Jazz em Agosto : Mary Halvorson Quartet / Masada
L’album, 32e et dernier chapitre du Book of Angels, est l’un des meilleurs de la série. On est moins emballé par le concert, irréprochable certes mais dépourvu du frisson qui parcourait le disque.
28 juillet
Mary Halvorson (elg), Miles Okazaki (elg), Drew Gress (b), Tomas Fujiwara (dm)
Dans d’autres cas c’est le contraire qui se produit, des musiciens ayant livré des prestations plus intenses que leurs équivalents enregistrés. Il semble y avoir chez certains instrumentistes, par ailleurs auteurs d’une œuvre conséquente, et honorés de travailler avec Zorn, une certaine frustration à ne pouvoir s’échapper de partitions précises ne leur laissant pas toujours beaucoup d’espace d’expression. Il y a ainsi une contradiction intrinsèque à sélectionner des musicien(ne)s à la personnalité affirmée tel(le)s que Mary Halvorson ou, quelques jours plus tard, Kris Davis, et à les faire jouer en sous-régime, voire en opposition à leurs appétences. Le paradoxe étant que cette tension créative contribue souvent à rendre ces projets passionnants. L’art ne s’épanouit-il pas dans les contraintes ? A défaut de sorties de route, on savoure les compositions séduisantes, les interprètes impeccables, et, dans cette configuration de quartette à deux guitares, la présence pour cet unique set de Miles Okazaki, issu des groupes de Steve Coleman, et qui possède un style et une sonorité complémentaires à ceux d’Halvorson.
John Zorn (as), Dave Douglas (tp), Greg Cohen (b), Joey Baron (dm)
Aucune réserve du côté de Masada. Voici 25 ans que le quartette s’est formé. Certes, il n’existe plus en tant qu’entité régulière, ne se reforme qu’au gré d’événements ponctuels, ce que l’on est en droit de regretter. On peut aussi considérer que le groupe est allé au bout de ses possibilités, avec une progression constante et une abondance d’enregistrements vers lesquels on retourne avec plaisir, en plus du souvenir de prestations mémorables. On attend d’eux le meilleur, et c’est ce qu’ils donnent. On a fini par considérer pour acquis ces échanges vivaces, ces breaks virevoltants, ces unissons surnaturels et ces solos sur la corde raide ! Mention spéciale à Joey Baron, poète et boute-en-train de la soirée. Toujours hilare – mais derrière le sourire l’un des grands batteurs de ces trente dernières années (auprès de John Taylor, John Abercrombie, Enrico Pieranunzi, Bill Frisell, Joe Lovano ou du plus jeune Jakob Bro…). Il est le cœur battant de ce concert, et son aspect jovial contraste avec l’austérité de Greg Cohen, qui tient les murs de la forteresse. Quant à Zorn et Douglas, leurs chassés-croisés tourbillonnants restent un grand bonheur, même sur des pièces au déroulement plus resserré que jadis. On retient ce moment où Zorn, maître du jeu et prompt à bousculer ses camarades, s’interrompt de manière inattendue pour donner la balle au trompettiste, manifestement surpris à cette étape : « You got it, baby ! » lui lance le saxophoniste en s’éloignant du micro. Décontenancé, Douglas s’exécute, brillamment bien entendu, tandis que Zorn se fend la poire en écoutant le trio. Le concert se signale par sa brièveté, ainsi qu’il en ira avec d’autres groupes au cours de cette édition. Des timings souvent adéquats, même si dans le cas de Masada, cela aurait pu durer jusqu’à l’aube sans que l’on se plaigne… David Cristol
Photos : Gulbenkian Música / Petra Cvelbar