à vous faire passer des frissons dans l’échine et à vous en rajouter une couche si vous avez l’idée de faire savoir que vous êtes sur le point de craquer. J’exagère à peine.

 

 

Peter Evans Octet : Peter Evans (tp, comp), Ron Stabinsky (p, tp), Brandon Seabrook (g), Dan Peck (tuba), Tom Blancarte (b, euphonium), Sam Pluta (electronics), Jim Black (dm), Ian Antonio (perc)

 

 

Mais commençons par ce qui fit de la journé d’hier une préparation idéale au concert du soir. On nous avait parlé du tram 28 à Lisbonne, vanté la circulation qu’il assure entre les collines : oui, Lisbonne, comme Rome et Itxassou, est construite sur 7 collines. Ce qui explique que vous ne vous ennuyez jamais là-bas, comme dans les autres villes, célèbres pour leur festival de jazz contemporain, « Una Stricia di terra feconda » à Rome et « Errobiko Festibala » à Itxassou. Ici, c’est « Jazz Em Agosto ». Un jumelage serait amusant. Vous ne vous ennuyez jamais parce que ça monte, ou ça descend. Pas de calme plat. En jazz, c’est la même chose, il y a des formations qui jouent sur les contrastes permanents, et d’autres sur le lisse. Boyd Raeburn, par exemple. Duke Ellington ou Sun Ra, c’est plutôt sans cesse l’opposition des climats. 

 

Bon. Revenons au tram 28. Il arrive, repart, se déplace, dans un grand bruit de ferraile. Les voitures sont celles des années de ses années de naissance (début du XX° siècle), on assure que la motorisation électrique a été entièrement revue selon les exigences de notre temps, on veut bien le croire mais rien ne l’assure entièrement. Le tram 28 c’est à la fois le grand huit de votre plus proche « Foire aux plaisirs », comme on dit à Bordeaux (une ville qui n’y connaît rien mais qui se pousse), et un moyen de se déplacer entre les collines absolument irréfutable. Donc on le prend pour aller d’un point du quartier « Baixa » à un autre de l' »Alfama » (le plus ancien de la ville), les lisboètes adorent l’utiliser, les touristes ont tous en tête de voir ça de plus près, donc c’est bondé dès les premières heures du jour. Admettons que vous arriviez à monter dans l’engin. Tout de suite, vous êtes ballotés en avant au démarrage (formidable starter, incroyabe rapidité), et très vite en arrière au premier freinage (formidable aussi, arrêt vraiment immédiat). Au pied d’une côte déjà impressionnante, le wattman (oui, c’est comme ça qu’on appelle les conducteurs de tram de ces années-là, en tous cas à Clermont-Ferrand dans les années 50 on utilisait ce mot. Mais si), donc la wattman vous fait savoir qu’en raison d’un problème technique il n’est pas question qu’il aille plus loin. Donc vous prenez le suivant. Et là, c’est parti pour le grand huit : descentes à fond de pentes bien marquées, virages à angle droit sans ralentir, grande agitation de la clochette pour avertir les marcheurs qui ont la drôle d’idée de se balader à pied dans les rues, montées abruptes en accélérant, freinages, reprises, tout le monde se bouscule, on voit passer trois individus qui ne cachent qu’à peine leur intention de profiter de l’agitation générale, mais quand même furieux d’avoir été démasqués. Vous croyez que vous êtes arrivés ? Mais non, on en reprend un peu, et que ça remonte et que ça redescend. Le wattman s’amuse, c’est clair, et plus il entend les cris de son convoi, plus il en rajoute. La motorisation moderne, ça doit être ça. On peut tout faire en pleine sécurité, donc on le fait. Sur des voitures anciennes, rêvons de parcours modernes. Dans des wagons qui semblent sur le point de se défaire, mettons des tigres électriques. Cela dit, soyons clairs : il fallait déjà être fou furieux pour construire de pareils engins au XX° siècle, et surtout pour les faire aller de rues en rues à travers ces collines. Rues étroites au possible. Pentes incroyables. Ils l’ont fait. Les lisboètes ont le sens du risque, peut-être même un certain goût pour la chose. Ils n’ont pas été épargnés (tremblement de terre, incendie), donc ils en rajoutent dans un beau geste de défi. C’est mon idée.

 

Vous arrivez dans ce quartier ancien, ouvrier, qui se nomme l’Alfama. Vous montez quand même et redescendez deux ou trois rues (désertes), puis vous arrivez sur une petite place tout près du Panthéon, une petite guinguette vous attend, fraîcheur totale, petites choses à grignoter, on a installé pour les gens du quartier des tables fixées au sol avec quatre chaises, il s’en sont saisis pour jouer aux cartes. C’est le calme après la fureur, c’est Lisbonne paisible après Lisbonne excitée, c’est la débauche après l’usine. Le soir venu ce sera le fado.

 

Mais non, le soir venu c’est Peter Evans et son nouvel octet. Soit une façon de jouer sur les nerfs du mélomane assez voisine de tout ce qu’on vient d’évoquer. Par exemple avec une série de notes répétées qui semble ne jamais vouloir finir. Ou une manière de construire à partir de deux notes un univers qui tient à la fois du répétitif absolu (sans variation) et de la repasse trait pour trait sur ce qu’on vient de dire. Le jeune homme est sûr de lui et de son effet, et il a raison. Le répertoire de cet octet (création en Europe hier soir) montre à quel point Peter Evans est capable de renouvellement. On avait entendu un quartet (en 2008 à Bordeaux, à l’époque on se poussait vraiment jusqu’à accueillir ce jeune musicien totalement inconnu au bataillon) très « énergique » (pardon Jacques Aboucaya), on a découvert hier soir une formation à l’instrumentation très variée, et surtout une musique au fond assez inouïe dans le contexte du jazz contemporain. Une musique où le jeu (au sens du ludique) compte beaucoup, où l’humour est présent à côté du sérieux le plus imperturbable, et où la tendresse doit s’entendre à demi-mot. Jim Black, parfait dans cette aventure, nous est apparu de nouveau mince comme un fil, et heureux d’être là. Brandon Seabrook n’a rien perdu de sa folie douce, Peter Evans a trouvé en Ron Stabinsky (ne pas confondre avec le coureur cycliste) un alter-ego parfait à la trompette, leur duo à l’unisson sur le rappel était une merveille. Une très belle découverte. Ce soir, c’est Anthony Braxton en quartet. On ne présente plus.

 

Philippe Méziat

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Pour Anne-Sophie et Nuno, nos guides dans Lisbonne

 

Fou furieux. De Mats Gustafsson à Peter Evans, en passant par ceux qui ont conçu le tram 28 à Lisbonne, et ceux qui le conduisent aujourd’hui, aucune différence. Dans tous les cas, la certitude absolue que ça va passer, la conviction inébranlable que c’est bien ça qu’il faut faire, et au fond un certain plaisir malin à vous faire passer des frissons dans l’échine et à vous en rajouter une couche si vous avez l’idée de faire savoir que vous êtes sur le point de craquer. J’exagère à peine.

 

 

Mais commençons par ce qui fit de la journé d’hier une préparation idéale au concert du soir. On nous avait parlé du tram 28 à Lisbonne, vanté la circulation qu’il assure entre les collines : oui, Lisbonne, comme Rome et Itxassou, est construite sur 7 collines. Ce qui explique que vous ne vous ennuyez jamais là-bas, comme dans les autres villes, célèbres pour leur festival de jazz contemporain, « Una Stricia di terra feconda » à Rome et « Errobiko Festibala » à Itxassou. Ici, c’est « Jazz Em Agosto ». Un jumelage serait amusant. Vous ne vous ennuyez jamais parce que ça monte, ou ça descend. Pas de calme plat. En jazz, c’est la même chose, il y a des formations qui jouent sur les contrastes permanents, et d’autres sur le lisse. Boyd Raeburn, par exemple. Duke Ellington ou Sun Ra, c’est plutôt sans cesse l’opposition des climats. 

 

Bon. Revenons au tram 28. Il arrive, repart, se déplace, dans un grand bruit de ferraile. Les voitures sont celles des années de ses années de naissance (début du XX° siècle), on assure que la motorisation électrique a été entièrement revue selon les exigences de notre temps, on veut bien le croire mais rien ne l’assure entièrement. Le tram 28 c’est à la fois le grand huit de votre plus proche « Foire aux plaisirs », comme on dit à Bordeaux (une ville qui n’y connaît rien mais qui se pousse), et un moyen de se déplacer entre les collines absolument irréfutable. Donc on le prend pour aller d’un point du quartier « Baixa » à un autre de l' »Alfama » (le plus ancien de la ville), les lisboètes adorent l’utiliser, les touristes ont tous en tête de voir ça de plus près, donc c’est bondé dès les premières heures du jour. Admettons que vous arriviez à monter dans l’engin. Tout de suite, vous êtes ballotés en avant au démarrage (formidable starter, incroyabe rapidité), et très vite en arrière au premier freinage (formidable aussi, arrêt vraiment immédiat). Au pied d’une côte déjà impressionnante, le wattman (oui, c’est comme ça qu’on appelle les conducteurs de tram de ces années-là, en tous cas à Clermont-Ferrand dans les années 50 on utilisait ce mot. Mais si.), donc le wattman vous fait savoir qu’en raison d’un problème technique il n’est pas question qu’il aille plus loin. Donc vous prenez le suivant. Et là, c’est parti pour le grand huit : descentes à fond de pentes bien marquées, virages à angle droit sans ralentir, grande agitation de la clochette pour avertir les marcheurs qui ont la drôle d’idée de se balader à pied dans les rues, montées abruptes en accélérant, freinages, reprises, tout le monde se bouscule, on voit passer trois individus qui ne cachent qu’à peine leur intention de profiter de l’agitation générale, mais quand même furieux d’avoir été démasqués. Vous croyez que vous êtes arrivés ? Mais non, on en reprend un peu, et que ça remonte et que ça redescend. Le wattman s’amuse, c’est clair, et plus il entend les cris de son convoi, plus il en rajoute. La motorisation moderne, ça doit être ça. On peut tout faire en pleine sécurité, donc on le fait. Sur des voitures anciennes, rêvons de parcours modernes. Dans des wagons qui semblent sur le point de se défaire, mettons des tigres électriques. Cela dit, soyons clairs : il fallait déjà être fou furieux pour construire de pareils engins au XX° siècle, et surtout pour les faire aller de rues en rues à travers ces collines. Rues étroites au possible. Pentes incroyables. Ils l’ont fait. Les lisboètes ont le sens du risque, peut-être même un certain goût pour la chose. Ils n’ont pas été épargnés (tremblement de terre, incendie), donc ils en rajoutent dans un beau geste de défi. C’est mon idée.

 

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Vous arrivez dans ce quartier ancien, ouvrier, qui se nomme l’Alfama. Vous montez quand même et redescendez deux ou trois rues (désertes), puis vous arrivez sur une petite place tout près du Panthéon, une petite guinguette vous attend, fraîcheur totale, petites choses à grignoter, on a installé pour les gens du quartier des tables fixées au sol avec quatre chaises, il s’en sont saisis pour jouer aux cartes. C’est le calme après la fureur, c’est Lisbonne paisible après Lisbonne excitée, c’est la débauche après l’usine. Le soir venu ce sera le fado.

 

Mais non, le soir venu c’est Peter Evans et son nouvel octet. Soit une façon de jouer sur les nerfs du mélomane assez voisine de tout ce qu’on vient d’évoquer. Par exemple avec une série de notes répétées qui semble ne jamais vouloir finir. Ou une manière de construire à partir de deux notes un univers qui tient à la fois du répétitif absolu (sans variation) et de la repasse trait pour trait sur ce qu’on vient de dire. Le jeune homme est sûr de lui et de son effet, et il a raison. Le répertoire de cet octet (création en Europe hier soir) montre à quel point Peter Evans est capable de renouvellement. On avait entendu un quartet (en 2008 à Bordeaux, à l’époque on se poussait vraiment jusqu’à accueillir ce jeune musicien totalement inconnu au bataillon) très « énergique » (pardon Jacques Aboucaya), on a découvert hier soir une formation à l’instrumentation très variée, et surtout une musique au fond assez inouïe dans le contexte du jazz contemporain. Une musique où le jeu (au sens du ludique) compte beaucoup, où l’humour est présent à côté du sérieux le plus imperturbable, et où la tendresse doit s’entendre à demi-mot. Jim Black, parfait dans cette aventure, nous est apparu de nouveau mince comme un fil, et heureux d’être là. Brandon Seabrook n’a rien perdu de sa folie douce, Peter Evans a trouvé en Ron Stabinsky (ne pas confondre avec le coureur cycliste) un alter-ego parfait à la trompette, leur duo à l’unisson sur le rappel était une merveille. Une très belle découverte. Ce soir, c’est Anthony Braxton en quartet. On ne présente plus.

 

Philippe Méziat

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Pour Anne-Sophie et Nuno, nos guides dans Lisbonne

 

Fou furieux. De Mats Gustafsson à Peter Evans, en passant par ceux qui ont conçu le tram 28 à Lisbonne, et ceux qui le conduisent aujourd’hui, aucune différence. Dans tous les cas, la certitude absolue que ça va passer, la conviction inébranlable que c’est bien ça qu’il faut faire, et au fond un certain plaisir malin à vous faire passer des frissons dans l’échine et à vous en rajouter une couche si vous avez l’idée de faire savoir que vous êtes sur le point de craquer. J’exagère à peine.

 

Mais commençons par ce qui fit de la journé d’hier une préparation idéale au concert du soir. On nous avait parlé du tram 28 à Lisbonne, vanté la circulation qu’il assure entre les collines : oui, Lisbonne, comme Rome et Itxassou, est construite sur 7 collines. Ce qui explique que vous ne vous ennuyez jamais là-bas, comme dans les autres villes, célèbres pour leur festival de jazz contemporain, « Una Stricia di terra feconda » à Rome et « Errobiko Festibala » à Itxassou. Ici, c’est « Jazz Em Agosto ». Un jumelage serait amusant. Vous ne vous ennuyez jamais parce que ça monte, ou ça descend. Pas de calme plat. En jazz, c’est la même chose, il y a des formations qui jouent sur les contrastes permanents, et d’autres sur le lisse. Boyd Raeburn, par exemple. Duke Ellington ou Sun Ra, c’est plutôt sans cesse l’opposition des climats. 

 

Bon. Revenons au tram 28. Il arrive, repart, se déplace, dans un grand bruit de ferraile. Les voitures sont celles des années de ses années de naissance (début du XX° siècle), on assure que la motorisation électrique a été entièrement revue selon les exigences de notre temps, on veut bien le croire mais rien ne l’assure entièrement. Le tram 28 c’est à la fois le grand huit de votre plus proche « Foire aux plaisirs », comme on dit à Bordeaux (une ville qui n’y connaît rien mais qui se pousse), et un moyen de se déplacer entre les collines absolument irréfutable. Donc on le prend pour aller d’un point du quartier « Baixa » à un autre de l' »Alfama » (le plus ancien de la ville), les lisboètes adorent l’utiliser, les touristes ont tous en tête de voir ça de plus près, donc c’est bondé dès les premières heures du jour. Admettons que vous arriviez à monter dans l’engin. Tout de suite, vous êtes ballotés en avant au démarrage (formidable starter, incroyabe rapidité), et très vite en arrière au premier freinage (formidable aussi, arrêt vraiment immédiat). Au pied d’une côte déjà impressionnante, le wattman (oui, c’est comme ça qu’on appelle les conducteurs de tram de ces années-là, en tous cas à Clermont-Ferrand dans les années 50 on utilisait ce mot. Mais si), donc la wattman vous fait savoir qu’en raison d’un problème technique il n’est pas question qu’il aille plus loin. Donc vous prenez le suivant. Et là, c’est parti pour le grand huit : descentes à fond de pentes bien marquées, virages à angle droit sans ralentir, grande agitation de la clochette pour avertir les marcheurs qui ont la drôle d’idée de se balader à pied dans les rues, montées abruptes en accélérant, freinages, reprises, tout le monde se bouscule, on voit passer trois individus qui ne cachent qu’à peine leur intention de profiter de l’agitation générale, mais quand même furieux d’avoir été démasqués. Vous croyez que vous êtes arrivés ? Mais non, on en reprend un peu, et que ça remonte et que ça redescend. Le wattman s’amuse, c’est clair, et plus il entend les cris de son convoi, plus il en rajoute. La motorisation moderne, ça doit être ça. On peut tout faire en pleine sécurité, donc on le fait. Sur des voitures anciennes, rêvons de parcours modernes. Dans des wagons qui semblent sur le point de se défaire, mettons des tigres électriques. Cela dit, soyons clairs : il fallait déjà être fou furieux pour construire de pareils engins au XX° siècle, et surtout pour les faire aller de rues en rues à travers ces collines. Rues étroites au possible. Pentes incroyables. Ils l’ont fait. Les lisboètes ont le sens du risque, peut-être même un certain goût pour la chose. Ils n’ont pas été épargnés (tremblement de terre, incendie), donc ils en rajoutent dans un beau geste de défi. C’est mon idée.

 

Vous arrivez dans ce quartier ancien, ouvrier, qui se nomme l’Alfama. Vous montez quand même et redescendez deux ou trois rues (désertes), puis vous arrivez sur une petite place tout près du Panthéon, une petite guinguette vous attend, fraîcheur totale, petites choses à grignoter, on a installé pour les gens du quartier des tables fixées au sol avec quatre chaises, il s’en sont saisis pour jouer aux cartes. C’est le calme après la fureur, c’est Lisbonne paisible après Lisbonne excitée, c’est la débauche après l’usine. Le soir venu ce sera le fado.

 

Mais non, le soir venu c’est Peter Evans et son nouvel octet.

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Pour Anne-Sophie et Nuno, nos guides dans Lisbonne

 

Fou furieux. De Mats Gustafsson à Peter Evans, en passant par ceux qui ont conçu le tram 28 à Lisbonne, et ceux qui le conduisent aujourd’hui, aucune différence. Dans tous les cas, la certitude absolue que ça va passer, la conviction inébranlable que c’est bien ça qu’il faut faire, et au fond un certain plaisir malin à vous faire passer des frissons dans l’échine et à vous en rajouter une couche si vous avez l’idée de faire savoir que vous êtes sur le point de craquer. J’exagère à peine.

 

Peter Evans Octet : Peter Evans (tp, comp), Ron Stabinsky (p, tp), Brandon Seabrook (g), Dan Peck (tuba), Tom Blancarte (b, euphonium), Sam Pluta (electronics), Jim Black (dm), Ian Antonio (perc)

 

 

Mais commençons par ce qui fit de la journé d’hier une préparation idéale au concert du soir. On nous avait parlé du tram 28 à Lisbonne, vanté la circulation qu’il assure entre les collines : oui, Lisbonne, comme Rome et Itxassou, est construite sur 7 collines. Ce qui explique que vous ne vous ennuyez jamais là-bas, comme dans les autres villes, célèbres pour leur festival de jazz contemporain, « Una Stricia di terra feconda » à Rome et « Errobiko Festibala » à Itxassou. Ici, c’est « Jazz Em Agosto ». Un jumelage serait amusant. Vous ne vous ennuyez jamais parce que ça monte, ou ça descend. Pas de calme plat. En jazz, c’est la même chose, il y a des formations qui jouent sur les contrastes permanents, et d’autres sur le lisse. Boyd Raeburn, par exemple. Duke Ellington ou Sun Ra, c’est plutôt sans cesse l’opposition des climats. 

 

Bon. Revenons au tram 28. Il arrive, repart, se déplace, dans un grand bruit de ferraile. Les voitures sont celles des années de ses années de naissance (début du XX° siècle), on assure que la motorisation électrique a été entièrement revue selon les exigences de notre temps, on veut bien le croire mais rien ne l’assure entièrement. Le tram 28 c’est à la fois le grand huit de votre plus proche « Foire aux plaisirs », comme on dit à Bordeaux (une ville qui n’y connaît rien mais qui se pousse), et un moyen de se déplacer entre les collines absolument irréfutable. Donc on le prend pour aller d’un point du quartier « Baixa » à un autre de l' »Alfama » (le plus ancien de la ville), les lisboètes adorent l’utiliser, les touristes ont tous en tête de voir ça de plus près, donc c’est bondé dès les premières heures du jour. Admettons que vous arriviez à monter dans l’engin. Tout de suite, vous êtes ballotés en avant au démarrage (formidable starter, incroyabe rapidité), et très vite en arrière au premier freinage (formidable aussi, arrêt vraiment immédiat). Au pied d’une côte déjà impressionnante, le wattman (oui, c’est comme ça qu’on appelle les conducteurs de tram de ces années-là, en tous cas à Clermont-Ferrand dans les années 50 on utilisait ce mot. Mais si), donc la wattman vous fait savoir qu’en raison d’un problème technique il n’est pas question qu’il aille plus loin. Donc vous prenez le suivant. Et là, c’est parti pour le grand huit : descentes à fond de pentes bien marquées, virages à angle droit sans ralentir, grande agitation de la clochette pour avertir les marcheurs qui ont la drôle d’idée de se balader à pied dans les rues, montées abruptes en accélérant, freinages, reprises, tout le monde se bouscule, on voit passer trois individus qui ne cachent qu’à peine leur intention de profiter de l’agitation générale, mais quand même furieux d’avoir été démasqués. Vous croyez que vous êtes arrivés ? Mais non, on en reprend un peu, et que ça remonte et que ça redescend. Le wattman s’amuse, c’est clair, et plus il entend les cris de son convoi, plus il en rajoute. La motorisation moderne, ça doit être ça. On peut tout faire en pleine sécurité, donc on le fait. Sur des voitures anciennes, rêvons de parcours modernes. Dans des wagons qui semblent sur le point de se défaire, mettons des tigres électriques. Cela dit, soyons clairs : il fallait déjà être fou furieux pour construire de pareils engins au XX° siècle, et surtout pour les faire aller de rues en rues à travers ces collines. Rues étroites au possible. Pentes incroyables. Ils l’ont fait. Les lisboètes ont le sens du risque, peut-être même un certain goût pour la chose. Ils n’ont pas été épargnés (tremblement de terre, incendie), donc ils en rajoutent dans un beau geste de défi. C’est mon idée.

 

Vous arrivez dans ce quartier ancien, ouvrier, qui se nomme l’Alfama. Vous montez quand même et redescendez deux ou trois rues (désertes), puis vous arrivez sur une petite place tout près du Panthéon, une petite guinguette vous attend, fraîcheur totale, petites choses à grignoter, on a installé pour les gens du quartier des tables fixées au sol avec quatre chaises, il s’en sont saisis pour jouer aux cartes. C’est le calme après la fureur, c’est Lisbonne paisible après Lisbonne excitée, c’est la débauche après l’usine. Le soir venu ce sera le fado.

 

Mais non, le soir venu c’est Peter Evans et son nouvel octet. Soit une façon de jouer sur les nerfs du mélomane assez voisine de tout ce qu’on vient d’évoquer. Par exemple avec une série de notes répétées qui semble ne jamais vouloir finir. Ou une manière de construire à partir de deux notes un univers qui tient à la fois du répétitif absolu (sans variation) et de la repasse trait pour trait sur ce qu’on vient de dire. Le jeune homme est sûr de lui et de son effet, et il a raison. Le répertoire de cet octet (création en Europe hier soir) montre à quel point Peter Evans est capable de renouvellement. On avait entendu un quartet (en 2008 à Bordeaux, à l’époque on se poussait vraiment jusqu’à accueillir ce jeune musicien totalement inconnu au bataillon) très « énergique » (pardon Jacques Aboucaya), on a découvert hier soir une formation à l’instrumentation très variée, et surtout une musique au fond assez inouïe dans le contexte du jazz contemporain. Une musique où le jeu (au sens du ludique) compte beaucoup, où l’humour est présent à côté du sérieux le plus imperturbable, et où la tendresse doit s’entendre à demi-mot. Jim Black, parfait dans cette aventure, nous est apparu de nouveau mince comme un fil, et heureux d’être là. Brandon Seabrook n’a rien perdu de sa folie douce, Peter Evans a trouvé en Ron Stabinsky (ne pas confondre avec le coureur cycliste) un alter-ego parfait à la trompette, leur duo à l’unisson sur le rappel était une merveille. Une très belle découverte. Ce soir, c’est Anthony Braxton en quartet. On ne présente plus.

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Pour Anne-Sophie et Nuno, nos guides dans Lisbonne

 

Fou furieux. De Mats Gustafsson à Peter Evans, en passant par ceux qui ont conçu le tram 28 à Lisbonne, et ceux qui le conduisent aujourd’hui, aucune différence. Dans tous les cas, la certitude absolue que ça va passer, la conviction inébranlable que c’est bien ça qu’il faut faire, et au fond un certain plaisir malin à vous faire passer des frissons dans l’échine et à vous en rajouter une couche si vous avez l’idée de faire savoir que vous êtes sur le point de craquer. J’exagère à peine.

 

 

Peter Evans Octet : Peter Evans (tp, comp), Ron Stabinsky (p, tp), Brandon Seabrook (g), Dan Peck (tuba), Tom Blancarte (b, euphonium), Sam Pluta (electronics), Jim Black (dm), Ian Antonio (perc)

 

 

Mais commençons par ce qui fit de la journé d’hier une préparation idéale au concert du soir. On nous avait parlé du tram 28 à Lisbonne, vanté la circulation qu’il assure entre les collines : oui, Lisbonne, comme Rome et Itxassou, est construite sur 7 collines. Ce qui explique que vous ne vous ennuyez jamais là-bas, comme dans les autres villes, célèbres pour leur festival de jazz contemporain, « Una Stricia di terra feconda » à Rome et « Errobiko Festibala » à Itxassou. Ici, c’est « Jazz Em Agosto ». Un jumelage serait amusant. Vous ne vous ennuyez jamais parce que ça monte, ou ça descend. Pas de calme plat. En jazz, c’est la même chose, il y a des formations qui jouent sur les contrastes permanents, et d’autres sur le lisse. Boyd Raeburn, par exemple. Duke Ellington ou Sun Ra, c’est plutôt sans cesse l’opposition des climats. 

 

Bon. Revenons au tram 28. Il arrive, repart, se déplace, dans un grand bruit de ferraile. Les voitures sont celles des années de ses années de naissance (début du XX° siècle), on assure que la motorisation électrique a été entièrement revue selon les exigences de notre temps, on veut bien le croire mais rien ne l’assure entièrement. Le tram 28 c’est à la fois le grand huit de votre plus proche « Foire aux plaisirs », comme on dit à Bordeaux (une ville qui n’y connaît rien mais qui se pousse), et un moyen de se déplacer entre les collines absolument irréfutable. Donc on le prend pour aller d’un point du quartier « Baixa » à un autre de l' »Alfama » (le plus ancien de la ville), les lisboètes adorent l’utiliser, les touristes ont tous en tête de voir ça de plus près, donc c’est bondé dès les premières heures du jour. Admettons que vous arriviez à monter dans l’engin. Tout de suite, vous êtes ballotés en avant au démarrage (formidable starter, incroyabe rapidité), et très vite en arrière au premier freinage (formidable aussi, arrêt vraiment immédiat). Au pied d’une côte déjà impressionnante, le wattman (oui, c’est comme ça qu’on appelle les conducteurs de tram de ces années-là, en tous cas à Clermont-Ferrand dans les années 50 on utilisait ce mot. Mais si), donc la wattman vous fait savoir qu’en raison d’un problème technique il n’est pas question qu’il aille plus loin. Donc vous prenez le suivant. Et là, c’est parti pour le grand huit : descentes à fond de pentes bien marquées, virages à angle droit sans ralentir, grande agitation de la clochette pour avertir les marcheurs qui ont la drôle d’idée de se balader à pied dans les rues, montées abruptes en accélérant, freinages, reprises, tout le monde se bouscule, on voit passer trois individus qui ne cachent qu’à peine leur intention de profiter de l’agitation générale, mais quand même furieux d’avoir été démasqués. Vous croyez que vous êtes arrivés ? Mais non, on en reprend un peu, et que ça remonte et que ça redescend. Le wattman s’amuse, c’est clair, et plus il entend les cris de son convoi, plus il en rajoute. La motorisation moderne, ça doit être ça. On peut tout faire en pleine sécurité, donc on le fait. Sur des voitures anciennes, rêvons de parcours modernes. Dans des wagons qui semblent sur le point de se défaire, mettons des tigres électriques. Cela dit, soyons clairs : il fallait déjà être fou furieux pour construire de pareils engins au XX° siècle, et surtout pour les faire aller de rues en rues à travers ces collines. Rues étroites au possible. Pentes incroyables. Ils l’ont fait. Les lisboètes ont le sens du risque, peut-être même un certain goût pour la chose. Ils n’ont pas été épargnés (tremblement de terre, incendie), donc ils en rajoutent dans un beau geste de défi. C’est mon idée.

 

Vous arrivez dans ce quartier ancien, ouvrier, qui se nomme l’Alfama. Vous montez quand même et redescendez deux ou trois rues (désertes), puis vous arrivez sur une petite place tout près du Panthéon, une petite guinguette vous attend, fraîcheur totale, petites choses à grignoter, on a installé pour les gens du quartier des tables fixées au sol avec quatre chaises, il s’en sont saisis pour jouer aux cartes. C’est le calme après la fureur, c’est Lisbonne paisible après Lisbonne excitée, c’est la débauche après l’usine. Le soir venu ce sera le fado.

 

Mais non, le soir venu c’est Peter Evans et son nouvel octet. Soit une façon de jouer sur les nerfs du mélomane assez voisine de tout ce qu’on vient d’évoquer. Par exemple avec une série de notes répétées qui semble ne jamais vouloir finir. Ou une manière de construire à partir de deux notes un univers qui tient à la fois du répétitif absolu (sans variation) et de la repasse trait pour trait sur ce qu’on vient de dire. Le jeune homme est sûr de lui et de son effet, et il a raison. Le répertoire de cet octet (création en Europe hier soir) montre à quel point Peter Evans est capable de renouvellement. On avait entendu un quartet (en 2008 à Bordeaux, à l’époque on se poussait vraiment jusqu’à accueillir ce jeune musicien totalement inconnu au bataillon) très « énergique » (pardon Jacques Aboucaya), on a découvert hier soir une formation à l’instrumentation très variée, et surtout une musique au fond assez inouïe dans le contexte du jazz contemporain. Une musique où le jeu (au sens du ludique) compte beaucoup, où l’humour est présent à côté du sérieux le plus imperturbable, et où la tendresse doit s’entendre à demi-mot. Jim Black, parfait dans cette aventure, nous est apparu de nouveau mince comme un fil, et heureux d’être là. Brandon Seabrook n’a rien perdu de sa folie douce, Peter Evans a trouvé en Ron Stabinsky (ne pas confondre avec le coureur cycliste) un alter-ego parfait à la trompette, leur duo à l’unisson sur le rappel était une merveille. Une très belle découverte. Ce soir, c’est Anthony Braxton en quartet. On ne présente plus.

 

Philippe Méziat

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Pour Anne-Sophie et Nuno, nos guides dans Lisbonne

 

Fou furieux. De Mats Gustafsson à Peter Evans, en passant par ceux qui ont conçu le tram 28 à Lisbonne, et ceux qui le conduisent aujourd’hui, aucune différence. Dans tous les cas, la certitude absolue que ça va passer, la conviction inébranlable que c’est bien ça qu’il faut faire, et au fond un certain plaisir malin à vous faire passer des frissons dans l’échine et à vous en rajouter une couche si vous avez l’idée de faire savoir que vous êtes sur le point de craquer. J’exagère à peine.

 

 

Peter Evans Octet : Peter Evans (tp, comp), Ron Stabinsky (p, tp), Brandon Seabrook (g), Dan Peck (tuba), Tom Blancarte (b, euphonium), Sam Pluta (electronics), Jim Black (dm), Ian Antonio (perc)

 

 

Mais commençons par ce qui fit de la journé d’hier une préparation idéale au concert du soir. On nous avait parlé du tram 28 à Lisbonne, vanté la circulation qu’il assure entre les collines : oui, Lisbonne, comme Rome et Itxassou, est construite sur 7 collines. Ce qui explique que vous ne vous ennuyez jamais là-bas, comme dans les autres villes, célèbres pour leur festival de jazz contemporain, « Una Stricia di terra feconda » à Rome et « Errobiko Festibala » à Itxassou. Ici, c’est « Jazz Em Agosto ». Un jumelage serait amusant. Vous ne vous ennuyez jamais parce que ça monte, ou ça descend. Pas de calme plat. En jazz, c’est la même chose, il y a des formations qui jouent sur les contrastes permanents, et d’autres sur le lisse. Boyd Raeburn, par exemple. Duke Ellington ou Sun Ra, c’est plutôt sans cesse l’opposition des climats. 

 

Bon. Revenons au tram 28. Il arrive, repart, se déplace, dans un grand bruit de ferraile. Les voitures sont celles des années de ses années de naissance (début du XX° siècle), on assure que la motorisation électrique a été entièrement revue selon les exigences de notre temps, on veut bien le croire mais rien ne l’assure entièrement. Le tram 28 c’est à la fois le grand huit de votre plus proche « Foire aux plaisirs », comme on dit à Bordeaux (une ville qui n’y connaît rien mais qui se pousse), et un moyen de se déplacer entre les collines absolument irréfutable. Donc on le prend pour aller d’un point du quartier « Baixa » à un autre de l' »Alfama » (le plus ancien de la ville), les lisboètes adorent l’utiliser, les touristes ont tous en tête de voir ça de plus près, donc c’est bondé dès les premières heures du jour. Admettons que vous arriviez à monter dans l’engin. Tout de suite, vous êtes ballotés en avant au démarrage (formidable starter, incroyabe rapidité), et très vite en arrière au premier freinage (formidable aussi, arrêt vraiment immédiat). Au pied d’une côte déjà impressionnante, le wattman (oui, c’est comme ça qu’on appelle les conducteurs de tram de ces années-là, en tous cas à Clermont-Ferrand dans les années 50 on utilisait ce mot. Mais si), donc la wattman vous fait savoir qu’en raison d’un problème technique il n’est pas question qu’il aille plus loin. Donc vous prenez le suivant. Et là, c’est parti pour le grand huit : descentes à fond de pentes bien marquées, virages à angle droit sans ralentir, grande agitation de la clochette pour avertir les marcheurs qui ont la drôle d’idée de se balader à pied dans les rues, montées abruptes en accélérant, freinages, reprises, tout le monde se bouscule, on voit passer trois individus qui ne cachent qu’à peine leur intention de profiter de l’agitation générale, mais quand même furieux d’avoir été démasqués. Vous croyez que vous êtes arrivés ? Mais non, on en reprend un peu, et que ça remonte et que ça redescend. Le wattman s’amuse, c’est clair, et plus il entend les cris de son convoi, plus il en rajoute. La motorisation moderne, ça doit être ça. On peut tout faire en pleine sécurité, donc on le fait. Sur des voitures anciennes, rêvons de parcours modernes. Dans des wagons qui semblent sur le point de se défaire, mettons des tigres électriques. Cela dit, soyons clairs : il fallait déjà être fou furieux pour construire de pareils engins au XX° siècle, et surtout pour les faire aller de rues en rues à travers ces collines. Rues étroites au possible. Pentes incroyables. Ils l’ont fait. Les lisboètes ont le sens du risque, peut-être même un certain goût pour la chose. Ils n’ont pas été épargnés (tremblement de terre, incendie), donc ils en rajoutent dans un beau geste de défi. C’est mon idée.

 

Vous arrivez dans ce quartier ancien, ouvrier, qui se nomme l’Alfama. Vous montez quand même et redescendez deux ou trois rues (désertes), puis vous arrivez sur une petite place tout près du Panthéon, une petite guinguette vous attend, fraîcheur totale, petites choses à grignoter, on a installé pour les gens du quartier des tables fixées au sol avec quatre chaises, il s’en sont saisis pour jouer aux cartes. C’est le calme après la fureur, c’est Lisbonne paisible après Lisbonne excitée, c’est la débauche après l’usine. Le soir venu ce sera le fado.

 

Mais non, le soir venu c’est Peter Evans et son nouvel octet. Soit une façon de jouer sur les nerfs du mélomane assez voisine de tout ce qu’on vient d’évoquer. Par exemple avec une série de notes répétées qui semble ne jamais vouloir finir. Ou une manière de construire à partir de deux notes un univers qui tient à la fois du répétitif absolu (sans variation) et de la repasse trait pour trait sur ce qu’on vient de dire. Le jeune homme est sûr de lui et de son effet, et il a raison. Le répertoire de cet octet (création en Europe hier soir) montre à quel point Peter Evans est capable de renouvellement. On avait entendu un quartet (en 2008 à Bordeaux, à l’époque on se poussait vraiment jusqu’à accueillir ce jeune musicien totalement inconnu au bataillon) très « énergique » (pardon Jacques Aboucaya), on a découvert hier soir une formation à l’instrumentation très variée, et surtout une musique au fond assez inouïe dans le contexte du jazz contemporain. Une musique où le jeu (au sens du ludique) compte beaucoup, où l’humour est présent à côté du sérieux le plus imperturbable, et où la tendresse doit s’entendre à demi-mot. Jim Black, parfait dans cette aventure, nous est apparu de nouveau mince comme un fil, et heureux d’être là. Brandon Seabrook n’a rien perdu de sa folie douce, Peter Evans a trouvé en Ron Stabinsky (ne pas confondre avec le coureur cycliste) un alter-ego parfait à la trompette, leur duo à l’unisson sur le rappel était une merveille. Une très belle découverte. Ce soir, c’est Anthony Braxton en quartet. On ne présente plus.

 

Philippe Méziat

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Pour Anne-Sophie et Nuno, nos guides dans Lisbonne

 

Fou furieux. De Mats Gustafsson à Peter Evans, en passant par ceux qui ont conçu le tram 28 à Lisbonne, et ceux qui le conduisent aujourd’hui, aucune différence. Dans tous les cas, la certitude absolue que ça va passer, la conviction inébranlable que c’est bien ça qu’il faut faire, et au fond un certain plaisir malin à vous faire passer des frissons dans l’échine et à vous en rajouter une couche si vous avez l’idée de faire savoir que vous êtes sur le point de craquer. J’exagère à peine.

 

 

Mais commençons par ce qui fit de la journé d’hier une préparation idéale au concert du soir. On nous avait parlé du tram 28 à Lisbonne, vanté la circulation qu’il assure entre les collines : oui, Lisbonne, comme Rome et Itxassou, est construite sur 7 collines. Ce qui explique que vous ne vous ennuyez jamais là-bas, comme dans les autres villes, célèbres pour leur festival de jazz contemporain, « Una Stricia di terra feconda » à Rome et « Errobiko Festibala » à Itxassou. Ici, c’est « Jazz Em Agosto ». Un jumelage serait amusant. Vous ne vous ennuyez jamais parce que ça monte, ou ça descend. Pas de calme plat. En jazz, c’est la même chose, il y a des formations qui jouent sur les contrastes permanents, et d’autres sur le lisse. Boyd Raeburn, par exemple. Duke Ellington ou Sun Ra, c’est plutôt sans cesse l’opposition des climats. 

 

Bon. Revenons au tram 28. Il arrive, repart, se déplace, dans un grand bruit de ferraile. Les voitures sont celles des années de ses années de naissance (début du XX° siècle), on assure que la motorisation électrique a été entièrement revue selon les exigences de notre temps, on veut bien le croire mais rien ne l’assure entièrement. Le tram 28 c’est à la fois le grand huit de votre plus proche « Foire aux plaisirs », comme on dit à Bordeaux (une ville qui n’y connaît rien mais qui se pousse), et un moyen de se déplacer entre les collines absolument irréfutable. Donc on le prend pour aller d’un point du quartier « Baixa » à un autre de l' »Alfama » (le plus ancien de la ville), les lisboètes adorent l’utiliser, les touristes ont tous en tête de voir ça de plus près, donc c’est bondé dès les premières heures du jour. Admettons que vous arriviez à monter dans l’engin. Tout de suite, vous êtes ballotés en avant au démarrage (formidable starter, incroyabe rapidité), et très vite en arrière au premier freinage (formidable aussi, arrêt vraiment immédiat). Au pied d’une côte déjà impressionnante, le wattman (oui, c’est comme ça qu’on appelle les conducteurs de tram de ces années-là, en tous cas à Clermont-Ferrand dans les années 50 on utilisait ce mot. Mais si.), donc le wattman vous fait savoir qu’en raison d’un problème technique il n’est pas question qu’il aille plus loin. Donc vous prenez le suivant. Et là, c’est parti pour le grand huit : descentes à fond de pentes bien marquées, virages à angle droit sans ralentir, grande agitation de la clochette pour avertir les marcheurs qui ont la drôle d’idée de se balader à pied dans les rues, montées abruptes en accélérant, freinages, reprises, tout le monde se bouscule, on voit passer trois individus qui ne cachent qu’à peine leur intention de profiter de l’agitation générale, mais quand même furieux d’avoir été démasqués. Vous croyez que vous êtes arrivés ? Mais non, on en reprend un peu, et que ça remonte et que ça redescend. Le wattman s’amuse, c’est clair, et plus il entend les cris de son convoi, plus il en rajoute. La motorisation moderne, ça doit être ça. On peut tout faire en pleine sécurité, donc on le fait. Sur des voitures anciennes, rêvons de parcours modernes. Dans des wagons qui semblent sur le point de se défaire, mettons des tigres électriques. Cela dit, soyons clairs : il fallait déjà être fou furieux pour construire de pareils engins au XX° siècle, et surtout pour les faire aller de rues en rues à travers ces collines. Rues étroites au possible. Pentes incroyables. Ils l’ont fait. Les lisboètes ont le sens du risque, peut-être même un certain goût pour la chose. Ils n’ont pas été épargnés (tremblement de terre, incendie), donc ils en rajoutent dans un beau geste de défi. C’est mon idée.

 

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Vous arrivez dans ce quartier ancien, ouvrier, qui se nomme l’Alfama. Vous montez quand même et redescendez deux ou trois rues (désertes), puis vous arrivez sur une petite place tout près du Panthéon, une petite guinguette vous attend, fraîcheur totale, petites choses à grignoter, on a installé pour les gens du quartier des tables fixées au sol avec quatre chaises, il s’en sont saisis pour jouer aux cartes. C’est le calme après la fureur, c’est Lisbonne paisible après Lisbonne excitée, c’est la débauche après l’usine. Le soir venu ce sera le fado.

 

Mais non, le soir venu c’est Peter Evans et son nouvel octet. Soit une façon de jouer sur les nerfs du mélomane assez voisine de tout ce qu’on vient d’évoquer. Par exemple avec une série de notes répétées qui semble ne jamais vouloir finir. Ou une manière de construire à partir de deux notes un univers qui tient à la fois du répétitif absolu (sans variation) et de la repasse trait pour trait sur ce qu’on vient de dire. Le jeune homme est sûr de lui et de son effet, et il a raison. Le répertoire de cet octet (création en Europe hier soir) montre à quel point Peter Evans est capable de renouvellement. On avait entendu un quartet (en 2008 à Bordeaux, à l’époque on se poussait vraiment jusqu’à accueillir ce jeune musicien totalement inconnu au bataillon) très « énergique » (pardon Jacques Aboucaya), on a découvert hier soir une formation à l’instrumentation très variée, et surtout une musique au fond assez inouïe dans le contexte du jazz contemporain. Une musique où le jeu (au sens du ludique) compte beaucoup, où l’humour est présent à côté du sérieux le plus imperturbable, et où la tendresse doit s’entendre à demi-mot. Jim Black, parfait dans cette aventure, nous est apparu de nouveau mince comme un fil, et heureux d’être là. Brandon Seabrook n’a rien perdu de sa folie douce, Peter Evans a trouvé en Ron Stabinsky (ne pas confondre avec le coureur cycliste) un alter-ego parfait à la trompette, leur duo à l’unisson sur le rappel était une merveille. Une très belle découverte. Ce soir, c’est Anthony Braxton en quartet. On ne présente plus.

 

Philippe Méziat

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Pour Anne-Sophie et Nuno, nos guides dans Lisbonne

 

Fou furieux. De Mats Gustafsson à Peter Evans, en passant par ceux qui ont conçu le tram 28 à Lisbonne, et ceux qui le conduisent aujourd’hui, aucune différence. Dans tous les cas, la certitude absolue que ça va passer, la conviction inébranlable que c’est bien ça qu’il faut faire, et au fond un certain plaisir malin à vous faire passer des frissons dans l’échine et à vous en rajouter une couche si vous avez l’idée de faire savoir que vous êtes sur le point de craquer. J’exagère à peine.

 

Mais commençons par ce qui fit de la journé d’hier une préparation idéale au concert du soir. On nous avait parlé du tram 28 à Lisbonne, vanté la circulation qu’il assure entre les collines : oui, Lisbonne, comme Rome et Itxassou, est construite sur 7 collines. Ce qui explique que vous ne vous ennuyez jamais là-bas, comme dans les autres villes, célèbres pour leur festival de jazz contemporain, « Una Stricia di terra feconda » à Rome et « Errobiko Festibala » à Itxassou. Ici, c’est « Jazz Em Agosto ». Un jumelage serait amusant. Vous ne vous ennuyez jamais parce que ça monte, ou ça descend. Pas de calme plat. En jazz, c’est la même chose, il y a des formations qui jouent sur les contrastes permanents, et d’autres sur le lisse. Boyd Raeburn, par exemple. Duke Ellington ou Sun Ra, c’est plutôt sans cesse l’opposition des climats. 

 

Bon. Revenons au tram 28. Il arrive, repart, se déplace, dans un grand bruit de ferraile. Les voitures sont celles des années de ses années de naissance (début du XX° siècle), on assure que la motorisation électrique a été entièrement revue selon les exigences de notre temps, on veut bien le croire mais rien ne l’assure entièrement. Le tram 28 c’est à la fois le grand huit de votre plus proche « Foire aux plaisirs », comme on dit à Bordeaux (une ville qui n’y connaît rien mais qui se pousse), et un moyen de se déplacer entre les collines absolument irréfutable. Donc on le prend pour aller d’un point du quartier « Baixa » à un autre de l' »Alfama » (le plus ancien de la ville), les lisboètes adorent l’utiliser, les touristes ont tous en tête de voir ça de plus près, donc c’est bondé dès les premières heures du jour. Admettons que vous arriviez à monter dans l’engin. Tout de suite, vous êtes ballotés en avant au démarrage (formidable starter, incroyabe rapidité), et très vite en arrière au premier freinage (formidable aussi, arrêt vraiment immédiat). Au pied d’une côte déjà impressionnante, le wattman (oui, c’est comme ça qu’on appelle les conducteurs de tram de ces années-là, en tous cas à Clermont-Ferrand dans les années 50 on utilisait ce mot. Mais si), donc la wattman vous fait savoir qu’en raison d’un problème technique il n’est pas question qu’il aille plus loin. Donc vous prenez le suivant. Et là, c’est parti pour le grand huit : descentes à fond de pentes bien marquées, virages à angle droit sans ralentir, grande agitation de la clochette pour avertir les marcheurs qui ont la drôle d’idée de se balader à pied dans les rues, montées abruptes en accélérant, freinages, reprises, tout le monde se bouscule, on voit passer trois individus qui ne cachent qu’à peine leur intention de profiter de l’agitation générale, mais quand même furieux d’avoir été démasqués. Vous croyez que vous êtes arrivés ? Mais non, on en reprend un peu, et que ça remonte et que ça redescend. Le wattman s’amuse, c’est clair, et plus il entend les cris de son convoi, plus il en rajoute. La motorisation moderne, ça doit être ça. On peut tout faire en pleine sécurité, donc on le fait. Sur des voitures anciennes, rêvons de parcours modernes. Dans des wagons qui semblent sur le point de se défaire, mettons des tigres électriques. Cela dit, soyons clairs : il fallait déjà être fou furieux pour construire de pareils engins au XX° siècle, et surtout pour les faire aller de rues en rues à travers ces collines. Rues étroites au possible. Pentes incroyables. Ils l’ont fait. Les lisboètes ont le sens du risque, peut-être même un certain goût pour la chose. Ils n’ont pas été épargnés (tremblement de terre, incendie), donc ils en rajoutent dans un beau geste de défi. C’est mon idée.

 

Vous arrivez dans ce quartier ancien, ouvrier, qui se nomme l’Alfama. Vous montez quand même et redescendez deux ou trois rues (désertes), puis vous arrivez sur une petite place tout près du Panthéon, une petite guinguette vous attend, fraîcheur totale, petites choses à grignoter, on a installé pour les gens du quartier des tables fixées au sol avec quatre chaises, il s’en sont saisis pour jouer aux cartes. C’est le calme après la fureur, c’est Lisbonne paisible après Lisbonne excitée, c’est la débauche après l’usine. Le soir venu ce sera le fado.

 

Mais non, le soir venu c’est Peter Evans et son nouvel octet.

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Pour Anne-Sophie et Nuno, nos guides dans Lisbonne

 

Fou furieux. De Mats Gustafsson à Peter Evans, en passant par ceux qui ont conçu le tram 28 à Lisbonne, et ceux qui le conduisent aujourd’hui, aucune différence. Dans tous les cas, la certitude absolue que ça va passer, la conviction inébranlable que c’est bien ça qu’il faut faire, et au fond un certain plaisir malin à vous faire passer des frissons dans l’échine et à vous en rajouter une couche si vous avez l’idée de faire savoir que vous êtes sur le point de craquer. J’exagère à peine.

 

Peter Evans Octet : Peter Evans (tp, comp), Ron Stabinsky (p, tp), Brandon Seabrook (g), Dan Peck (tuba), Tom Blancarte (b, euphonium), Sam Pluta (electronics), Jim Black (dm), Ian Antonio (perc)

 

 

Mais commençons par ce qui fit de la journé d’hier une préparation idéale au concert du soir. On nous avait parlé du tram 28 à Lisbonne, vanté la circulation qu’il assure entre les collines : oui, Lisbonne, comme Rome et Itxassou, est construite sur 7 collines. Ce qui explique que vous ne vous ennuyez jamais là-bas, comme dans les autres villes, célèbres pour leur festival de jazz contemporain, « Una Stricia di terra feconda » à Rome et « Errobiko Festibala » à Itxassou. Ici, c’est « Jazz Em Agosto ». Un jumelage serait amusant. Vous ne vous ennuyez jamais parce que ça monte, ou ça descend. Pas de calme plat. En jazz, c’est la même chose, il y a des formations qui jouent sur les contrastes permanents, et d’autres sur le lisse. Boyd Raeburn, par exemple. Duke Ellington ou Sun Ra, c’est plutôt sans cesse l’opposition des climats. 

 

Bon. Revenons au tram 28. Il arrive, repart, se déplace, dans un grand bruit de ferraile. Les voitures sont celles des années de ses années de naissance (début du XX° siècle), on assure que la motorisation électrique a été entièrement revue selon les exigences de notre temps, on veut bien le croire mais rien ne l’assure entièrement. Le tram 28 c’est à la fois le grand huit de votre plus proche « Foire aux plaisirs », comme on dit à Bordeaux (une ville qui n’y connaît rien mais qui se pousse), et un moyen de se déplacer entre les collines absolument irréfutable. Donc on le prend pour aller d’un point du quartier « Baixa » à un autre de l' »Alfama » (le plus ancien de la ville), les lisboètes adorent l’utiliser, les touristes ont tous en tête de voir ça de plus près, donc c’est bondé dès les premières heures du jour. Admettons que vous arriviez à monter dans l’engin. Tout de suite, vous êtes ballotés en avant au démarrage (formidable starter, incroyabe rapidité), et très vite en arrière au premier freinage (formidable aussi, arrêt vraiment immédiat). Au pied d’une côte déjà impressionnante, le wattman (oui, c’est comme ça qu’on appelle les conducteurs de tram de ces années-là, en tous cas à Clermont-Ferrand dans les années 50 on utilisait ce mot. Mais si), donc la wattman vous fait savoir qu’en raison d’un problème technique il n’est pas question qu’il aille plus loin. Donc vous prenez le suivant. Et là, c’est parti pour le grand huit : descentes à fond de pentes bien marquées, virages à angle droit sans ralentir, grande agitation de la clochette pour avertir les marcheurs qui ont la drôle d’idée de se balader à pied dans les rues, montées abruptes en accélérant, freinages, reprises, tout le monde se bouscule, on voit passer trois individus qui ne cachent qu’à peine leur intention de profiter de l’agitation générale, mais quand même furieux d’avoir été démasqués. Vous croyez que vous êtes arrivés ? Mais non, on en reprend un peu, et que ça remonte et que ça redescend. Le wattman s’amuse, c’est clair, et plus il entend les cris de son convoi, plus il en rajoute. La motorisation moderne, ça doit être ça. On peut tout faire en pleine sécurité, donc on le fait. Sur des voitures anciennes, rêvons de parcours modernes. Dans des wagons qui semblent sur le point de se défaire, mettons des tigres électriques. Cela dit, soyons clairs : il fallait déjà être fou furieux pour construire de pareils engins au XX° siècle, et surtout pour les faire aller de rues en rues à travers ces collines. Rues étroites au possible. Pentes incroyables. Ils l’ont fait. Les lisboètes ont le sens du risque, peut-être même un certain goût pour la chose. Ils n’ont pas été épargnés (tremblement de terre, incendie), donc ils en rajoutent dans un beau geste de défi. C’est mon idée.

 

Vous arrivez dans ce quartier ancien, ouvrier, qui se nomme l’Alfama. Vous montez quand même et redescendez deux ou trois rues (désertes), puis vous arrivez sur une petite place tout près du Panthéon, une petite guinguette vous attend, fraîcheur totale, petites choses à grignoter, on a installé pour les gens du quartier des tables fixées au sol avec quatre chaises, il s’en sont saisis pour jouer aux cartes. C’est le calme après la fureur, c’est Lisbonne paisible après Lisbonne excitée, c’est la débauche après l’usine. Le soir venu ce sera le fado.

 

Mais non, le soir venu c’est Peter Evans et son nouvel octet. Soit une façon de jouer sur les nerfs du mélomane assez voisine de tout ce qu’on vient d’évoquer. Par exemple avec une série de notes répétées qui semble ne jamais vouloir finir. Ou une manière de construire à partir de deux notes un univers qui tient à la fois du répétitif absolu (sans variation) et de la repasse trait pour trait sur ce qu’on vient de dire. Le jeune homme est sûr de lui et de son effet, et il a raison. Le répertoire de cet octet (création en Europe hier soir) montre à quel point Peter Evans est capable de renouvellement. On avait entendu un quartet (en 2008 à Bordeaux, à l’époque on se poussait vraiment jusqu’à accueillir ce jeune musicien totalement inconnu au bataillon) très « énergique » (pardon Jacques Aboucaya), on a découvert hier soir une formation à l’instrumentation très variée, et surtout une musique au fond assez inouïe dans le contexte du jazz contemporain. Une musique où le jeu (au sens du ludique) compte beaucoup, où l’humour est présent à côté du sérieux le plus imperturbable, et où la tendresse doit s’entendre à demi-mot. Jim Black, parfait dans cette aventure, nous est apparu de nouveau mince comme un fil, et heureux d’être là. Brandon Seabrook n’a rien perdu de sa folie douce, Peter Evans a trouvé en Ron Stabinsky (ne pas confondre avec le coureur cycliste) un alter-ego parfait à la trompette, leur duo à l’unisson sur le rappel était une merveille. Une très belle découverte. Ce soir, c’est Anthony Braxton en quartet. On ne présente plus.